mardi 13 septembre 2022

Gilda Piersanti – Jaune Caravage – Editions Le passage/ Seuil – 2008 ou Poche Pocket.

 


L'histoire

Eva, une adolescente de 17 ans, est retrouvée morte, égorgée et énuclée (on lui a ôté les yeux) alors que la fête de la Nuit blanche bat son plein dans ce quartier de Rome, autrefois populaire et désormais lieu branché de la jeunesse italienne. Cette jeune fille, en apparence bonne élève, très jolie, joyeuse cache en fait des secrets que sa mère ignore. Des relations ambiguës avec l'amant de sa propre mère, une affection particulière pour l'élève la plus douée de son lycée. (mais aussi la moins appréciée pour son physique ingrat et sa solitude). Une enquête surprenante de l'inspectrice-chef Mariella De Luca


Mon avis

Qui a dit que les femmes ne pouvaient pas écrire des polars à la limite du « gore » ? Avec Jaune Caravage, Gilda Piersanti clôt les 4 romans des « des 4 saisons ». Après Rouge Abattoir, Vert Palatino, et Bleu Catacombes. On y retrouve l'inspectrice Mariella De Luca, en situation amoureuse difficile et son adjointe, Silvia, son opposée (caractère, physique).

Et comme pour les précédents romans, le personnage principal est Rome. Car chacun des polars des saisons meurtrières se passe dans un quartier de la ville éternelle, pas forcément connue du grand public.

ci c'est sur une rive du Tibre, dans un quartier en pleine mutation. Autrefois quartier ouvrier, celui-ci se transforme avec l'ouverture d'une énorme boite de nuit, et d'un prochain centre pour les jeunes. Il reste encore quelques figures insolites comme le vieux Eugénio qui vit dans une cabane où il passe son temps entre son potager et la pèche, entre deux litrons d'un vin du cru et la confection d'un minestrone délicieux. La maman d'Eva, une émigrée russe, vit chichement dans un petit 2 pièces bien entretenu. Elle est « Badente » (femme de ménage, ou nourrice, employées par les riches romaines.

Mais revenons à l'enquête. Des suspects, il y en a, mais jamais le bon au final. Des mobiles aussi, mais jamais les bons non plus. Le duo d'enquêtrice va donc plonger dans les tourments de l'adolescence et jeunes à la dérive.

Par ailleurs, nous suivons les aventures de Mariella, qui se poursuive à chaque romans, ici un déboire amoureux et une rencontre étonnante avec un jeune homme sorti du passé (mais il faut avoir lu les 3 romans précédents pour comprendre. Pour ceux qui ne les auraient pas lu, Mariella enquête discrètement sur la disparition du fils unique du Commissaire D'Innocenzo, son mentor et son ami.

Un polar puissant et une visite de Rome, avec beaucoup de références à la littérature italienne ou au Rock de ces années-là. Nevermore.

 

Extraits :

  • Les mains assassines s’affolèrent au milieu des buissons sauvages. Elles cherchaient le baladeur d’où s’échappait encore la chanson qu’Eva n’entendrait plus :
    « As my memory rests
    but never forgets what I lost
    wake me up when september ends. »
    La lampe de poche zigzagua au milieu des arbustes, le baladeur avait disparu. Le quai était désert mais en cette nuit de fête quelqu’un pouvait encore avoir envie de descendre jusqu’au Tibre pour trouver un coin tranquille, à l’abri des foules qui arpentaient la Nuit Blanche. Paniquées, les mains abandonnèrent la recherche. Eva était évanouie. Les mains arrêtèrent de trembler, sortirent quelque chose de la poche du jean, relevèrent le tee-shirt d’Eva pour s’en faire une protection et portèrent un coup net sur la carotide. Le sang gicla violemment sur le coton blanc.

  • Elle scrutait sa silhouette à l'autre bout du couloir et tremblait de tout son corps. Brusquement, elle s'élança à sa rencontre et l'enlaça passionnément. La clé toujours dans sa main. Comme Ingrid Bergman.

  • ça va bien un temps, son sale caractère ! se disait-il. Le couple ne peut quand même pas être une épreuve de tous les jours !



Biographie

Née en 1957 à Tivoli, Gilda Piersanti est une écrivaine française de romans policiers.
Elle habite à Paris depuis vingt ans et écrit directement en français. Elle reste un an à l’Ecole d'Architecture de Rome et obtient un doctorat en Philosophie (thèse sur l'esthétique de Baudelaire).
Elle exerce l'activité de critique littéraire, traduit des œuvres de la littérature française et est commissaire pour deux expositions concernant Constantin Guys et Charles Meryon.

Elle se consacre exclusivement à l'écriture depuis 1995.
Son premier roman, "Rouge abattoir" (2003), a été adapté pour France Télévision sous le titre "Hiver rouge" (2011), un film de Xavier Durringer, avec Patrick Chesnais et Jane Birkin. "Bleu catacombes" en 2007 reçoit les Prix du Polar Méditerranéen 2007, Prix SNCF du polar européen 2007..Elle est aussi l’auteur d’un roman intitulé "Médées", dans lequel elle réinterroge à la faveur d’une intrigue très contemporaine le mythe de Médée, la mère infanticide.
"Illusion tragique" reçoit, en 2018, le Prix Méditerranée Polar et le Prix des lecteurs Quais du polar/20 minutes.


Nota

  • une adaptation de 4 téléfilms a été faite des saisons meurtrières, mais transposée à Paris, et le personnage de Mariella Di Luca ne correspond en rien aux romans.

  • Un glossaire en fin de livre nous permet de saisir quelques notions sur le mode de vie typique de Rome.

  • J'ai lu l'ensemble des 4 livres des « saisons meurtrières » mais je dois avouer que j'aime particulièrement le thriller Jaune Caravage. Je viens de le relire suite à un pari gagné avec une amie aussi fan de polar que moi. Hihi.




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Paula Hawkins – La fille du train – Éditions Sonatine 2015 ou Poche Pocket

 

L'histoire

Rachel, la trentaine prend tous les jours le train qui relie sa ville de banlieue Londres. Matin à 8h04 et soir à 17h56. Pendant ce voyage, elle passe devant une maison habitée par un couple qu'elle observe et qui la fascine. D'autant que ce couple vit dans son ancienne ville et vie, celle où elle avait un époux, un statut.Mais un jour elle perçoit une scène étrange dans la maison du couple. Quelques jours après la jeune habitante est portée disparue puis retrouvée morte. La petite vie, morne de Rachel trouve désormais un but : enquêter, alors qu'elle est alcoolique, sujette à des oublis de sa mémoire quand elle boit trop. Et si la vérité était enfouie dans un souvenir ?


Mon avis

Raconté par trous voix, celle de Rachel, de Megan et d'Anna la seconde épouse qui a remplacé Rachel, le roman est extrêmement bien structuré et donc il ne posera aucun problème de compréhension. Le style unique de l'auteure, avec un vocabulaire qui rappelle encore une fois l'eau (la pluie omniprésente ou la chaleur moite de cet été), eaux utérines, eaux alcoolisées, eau froide des douches que prend Rachel pour dessoûler, comme autant de repères qui structurent encore plus le récit.

Mais c'est surtout la psyché des personnages qui interpelle ainsi que leurs 3 problématiques qui en font des sujets universels.

Nous avons Rachel, 35 ans, bouffie par l'alcool qu'elle ingère au moindre souci, tente d'arrêter, replonge et est dans le chagrin impossible du deuil de son mariage. Rachel ment sur la vie qu'elle mène. Elle est au chômage depuis des mois, ce qu'elle cache par honte vis-à vis de son entourage. Sa gentille colocataire essaye de l'aider à se sevrer, son ex-époux qui souffle le chaud et le froid, tant elle le harcèle dès qu'elle a trop bu à coups d'appels, de textos ou de visites importunes. Mais au réveil, lors de ses beuveries solitaires, Rachel ne souvient de rien. Hors elle doit se souvenir de la soirée où Megan a disparu, car elle sent que c'est peut-être la solution à l'énigme et sans cesse elle se heurte à sa mémoire évanouie.

Megan, jolie femme, au passé de fugueuse, entend mener sa vie de façon libre. Même si son passé recèle un lourd secret (un infanticide), sa vie actuelle avec son mari, gentil, conforme mais assez jaloux ne la satisfait pas. Elle prend des amants dans des relations qui ne durent pas, elle ne veut pas d'enfants. Elle sent qu'elle étouffe dans cette petite ville de province, ayant perdu son emploi, et n'ayant rien à faire.

Enfin Anna, la seconde épouse de Tom, l'ex-mari de Rachel, qui lui a donné un enfant (Rachel est stérile, son pire drame), qui vit dans la peur de perdre sa petite fille, qui ne supporte plus les harcèlements de Rachel qu'elle croit complètement folle. Mais petit à petit les certitudes vont céder.

3 personnages de femme, trois les hommes d'hommes parfois insaisissables pour Rachel, cette « fille du train » anonyme, qui n'existe pas aux yeux des autres et qui s'enferme dans son propre malheur. Alcoolisme, perte de mémoire, obsessions de comprendre font de Rachel une héroïne hors du commun.

Et puis le rapport à la maternité. Comme si c'était une obligation de la femme. Maternité dont rêve Rachel pour existe, maternité assumée et protectrice d'Anna et refus de maternité pour la trop libre Megan.

Derrière les petites gens qui nous croisons dans les trains, métro ou bus du quotidien se cachent parfois des histoires insoupçonnables.Paula Hawkins nous entraîne dans un suspense haletant, et ne renie en rien son engagement féministe que l'on retrouve dans « Au fil de l'eau ».Addictif.

 

Extraits :

  • C'est ma faute. Je buvais déjà, de toute façon, j'ai toujours aimé boire. Mais je suis devenue plus triste, et la tristesse, au bout d'un moment, c'est ennuyeux - pour la personne qui est triste et pour tous ceux qui l'entourent. Puis je suis passée de quelqu'un qui aime boire à alcoolique, et il n'y a rien de plus ennuyeux que ça.

  • Le vide : voilà bien une chose que je comprends. Je commence à croire qu'il n'y a rien à faire pour le réparer. C'est ce que m'ont appris mes séances de psy : les manques dans ma vie seront éternels. Il faut grandir autour d'eux, comme les racines d'un arbre autour d'un bloc de béton ; on se façonne malgré les creux.

  • Mon gin tonic en canette frémit quand je le porte à mes lèvres pour en prendre une gorgée, fraîche et acidulée : le goût de mes toutes premières vacances avec Tom, dans un village de pêcheurs sur la côte basque, en 2005. Le matin, on nageait les sept cent mètres qui nous séparaient d’une petite île pour aller faire l’amour sur des plages secrètes ; l’après-midi, on s’asseyait au bar et on buvait des gin tonics amers, très alcoolisés, en regardant des nuées de footballeurs du dimanche faire des parties à vingt-cinq contre vingt-cinq sur le sable mouillé.
    Je prends une autre gorgée, puis une troisième ; la canette est déjà à moitié vide mais ce n’est pas grave, j’en ai trois autres dans le sac en plastique à mes pieds. C’est vendredi, alors je n’ai pas à culpabiliser de boire dans le train.

  • J’ai l’impression d’étouffer.
    Est-ce que cette maison a toujours été aussi minuscule ? Et ma vie, a-t-elle toujours été si minable ? Est-ce que c’est ça dont je rêvais ? Je ne m’en souviens plus. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a quelques mois j’allais mieux et, aujourd’hui, je n’arrive plus à réfléchir, à dormir, à dessiner, et l’envie de m’échapper devient insurmontable. La nuit, allongée là, réveillée, j’entends cette voix dans ma tête qui répète sans relâche, un murmure : « Disparais. » Quand je ferme les yeux, je vois surgir des images de mes vies passées et futures, de tout ce que je rêvais, des choses que j’ai eues et que j’ai jetées. Si je n’arrive pas à m’installer confortablement, c’est que, partout où je regarde, je ne trouve qu’un mur : la galerie fermée, les maisons de cette rue, les velléités d’amitié envahissantes de ces femmes ennuyeuses de mon cours de Pilates, la voie ferrée au bout du jardin avec ses trains qui emmènent constamment des gens ailleurs et qui me rappellent une douzaine de fois par jour que, moi, je ne bouge pas. J’ai l’impression de devenir folle. (Megan)

  • Soyons francs, encore aujourd’hui, la valeur d’une femme se mesure à deux choses : sa beauté ou son rôle de mère. Je ne suis pas belle, et je ne peux pas avoir d’enfant. Je ne vaux rien.

  • Je ne peux pas dire que mes problèmes d’alcool ne viennent que de tout cela. Je ne peux pas les mettre sur le compte de mes parents ou de mon enfance, d’un oncle pédophile ou d’une terrible tragédie. C’est ma faute. Je buvais déjà, de toute façon, j’ai toujours aimé boire. Mais je suis devenue plus triste, et la tristesse, au bout d’un moment, c’est ennuyeux – pour la personne qui est triste et pour tous ceux qui l’entourent. Puis je suis passée de quelqu’un qui aime boire à alcoolique, et il n’y a rien de plus ennuyeux que ça.

  • Deux fois par jour, je bénéficie d'une fenêtre sur d'autres vies, l'espace d'un instant. Il y a quelque chose de réconfortant à imaginer la vie des inconnus, à l'abri chez eux.

  • Sur le côté, quelqu'un a écrit: LA VIE N'EST PAS UN PARAGRAPHE. Je repense au paquet de vêtements au bord des rails et ma gorge se serre. La vie n'est pas un paragraphe et la mort n'est pas une parenthèse.

  • La pièce s'assombrit plus encore et je me retrouve là bas, allongée dans l'eau, son petit corps appuyé sur le mien , la flamme d'une bougie vacillant juste derrière moi.
    J'entends la cire couler, son odeur dans mon nez, et un courant d'air froid vient souffler sur ma nuque et mes épaules. Je me sens lourde, mon corps s'enfonce dans la chaleur de l'eau. Je suis épuisée. Et, soudain, la bougie est éteintes j'ai froid. Très froid, j'ai les dents qui claquettes mon crâne, le corps tout entier qui tremble. La maison me semble trembler aussi, le vent hurle et s'engouffre sous les tuiles du toit.


Biographie

Paula Hawkins est une écrivaine britannique.
Elle est née et a grandi à Harare au Zimbabwe. Son père était un professeur d'économie et journaliste pour la finance. Sa famille déménage à Londres en 1989 alors qu'elle a 17 ans.
Elle étudie la philosophie, la politique et l'économie à l'Université d'Oxford.
Elle écrit des articles sur les affaires pour The Times, tout en écrivant plusieurs articles en indépendant et écrit un livre de conseil financier pour les femmes, "The Money Goddess" (2006).
Vers 2009, Hawkins commence sa carrière de romancière en écrivant des fictions romantiques sous le pseudonyme d’Amy Silver. Elle rencontre le succès commercial avec son roman "La Fille du train" (The Girl on the Train, 2015), un thriller abordant la violence domestique et l'alcoolisme féminin. Il a été un phénomène en librairie et s'est vendu à 11 millions d'exemplaires à travers le monde.
Il a été adapté pour le cinéma par Tate Taylor, en 2016, avec Emilie Blunt dans le rôle de Rachel Watson.
Paula Hawkins a vécu en France et en Belgique. Elle vit désormais dans le sud de Londres.


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dimanche 11 septembre 2022

Zoyâ PIRZAD – On s'y fera – Editions Zulma -2007 (ou livre de poche)

 

L'histoire

Arezou, la quarantaine, a repris l'agence immobilière de son père à Téhéran. Elle doit également gérer sa mère MahMonir, une femme capricieuse et égoïste et sa fille , adolescente rebelle qui en guerre contre le monde entier, et surtout sa propre mère. Quand un certain Monsieur Zardjou lui fait une cour assidue, Arezou, déjà divorcée et débordée par son travail et sa famille hésite.


Mon avis

L'écriture légère, parfois poétique, parfois très drôle de Zoyâ Pirzad nous enchante. Elle décrit avec humour et tendresse la vie de 3 femmes dans un Téhéran en pleine mutation avec l'arrivée au pouvoir des Mollahs.

Nous avons la grand-mère Mah-Mounir, une femme qui a été habituée à vivre dans le luxe (ce qui a ruiné son père dont Arezou essaye de combler les dettes). Égoïste, toujours prête à s'en pendre à sa fille, passant son temps à colporter des ragots, toujours prête pour un chantage affectif, c'est presque une caricature de ces femmes a qui tout est du, et pour lesquelles l'amour se mesure en bracelets d'or ou objets de luxe. Ayeh, sa petite fille est tout aussi capricieuse. Mal remise du divorce de ses parents, elle vit la vie adolescente, à vouloir absolument un téléphone portable dernier cri, ou un objet futile, ne fait pas grand chose au lycée et ouvre un blog où elle déverse ses griefs. Prise entre les désirs de la jeunesse américanisée mais aussi influencée par le nouveau régime, elle trouve le soutien de sa grand-mère, pour tenter de faire la loi face à sa mère.

Enfin il y a Arezou, qui dirige une agence immobilière, mange un peu trop, fume et discute avec son amie de toujours Shirine, une jeune femme qui ne se remet pas de son divorce, toujours amoureuse de son mari et qui tient un discours féministe, comme d'ailleurs de nombreuses femmes croisées dans le livre. Arezou, une femme simple, généreuse avec ceux qui sont dans la peine, fait la connaissance d'un monsieur Zardjou, serrurier aisé dans la banlieue de Téhéran. Si elle le trouve idiot au début, il se révèle être un homme charmant, toujours prêt à rendre service, courtois et aussi respectueux. Petit à petit Arezou commence à éprouver des sentiments et envisage de se marier. Mais à quoi bon ?

Un roman féministe tout en douceur, qui dénonce la lâcheté de certains hommes, et les différences culturelles entre ces femmes qui ont connu le régime d'avant 1979, et qui se retrouvent avec la police des mœurs et des restrictions qui vont venir. Un glossaire en fin de livre permet de comprendre certaines expressions en persan classique et en persan commun (langage développé par les jeunes). Certains jeux de mots ne pouvant être traduits en français, le traducteur nous renseigne dans un glossaire.

Et puis il y a Téhéran, ville tentaculaire où subsistent encore des vieilles maisons, la beauté des montagnes au loin et le parfum exquis des fleurs de glace (inconnue en France). Des petits moments de poésie, comme seule Zoyâ Pirzâd en a le secret.

J'avais déjà beaucoup aimé le recueil de nouvelles « Le goût âpre des kakis », j'ai encore plus adoré ce livre qui a des parfums de thé à la menthe, de rose, qui nous montre le quotidien de la vie iranienne.

 

Extraits :

  • Ma mère est une séductrice née. Elle séduit les hommes, elle séduit les femmes, et probablement, quand elle est seule face à son miroir, elle se séduit elle-même.

  • Tu as besoin de quelqu'un qui t'apaise avec des attentions, des "je t'aime", des fleurs, des petits mensonges, des gâteries... C'est tout. Et mon petit doigt me dit que ce monsieur est une aspirine exceptionnelle.

  • Supposons qu’il soit le plus cohérent, le meilleur de tous les hommes, combien de temps tiendra-t-il ? Jusqu’à quand me supportera-t-il ? Et puis ensuite ?

  • Tu es comme une pile sur laquelle on tire tout le temps sans jamais la recharger. Tu dois penser un peu à toi (Shirine). - Comment faire ? Arezou) - Trouver le chargeur.

  • -J'étais en train de me dire que si c'était lui qui avait voulu repartir en France... D'un signe de tête, elle désigna Hesam en train de chuchoter à l'oreille d'une femme aux cheveux teints. C'est probablement lui que j'aurais épousé... - C'est donc la France que tu as épousée ! dit Shirine en riant.


Biographie

Née à Abadan en 1952, Romancière, nouvelliste, Zoyâ Pirzâd est née d’un père iranien d’origine russe par sa mère et d’une mère arménienne.Mariée, mère de deux garçons, elle débute sa carrière d'écrivain après la révolution de 1979.

Elle a d’abord publié trois recueils de nouvelles dont "Comme tous les après-midi", en 1991. Trois recueils repris aux éditions Markaz à Téhéran en un seul volume.
En 2001, elle a publié un roman, "C’est moi qui éteins les lumières", salué par de nombreux prix, dont le prix du meilleur livre de l'année. En 2004 elle publie: "On s’y fera" roman très remarqué.
Zoyâ Pirzâd est aussi traductrice d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carol et de poèmes japonais. Elle fait partie des auteurs iraniens qui font sortir l’écriture persane de ses frontières et l’ouvrent sur le monde.
Sa langue est un persan simple et quotidien, une langue très équilibrée. La leçon ultime de Zoyâ Pirzâd est humaniste.


En savoir Plus :

Lire l'article sur le goût âpres des kakis : ici


 

jeudi 8 septembre 2022

Paula HAWKINS – Au bord de l'eau – Editions Sonatine - 2017

 

 

L'histoire

Quand Julia apprend la mort de sa sœur Nel, par suicide, elle doit de rendre à Beckford dans le Nord de l'Angleterre. Ce village qu'elle déteste car il lui rappelle des mauvais souvenirs d'enfance, cette sœur qu'elle n'aime pas, toujours cynique, à la réussite parfaite, et sa nièce Lena qu'elle ne connaît pas. Dans le village, il y a quand même une enquête « de routine », mais les mauvaises langues parlent des femmes « suicidées » ou plutôt assassinées. Ca fait le deuxième suicide en moins de 2 mois, et pour un village si tranquille, cela fait beaucoup. Dans cet univers sombre, où chacun se déteste où est la vérité ?


Mon avis

Après le succès de « la fille du train », Paula Hawkins nous emmène dans un village de quelques âmes, entre les ragots des vieilles femmes, et les haines intestines. Sur la structure du roman, la parole est donnée aux principaux protagonistes, tantôt à la première personne du singulier (Je) ou à la troisième personne (il, elle). L'ambiance est pluvieuse comme cette rivière aux tons sombres où l'on périt assez facilement.

Ce polar addictif par son ambiance particulière, avec cette rivière menaçante qui passe sous la demeures familiale, est un vibrant plaidoyer contre les violences et les assassinats de femmes. Bien sur il y a la légende du « bassin de noyées » des sorcières ou des femmes dépressives.

Et puis il y a ses trois femmes dans la tourmente. Nel l'aînée qui a fait de sa sœur, sa souffre -douleur travaillait sur un livre sur ces femmes noyées. Photographe de renom, très belle femme, ayant racheté la maison familiale, Nel ne se soucie pas des commérages, vit sa vie de femme riche, manipulatrice ambitieuse. Sa fille Léna lui ressemble en tout point. Adolescente rebelle, qui fume, boit, et ignore le monde, elle est dévastée par la perte de cette mère admirée et quelques mois plus tôt, le suicide de son amie Katie qui vit une histoire d'amour sécrète. Et puis il y a Julia, qui se fait appeler Jule, tant elle rejette son enfance et son adolescence car elle était obèse, méprisée par la sœur aînée, moquée par ses camarades de classes. Avant de comprendre que malentendus sur malentendus n'ont fait qu'aggraver les choses entre les deux sœurs, elle va devoir apprendre à aimer cette sœur devenue absente et s'occuper de cette nièce qui semble la mépriser.

Mais à cela s’entremêle les voix de la mère de Katie, femme aigrie qui ne cherche pas à faire son deuil, celle de Nikkie la vieille dame « folle » du village mais qui sait ce qu'elle ne devrait pas savoir, celle de Laurène la directrice de l'école rigide et froide , tant son couple bas de l'aile et enfin celle d'Erin la policière qui a les pieds sur terre et qui va résoudre l'enquête.

Les hommes eux sont des lâches. Ils sont bouffi par leur orgueil, leurs préjugés, voire pire. Jusqu'au rebondissement du tout dernier chapitre, ces messieurs ne sont en rien des gentlemen, et vivent dans un temps révolu.

Un polar grinçant qui dénoue aussi bien les secrets de famille, que les intrigues d'une petite ville où il n'y a rien faire, à part en été profiter de cette étrange rivière. Et puis il y a la rivalité entre sœurs, un thème délicat qui pourrait nous faire penser à une Jane Austen du 21ième siècle. A lire.


Extraits :

  • Putain, que c'est bizarre, comme endroit, Beckford. C'est beau, d'une beauté à couper le souffle, par certains côtés, mais c'est vraiment trop bizarre. On dirait un lieu à part, complètement déconnecté de ce qu'il y a autour. Évidemment, autour, il n'y a rien à des kilomètres à la ronde - il faut faire plusieurs heures de route pour atteindre la civilisation. Et encore, si on considère Newcastle comme la civilisation, ce qui n'est pas forcément mon cas. Beckford est donc un endroit bizarre rempli de gens bizarres, avec une histoire bizarre. Et au milieu, il y a une rivière, et c'est cette rivière qui est le plus étrange, parce qu'on a l'impression que de quelque côté qu'on se tourne, qu'elle que soit la direction vers laquelle on se dirige, on finit toujours par tomber dessus.

  • A présent qu'il regardait sa belle-fille, il était convaincu d'avoir fait le bon choix pour son fils, car Helen était modeste, intelligente, et elle n'avait que faire des commérages et autres potins mondains auxquels la majorité des femmes semble vouer une véritable passion.Elle ne perdait pas son temps non plus à regarder la télévision ou à lire des romans. Non, elle était souriante et de bonne compagnie.

  • Quand tu étais petite, tu étais obsédée par cette fille. Moi, je détestais cette histoire, trop triste et trop cruelle, mais tu demandais sans cesse à l'entendre à nouveau. Tu voulais entendre comment Libby, encore une enfant à l'époque, avait pu se retrouver amenée jusqu'à l'eau, accusée de sorcellerie [fin XVIIe siècle]. Pourquoi ? je demandais, et notre mère expliquait : Parce que sa tante et elle connaissaient les herbes et les plantes, et qu'elles savaient fabriquer des remèdes. Cela me semblait idiot comme raison, mais les histoires des adultes étaient pleines de pareilles cruautés idiotes : des petits enfants qu'on empêchait de franchir la grille de l'école parce que leur peau n'était pas de la bonne couleur, des gens battus ou tués parce qu'ils vénéraient le mauvais dieu.

  • Il est des personnes qui sont attirées par l’eau, des personnes qui entretiennent avec elle un rapport presque primal. Je crois en faire partie.

  • Les garçons sont arrivés en même temps que les filles, mais ils sont tout de suite allés nager. Ils remontaient sur la berge, se poussaient du haut des rochers, riaient et s'insultaient, se traitaient de pédés. On aurait dit que les choses se passaient toujours de la même façon : les filles s'asseyaient et patientaient pendant que les garçons faisaient les idiots, puis au bout d'un moment ils s'ennuyaient et venaient embêter les filles, et parfois les filles résistaient, parfois non.

  • Le chagrin de Louise était telle la rivière: constant et changeant. Il ondulait, débordait, enflait et baissait, certains jours froid, profond et sombre, d'autres vif et aveuglant. Sa culpabilité aussi était liquide, elle s'insinuait par la moindre fissure chaque fois qu'elle essayait d'y mettre un barrage.

  • C'est comme quand un homme à une aventure : pourquoi son épouse se met-elle à détester l'autre femme ? Pourquoi elle ne déteste pas son mari, plutôt ? C'est lui qui l'a trompée, c'est lui qui avait promis de l'aimer et de la protéger et tout et tout pour le restant de ses jours. Alors pourquoi ce n'est pas lui qui se fait balancer du haut d'une falaise ?

  • J’avais remarqué quelque chose en lui, comme une faiblesse. Une blessure. Il n’y a rien de plus dangereux qu’un homme dans cet état.

  • Je pensais qu'un violeur, c'était un fou furieux. Un homme qui te sautait dessus dans une ruelle sombre en pleine nuit, un homme qui te mettait un couteau sous la gorge. Je ne pensais pas qu'un garçon pouvait faire ça. Pas un lycéen comme Robbie, pas un beau garçon, pas un garçon qui sortait avec la plus jolie fille du coin. Je ne pensais pas que ça pouvait t'arriver chez toi, dans ton salon, je ne pensais pas qu'il t'en parlait après en te demandant si tu avais passé un bon moment. Je me suis dit que j'avais forcément fait quelque chose qu'il ne fallait pas, que je n'avais pas exprimé assez clairement que je ne voulais pas.


Biographie

Paula Hawkins est une écrivaine britannique née en 1972. Elle est née et a grandi à Harare au Zimbabwe. Son père était un professeur d'économie et journaliste pour la finance. Sa famille déménage à Londres en 1989 alors qu'elle a 17 ans. Elle étudie la philosophie, la politique et l'économie à l'Université d'Oxford.Elle écrit des articles sur les affaires pour The Times, tout en écrivant plusieurs articles en indépendant et écrit un livre de conseil financier pour les femmes, "The Money Goddess" (2006).Vers 2009, Hawkins commence sa carrière de romancière en écrivant des fictions romantiques sous le pseudonyme d’Amy Silver.

Elle rencontre le succès commercial avec son roman "La Fille du train" (The Girl on the Train, 2015), un thriller abordant la violence domestique et l'alcoolisme féminin. Il a été un phénomène en librairie et s'est vendu à 11 millions d'exemplaires à travers le monde. Il a été adapté pour le cinéma par Tate Taylor, en 2016, avec Emilie Blunt dans le rôle de Rachel Watson.
Après "La Fille du train", elle publie "Au fond de l'eau" (Into the Water) en 2017, un thriller qui explore les tromperies de la mémoire et toutes les zones dangereuses que le passé peut atteindre.
Paula Hawkins a vécu en France et en Belgique. Elle vit désormais dans le sud de Londres.



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lundi 5 septembre 2022

Gabrielle FILTEAU-CHIBA – Sauvagines – Stock 2022 -

 

L'histoire

A 40 ans, Raphaëlle est garde-forestière dans la forêt boréale du Kamouraska, au sud-ouest du Québec. Ayant rompu avec sa famille et sa vie citadine de Montréal, elle vit seule au cœur de la forêt dans une roulotte. Des kilimètres de routes et de pistes pour tenter de chasser un braconnier ou de chasseurs qui tuent plus que leurs quotas. Un individu retient son attention. Il pose des pièges près des habitations, et une rapide enquête apprend que cet homme est aussi violent envers les animaux que les femmes qu'il tabasse et viole sans remords. La traque commence.


Mon avis

Un véritable plaidoyer pour la liberté des hommes, des femmes, des animaux à travers la forêt du Bas Saint Laurent, l'auteure nous plonge dans un récit d'une femme déterminée, aimant la Nature plus que tout. Ayant coupé les ponts avec une famille trop conventionnelle et un chemin de vie tout tracé, Raph choisit de vivre seule dans une roulotte, en adoptant Coyote, une jeune chienne mi husky /mi coyote. Elle a comme seul ami le vieux Lionel, un amoureux de la nature et un papa de substitution puis Anouk, une ermite lumineuse au même parcours qu'elle.

Un roman engagé contre le capitalisme qui ne fait rien pour réguler la chasse et encore moins la protection des lynx, pourtant espèce en voix de disparition. Contre l'Office des forêts en sous-effectifs et complice au fond du juteux commerces des peaux. Menacée par ce braconnier, mauvais garçon, violeur elle va refouler sa morale pour lui tendre elle aussi un piège. On glisse ainsi dans l'ambiance d'un thriller,

Si les scènes d'action sont très convaincantes par leurs énergiques pulsations, elles ne résument pas le roman dont l'intensité va au-delà du simple thriller .Cette une ode à la nature et à ses protecteurs, offre de très belles pages nature writing, portée par une écriture imagée aux envolées poétiques qui stimule sensoriellement le lecteur avec une belle énergie, tout en rendant hommage au lien spirituel qui unit homme et nature. Cette quête de l'essentiel donne une envie furieuse d'entendre hurler les coyotes voire de hurler à leurs côtés.

Le roman truffé  de termes québécois est pourtant facile à lire, un glossaire en fin de livre nous éclaire sur quelques mots. Et puis il y a les dessins de l'auteure qui ponctuent chaque chapitre, à la plume, simples et beaux aussi.Un livre nécessaire dans cette période où le réchauffement climatique est sur toutes les lèvres et nos forêts bien mies à mal.

Nota : Une sauvagine correspond à l'ensemble des peaux les plus communes vendues par les chasseurs sur les grands marchés de la fourrure.


Extraits :

  • L’animal insolite qui attire mon attention est une femelle aux yeux bruns et au pelage souris. Elle ne mange pas, tremble sur son lit de foin pendant que les autres se vautrent. L’homme debout dans l’enclos raconte qu’elle a un léger souffle au cœur, qu’elle n’aura pas la grande carrière d’athlète attelée qu’on attendait d’elle, qu’un chien maigre qui ne tirera pas sa vie durant des touristes venus de France pour vivre une expérience typiquement nordique est une bête qui ne gagne pas sa viande, une bête qu’on abattra comme celles trop vieilles pour servir. Des iris colorés auraient pu la sauver, mais comme en prime sa mère, par une nuit d’expédition, s’est éprise d’un coyote, on s’attend à ce que sa progéniture soit un défi de taille à dompter. Bref, la bâtarde est condamnée, inutile et trop banale pour qu’on veuille l’adopter.

  • Venger les coyotes, les lynx, les ours, les martres, les ratons, les visons, les renards, les rats musqués, les pécans; venger les femmes battues ou violées qui ont trop peur pour sortir au grand jour. Moi, je ne veux pas vivre dans la peur. Et ça ne peut plus durer, ce manège, l’intimidation des victimes. Marco Grondin, c’est comme un prédateur détraqué qui tue pour le plaisir. Ça ne se guérit pas, ça. On n'aura pas la paix tant qu'il sévit, ni nous ni les animaux.

  • Ils ont salué le saint-père, mais rien dit en
    mémoire de grand-maman. Je bouillais en dedans.— Si dieu existe, c’est une femme émancipée, libre et fertile, croyez-moi. Mes frères et sœurs m’ont regardée comme si j’étais une sorcière,le blasphème incarné. Et en silence, picossant dans mon assiette, je m’imaginais à quoi pouvait bien ressembler dame Nature. Probablement à Artémis, la déesse grecque de la chasse, ou à la
    sumérienne Inanna. Ailées, munies de serres, elles domptent les
    fauves et protègent les cerfs, la veuve et l’orphelin.

  • Tu sais que tu souffres de solitude quand tu souhaites bonne nuit à un chien qui dort déjà et que tu souris à ta poêle en fonte.

  • Si tout le monde se contentait du strict nécessaire, d’une fourrure léguée de génération en génération pour se réchauffer toutes ses nuits d’hiver, plutôt que d’une trâlée de literie aux couleurs du jour, assortie aux rideaux et aux tapis, à remplacer périodiquement com.e pour revenir à la page blanche après des amours démodées, peut-être qu’on reprendrait tous le chemin du cœur, au lieu du vide que l’on comble à coupe de séance de magasinage à crédit.

  • Pourquoi donc a-t-on tant besoin de posséder la beauté ? Et si on la laissait vivre en paix dans l'espoir de la recroiser un jour ?

  • Quitter parenté et société pour habiter une roulotte stationnée creux dans la forêt publique, ça peut paraître bizarre, mais c’est la clé de mon équilibre mental : vivre le plus près possible des animaux que je me démène à protéger. Vivre le plus loin possible de ma famille qui n’a jamais été curieuse de savoir qui était notre arrière-grand-mère aux yeux bruns perçants comme ceux d’un coyote.

  • Oui, je transgresse la ligne de pensée nationale et je désobéis au Code criminel, mais j'ai bien plus peur du braconnage des derniers grands mammifères que d'une vie en cage. Parfois, l'histoire le démontre, la désobéissance et la rébellion ont permis le progrès.

  • Je suis quoi, moi, l'épouvantail ? Qu'est ce que je fais ici, sans blague? Ensuite, ce sera le tour à qui, l'ours polaire? On va rationaliser la chose en affirmant que, comme la banquise fond, mieux vaut tous les tirer avant qu'ils ne descendent chez nous? Et on va continuer de faire comme si la crise climatique était une crise d'adolescence d'écoles qui exagèrent ?


Biographie

Gabrielle Filteau-Chiba est traductrice et auteure. Elle a quitté Montréal en 2013 alors qu’elle recherchait un rythme de vie plus lent et plus près de la nature. Elle a acheté une terre près de la rivière Kamouraska à Saint-Bruno, avec un petit chalet qui devait être habitable quatre saisons. Elle y vivait sans électricité et sans eau courante.
Une vague de froid l’empêchait de chauffer suffisamment son refuge et elle s’apprêtait à abandonner le lieux. Mais sa voiture n’a jamais voulu démarrer.
Les 10 jours qu’a dû passer Gabrielle Filteau-Chiba encabanée dans son petit refuge du Bas-Saint-Laurent l’ont inspirée à écrire son premier livre, "Encabanée" (2018), qui s’approche de ce qu’elle a vécu, avec une part de fiction.
Elle a amélioré son sort depuis en construisant une maison faite de bois entourée de jardins et de serres, alimentée en électricité par un panneau solaire. Elle y vit avec son compagnon et sa petite fille.


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vendredi 2 septembre 2022

Ito OGAWA – Le restaurant de l'amour oublié – Picquier Poche - 2013

 

L'histoire

Rinko, 25 ans, rentre dans son village natale après un désillusion sentimentale, où son ex lui tout volé. Murée dans le silence, la jeune femme ne sait faire qu'une seule chose : cuisiner. Aussi décide-t-elle d'ouvrir son propre restaurant, dans ce village qui se meurt et travailler des produits adaptés à ses clients.



Mon avis

Avec délice, je retrouve l'écriture merveilleuse d'Ito Ogawa dont le Ruban (également sur ce site et que je considère comme un chef d’œuvre) m'avait enchantée. L'auteure est une poète des mots. Ici, le vocabulaire culinaire est utilisé très subtilement dans ce roman au charme infini. Car au-delà des soucis, de la mésentente avec une mère un peu penchée sur l'alcool, c'est tout le pouvoir rédempteur de la cuisine ici qui va ramener Rinko à la vie qu'elle voulait. Son amitié fidèle avec un homme d'âge mur, un peu son papa d'adoption et ses relations cordiales avec les petits paysans font tout le charme de ce roman, une histoire simple mais universelle, la rédemption par un talent en nous.

L'alimentation, que l'on relie en psychanalyse à la mère, est ici traitée avec le respect qu'on lui doit. Il ne s'agit pas de se goinfrer, mais de savourer des mets préparés pour vous, qui vous apporteront le bien-être nécessaire et même le courage de déclarer sa flamme à l'être aimé, ou donner du baume au cœur à des personnes endeuillées, voire même de sauver un lapin anorexique.

Et puis il y a ce Japon des paysans, des gens simples, qui boivent peut-être un peu trop, qui font circuler les ragots, mais qui cultivent leur terre avec l'amour du bon produit, dans cette esthétique japonaise où traditions et modernité se côtoient et se mêlent délicatement.

Mais avant tout c'est la poésie qui nous retient. Le regard que Rinko (le roman est écrit a la première personne du singulier) porte sur la nature et le monde est tendre, naïf comme elle le reconnaît, mais tellement attachant qu'on ne rêve que d'une chose, aller s'installer à cette table normée l'escargot, où le bonheur se déguste comme ce livre à chaque bouchée.

Et enfin la traduction (souvent le point faible de Picquier) est ici excellente.


Extraits :

  • Chaque gorgée faisait s'épanouir une prairie fleurie dans mon corps. Je ne m'imaginais pas encore très bien ce qu'était le paradis, mais si, à ses portes, on m'offrait ne serait-ce qu'une gorgée de ce champagne, j'y resterais sûrement pour l'éternité.

  • Dans la vie, nous sommes impuissants face à certaines réalités, je le sais bien. Très peu de choses dépendent de notre volonté, dans la plupart des cas, les événements nous entraînent comme le courant d'un fleuve, ils s'enchaînent sans rapport avec notre volonté sur l'immense paume de la main d'une instance supérieure.

  • Il y a ce qui a disparu pour toujours. Mais qui, néanmoins, demeure éternellement. Et puis il y a aussi, si on cherche avec ténacité, tout ce qu'on peut conquérir, toutes ces choses qui nous attendent.

  • L’amour n’a pas besoin d’artifices, alors j’ai simplement ajouté une pincée de sel.

  • Si tu cuisines en étant triste ou énervée, le goût ou la présentation en pâtissent forcément. Quand tu prépares à manger, pense toujours à quelque chose d'agréable, il faut cuisiner dans la joie et la sérénité.

  • C'est une petite colline sur laquelle se dresse un figuier d'une taille exceptionnelle. En dix ans, je n'avais pas eu une seule fois envie de voir ma mère, mais ce figuier, lui, m'avait manqué, et je l'avais cherché en rêve à de multiples reprises.

  • Mes confidences n'avaient été ni ma mère ni mes camarades de classe, mais la nature et la montagne.

  • Les souvenirs les plus chers, je les range bien à l’abri dans mon cœur, et je ferme la porte à clé. Pour que personne ne me les vole. Pour les empêcher de se faner à la lumière du soleil. Pour éviter que les intempéries les abîment.

  • L'être humain ne peut pas avoir le cœur pur en permanence. Chacun recèle en lui une eau boueuse, plus ou moins trouble selon les cas.

  • La neige a cessé un bref instant, révélant une multitude de minuscules lueurs, comme des flammes vacillantes.


Biographie

Ito Ogawa, née en 1973, est une écrivaine japonaise connue pour ses rédactions de chansons, notamment pour le groupe Fairlife, et ses livres illustrés pour les enfants.

Avec "Le restaurant de l'amour retrouvé", son premier roman, elle a obtenu un grand succès auprès des critiques et du public. Le roman a remporté le Prix Étalage de la Cuisine 2011 et une version cinématographique est sortie sur les écrans japonais en 2010, sous le titre "Rinco's Restaurant".
En 2016 est édité "Le ruban", son second roman, qui raconte l'histoire d'une grand-mère passionnée d’oiseaux et de son nouveau compagnon à plumes, Ruban. La même année, Ito Ogawa revient avec "Le jardin arc-en-ciel".

Chacun de ses livres connaissent un immense succès au Japon, où elle est considérée comme la plus grande écrivaine de sa génération.


En savoir Plus :

Emmanuelle URIEN – La terre est ronde comme un losange – Eyrolles Poche 2021 -

 

L'histoire

Andréa, née en Allemagne est psychologue pour le suivi des astronautes présents dans la Station Spatiale internationale. Jeune femme rigide, elle aime que tout soit ordre, malgré sa fille Steffie, 6 ans, hyperactive, une vraie tornade. Aussi quand un voisin emménage au dessus de son joli appartement et se met jouer de la contrebasse, rien ne va plus, la guerre est déclarée. Mais attention aux apparences qui peuvent être bien trompeuses...


Mon avis

Voila un petit roman très agréable à lire, genre détente assurée. Le style est très vif et l'auteure aime les mots au point de les transformer, notamment les dictions et proverbes. Le roman est aussi un catalogue de gros mots (en allemand, anglais ou japonais) pour les amateurs.

Si le style est particulièrement amusant, l'intrigue elle est moins fouillée. Elle tourne autour des trois personnages principaux. Andréa, la femme qui a réussit, et qui a hérité du pragmatisme et de l'ordre qu'on pourrait prêter aux allemands, même si c'est un peu cliché. Alexis, contrebassiste de jazz, éternel déprimé qui subit sa vie au lieu de la vivre, suite à un traumatisme. Et enfin Philippine, la sœur d'Alexis, tatoueuse, anti-conventionnelle, et qui aime justement déformer les proverbes avec malice ou tout simplement parce qu'elle ne les connaît pas.

Exercice de style mis à part, chaque personnage porte en lui des stigmates d'un passé ou d'un présent dont il ne parvient pas à se débarrasser. Et l'amour alors ? Et bien non je ne spolierais pas, mais il n'est pas là où on le pense.

Ce genre de petit livre qui prend tout à la légère se lit le temps d'une soirée. Il ne vous fera pas chavirer, même si il est très amusant. C'est le but recherché par l'auteure d'ailleurs qui ne se prend pas vraiment au sérieux. Pas un chef d’œuvre, mais de quoi passer un bon moment et pour les esprits étriqués, une jolie leçon sur la différence.


Extraits :

  • Voyant qu’elle hésitait, Philippine attrapa un rouleau entre deux ongles vernis de bleu et l’approcha de la bouche d’Andrea. Machinalement, celle-ci écarta les lèvres. C’est ridicule, pensa-t-elle, contrariée. Je ne suis pas un oiseau à qui on donne la becquée. Alors, pour mettre fin à cette scène embarrassante, elle croqua dans le dolma, priant pour qu’il ne contienne rien de trop infect, comme des rognons de lapin, des yeux de poulet ou des fonds d’artichaut. Après tout, elle n’avait aucune idée de ce que mangeaient les grecs, en dehors des olives et de la feta.

  • En réalité, elle brûlait de connaître les détails de cette saga amoureuse qu’elle avait secrètement baptisée Space vaudeville. La veille, au cours d’une prise de bec particulièrement pimentée, Iko avait accidentellement ouvert la pommette d’Anton. Résultat : trois points de suture, et une réunion au sommet des trois astronautes qui avait failli tourner au pugilat. La vidéo était hilarante.

  • Exercice de chaos numéro 43 B : rien n'interdit de faire le ménage un mercredi soir...

  • Huit heures de boulot + une pause déjeuner expédier + une heure et demie de bouchons au total = dix heures de stress cumulé, calcula Andréa en déverrouillant avec soulagement la porte de son appartement. Un constat qu'elle opérait de plus en plus fréquemment ces derniers temps mais qui, ce soir, lui semblait particulièrement pesant.

Biographie

Emmanuelle Urien est nouvelliste et romancière.
Gestionnaire et linguiste de formation, elle a consacré quelques années de sa vie "active" à diverses entreprises. Ne se trouvant guère d'affinités avec ce monde, elle décide de s'adonner à l'écriture.
En 2000, le démon des mots, qui la traquait depuis l'enfance, la rattrape définitivement : elle écrit. Ses premiers pas d'auteur la conduisent vers les concours de nouvelles, elle y remporte une centaine de prix, des lecteurs et un peu d'assurance. Publiée dans de nombreuses revues et anthologies, elle écrit également des fictions pour Radio France ("Les petits polars" ; "Les petites histoires"). Emmanuelle Urien est aussi musicienne, chanteuse et traductrice. Elle a tourné un peu partout en France des lectures-spectacles musicales avec l'auteur et musicien Manu Causse.  

 

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