lundi 10 octobre 2022

SAN SHA – Alexandre et Alestria – Editions Albin Michel - 2006

 

L'histoire

Une vie romancée d'Alexandre Le Grand, homme présenté comme complexe, tiraillé entre l'amour du beau et l’irrésistible goût de la conquête de sa Macédoine natale jusqu'aux portes de L'Inde. Son amour fou pour Alestria, une amazone venue des steppes de Mongolie, un amour passionné, exclusif, intense. Faire de sa Reine pour ce conquérant est un défi, mais à force de défier les lois, que gagne-t-on.


Mon avis

Quel plaisir de retrouver la merveilleuse écriture de San Sha, cette chinoise qui vit à Paris et écrit en français avec la poésie et la subtilité toute orientale.

Ici, elle ne cherche nullement à faire une biographie d'Alexandre, mais de nous montrer la folie des hommes et des femmes, dans les grands tournants de l'Histoire.

C'est un roman fait de délicates confrontations, raconté par les voix d'Alexandre lui-même, d'Alestria et de Tania/Ania sa scribe et amie.

Nous avons Alexandre, élevé à la dure par son père, Philippe de Macédoine, un homme guerrier, brutal qui martyrise sa femme et son fils après des beuveries fêtant ses victoires. Son jeune fil est un être sensible, qui aime la poésie, la douceur la nature. Mais élevé dans les corps guerriers d'élite et de son père, il devient un être cynique, assoiffé de pouvoirs et de conquête. Conscient de sa beauté, il se croit fils d'Apollon, mais se montre un guerrier impitoyable qui va conquérir la Grèce, l’Égypte, la Perse et poursuivre sa quête vers l'Orient. Dans un rêve, lui est apparu une femme, la seule femme dont il tombe follement amoureux et qu'il donne comme justifications à ses conquêtes sanglantes, ses complots et trahison. Un être double car tout est double dans ce roman comme le yin et le yang.

Alestria est la reine des Amazones, une tribu nomade, guerrières impitoyables quand on les attaquent. Chassée par le refroidissement de leurs terres ancestrales, l'actuelle Sibérie, elles refusent tout accouplement avec un homme, tout contact avec lui. Elles ne cherchent pas la gloire ou la fortune, elles n'ont rien, à part leurs chevaux, leurs armes et recueillent les femmes ou fillettes maltraitées, abandonnées. Elles aiment la nature, et en connaissent les secrets. Mais voilà, Alestria tombe amoureuse d'Alexandre et ce coup de foudre réciproque va les amener au pire. Car Alexandre ne comprendra jamais la philosophie de cette femme qui pourtant lui sera fidèle, au risque de détruire à jamais sa tribu.

Entre les mythe et les contes, on peut dire que ce roman oppose aussi deux visions du monde, et deux visions de l'amour. Le monde d'Alestria est celui de la vie simple, nomade, proche de la nature, dont les pouvoirs magiques peuvent transformer une steppe aride en jardin de fleurs. Celui d'Alexandre est celui des conquêtes pour s'approprier les biens matériels, or, pierres précieuses, tissus luxueux qui lui permettent de garder son empire en soudoyant tous ces généraux.Sa sexualité est double, on sait que la Grèce Antique considérait comme normale les relations entre hommes. Mais Alexandre qui couvre sa femme de présents, qu'elle méprise, cherche avant tout à assurer sa dépendance croyant que son futur fils, avec les sangs mêlés de la plus grande des guerrières et le sien sera capable d'assurer la pérennité de son empire. Il croit en un universalisme des peuples, que ses victoires permettront une fusion de cultures.

Car Jung démontra la relation entre l'animus et l'anima, l'anima est la part féminine de l'homme (la sensibilité bafouée d'Alexandre) et l'animus, la part de masculinité chez la femme (le cas des Amazones).Voir ps://fr.wikipedia.org/wiki/Anima

Le roman donne tour à tour la parole tour à tour à Alexandre, Tania et Alestria puis plus la fin approche plus les voix de mêlent dans le même chapitre, pour tenter de contrer le destin inéluctable. En tout cas, le lecteur n'y perd en aucun cas le fil.Chacun comprendra les motivations des héros, contraires, et sans jamais jouer sur le féminisme tel que l'on entend, il est évident que le cœur vibrera plus pour la simplicité des Amazones (personnages légendaires).

Et puis il y a cette écriture poétique, sublime de cette autrice qui manie le français avec art. Je vous conseille également de lire : La joueuse de Go et Impérative.

Galerie Photos




Amazone sculpture

Amazone fresque

Extraits :

  • Viens, Alestria! Nous allons grimper les montagnes, prendre d'assaut les citadelles. Nous irons combattre les dragons, les singes, les éléphants conduits par des guerriers recouverts de perles, de diamants. Sois ma reine, Alestria. Je t'offre des paysages grandioses, des milliers de nuits étoilées, la chevauchée de cent mille hommes sous le soleil, dans l'eau, dans les sables, à travers les forêts et les déserts. (Alexandre)

  • A toi garçon du futur, ce roman écrit en langue des oiseaux. A toi, guerrier intrépide, nos libertés, nos galops. Veille sur nos sommeils, veille sur nos saisons. A toi, jeune fille qui liras dans les étoiles; A toi, jeune fille qui déchiffreras le livre des oiseaux... Le secret de nos âmes, le secret de l'amour, le secret de la force. (Alestria)

  • Le visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme ?

  • Platon enseignait que chaque homme fait partie d'une entité céleste qui se brise en deux au cours de sa chute, et qu'il est condamné à chercher son autre moitié sur terre, ainsi commence la quête de l'amour. (Alexandre)

  • Galopant derrière Alexandre comme son ombre, je ne comptais plus les Indiens que j'avais abattus. La folle chevauchée alternait avec des pauses où l'on essuyait le sang, pansait les blessures et mangeait un morceau de pain. (Tania)

  • La mélancolie est la poésie d'une vie d'insouciance. (Alexandre)

  • Je m’exerçais à tuer la souffrance. Un jour, l’esclave tuerait les lions. Un jour, Alexandre abattrait le tyran. (Alexandre)


Biographie :
Shan Sa (Yan Ni de son vrai nom) est écrivaine, peintre, poète et calligraphe française d'origine chinoise. Elle est née à Pékin en 1972.
Elle grandit dans une famille de lettrés traditionnels et écrit et publie des poèmes dès l’âge de 7 ans. A 14 ans, elle devient la plus jeune membre de l’Association des écrivains de Pékin. Après les manifestations de la place Tian'anmen elle quitte Pékin pour poursuivre des études de philosophie et d’histoire de l’art à Paris. En 1994, elle rencontre le peintre Balthus et sa femme Setsuko qui l'initie à la culture japonaise (cithare, jeu de go, calligraphie et épée). Elle devient leur assistante jusqu'en 1996.

En 1997, elle écrit « Porte de la Paix céleste » (éditions du Rocher) et remporte le prix Goncourt du Premier Roman. En 1999, elle écrit « Les quatre vies du saule » et remporte le prix Cazes. En 2001, elle est de nouveau récompensée par le prix Goncourt des Lycéens pour son roman « La Joueuse de go » qui rencontre un grand succès auprès du public. En 2003 paraît "Impératrice".
Puis elle publie d’autres romans ainsi qu’une collection d’essais, un recueil de poèmes et des albums de peintures.
En 2009, Shan Sa est nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres et en 2011, Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

Sur San Sha : son site : https://www.shan-sa.com/


En savoir Plus :

https://www.telerama.fr/livres/alexandre-et-alestria,15897.php

Sur Alexandre le grand :


Sur les Amazones



dimanche 9 octobre 2022

JULIA GLASS – Une maison parmi les arbres – Poche Totem N° 157 - 2020

 

L'histoire

Le dessinateur et écrivain pour enfants, le très célèbre Marty Lear meurt accidentellement. A la surprise générale, ce roi de la littérature pour jeunesse laisse tout ses biens y compris la gestion de son héritage artistique à  Tommy, celle qui fut son assistante pendant 25 ans, sa confidente et qu'il considérait comme la fille qu'il n'a jamais eu étant homosexuel. Assaillie de demandes, tentant de lutter contre ceux qui veulent s'accaparer l'héritage du génie, Tommy finit par se rendre compte que l'homme qu'elle a côtoyé toutes ses années avait aussi une part d'ombre.


Mon avis

D'habitude, je suis assez fan des romans publiés par Gallmeister. Mais ce roman trop long, dont l'intrigue se dilue ne m'a pas scotchée ?

Tout d'abord il y a de nombreuses descriptions des dessins de Marty. Pourquoi l'autrice n'a-t-elle pas penser à une collaboration avec un dessinateur, ce qui nous aurais épargné des longues pages pour nous faire comprendre que le dessinateur avait choisi un univers sombre et onirique dans ces histoires.

Les aller-retour dans le passé sont aussi des formes de redites. Surtout lorsque Tommy réinterroge son enfance. Les personnages hormis Tommy, son frère et l’avocat qui aide Tommy ne sont pas sympathiques. Et puis il y a ce roi Lear, ce dessinateur ambigu, mais sur de son génie pour le public, alors qu'il n'est qu'un être tourmenté, menteur qui s’accommode de la réalité et s'abrite dans la solitude d'une maison dans un coin perdu du Massachusetts, seul, avec Tommy, dans un silence qui est un état de vie, une solitude ni subie, ni volontaire, juste une cachette luxueuse.

Pourtant l'intention de Julia Glass était de montrer la duplicité des créateurs, leurs rapports avec leurs créations, les outrances que permet la gloire artistique.

Chacun des personnages a sa vision de Morty, ce même Morty qui sait garder ses secrets mais que même ceux qui savent continuerons à vénérer l'artiste, rentabilité et intérêts particuliers prévalent sur la morale.Dommage aussi que la pédophilie dans sa perversité ne soit qu'effleurée et sous-entendue sans jamais être condamnée fermement.Par ailleurs l'autrice se serait inspirée de dessinateurs réels, notamment Art Spiegelman sous un autre nom que Morty, jaloux, déteste profondément. Là aussi, je pense que la comparaison est mal venue. D'une part Spiegelman ne fait pas des bd pour enfants, et de plus il raconte l'histoire de son père détenu dans les camps de concentration.

Bref un roman ennuyeux qui aurait gagné en simplicité .Mais ce roman plaira peut-être à d'autres lecteurs, je ne fais que donner un avis personnel.


Extraits :

  • J’écris pour les enfants, et si mon histoire est réussie, je suis à moitié un enfant. Ou un enfant tout entier, Dieu seul le sait ! Les gens prétendent que les auteurs de livres pour enfants sont des gosses qui ne savent toujours pas ce qu’ils veulent faire plus tard. Mais cela signifie que j’agis plus par instinct que vous, alors que vous avez peut-être la moitié de mon âge. Quelque chose, je l’appelle mon petit diable interne, me dit qu’il est temps de révéler cette histoire. Il se trouve que vous en êtes le receveur, tout ça parce que vous, ou vos chefs, avez décidé que c’était le moment de publier un article flatteur sur Mort Lear. Pas sûr que vous teniez l’article flatteur, hein?

  • C'est la raison pour laquelle cette histoire s'adresse à des enfants plus âgés. Des enfants qui ne sont plus vraiment des enfants. Qui comprennent ce qu'ils voient aux informations . Et au cas où vous l'auriez oublié , les adolescents ont, de façon innée des pensées sombres qu'ils ont tendance à garder pour eux. Ils se régalent de désastres fictifs. Il y a une espèce de réconfort à voir le monde brûler dans un livre. Un livre, comme un fourneau, peut être refermé, le feu contenu.

  • En années Hollywood, j'ai largement l'âge d'être sa mère. D'après un calcul rétroactif en vigueur à Hollywood, on peut facilement devenir mère à huit ans. Je pense... j'espère même !... être affectée à une autre décennie de mamans. Si j'ai de la chance. Puis de grands-mères si je touche le jackpot. Les reines douairières ! Ça vaut mieux que tomber dans l'oubli.

  • Les enfants ne cherchent pas à essayer de comprendre les actions de leurs grands-parents. Qu’ils se comportent de façon sympathique ou tyrannique, les grands-parents sont, comme les dinosaures et les Vikings, des êtres dépassés et illogiques, exempts des règles de la physique ou d’un comportement moderne décent. Tous les actes excentriques ou même brutaux qu’ils perpètrent sont excusés du fait de leur grand âge. (Peut-être qu’à leur époque, c’était normal de faire honte à ses enfants, comme il était normal de du temps des dieux nordiques de piller et de brûler.)

  • L'accent britannique a quelque chose de honteusement séduisant pour les Américains, qu'il s'agisse du cokney ou du Oxbridge de bon aloi.

  • Un jour qu'il était invité à une émission de télévision pour enfants, Morty avait expliqué comment on inventait une histoire. A un moment, il s'était penché tout prés de la caméra et avait dit:" Une histoire, c'est comme une route. Elle doit vous emmener quelque part. Un endroit drôle, nouveau!

  • Il y a une espèce de réconfort à voir le monde brûler dans un livre. Un livre, comme un fourneau, peut être refermé, le feu contenu.


Biographie :
Née en 1956 à Boston, Julia Glass est une écrivaine américaine.

Diplômée en 1978 de l'Université de Yale, elle est aujourd'hui journaliste indépendante et éditrice.
En 2002, elle obtient avec son premier roman "Jours de juin" ("Three Junes") le National Book Award et sera publiée dans plus de quinze pays.
Suivront "Refaire le monde" ("The Whole World Over", 2006), "Louisa et Clem" ("I See you Everywhere", 2008, John Gardner Award), "Les joies éphémères de Percy Darling" ("The Widower's Tale", 2009), qui ont tous été des best-sellers du New York Times. Elle met dans ses romans beaucoup d'humanité et son écriture est très subtile.
Dans "La nuit des lucioles" ("And the Dark Sacred Night", 2014), qui a figuré dans les listes des best-sellers aux États-Unis, elle revisite des personnages de "Jours de juin".
En 2017, elle publie son livre, "Une maison parmi les arbres" ("A House among the Trees"). Ele a également eu trois Chicago Tribune's Nelson Algren Awards pour ses nouvelles, et le Tobias Wolff Award et la médaille de la Pirate's Alley Faulkner Society pour la nouvelle "Collies", première partie de "Three Junes".
Elle vit à Marblehead, Massachusetts, avec son compagnon, le photographe Dennis Cowley, et leurs deux enfants.


En savoir Plus :

samedi 8 octobre 2022

JIM FERGUS – Les amazones (trilogie des mille femmes blanches) – Éditions du Cherche Midi 2019

 

L'histoire

Dernier volet de sa trilogie des mille femmes blanches, récit de fiction, Jim Fergus continue les journaux de Mary Dodd, Molly Mac Gill à travers la voix d'une des arrières-petites filles de Molly, surnommée Molly Standing Bear qui a conservé des extraits des journaux de son aïeule, et autorise leur publication par le fil de Todd l'éditeur des premiers journaux (Mille femmes blanches, La vengeance des mères). 

Molly Stand Bear, cheyenne vivant sur une des réserves du Montana, se soucie aussi de sauver de la prostitution, de la drogue des jeunes femmes amérindiennes


Mon avis

Jim Fergus entame en 2013 une trilogie fictive concernant mille femmes blanches. Selon un accord passé en 1875 par le président américain Grant avec un chef Cheyenne mille femmes blanches sont échangées contre mille chevaux. On sait que le chef Little Wolf rencontra le président américain en 1874 à Washington, la teneur de leurs propos restent inconnus.

Dans la trilogie de Fergus, les mille femmes envoyées sont des prostituées, des prisonnières de droit commun ou des femmes mise en asile psychiatrique. Accueillie cérémonieusement par les Amérindiens, elles y trouvent une rédemption et une forme de vie très différentes où elles sont respectées. Les Cheyennes, peuple nomade des grandes plaines sont pourchassés par l'armée américaine. Les regrettables guerres indiennes de 1868 à 1884 firent de nombreux morts, surtout des femmes et des indiens. Les femmes blanches acclimatées à leur nouveau statut décidèrent donc de former un bataillon secret pour lutter contre les « blancs ».

Dans ce dernier tome, le bison qu'ils appellent leur frère, vit en nombre et leur apporte l'essentiel pour se nourrir, se vêtir, s'abriter mais l'armée US n'a de cesse de détruire les troupeaux pour installer le chemin de fer et s'emparer des terres. Ce que nous considérions comme le progrès apporte en fait maladies, perversion, trafic et destruction.
Au travers des récits détaillés de May et Molly, nous partageons la vie quotidienne, espoirs, souffrances, bonheurs, plaisir charnel mais aussi la peur, l'effroi devant les massacres systématiques perpétrés dans les villages indiens où femmes, enfants, vieillards étaient massacrés sans pitié.

Les Amazones sont ces femmes guerrières, inspirées par l'antiquité, qui s'entraînent, se musclent et deviennent aussi performantes que les hommes. C'est aussi l'occasion d'apprendre l'histoire du cheval sur le continent américain.

L'auteur ne se contente pas de me faire vivre avec les Indiens de 1876, constamment pourchassés par l'armée aidée par les Crows, les Loups, ces Indiens qui ont trahi leur peuple pour passer du côté des Blancs, mais il connecte tout cela à la situation actuelle. Il donne à voir la vie des Indiens aujourd'hui dans les réserves et le résultat n'est pas folichon. D'ailleurs, « les trois quarts des Indiens d'Amérique, l'Alaska y compris, vivent aujourd'hui dans les villes et non dans des réserves. Beaucoup de filles sont enlevées en pleine rue et tombent dans les griffes des réseaux de prostitution. » Tout cela en toute impunité.

Évidemment lire les 3 tomes est un plus mais si comme moi vous êtes curieux de connaître la vie d'autres peuples, le travail de Fergus est remarquable.

Mille Femmes Blanches le tome 1, est resté 57 semaines en tête des ventes en France et a recueilli les louanges de la presse. Le tome 2 « La Vengeance des mères » a connu le même succès. Le charme de Fergus est de donner la parole aux femmes, et d'y mêler des événements historiques, avec beaucoup de rebondissement. Ici petit plus les commentaires de Molly Standing Bear nous éclairent sur l'actualité dans les réserves Cheyennes.

Galerie photos :





Extraits :

  • Nous continuons de recueillir des vagabonds plusieurs familles et quelques bandes de jeunes guerriers qui, pour la plupart, s'étaient échappées des agences afin de participer au grand rassemblement de tribus à la Little Bighorn. Après quoi, plutôt que de se transformer en loups pour les soldats bleus, de harceler leur propre peuple, ils ont décidé de profiter un peu plus longtemps de leur liberté, d'une dernière chance de chasser le bison, dont les troupeaux se réduisent à grande vitesse. Ils sont donc les bienvenus parmi nous. Il reste si peu de traces du monde qu'ils ont connu et pour lequel ils ont été préparés au cours de leur brève existence. Un monde dans lequel ont vécu cent générations avant eux. A l'approche de l'hiver, ils rejoindront les agences, où ils auront grand-peine à subsister grâce aux rations de famine que l’État leur fournit, amputées de la part volée par les fonctionnaires chargés de leur distribution. Voilà l'autre monde que l'homme blanc leur réserve et qu'ils doivent adopter, car ils voient bien l'ancien se refermer derrière eux. Nous-mêmes avons perdu le nôtre et il semble bien que le suivant nous échappe.

  • Wind a les cheveux noirs, le teint très mat, un visage large, osseux, et des pommettes saillantes. Son nez est proéminent, légèrement busqué, son regard perçant et ses yeux d’une couleur indéfinissable qui change suivant son humeur, le temps et la lumière. Parfois d’un jaune cuivré, telle une lune d’automne, ou ceux d’un loup, ils peuvent s’assombrir jusqu’à devenir profonds comme la nuit. D’une taille supérieurs à la moyenne des femmes cheyennes, elle a une stature qui la grandit encore. De larges épaules, des bras fermes et robustes qui ont eu plus que leur part de dur travail, des jambes puissantes dont on devine qu’elles ont parcouru bien des miles.

  • Jadis, bien sûr, les tribus avaient toutes différents noms pour s’appeler elles-mêmes et entre elles – des noms qui ont évolué au fil du temps. Nous autres Cheyennes étions les Tsistsistas, ce qui, dans notre langue, signifie les humains, à distinguer des ours, des bisons, des oiseaux, des poissons, des chevaux, etc. Un nom humble et sans prétention qui sous-entend que nous faisons partie du monde animal, sans pour autant nous estimer meilleurs ni supérieurs – juste différents.

  • Après avoir vécu parmi les chasseurs, les cueilleurs, les trappeurs – chez qui tout s’échange -, revenir dans un monde où les choses s’achètent et se vendent vous procure un drôle de sentiment.

  • Notre apparence physique … un autre motif qui pousse les colons à exterminer et incarcérer les premiers occupants de ce pays, tout simplement parce qu’ils ne leur ressemblent pas.

  • Du fait que je m’intéressais à la bible, on m’a considérée comme une élève travailleuse – une candidate pour le noviciat ...à ce qu’affirmait le bon « père » qui me violait. Mon initiation à l’obéissance, par cet émissaire du seigneur, avait un caractère éminemment biblique… Au fait, cela n’est pas par manque d’instruction que j’évite de mettre la majuscule à certains mots, mais à cause du mépris et du dégoût qu’ils m’inspirent.

  • Peu à peu, nous avons été conquis par les biens de consommation des Blancs, le tabac, les perles, les colifichets, les couvertures… La liste n’en finit pas, avec pour conséquence l’épidémie de diabète qui sévit aujourd’hui dans les réserves. Ils n’ont plus guère de mal à nous exterminer. Il leur suffit de nous intoxiquer avec leurs frites et leurs hamburgers… qui les tuent eux aussi.

  • Pendant nos pérégrinations, nous avons constaté, Wind et moi, les effets de la ruée vers l'or et les terres agricoles. Les grands troupeaux de bisons ont été décimés, des races étrangères de bovins introduites. Les sols sont forés, défigurés, dégradés pour en extraire ces trésors cachés auxquels les Blancs sont si attachés. Partout l'on construit des voies ferrées, des villages, des ranchs, des forts pour l'armée. Alors, oui, la terre qu'ont toujours connue les Indiens disparaît sous leurs yeux.

  • Molly Standing Bear : Sur 5 712 femmes et filles indigènes portées disparues en 2016, selon le Centre d’informations criminelles des États-Unis, seulement 116 ont été enregistrées dans le fichier des personnes disparues du Département de la Justice.
    506 : le nombre de femmes et filles indigènes disparues ou assassinées dans 71 villes américaines en 2016, d’après un rapport de novembre de l’Urban Indian Health Institute.1 sur 3 : selon le Département de la Justice, la proportion d’Amérindiennes victimes d’un viol ou d’une tentative de viol, soit plus du double de la moyenne nationale.84% : le nombre de femmes indigènes qui ont subi des violences physiques, sexuelles ou psychologiques au cours de leur vie, selon le National Institute of Justice.New York Times, 12 avril 2019. (nota : ces chiffres sont tout à fait vrai, j'ai vérifié)

  • Quel bénéfice l'humanité a-t-elle tiré de ses guerres incessantes ? Que nous ont-elles jamais apporté, à part la mort, la souffrance et le chaos ? La paix et l'harmonie entre les peuples ne sont-elles pas notre but ultime ?


Biographie :
Né en 1950 à Chicago,
Né d'une mère française et d'un père américain, il se passionne dès l'enfance pour la culture Cheyenne alors qu'il visite l'ouest du pays en voiture avec son père pendant l'été. Ses parents décèdent alors qu'il a 16 ans et il part vivre dans le Colorado où il poursuit ses études.

Il vivra ensuite en Floride où il est professeur de tennis avant de revenir dans le Colorado en 1980. Il s'installe dans la petite ville de Rand, qui compte treize habitants, pour se consacrer exclusivement à l'écriture.
Il publie en tant que journaliste de nombreux articles, essais ou interviews dans la presse magazine et collabore à des journaux.

Son premier roman, "Mille femmes blanches" ("One Thousand White Women"), l'histoire de femmes blanches livrées aux Indiens par le gouvernement américain pour partager leur vie, est publié aux États-Unis en 1998 et rencontre le succès. Il a sillonné seul avec ses chiens le Middle West, pendant plusieurs mois, sur les pistes des Cheyennes, afin d'écrire ce livre.
En 2016, il publie "La vengeance des mères" ("The Vengeance of Mothers"), qui fait suite au premier ouvrage de l'auteur, "Mille femmes blanches", paru dix-huit ans plus tôt. Avec "Les Amazones" (2019), Jim Fergus achève la trilogie. Lettres Modernes à la Sorbonne Nouvelle, il devient scénariste en 2000.

son site :http://jimfergus.com/


En savoir Plus :

Sur Jim Fergus


Sur le peuple Cheyenne

vendredi 7 octobre 2022

BENOIT PHILIPPON – Petiote – Editions Les Arènes - 2022

 

L'histoire

Gus, la quarantaine est un loser magnifique. Au RSA, sans ambitions, il vient de se voir refuser la garde de sa fille, une ado de 13 ans ultra connectée. Il décide donc de prendre en otages les habitants du peu reluisant « Love Hôtel » en périphérie de la ville. Le gérant George a le cœur sur la main, accompagné de Boudu un ex SDF alcoolo mais cinéphile, une prostituée intello, un couple illégitime, un livreur d'Uber Eats grand fumeur de gandja,Fatou une sans-papier enceinte, sa fille chérie mais aussi un très inquiétant personnage Sergueï de la maffia serbe. Tout ce joli monde de bras cassés doit résister à la négociatrice de la police, l'hôtel étant cerné par le GIGN , le RAID et toute la police locale. Ajouter un journaliste véreux, 10 kilos d'héroïne et vous vous retrouverez en mode « page turner », autrement dit total addictif.


Mon avis

Le dernier roman de Benoît Philippon nous entraîne encore dans une histoire rocambolesque, avec ce style inimitable qui fait son succès.

On se croirait dans un pastiche de Chandler, avec un rebondissement à chaque chapitre. La galerie de personnages est franchement comique, un bon lot de barjos sympathiques en fait. Mais avec cet auteur de polar, il faut se méfier. Derrière le burlesque se cache aussi une réalité sociale. Le gérant George a un cœur en or et il accueille pour pas très cher tous les exclus de la société. Comme Fatou que sa famille a envoyé en France, mais qui a du subir les viols de passeurs et se retrouve sans papiers, enceinte près de l'accouchement, et Gus, notre preneur d’otage qui ne veut faire de mal à personne, exige que la jeune femme soit régularisée. Boudu est un SDF sympathique et fou de cinéma, qui voue une amitié sans faille à Georges qui l'a sauvé de la rue. Cerise, la prostituée féministe est une fille intelligente mais au passé familial difficile.

Philippon s'en donne à cœur joie pour tacler la société dans ses petits et gros travers : médias, crise familiale, sans-papiers, viols, justice hasardeuse, femmes battues.

Le journaliste arriviste surnommé « La tique » travaille pour une chaîne câblée minable « What4TV ». Et puis le balai des badauds et de la foule qui se déverse pour apercevoir le coupable et donner son avis qui fluctue selon les événements. Le monde virtuel et les réseaux en prennent aussi pour leur grade, avec un flux de commentaires, pour ou contre selon le moment. Et Émilie, la « petiote » que son père aime plus que tout, même si il ne s'est jamais trop occupé d'elle ni versé les pensions alimentaires, est le cliché de l'ado scotchée à son smartphone, irrévérencieuse.

Comment tout cela va-t-il finir ? D'autant que les vrais méchants, des trafiquants de drogue et autres sont de la partie...Ce polar très amusant laisse aussi un petit arrière goût amer, comme toujours chez cet auteur de polars dont le style est unique.


Extraits :

  • George est un authentique ange gardien. Sorte de saint Pierre supervisant ce purgatoire, il accueille les âmes errantes, dont certaines obtiendront leur ticket pour le paradis, mais la majorité, au vu de leur fiche signalétique, plutôt un aller simple pour l'enfer.

  • l est pourvu d’un bagout qui a fait ses preuves en matière de vente, et quand il veut bien s’en donner de la peine il a de l’esprit. Ça fait rire les filles. Il leur arrive alors d’oublier son manque de charme et de percevoir ce que cet hypocrite de Disney vend depuis que le rêve se pèse en biftons : le prince charmant se cache sous l’apparence d’une moule avariée.

  • Les hommes ont de grands principes en ce qui concerne le comportement des autres. Leur intransigeance devient plus malléable quand vient leur tour de respecter ces règles.

  • Balcerzak est une négociatrice au pedigree exceptionnel, saluée pour sa force de persuasion, son tempérament fonceur et son caractère martial, respectée pour son esprit d’analyse et de réactivité en situation extrême. Ce qui ne la préserve pas d’une propension à l’agacement qui lui a valu une réputation de femme à ne pas trop chahuter. Quand elle rue, c’est l’autre qui se retrouve sur un brancard.

  • Devenez écolo , couchez avec une végétarienne.

  • Cet hiver, six cent douze sans-abri ont trouvé la mort dans la rue. Plus dix pour cent par rapport à l’an dernier. On dirait les résultats du CAC 40. Sauf qu’avec cette fluctuation-là il n’y a aucun gagnant.

  • La Tique. Le cheveu gras plaqué en arrière, la peau luisante, le rictus de faux derche dans son costume en tweed râpeux mal coupé. La pestilence du professionnel qui a passé ses dernières nuits à courir après le scoop le plus puant, le plus vendeur. Un mélange de vieille école journalistique et de ce qui se fait de pire dans l’investigation de terrain. Entre sensationnalisme et voyeurisme, influence BFM dans ce que la méthode à de plus racoleur.

  • La lose, ça ne se refuse pas. C’est plus sournois que du liquide, ça s’immisce entre les mailles de l’injustice.

  • Niveau matière grise , il ne disposait pas du bagage requis, alors que visser des boulons ou trier des sardines sur le tapis roulant d’une usine de conserves, il avait deux bras, pas trop d’amour-propre, ça suffisait pour qu’un employeur accepte de l’exploiter.

  • Preneur d'otages, ça ne s'improvise pas. Il aurait dû potasser. "Prise d'otages pour les nuls", le genre de recherche qui alerte la DGSE direct, non ?


Biographie :
Né en 1976,Benoît Philippon est un écrivain, un réalisateur et un scénariste français, auteur de roman noir.
Il grandit en Côte d'Ivoire, aux Antilles, puis entre la France et le Canada. Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne Nouvelle, il devient scénariste en 2000.

En 2016, il écrit son premier roman, "Cabossé", édité chez Gallimard, collection Série Noire, qui obtient le Prix Transfuge du meilleur espoir polar 2016 et le Prix du Goéland Masqué 2017 du meilleur premier polar.
En 2017, il développe, avec le dessinateur Malec, "Super Mimi", une série jeunesse en bande-dessinée, éditée par Jungle Éditions, sortie en Février 2018.
"Mamie Luger" (2018), son second roman, sort aux éditions les Arènes, dans la collection EquinoX, suivi de "Joueuse" (2020).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_Philippon

son site : https://twitter.com/philippon_b



En savoir Plus :

jeudi 6 octobre 2022

ELLA CARA DELORIA – Nénuphar, femme sioux, fille du grand peuple Dakota – Éditions Cambourakis - 2021

 

L'histoire

Oiseau Bleu, femme dakota, rejoint son clan familial avec son bébé Nénuphar, après avoir été répudiée par un mari jaloux et stupide. Accueillie parmi les siens, elle élève dans les meilleures conditions sa fille Nénuphar que nous suivrons de son enfance à ses 23 ans. Un roman captivant qui nous éclaire sur le mode de vie des femmes sioux bien avant l'arrivée des colons dans le grand territoire du Dakota (incluant les Dakotas du Nord et du Sud, le nord du Nebraska et l'ouest du Minnesota.


Mon avis

Cambourakis publie dans une nouvelle traduction le roman de la dakota Ella Cara Deloria, la première femme amérindienne a être antropologue et linguiste.Pendant des années, Deloria a travaillé comme linguiste, parlant elle-même plusieurs dialectes dakotas. Élève de Franz Boas l'un des premiers antropologue à s'intéresser aux modes de vies des sioux, elle passe une dizaine d'années à traduire les rares ouvrages laissés par son peuple, et recueille les traditions verbales des anciens, Pendant 20 ans, jusqu'à la mort de Boas et d'une de ses disciples et amie, elle étudiera les coutumes, la religion, les relations sociales des dakotas, un peuple sioux et élaborera le premier dictionnaire Sioux-Américain de l'histoire.

Elle ne trouve pas de financements pour publier ses recherches mais sur les conseils d'une amie, elle décide de vulgariser ses découvertes sous une forme de roman. Tout ce qui est décrit dans le roman est donc véridique et nous éclaire un peu plus sur ce peuple mystérieux.

Les Dakotas font parti des Sioux, ils sont répartis en plusieurs clans. Sa famille les Isáŋyathis habitent dans le nord du Dakota, et fait parti du Tiposyae (groupe de tipi ou village) d'Aigle Noir, son cousin. C'est un peuple nomade qui déplace selon les saisons.

Sans se revendiquer elle-même féministe, trop préoccupée par ses recherches, l'histoire, ou plutôt la vie quotidienne est vu par 3 femmes. Gloku, la grand-mère se charge de l'éducation de Nénuphar et de son demi-frère Petit Chef, un rôle important car il est à la base de tout comportement social. A l'adolescence, les garçons sont alors pris en charge et éduqués pour devenir des bons chasseurs. Glokun, femme généreuse est respectée comme une sage et son deuil durera un an, ce qui est exceptionnel. Oiseau Bleu devient elle aussi une femme remarquable. En secondes noces, elle épouse le fils de Gloku dont elle aura 3 enfants. Tous les deux chassent aussi et montent leurs chevaux (un bien sacré) mais élèvent leurs enfants dans la traditions pour en faire des dakotas respectables. Oiseau Bleu est l'archétype de la femme dakota : il lui revient d'éduquer ses enfants (mais aussi d'autres), de trouver l'eau et le bois, de préparer les repas et de fabriquer des vêtements et les décorer. Dures journées pour les femmes. Les hommes eux doivent assurer la chasse, protéger et chérir leurs femmes, et s'occuper des cérémonies sacrées. Les mariages sont libres mais parfois les femmes peuvent être « achetées » par une autre clan. La jeune fille peut refuser, mais souvent elle accepte, en raison d'une dot qui va améliorer la vie du village. C'est ce qui arrive à la jeune Nénuphar, elle décide de vivre dans le clan de son époux qu'elle connaît à peine et qui vit plus au Sud (les Iháŋktȟuŋwaŋs). Hélas la froid et surtout une terrible épidémie transmises par des marchands blancs déciment la tribu et Nénuphar enceinte peut rejoindre sa famille.

On ne parle pas de religion chez les Sioux comme on parlerait du Christianisme. Il y a un coté animiste (la déesse de la terre, l'esprit du bison etc) mais ce sont plus des légendes que l'on transmet pour souder le clan ou élever les enfants, sans jamais les réprimander sérieusement, mais en leur expliquant. De même les très grandes fêtes sont aussi un moyen de réunir les familles, dans l'esprit de solidarité, d'entraide et d'amitiés qui sont les valeurs les plus importantes des dakotas.

D'une écriture facile, ce livre a la double vocation de nous montrer d'une part la richesse des modes de vies sioux et de nous imprégner de leur bienveillance, de leur humanité profonde, des valeurs qui nous échappent de plus en plus.

 

 

Extraits :

  • Voyez, mes enfants, dit un jour le viel homme, c'est pour ça que j'ai prié. Pour que le cœur de la tribu soit disposé favorablement envers nous, pour qu'un cercle de sympathie se resserre autour de nous. Ma prière est exaucée, et j'en suis reconnaissant. Très vite, cette cérémonie devint l'affaire de toute la tribu, car tous, un jour ou l'autre, avaient été touchés par la gentillesse de Gloku et voulaient la lui rendre. Souvent, ils ne se contentaient pas d'apporter un seul cadeau, mais en apportaient plusieurs, à des moments différents de la période de deuil. A en juger par la pile qui s'amoncelait, la redistribution des biens allait être grandiose.

  • A la surface de l'eau poussaient des nénuphars qui l'attiraient irrésistiblement. Comme ils étaient beaux ! Comme ils vous forçaient à écarquiller les yeux pour pénétrer leur forme et leur esprit. Son regard passait de l'un à l'autre; soudain, il lui fut impossible de les dissocier du visage de son enfant. Une nouvelle sensation l'envahissait, l'étouffait presque. "Ma fille ! s'écria-t-elle, comme tu es belle ! murmura-t-elle dans des sanglots de joie.

  • Les enfants qui s'étaient installés dans une position plus confortable finirent par s'endormir, la tête sur les genoux de leur mère. Elle les regardait tendrement en leur épongeant le front, car la journée était très chaude. Qu'est ce qu'une femme peut demander de plus que d'avoir les bras pleins d'enfants ?

  • Les garçons faisaient tourner des branches de cèdre sur la glace, comme des toupies. Les plus petits aimaient représenter le vieux mythe du hibou. Ils se déguisaient et portaient des masques pour incarner l'esprit du hibou et allaient de tipi en tipi tout en dansant. Le public leur demandait de prédire le temps, car ils étaient supposés venir du Nord, le pays de l'hiver. On leur donnait des gâteaux de maïs et de la viande sèche avec des fruits sauvages et autres friandises.

  • Chaque jour, le soleil se levait un peu plus tôt et ses rayons se faisaient de plus en plus chauds et brillants. Le matin, lorsqu'il apparaissait, les vieux sortaient pour le saluer et l'invoquer. En peu de temps toute la neige serait fondue.

Galerie Photos (femmes dakotas)

 




Ella Cara Deloria


Biographie :
Ella Cara Deloria (1889 – 1971) aussi nommée Aŋpétu Wašté Wiŋ (Beautiful Day Woman), est née en 1889 dans le quartier de White Swan de la réserve Yankton indienne, des Dakota du Sud. La famille avait des ascendances Yankton Dakota, anglaises, françaises et allemandes. (Le nom de la famille remonte à un ancêtre trappeur français nommé François-Xavier Delauriers.) Son père était l'un des premiers Sioux être ordonné comme un prêtre épiscopal. Sa mère était la fille d'Alfred Sully, un général de l'armée américaine, et un Métis Yankton Sioux. Ella était le premier enfant du couple, qui avait plusieurs filles par chaque précédent mariage.
Ella a grandi dans la réserve indienne de Standing Rock au Wakpala, et a commencé ses études auprès de son père à la mission St. Elizabeth puis au pensionnat à Sioux Falls. Après ses études, elle a assisté aux cours de l'Oberlin Collège dans l’Ohio où elle avait remporté une bourse d'études. Après deux ans à Oberlin, Deloria fut transférée au Teachers College, Columbia University, New York, et a obtenu un baccalauréat ès sciences en 1915.

Elle fut l'un des premiers véritables chercheurs bilingues et biculturels dans l'anthropologie américaine, et une érudite extraordinaire, professeur, poursuivant son travail et ses engagements dans des conditions notoirement défavorables. Elle vécut pendant un temps dans une voiture tout en recueillant des matériaux pour Franz Boas. Tout au long de sa vie professionnelle, elle a souffert de ne pas avoir l'argent ou le temps libre nécessaire afin d’avancer ses recherches. Appui financier de sa famille en tant qu’ainée, Son père et sa belle-mère étant des personnes âgées, sa sœur Susan dépendait d'elle financièrement.
En plus de son travail en anthropologie, Deloria avait un certain nombre d'emplois, y compris dans l'enseignement (danse et éducation physique), des conférences et des démonstrations sur la culture amérindienne, ainsi que pour le camp des Filles du Feu et la YWCA. Elle a également occupé des postes à l'Indian Museum Sioux dans Rapid City, Dakota du Sud, et en tant que directrice adjointe au cours Musée WH à Vermillion. Son frère, Vine Deloria V., Sr., était un prêtre épiscopal, connu pour son charisme et ses talents oratoires. Il fut désillusionné par le racisme au sein de l'Église épiscopale. Son neveu était Vine Deloria, qui est devenu un grand écrivain et activiste intellectuelle.

Voir aussi : https://www.telerama.fr/idees/ella-cara-deloria-lindispensable-sioux-de-franz-boas-6658728.php


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mardi 4 octobre 2022

CAROLINE LAURENT – Ce que nous désirons le plus – Éditions Les escales - 2022

 

L'histoire

L'éditrice Caroline Laurent raconte son ressenti après la révélation provoquée par le livre de Camille Kouchner « La familia grande » publié en janvier 2021.

Pour rappel : Camille et Antoine (Victor dans le livre de sa sœur), jumeaux, sont nés du mariage entre Évelyne Pisier, sœur de l'actrice Maire-France Pisier, avec Bernard Kouchner. Leur mère divorce en 1984 pour se mettre en couple avec le politologue Olivier Duhamel. Celui-ci abusera de son beau-fils à partir de 1988, Antoine a 13 alors 13 ans. Alors qu'elle se revendique féministe, intellectuelle engagée à gauche, elle décide de couvrir son mari alors que son fils lui avoue les viols qu'il subit. Elle prévient toute fois sa sœur Marie-France Pisier actrice, dont le décès en 2011 pose quelques questions (accident, noyade suicide ou crime?). Olivier Duhamel qui finalement a reconnu les faits a dans un premier temps dédouané sa compagne Évelyne, alors très ébranlée par le suicide de ses deux parents (sa mère militait alors au planning familial) est en pleine dépression et boit énormément d'alcool. Elle meurt d'un cancer en 2017. En raison du délai de prescription, l'affaire Duhamel n'aura pas de suite juridique.


Mon avis

Caroline Laurent a co-écrit un livre avec Évelyne Pisier en 2017, une auto-biographie de l'actrice Marie-France Pisier. Elle considérait Évelyne Pisier comme une amie. Elle se sent alors doublement trahie. D'une part par le décès soudain de sa co-autrice mais surtout par le scandale que provoque le livre de Camille Kouchner qu'elle ne connaît pas.

Comme elle est à la périphérie de l'entourage du couple Pisier/Duhamel, elle se fait harceler par les journalistes. La France est encore en pleine période Covid, et tout d'un coup toutes ces certitudes s'effondrent. La perte d'une amitié (une valeur forte pour elle) par la trahison, car elle n'a jamais été au courant de ce qui se passait dans la famille d’Évelyne Pisier, l'amène à remettre tout en question. L'intelligentsia française savait sans savoir ce qui se passait réellement avec Duhamel, ces gens issus de mai 1968 qui prônent la tolérance, ces femmes engagées féministes qui ferment les yeux . Toute cette gauche dit « bobo «  ou « Rive gauche » dont elle n'a jamais fait partie, celle qui protège les siens au lieu de protéger un adolescent en détresse la dégoûte. Elle remet en cause le système politique de l'époque mais aussi le sacro-saint patriarcat qui régit le monde depuis toujours. Elle en va même à se détacher de son mari, un homme gentil, traducteur qui n'a absolument aucun lien avec l'affaire de la « Familia Grande », dans un refus de l'homo-érectus. Même l'écriture, qui est sa raison de vivre lui semble un subterfuge.

Elle se livre à nous, sans chichis, en relatant presque au jour le jour sa terrible souffrance. Non, elle ne savait pas, malgré l'amitié qui la liait à sa co-autrice Évelyne Pisier. Non, elle ne se doutait en rien de ce qui se tramait.

Je ne suis pas friande de ce genre de lecture, mais là j'avoue que j'ai été scotchée pour lire le livre d'une traite. La puissance des mots, le pouvoir libérateur de l'écriture ou de la lecture, cette façon brute de nous livrer son chagrin, physique d'abord, puis moral en suite, la colère, la puissance de la douleur, quand les larmes ne sortent pas, cela tient de l'Universel. Je n'ai pas versé une larme au décès de mes parents. Mais après les enterrements et le soutien amical je me suis effondrée un soir, dans une crise de larmes qui a duré un bon moment. Et le besoin de s'isoler pour se reconstruire, loin de la crise médiatique, de la crise tout court. Voyager, retrouver ses racines mauriciennes, Se retrouver, plus forte qu'avant.

Le tout est servi par une écriture magnifique, forte de références aux autrices qu'elle admire (Annie Ernaux, Marguerite Duras, Emily Dickinson, Anaïs Nin) ou des chansons qu'elle écoute en boucle (Barbara, Mouloudji). Et puis cette façon d'interroger les mots, de leurs racines latines ou grecques pour les polir, les mieux définir. C'est aussi passionnant quand on aime les mots, les jeux de mots, la poésie, bref tout ce que les mots, et surtout pour moi ceux qu'on lit. Et nous entraîner sur le chemin d'autres découvertes d'auteurs, de cinéastes, d'artistes c'est en cela aussi que réside la force de Caroline Laurent.


Extraits :

  • Je me souviens du message de mon éditeur au réveil le lundi. Quelque chose n’allait pas. Un « problème », des « nuages sombres » concernant « notre ami commun » (se méfier des mots banals, usés jusqu’à la corde, que l’inquiétude recharge brusquement en électricité).
    Je me souviens que la veille, dans une boutique de Saint-Émilion, ma mère m’offrait un bracelet pour prolonger Noël et fêter un prix littéraire qui venait de m’être décerné. Il s’agissait d’un cuir sang combiné à une chaînette de pierres rouges, de l’agate, symbole d’équilibre et d’harmonie.
    Je me souviens du soleil blanc sur la campagne, des reflets bleus lancés par le cèdre. Sur la branche nue du lilas des Indes, une mésange semblait peinte à l’aquarelle.
    Je me souviens du thé en vrac au petit déjeuner, « Soleil vert d’Asie », mélange du Yunnan aux notes d’agrumes, qui avait le goût étrange du savon.
    Je me souviens de l’attente, ce moment suspendu entre deux états de conscience, l’avant, l’après, l’antichambre de la douleur, moratoire du cœur et de l’esprit.
    Je me souviens d’avoir pensé : Je sais que je vais apprendre quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Et juste après : Tout peut être détruit, tout peut être sauvé.
    Je me souviens du regard inquiet de ma mère.
    Je me souviens de la citation de Diderot dans la chambre jaune, ma grotte d’adolescente aux murs tatoués d’aphorismes : « Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir. »
    Je me souviens d’un coup de téléphone, de mon ventre qui cogne et d’une voix qui me répète : « Protège-toi. »
    Je me souviens des rideaux aux fenêtres de ma chambre, la dentelle ajourée, les motifs d’un autre âge, on appelle ça des « rideaux bonne femme », pourquoi cette expression ? J’aurais dû voir le monde, je ne voyais plus que la fenêtre.
    Quelques jours plus tôt, je me souviens que je regardais La vie est belle de Frank Capra, touchée par la dédicace finale de l’ange gardien à George, le héros : « Cher George, rappelle-toi qu’un homme qui a des amis n’est pas un raté. »
    Je me souviens du téléphone qui vibre vers 17 heures.
    L’impensable.
    Je me souviens de l’article de journal, de la photo officielle de mon ami, du mot accolé à la photo. Tout éclate.

  • Comment négocier avec le souvenir ? Comment concilier le regard de l'être aimé, si doux, si sincère, et le visage déformé de celui qu'on n'a pas vu, pas deviné ? Comment penser aujourd'hui à ces personnes que j'aimais, et que veut dire aimer des personnes dont je découvre les plus noirs secrets?

  • Le chagrin est un pays de silence. On le croit à tort bruyant et démonstratif, mais c'est la joie qui s'époumone partout où elle passe. Le chagrin, le vrai, commence après les larmes. Le chagrin commence quand on ne sait plus pleurer.

  • Je commençais à le comprendre, nos stratégies de contournement. si élaborées soient-elles, nourrissent toujours nos futures défaites. dans le fond, c’est peut-être ce que nous recherchons : que quelque chose en nous se défasse. l’écriture est une voie tortueuse pour accéder à ce délitement, conscient ou pas. C’est comme si elle nous précédait, comme si elle savait de nous des choses que nous-mêmes ignorons. Qu’on la dise romanesque, autobiographique, intime ou engagée, la littérature nous attend déjà du mauvais côté. Celui où nous tomberons. Elle nous échappe en nous faisant advenir à nous-mêmes, nous pousse à écrire ce que jamais on ne dirait, sans doute pour assouvir notre désir de connaître, de nous connaître (cette pompeuse libido sciendi détaillée par Saint Augustin et Pascal, qui forme avec le désir de la chair et le désir du pouvoir l’une des trois concupiscences humaines).

  • Ce qu'il reste de l'amour plus étincelant que le mal, c'est notre part d'enfance, c'est ce noyau-là, cette grâce. Le petit garçon ou la petite fille qui regarde le monde avec appétit, les yeux écarquillés, sans se douter qu'un jour c'est précisément ce monde qui l'engloutira.

  • Écrire après ça est une forme de continuité. Je suis plus nue dans l’écriture que sur une scène en justaucorps, et que je vous plaise ou non ne me concerne pas, ne m’appartient pas ; cela, la danse me l’a appris.

  • Dans mes poumons s’est logée une pierre noire qui paralyse tout, le corps, l’esprit, l’énergie, le désir. Sidération minérale. Mais tout cela n’est rien, rien à côté de la peur de ne plus pouvoir écrire.


Biographie :  

Caroline Laurent est écrivaine et éditrice franco-mauricienne.
Après un master 1 sur l’animalité dans "Les Chants de Maldoror" du Comte de Lautréamont, puis un master 2 sur le renouvellement de la littérature engagée chez Georges Perec, elle obtient son agrégation de lettres modernes à l'Université Paris-Sorbonne (2008-2011). Depuis 2012, elle prépare une thèse à l’Université Paris-Sorbonne sur l’esthétique du cynisme dans l’œuvre de Céline, Cioran et Philippe Muray.
Elle a commencé sa carrière aux Éditions Jean-Claude Lattès, au sein desquelles elle a cofondé la collection "Plein Feu" (2013), une collection de nouvelles apportant un éclairage sur le monde contemporain, puis a créé en 2016 la collection "Domaine français" aux éditions les Escales.
Elle est également l’auteure de "Et soudain la liberté" (Les Escales, 2017), un premier roman signé avec Evelyne Pisier, qui a reçu le prix Marguerite Duras, le grand prix des lycéennes ELLE, le prix Première Plume et a été traduit dans de nombreux pays.
Directrice littéraire pour les littératures françaises et francophones aux éditions Stock, depuis 2018, elle a lancé en janvier 2019 une nouvelle collection de fiction : "Arpège".

En parallèle, Caroline Laurent a été nommée en octobre 2019 à la commission Vie Littéraire du CNL.
Après le succès de son premier livre, elle signe son nouveau roman "Rivage de la colère" (2020). Il est lauréat du Prix Maison de la Presse 2020 et sélectionné pour le Prix Babelio 2020.

Instagram :https://www.instagram.com/caroline.laurent.livres/?hl=fr*


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lundi 3 octobre 2022

EMILY RUSKOVITCH – Idaho – Éditions Gallmeister Totem N° 134 - 2017

 

L'histoire

Ann, la seconde épouse de Wade, cherche à comprendre le drame terrible qu'à vécu son mari, neuf ans plus tôt. Wade perd la mémoire, et Ann se met à retracer la vie d'avant. Mais que pense-t-elle découvrir ?


Mon avis

Tout premier roman d' Emily Ruskovitch, Idaho s'inscrit totalement dans le « nature writing » qui fait le succès d'Olivier Gallmeister et de sa bande. Les paysages de l'Idaho, du coté des montagnes rocheuses est magnifiquement dépeint, mais c'est l'intrigue qui interroge. Sans être un polar, il y a une quête. Celle d'Ann qui veut comprendre la vie d'avant de Wade, avant que la mémoire ne s'efface totalement. Mais si la tâche semble perdue d'avance, elle traduit une quête difficile non pas d'une vérité, mais c'est surtout une quête de soi et son individualité qui est la clé de ce roman. Ici tout est éclaté, le récit est polyphonique avec des aller-retour dans le passé puisque l'histoire se passe de 1973 à 2025.

L'obsession d'Ann a connaître une vérité dont elle ne fera jamais partie part dans le fantasque. Ici, la nature grandiose et hostile renforce les douleurs, comme le souffle de ce vent qui descend des montagnes. Chaque personnage est étudié mais sans forcer sur une psychologie de comptoir non plus. La délicatesse de l'écriture de cette autrice, pour ce premier roman, est précise, ciselée, Les héros sont complexes, comme la nature, la tragédie vécue n'est pas larmoyante, car le génie de l'autrice est de toujours nous faire pressentir et anticiper. Profondément humain, ce roman est aussi le reflet de nos vies, avec leurs cicatrices anciennes mais aussi l'amour infini qui apaise, renforce et est nécessaire à toute vie.

Un roman inoubliable.


Extraits :

  • Petite, elle se faisait une idée précise de ce que signifiait être adulte : être adulte voulait dire posséder une maison que l'on remplissait d'objets comme celui-ci. Des objets auxquels vous ne teniez pas individuellement, que vous n'aviez pas le souvenir d'avoir choisis ni même achetés, mais qu'au fil des ans la vie s'était chargée de collectionner pour vous et qui, par conséquent, parlaient pour vous. Dans l'esprit enfantin d'Ann, de tels objets étaient nécessaires, ennuyeux, beaux, et surtout assortis. Tout ce qui pouvait vous arriver d'horrible quand vous grandissiez pouvait être atténué par l'assurance que ces objets procuraient. Ils étaient une protection, comme si collectivement ils détenaient un pouvoir magique, formant une sorte de bouclier épars.

  • Quand May se réveille, Wade, assis au bord du lit, la regarde. Il la prend dans ses bras et se rend dans la cuisine, puis s'agenouille avec elle, la tête de la petite appuyée contre son épaule. Devant eux, sur une serviette pliée, la corneille est là, respirant laborieusement sous le soleil de l'après-midi. - Regarde, May.
    Alors elle regarde. Elle pointe son doigt vers la corneille et dit :- Corbeau. - Qu'est-ce que tu as dit ? demande Jenny qui se dépêche de les rejoindre et de s'agenouiller à côté d'eux. - Corbeau. Comment ce mot peut-il faire partie du vocabulaire de May alors qu'aucun d'entre eux ne le lui a appris ? Sans qu'ils ne remarquent rien, elle est devenue plus profonde. Sous ses cheveux à la blondeur presque blanche se trouvent deux nouveaux yeux, et il n'a aucune idée de ce que ces yeux voient. Elle est capable de garder quelque chose pour elle, puis de le révéler subitement. Comment a-t-elle appris à être cette nouvelle May ? Il place une main à l'arrière de sa tête et l'approche, conscient déjà que tout ça va passer trop vite, et qu'elle est déjà en train de devenir une personne indépendante, composée d'un savoir secret.

  • Elle a appris à gérer les moments où la mémoire de Wade défaillait. Parfois, ele sentait que cela se produisait sans même qu'il ait prononcé le moindre mot. Un jour d'automne ensoleillé, allongée à côté de lui dans l'herbe, tandis qu'il somnolait, elle a senti l'ancienne vie de Wade, ses souvenirs, s'évaporer à travers sa peau. Elle a senti que tout le quittait, tout sauf elle.
    Alors elle s'est à son tour vidée de sa propre vie pour être sur un pied d'égalité avec lui. Ils sont restés étendus l'un contre l'autre, tel un fragment de temps. Un nuage est passé devant le soleil et, à l'intérieur de Wade, il y a eu un basculement qu'elle a perçu. A ce moment-là, elle a laissé un basculement se produire à l'intérieur d'elle-même, et ainsi ils sont redevenus les êtres qu'ils étaient habituellement, encore tout chauds de l'amnésie qu'ils venaient de vivre.

  • La maladie peut prendre une chose triviale et la retourner dans tous les sens jusqu'à ce qu'elle vous donne la nausée ; quand on ne va pas bien, les choses les plus ennuyeuses se retrouvent infectées par une importance qu'elles n'ont pas.

  • Les lignes sur une paume forment un M. Leur signe. Deux pics de montagne, d'abruptes pentes. Une montagne si loin derrière l'autre, au-delà d'une vallée, mais comment cela peut-il être visible sur une paume ? Au lieu de ça, les deux montagnes semblent se toucher, la distance entre elles réduite à un espace en deux dimensions. Cette soirée singulière, l'une. Cette soirée singulière, l'autre.

  • La vallée est noyée dans le brouillard. Ils ne voient ni les montagnes en face ni les routes en dessous. Un élan émerge de la brume, arrache avec ses dents le lichen gris qui recouvre un arbre. La neige porte la trace de ses seuls sabots et des empreintes de pattes d'un lynx. Depuis le perron, Jenny jette des graines de tournesol dans la neige. Les mésanges à tête noire surgissent de nulle part en piaulant à tort et à travers puis, dès qu'il ne reste plus de graines, elles s'évanouissent de nouveau dans la blancheur.

  • Wade et Jenny sont des gens des plaines. Des gens des plaines vivant sur une montagne dont ils n’avaient pas remarqué qu’elle était beaucoup plus grande qu’eux. Un terrain acheté sans trop réfléchir parce qu’il n’était pas cher, parce qu’il n’avait rien à voir avec la plaine. Que d’arrogance et de puérilité ! Un rêve qui les avait emportés comme une avalanche. 

     

Biographie

Emily Ruskovich a grandi dans les montagnes de l'Idaho Panhandle.Diplômée de l'Université du Montana, elle est titulaire d'un MA d'anglais de l'Université du Nouveau-Brunswick au Canada et d'un MFA de l'Iowa Writers Workshop.Elle a été boursière à l'Université du Wisconsin à Madison, de 2011 à 2012.Elle a publié dans de nombreuses magazines notamment Zoetrope, One Story et Virginia Quarterly Review. En 2015, elle a obtenu le prix O. Henry pour sa nouvelle "Owl", publiée dans One Story en 2014. Elle enseigne l'écriture créative dans le MFA à l'Université d'État de Boise et vit à l'Idaho City."Idaho" (2017), son premier roman, reçoit le prix PNBA (Pacific northwest booksellers association) 2018.

https://en.wikipedia.org/wiki/Emily_Ruskovich

son site : http://www.emilyruskovich.com/

 Galerie Photos (Pinnesota - Idaho)




 

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