jeudi 13 octobre 2022

TIFFANY McDANIEL – l’été où tout a fondu – Gallmeister - 2022

 

L'histoire

Fielding, 82 ans, vit dans chichement dans un mobile-home pourri en Arizona. Il passe ses nuits solitaires à se souvenir de cet été 1984, l'été de tous les dangers. Son père, le Procureur de la petite ville de Breathed, Ohio est tiraillé entre la lutte entre le bien et le mal. Il passe une petite annonce pour convoquer le diable. Le lendemain se présente un adolescent de 13 ans, noir comme l'ébène, aux yeux émeraudes, qui dit être l'un des avatars de Satan. Cet enfant, de ait profondément gentil, va se heurter aux mentalités étriquées de cette ville perdue quelque part dans les contreforts des montagnes Appalaches. L'enfer ne fait que commencer.


Mon avis

Attention chef d’œuvre absolu.

On se souvient du succès international de Betty de la jeune Tiffany Mc Daniels, couronné de 7 prix littéraires internationaux. Gallmeister a fait traduire son tout premier roman, antérieur à Betty et il est incandescent.

L'auteure joue avec le temps. L'action se passe en 1984, l'année orwellienne par excellence. Dans ce village de Breathed l'apparition du « diable » en la personne du petit Sal correspond à une sécheresse (qui nous rappelle celle que nous avons connue cet été 2022). Les températures montent, les esprits s’échauffent. Sal est accueilli comme un fils par la famille Bliss. Ce garçon, très intelligent et apaisant, n'a rien d’un n Satan infernal. Il devient le meilleur ami de Fielding, son autre frère.

Mais des événements curieux vont se produire, des décès dus à des accidents mais les gens du village ne l'entendent pas ainsi. Le responsable est tout trouvé, avec sa peau noire, et ce racisme infernal d'une communauté stupide menée par un homme au physique disgracieux et de très petite taille, Elohim.

Dans une écriture grandiose, qui nous fait une fois de plus passer par toute la palette des émotions, Tiffany Mc Daniel livre un combat contre le racisme contre les personnes de couleurs, encore plus cruel qu'il s'agir d'un enfant, qui n'est sûrement pas le diable, mais juste un gosse maltraité et abandonnés par sa famille et qui est aimé comme un fils et comme un frère par la famille Bliss (Blis en anglais veut dire heureux).

La romancière s'amuse aussi avec les noms : Grand le frère aîné, promis à une belle carrière de footballeur (foot américain) masque sous ses muscles un secret qui va le perdre. Stella, l'étoile, la mère généreuse, protectrice, même si elle a peur de la pluie et ne sort jamais de sa maison règne comme une bonne fée sur sa famille. Autopsy, le père est un homme taciturne, qui est obsédé par le fait de rendre de mauvais jugement et d'envoyer des innocents en prison. C'est un homme respectable, respecté que le chagrin va anéantir. Elohim (mot qui signifie Dieu dans la Torah juive – voit ici https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lohim – est un homme miné par le fait que sa femme l'a trompé avec un peintre noir et si il enseigne son art (restaurer des flèches d'églises, des toitures) a Fielding, c'est un homme impulsif qui voue une haine profonde à tous les gens de couleur et finit par semer la zizanie.

Et puis il y a Fielding, qui raconte son histoire, et sa vie. Son année 1994 où lui aussi n'était qu'un gosse, l'admiration qu'il voue à son frère, l'amitié sans faille qu'il voue à son ami Sal. Sa vie à jamais bousillée par cet été, et le reste de sa vie menée un peu au gré des événements, exerçant tout les petits métiers, buvant pas mal, ne réussissant pas à s'attacher à une compagne et excluant l'idée d'être père, c'est un vieillard (nous sommes alors être dans les années 2060 qui n'ont rien de futuristes) solitaire qui attend la mort et surtout son âme qu'il pense voué aux enfers.

Il y a une subtile distorsion du temps. Les années 1984, si elles sont illustrées par quelques musiques de l'époque ressemblent plus aux années 50. Stella porte des robes et un tablier tout droit sortis d'une pub pour ménagère des années anciennes ; Son mari, malgré la chaleur ne sort qu'en complet trois pièces et cravate. Ici pas de chaînes commerciales ou de ces boutiques uniformes qui poussent partout. Des petits commerces, dans Maine Lane, tenus par des artisans. Pas de ces motels ou cafés que l'on trouve partout aux USA, pas de Starbucks ou de Mac DO. C'est une Amérique rurale, celle des petites gens, sans trop de culture, qui vivent de l'agriculture, du petit commerce. Les voisins ne sont pas aimables mais les rumeurs vont bon train. Les femmes battues cachent leurs bleus sous des tonnes de maquillage, l'insulte suprême est de traiter de « pédé » un jeune homme. Ce sont aussi les années Sida, et les croyances de l'époque y sont parfaitement identifiées. On ne serrerait jamais une personne victime du VIH à Breathed.

Mais au-dessus de tout, il y a ce magnétisme « diabolique » de l'écriture de Tiffany Mc Daniel. On ne s'ennuie pas un instant, la poésie fait suite à l'horreur, la beauté des paysages se calcine dans la fournaise, l'amour intense de Fielding envers ses deux frères nous arrache des larmes mais il y a aussi des petits traits d'humour, et beaucoup de magie, ou d'imaginaire sous la plume de cette écrivaine qui n'avait que 18 ans lorsqu'elle a écrit ce livre.

Si vous ne deviez n'en lire qu'un c'est celui-ci et pas un autre.

Photos de l'Ohio coté Appalaches




Extraits :

  • C'est à force de petits efforts de bravoure que l'on parvient à vaincre la peur. Avec le temps, ces petits efforts mèneront à l'effort final aboutissant à la grande défaite de la peur. C'est en tout cas ce que nous dit le texte vivace de l'espoir, nous incitant à nous échapper de cette prison qu'est le cercle de la peur.

  • C’est de 1984 qu’il est question. L’année où, selon George Orwell, on parviendrait à nous convaincre que deux et deux font cinq. Dans son roman, il a démontré que l’esprit humain peut être contrôlé. Dans la réalité, ces gens ont démontré exactement la même chose.
    “Ce que ces malheureux recherchaient désespérément, c’était une lumière. Mais le problème avec la lumière, c’est qu’elle a toujours la même apparence quand on est dans le noir, et on est incapable de dire si l’énergie qui la fait briller est bonne ou mauvaise, parce que cette lumière vous aveugle et vous empêche de voir sa source. Tout ce que vous savez, c’est qu’elle vous sauve des ténèbres. C’est tout ce que savaient les adeptes d’Elohim. Ils étaient plongés dans les ténèbres de leur douleur personnelle, et voilà qu’apparaît cet Elohim, qui brille d’une lumière si vive. Ils ont tendu la main vers cette lumière, et pendant qu’elle détournait leur attention, pendant qu’elle leur procurait un faux réconfort, la sinistre puissance qui l’alimentait accomplissait son œuvre, et avant que l’un ou l’autre d’entre eux ait pu s’en apercevoir, cette lumière ne s’employait plus à les sauver, elle s’employait à les changer. À les contrôler. Cette lumière qui les contrôlait, c’était Elohim.

  • Tout amour conduit au cannibalisme. Je le sais à présent. Tôt ou tard, notre cœur finit, sinon par dévorer l’objet de notre affection, tout au moins par nous dévorer nous-mêmes. Les dents sont le miracle du cœur. Qu’une bouche puisse surgir de cet organe sans gorge et avoir faim de la chair de quelqu’un d’autre, du cœur de quelqu’un d’autre, n’est rien de moins qu’un miracle.
    Tomber amoureux est la plus belle aventure de notre espèce, et lorsque l’amour, commençant à bourgeonner, s’enroule délicieusement autour de notre âme, nous cédons aux crocs du cœur et prions – oui, nous prions – devant l’infini pour que tout amour puisse avoir sa chance, sa propre part de miracle. Pourtant, les miracles semblent ne pas être de mise lorsque les amants sont jeunes, comme s’il y avait, dans leur jeunesse même, une prophétie presque inéluctable.

  • Défendre le diable, ça veut dire défendre ce qu’il peut y avoir de bien dans le mal.

  • La chaleur est arrivée avec le diable. C’était l’été 1984. Le diable avait bien été invité, mais pas la chaleur. On aurait pourtant dû s’y attendre. Après tout, la fournaise n’est-elle pas un attribut du diable ? L’un ne va pas sans l’autre. Cette chaleur n’a pas seulement fait fondre des réalités tangibles, telle que la glace, le chocolat ou les popsicles. Elle a aussi fait fondre des choses abstraites. La peur, la foi, la colère, ainsi que les repères les plus fiables du sens commun. Elle a aussi fait fondre des vies, les privant d’un avenir, enseveli sous les pelletées de terre du fossoyeur.

  • Tu peux imaginer tout ce que tu veux, dans le noir. Tu peux imaginer que ton père t'aime, tu peux imaginer que ta mère n'est pas déçue, tu peux imaginer que tu as... de l'importance. Que tu signifies quelque chose pour quelqu'un.

  • La peur est la première ombre derrière l’ignorance.

  • Maman avait raison. La chaleur poussait les gens à s'abandonner à leurs pires penchants. Peut-être même leur donnait-elle la confiance nécessaire pour agir de façon insensée, imprudente, irraisonnée. Par une telle chaleur, les mains s'épanouissent en poings. Les poings sont les fleurs de la saison de la folie.

  • Tu sais d’où vient le mot enfer ? (Il a croisé les mains sur ses genoux.) Après ma chute, j’ai pas arrêté de me répéter, Dieu va me pardonner, Il ne me laissera pas enfermé là. Dieu va me pardonner, Il ne me laissera pas enfermé là. Après des siècles passés à répéter ça, j’ai commencé à raccourcir ce refrain. Il ne me laissera pas enfermé. Et peu à peu, ça a fini par donner, pas enfermé. Pas enfermé.

  • Jamais plus je ne retrouverai mon frère, même s'il revient un jour, parce que cette nuit-là il est mort, il a disparu, et les choses disparues cessent de devenir plus que ce qu'elles étaient. C'est cela, la tragédie de perdre un frère aîné. Il reste figé à jamais. Vous, vous continuez, et un jour, vous devenez le plus âgé des deux. C'est ce qui empêche la famille de former à nouveau un tout.

  • Dans ce monde où si peu de choses sont données, comment peux-tu ne pas être en admiration devant ce que tu as ?

  • Je serai le garçon noir. Tu seras la fille blanche. Et le monde entier dira non. Mais nous, on dira oui, et la seule éternité qui comptera, ce sera nous.

  • Par une telle chaleur les mains devenaient un épanouissement de poings. Les poings fleurissent à la saison de la folie.

  • Parfois, je me dis que les frères aînés ne devraient pas être permis. On tombe trop facilement amoureux d'eux. Ils sont tous pour nous et pendant ce temps, ils souffrent dans leur coin pour être à la hauteur de nos attentes.

  • C'est à force de petits efforts de bravoure que l'on parvient à vaincre la peur.

  • Il y avait une flaque pour Dresden. Une flaque pour Granny. Et une pour le garçon qui nous avait tous changés. Sal. Une flaque qui n’aurait jamais existé s’il n’y avait pas eu aussi celle du sens commun des habitants de la ville. Quant à la dernière, celle qui a produit les plus grandes éclaboussures...C’était la flaque laissée par mon innocence, et ses éclaboussures retombent encore dans le présent, comme elles continuent à retomber dans cet immuable toujours, formant une mare, pour me ramener inlassablement en arrière.




Biographie :
Née en 1985 dans l’Ohio, Tiffany McDaniel est une romancière, poétesse et artiste visuelle américaine.
Auteure autodidacte sans formation artistique universitaire particulière, elle écrit de nombreux textes non publiés avant que son premier roman, "L'Été où tout a fondu" ("The Summer That Melted Everything", 2016), soit finalement accepté par un éditeur.
Son deuxième roman "Betty" (2020), particulièrement remarqué par la critique lors de sa parution en français, reçoit le prix du roman Fnac 2020 et le Prix America du meilleur roman 2020. Tiffany McDaniel s’inspire de la vie de sa mère, une métisse cherokee, pour livrer un roman enchanteur et tragique.
Elle vit à Circleville dans l'Ohio. Son site : https://www.tiffanymcdaniel.com/


En savoir Plus :

Enfin sur le diable : https://fr.wikipedia.org/wiki/Diable



Hye-Youg PYUN – Le jardin – Rivages poche 2021

Ogui, la quarantaine, se réveille après un terrible accident de voiture qui a coûte la vie à sa femme. Totalement paralysé, il ne peut communiquer qu'avec des battements de paupières. Mais Ogui a encore la faculté de penser et il passe en revue sa vie : ses dures études, les rapports complexes avec sa femme, à la personnalité fluctuante et parfois insaisissable. 

Ogui retourne chez lui, et c'est sa belle-mère qui s'occupe de lui. Elle aussi est une femme étrange et peu à peu les rapports entre cette femme mutique prennent une tournure étrange. Toute la subtilité de ce roman tient en ce huit-clos et le point du vue d'Ogui. Une réflexion aussi que nous pouvons mener sur le handicap lourd et la communication impossible avec un individu qui ne peut exprimer ni par les mots ni par les gestes ses besoins, ses ressentis. Mal traité par la garde malade, il ne peut rien faire. Une situation qui peut s'appliquer aussi à celles des personnes âgées atteintes de lourdes maladies (Alzheimer par exemple) et rejoint l’actualité sur la triste réalité des Ehpad. 

 Sous la jolie écriture de l'auteur avec ces nombreuses références aux poètes coréens ou autres , se cache une intrigue, sur les non-dits, les regrets et la vengeance. A lire ne serait-ce que pour l'originalité de l'espoir, et une belle réflexion sur la compréhension d'autrui.

 Hye-young Pyun est née en 1972 en Corée. Elle a fait ses débuts littéraires en 2000 en remportant le concours de nouvelles du Séoul Shinmun. Son œuvre, caractérisée par une imagination insolente, a été récompensée par les prix littéraires les plus prestigieux en Corée et a été traduite dans de nombreux pays. Le Jardin figure parmi les dix meilleurs thrillers de l'été selon le Time Magazine.

lundi 10 octobre 2022

SAN SHA – Alexandre et Alestria – Editions Albin Michel - 2006

 

L'histoire

Une vie romancée d'Alexandre Le Grand, homme présenté comme complexe, tiraillé entre l'amour du beau et l’irrésistible goût de la conquête de sa Macédoine natale jusqu'aux portes de L'Inde. Son amour fou pour Alestria, une amazone venue des steppes de Mongolie, un amour passionné, exclusif, intense. Faire de sa Reine pour ce conquérant est un défi, mais à force de défier les lois, que gagne-t-on.


Mon avis

Quel plaisir de retrouver la merveilleuse écriture de San Sha, cette chinoise qui vit à Paris et écrit en français avec la poésie et la subtilité toute orientale.

Ici, elle ne cherche nullement à faire une biographie d'Alexandre, mais de nous montrer la folie des hommes et des femmes, dans les grands tournants de l'Histoire.

C'est un roman fait de délicates confrontations, raconté par les voix d'Alexandre lui-même, d'Alestria et de Tania/Ania sa scribe et amie.

Nous avons Alexandre, élevé à la dure par son père, Philippe de Macédoine, un homme guerrier, brutal qui martyrise sa femme et son fils après des beuveries fêtant ses victoires. Son jeune fil est un être sensible, qui aime la poésie, la douceur la nature. Mais élevé dans les corps guerriers d'élite et de son père, il devient un être cynique, assoiffé de pouvoirs et de conquête. Conscient de sa beauté, il se croit fils d'Apollon, mais se montre un guerrier impitoyable qui va conquérir la Grèce, l’Égypte, la Perse et poursuivre sa quête vers l'Orient. Dans un rêve, lui est apparu une femme, la seule femme dont il tombe follement amoureux et qu'il donne comme justifications à ses conquêtes sanglantes, ses complots et trahison. Un être double car tout est double dans ce roman comme le yin et le yang.

Alestria est la reine des Amazones, une tribu nomade, guerrières impitoyables quand on les attaquent. Chassée par le refroidissement de leurs terres ancestrales, l'actuelle Sibérie, elles refusent tout accouplement avec un homme, tout contact avec lui. Elles ne cherchent pas la gloire ou la fortune, elles n'ont rien, à part leurs chevaux, leurs armes et recueillent les femmes ou fillettes maltraitées, abandonnées. Elles aiment la nature, et en connaissent les secrets. Mais voilà, Alestria tombe amoureuse d'Alexandre et ce coup de foudre réciproque va les amener au pire. Car Alexandre ne comprendra jamais la philosophie de cette femme qui pourtant lui sera fidèle, au risque de détruire à jamais sa tribu.

Entre les mythe et les contes, on peut dire que ce roman oppose aussi deux visions du monde, et deux visions de l'amour. Le monde d'Alestria est celui de la vie simple, nomade, proche de la nature, dont les pouvoirs magiques peuvent transformer une steppe aride en jardin de fleurs. Celui d'Alexandre est celui des conquêtes pour s'approprier les biens matériels, or, pierres précieuses, tissus luxueux qui lui permettent de garder son empire en soudoyant tous ces généraux.Sa sexualité est double, on sait que la Grèce Antique considérait comme normale les relations entre hommes. Mais Alexandre qui couvre sa femme de présents, qu'elle méprise, cherche avant tout à assurer sa dépendance croyant que son futur fils, avec les sangs mêlés de la plus grande des guerrières et le sien sera capable d'assurer la pérennité de son empire. Il croit en un universalisme des peuples, que ses victoires permettront une fusion de cultures.

Car Jung démontra la relation entre l'animus et l'anima, l'anima est la part féminine de l'homme (la sensibilité bafouée d'Alexandre) et l'animus, la part de masculinité chez la femme (le cas des Amazones).Voir ps://fr.wikipedia.org/wiki/Anima

Le roman donne tour à tour la parole tour à tour à Alexandre, Tania et Alestria puis plus la fin approche plus les voix de mêlent dans le même chapitre, pour tenter de contrer le destin inéluctable. En tout cas, le lecteur n'y perd en aucun cas le fil.Chacun comprendra les motivations des héros, contraires, et sans jamais jouer sur le féminisme tel que l'on entend, il est évident que le cœur vibrera plus pour la simplicité des Amazones (personnages légendaires).

Et puis il y a cette écriture poétique, sublime de cette autrice qui manie le français avec art. Je vous conseille également de lire : La joueuse de Go et Impérative.

Galerie Photos




Amazone sculpture

Amazone fresque

Extraits :

  • Viens, Alestria! Nous allons grimper les montagnes, prendre d'assaut les citadelles. Nous irons combattre les dragons, les singes, les éléphants conduits par des guerriers recouverts de perles, de diamants. Sois ma reine, Alestria. Je t'offre des paysages grandioses, des milliers de nuits étoilées, la chevauchée de cent mille hommes sous le soleil, dans l'eau, dans les sables, à travers les forêts et les déserts. (Alexandre)

  • A toi garçon du futur, ce roman écrit en langue des oiseaux. A toi, guerrier intrépide, nos libertés, nos galops. Veille sur nos sommeils, veille sur nos saisons. A toi, jeune fille qui liras dans les étoiles; A toi, jeune fille qui déchiffreras le livre des oiseaux... Le secret de nos âmes, le secret de l'amour, le secret de la force. (Alestria)

  • Le visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme ?

  • Platon enseignait que chaque homme fait partie d'une entité céleste qui se brise en deux au cours de sa chute, et qu'il est condamné à chercher son autre moitié sur terre, ainsi commence la quête de l'amour. (Alexandre)

  • Galopant derrière Alexandre comme son ombre, je ne comptais plus les Indiens que j'avais abattus. La folle chevauchée alternait avec des pauses où l'on essuyait le sang, pansait les blessures et mangeait un morceau de pain. (Tania)

  • La mélancolie est la poésie d'une vie d'insouciance. (Alexandre)

  • Je m’exerçais à tuer la souffrance. Un jour, l’esclave tuerait les lions. Un jour, Alexandre abattrait le tyran. (Alexandre)


Biographie :
Shan Sa (Yan Ni de son vrai nom) est écrivaine, peintre, poète et calligraphe française d'origine chinoise. Elle est née à Pékin en 1972.
Elle grandit dans une famille de lettrés traditionnels et écrit et publie des poèmes dès l’âge de 7 ans. A 14 ans, elle devient la plus jeune membre de l’Association des écrivains de Pékin. Après les manifestations de la place Tian'anmen elle quitte Pékin pour poursuivre des études de philosophie et d’histoire de l’art à Paris. En 1994, elle rencontre le peintre Balthus et sa femme Setsuko qui l'initie à la culture japonaise (cithare, jeu de go, calligraphie et épée). Elle devient leur assistante jusqu'en 1996.

En 1997, elle écrit « Porte de la Paix céleste » (éditions du Rocher) et remporte le prix Goncourt du Premier Roman. En 1999, elle écrit « Les quatre vies du saule » et remporte le prix Cazes. En 2001, elle est de nouveau récompensée par le prix Goncourt des Lycéens pour son roman « La Joueuse de go » qui rencontre un grand succès auprès du public. En 2003 paraît "Impératrice".
Puis elle publie d’autres romans ainsi qu’une collection d’essais, un recueil de poèmes et des albums de peintures.
En 2009, Shan Sa est nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres et en 2011, Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

Sur San Sha : son site : https://www.shan-sa.com/


En savoir Plus :

https://www.telerama.fr/livres/alexandre-et-alestria,15897.php

Sur Alexandre le grand :


Sur les Amazones



dimanche 9 octobre 2022

JULIA GLASS – Une maison parmi les arbres – Poche Totem N° 157 - 2020

 

L'histoire

Le dessinateur et écrivain pour enfants, le très célèbre Marty Lear meurt accidentellement. A la surprise générale, ce roi de la littérature pour jeunesse laisse tout ses biens y compris la gestion de son héritage artistique à  Tommy, celle qui fut son assistante pendant 25 ans, sa confidente et qu'il considérait comme la fille qu'il n'a jamais eu étant homosexuel. Assaillie de demandes, tentant de lutter contre ceux qui veulent s'accaparer l'héritage du génie, Tommy finit par se rendre compte que l'homme qu'elle a côtoyé toutes ses années avait aussi une part d'ombre.


Mon avis

D'habitude, je suis assez fan des romans publiés par Gallmeister. Mais ce roman trop long, dont l'intrigue se dilue ne m'a pas scotchée ?

Tout d'abord il y a de nombreuses descriptions des dessins de Marty. Pourquoi l'autrice n'a-t-elle pas penser à une collaboration avec un dessinateur, ce qui nous aurais épargné des longues pages pour nous faire comprendre que le dessinateur avait choisi un univers sombre et onirique dans ces histoires.

Les aller-retour dans le passé sont aussi des formes de redites. Surtout lorsque Tommy réinterroge son enfance. Les personnages hormis Tommy, son frère et l’avocat qui aide Tommy ne sont pas sympathiques. Et puis il y a ce roi Lear, ce dessinateur ambigu, mais sur de son génie pour le public, alors qu'il n'est qu'un être tourmenté, menteur qui s’accommode de la réalité et s'abrite dans la solitude d'une maison dans un coin perdu du Massachusetts, seul, avec Tommy, dans un silence qui est un état de vie, une solitude ni subie, ni volontaire, juste une cachette luxueuse.

Pourtant l'intention de Julia Glass était de montrer la duplicité des créateurs, leurs rapports avec leurs créations, les outrances que permet la gloire artistique.

Chacun des personnages a sa vision de Morty, ce même Morty qui sait garder ses secrets mais que même ceux qui savent continuerons à vénérer l'artiste, rentabilité et intérêts particuliers prévalent sur la morale.Dommage aussi que la pédophilie dans sa perversité ne soit qu'effleurée et sous-entendue sans jamais être condamnée fermement.Par ailleurs l'autrice se serait inspirée de dessinateurs réels, notamment Art Spiegelman sous un autre nom que Morty, jaloux, déteste profondément. Là aussi, je pense que la comparaison est mal venue. D'une part Spiegelman ne fait pas des bd pour enfants, et de plus il raconte l'histoire de son père détenu dans les camps de concentration.

Bref un roman ennuyeux qui aurait gagné en simplicité .Mais ce roman plaira peut-être à d'autres lecteurs, je ne fais que donner un avis personnel.


Extraits :

  • J’écris pour les enfants, et si mon histoire est réussie, je suis à moitié un enfant. Ou un enfant tout entier, Dieu seul le sait ! Les gens prétendent que les auteurs de livres pour enfants sont des gosses qui ne savent toujours pas ce qu’ils veulent faire plus tard. Mais cela signifie que j’agis plus par instinct que vous, alors que vous avez peut-être la moitié de mon âge. Quelque chose, je l’appelle mon petit diable interne, me dit qu’il est temps de révéler cette histoire. Il se trouve que vous en êtes le receveur, tout ça parce que vous, ou vos chefs, avez décidé que c’était le moment de publier un article flatteur sur Mort Lear. Pas sûr que vous teniez l’article flatteur, hein?

  • C'est la raison pour laquelle cette histoire s'adresse à des enfants plus âgés. Des enfants qui ne sont plus vraiment des enfants. Qui comprennent ce qu'ils voient aux informations . Et au cas où vous l'auriez oublié , les adolescents ont, de façon innée des pensées sombres qu'ils ont tendance à garder pour eux. Ils se régalent de désastres fictifs. Il y a une espèce de réconfort à voir le monde brûler dans un livre. Un livre, comme un fourneau, peut être refermé, le feu contenu.

  • En années Hollywood, j'ai largement l'âge d'être sa mère. D'après un calcul rétroactif en vigueur à Hollywood, on peut facilement devenir mère à huit ans. Je pense... j'espère même !... être affectée à une autre décennie de mamans. Si j'ai de la chance. Puis de grands-mères si je touche le jackpot. Les reines douairières ! Ça vaut mieux que tomber dans l'oubli.

  • Les enfants ne cherchent pas à essayer de comprendre les actions de leurs grands-parents. Qu’ils se comportent de façon sympathique ou tyrannique, les grands-parents sont, comme les dinosaures et les Vikings, des êtres dépassés et illogiques, exempts des règles de la physique ou d’un comportement moderne décent. Tous les actes excentriques ou même brutaux qu’ils perpètrent sont excusés du fait de leur grand âge. (Peut-être qu’à leur époque, c’était normal de faire honte à ses enfants, comme il était normal de du temps des dieux nordiques de piller et de brûler.)

  • L'accent britannique a quelque chose de honteusement séduisant pour les Américains, qu'il s'agisse du cokney ou du Oxbridge de bon aloi.

  • Un jour qu'il était invité à une émission de télévision pour enfants, Morty avait expliqué comment on inventait une histoire. A un moment, il s'était penché tout prés de la caméra et avait dit:" Une histoire, c'est comme une route. Elle doit vous emmener quelque part. Un endroit drôle, nouveau!

  • Il y a une espèce de réconfort à voir le monde brûler dans un livre. Un livre, comme un fourneau, peut être refermé, le feu contenu.


Biographie :
Née en 1956 à Boston, Julia Glass est une écrivaine américaine.

Diplômée en 1978 de l'Université de Yale, elle est aujourd'hui journaliste indépendante et éditrice.
En 2002, elle obtient avec son premier roman "Jours de juin" ("Three Junes") le National Book Award et sera publiée dans plus de quinze pays.
Suivront "Refaire le monde" ("The Whole World Over", 2006), "Louisa et Clem" ("I See you Everywhere", 2008, John Gardner Award), "Les joies éphémères de Percy Darling" ("The Widower's Tale", 2009), qui ont tous été des best-sellers du New York Times. Elle met dans ses romans beaucoup d'humanité et son écriture est très subtile.
Dans "La nuit des lucioles" ("And the Dark Sacred Night", 2014), qui a figuré dans les listes des best-sellers aux États-Unis, elle revisite des personnages de "Jours de juin".
En 2017, elle publie son livre, "Une maison parmi les arbres" ("A House among the Trees"). Ele a également eu trois Chicago Tribune's Nelson Algren Awards pour ses nouvelles, et le Tobias Wolff Award et la médaille de la Pirate's Alley Faulkner Society pour la nouvelle "Collies", première partie de "Three Junes".
Elle vit à Marblehead, Massachusetts, avec son compagnon, le photographe Dennis Cowley, et leurs deux enfants.


En savoir Plus :

samedi 8 octobre 2022

JIM FERGUS – Les amazones (trilogie des mille femmes blanches) – Éditions du Cherche Midi 2019

 

L'histoire

Dernier volet de sa trilogie des mille femmes blanches, récit de fiction, Jim Fergus continue les journaux de Mary Dodd, Molly Mac Gill à travers la voix d'une des arrières-petites filles de Molly, surnommée Molly Standing Bear qui a conservé des extraits des journaux de son aïeule, et autorise leur publication par le fil de Todd l'éditeur des premiers journaux (Mille femmes blanches, La vengeance des mères). 

Molly Stand Bear, cheyenne vivant sur une des réserves du Montana, se soucie aussi de sauver de la prostitution, de la drogue des jeunes femmes amérindiennes


Mon avis

Jim Fergus entame en 2013 une trilogie fictive concernant mille femmes blanches. Selon un accord passé en 1875 par le président américain Grant avec un chef Cheyenne mille femmes blanches sont échangées contre mille chevaux. On sait que le chef Little Wolf rencontra le président américain en 1874 à Washington, la teneur de leurs propos restent inconnus.

Dans la trilogie de Fergus, les mille femmes envoyées sont des prostituées, des prisonnières de droit commun ou des femmes mise en asile psychiatrique. Accueillie cérémonieusement par les Amérindiens, elles y trouvent une rédemption et une forme de vie très différentes où elles sont respectées. Les Cheyennes, peuple nomade des grandes plaines sont pourchassés par l'armée américaine. Les regrettables guerres indiennes de 1868 à 1884 firent de nombreux morts, surtout des femmes et des indiens. Les femmes blanches acclimatées à leur nouveau statut décidèrent donc de former un bataillon secret pour lutter contre les « blancs ».

Dans ce dernier tome, le bison qu'ils appellent leur frère, vit en nombre et leur apporte l'essentiel pour se nourrir, se vêtir, s'abriter mais l'armée US n'a de cesse de détruire les troupeaux pour installer le chemin de fer et s'emparer des terres. Ce que nous considérions comme le progrès apporte en fait maladies, perversion, trafic et destruction.
Au travers des récits détaillés de May et Molly, nous partageons la vie quotidienne, espoirs, souffrances, bonheurs, plaisir charnel mais aussi la peur, l'effroi devant les massacres systématiques perpétrés dans les villages indiens où femmes, enfants, vieillards étaient massacrés sans pitié.

Les Amazones sont ces femmes guerrières, inspirées par l'antiquité, qui s'entraînent, se musclent et deviennent aussi performantes que les hommes. C'est aussi l'occasion d'apprendre l'histoire du cheval sur le continent américain.

L'auteur ne se contente pas de me faire vivre avec les Indiens de 1876, constamment pourchassés par l'armée aidée par les Crows, les Loups, ces Indiens qui ont trahi leur peuple pour passer du côté des Blancs, mais il connecte tout cela à la situation actuelle. Il donne à voir la vie des Indiens aujourd'hui dans les réserves et le résultat n'est pas folichon. D'ailleurs, « les trois quarts des Indiens d'Amérique, l'Alaska y compris, vivent aujourd'hui dans les villes et non dans des réserves. Beaucoup de filles sont enlevées en pleine rue et tombent dans les griffes des réseaux de prostitution. » Tout cela en toute impunité.

Évidemment lire les 3 tomes est un plus mais si comme moi vous êtes curieux de connaître la vie d'autres peuples, le travail de Fergus est remarquable.

Mille Femmes Blanches le tome 1, est resté 57 semaines en tête des ventes en France et a recueilli les louanges de la presse. Le tome 2 « La Vengeance des mères » a connu le même succès. Le charme de Fergus est de donner la parole aux femmes, et d'y mêler des événements historiques, avec beaucoup de rebondissement. Ici petit plus les commentaires de Molly Standing Bear nous éclairent sur l'actualité dans les réserves Cheyennes.

Galerie photos :





Extraits :

  • Nous continuons de recueillir des vagabonds plusieurs familles et quelques bandes de jeunes guerriers qui, pour la plupart, s'étaient échappées des agences afin de participer au grand rassemblement de tribus à la Little Bighorn. Après quoi, plutôt que de se transformer en loups pour les soldats bleus, de harceler leur propre peuple, ils ont décidé de profiter un peu plus longtemps de leur liberté, d'une dernière chance de chasser le bison, dont les troupeaux se réduisent à grande vitesse. Ils sont donc les bienvenus parmi nous. Il reste si peu de traces du monde qu'ils ont connu et pour lequel ils ont été préparés au cours de leur brève existence. Un monde dans lequel ont vécu cent générations avant eux. A l'approche de l'hiver, ils rejoindront les agences, où ils auront grand-peine à subsister grâce aux rations de famine que l’État leur fournit, amputées de la part volée par les fonctionnaires chargés de leur distribution. Voilà l'autre monde que l'homme blanc leur réserve et qu'ils doivent adopter, car ils voient bien l'ancien se refermer derrière eux. Nous-mêmes avons perdu le nôtre et il semble bien que le suivant nous échappe.

  • Wind a les cheveux noirs, le teint très mat, un visage large, osseux, et des pommettes saillantes. Son nez est proéminent, légèrement busqué, son regard perçant et ses yeux d’une couleur indéfinissable qui change suivant son humeur, le temps et la lumière. Parfois d’un jaune cuivré, telle une lune d’automne, ou ceux d’un loup, ils peuvent s’assombrir jusqu’à devenir profonds comme la nuit. D’une taille supérieurs à la moyenne des femmes cheyennes, elle a une stature qui la grandit encore. De larges épaules, des bras fermes et robustes qui ont eu plus que leur part de dur travail, des jambes puissantes dont on devine qu’elles ont parcouru bien des miles.

  • Jadis, bien sûr, les tribus avaient toutes différents noms pour s’appeler elles-mêmes et entre elles – des noms qui ont évolué au fil du temps. Nous autres Cheyennes étions les Tsistsistas, ce qui, dans notre langue, signifie les humains, à distinguer des ours, des bisons, des oiseaux, des poissons, des chevaux, etc. Un nom humble et sans prétention qui sous-entend que nous faisons partie du monde animal, sans pour autant nous estimer meilleurs ni supérieurs – juste différents.

  • Après avoir vécu parmi les chasseurs, les cueilleurs, les trappeurs – chez qui tout s’échange -, revenir dans un monde où les choses s’achètent et se vendent vous procure un drôle de sentiment.

  • Notre apparence physique … un autre motif qui pousse les colons à exterminer et incarcérer les premiers occupants de ce pays, tout simplement parce qu’ils ne leur ressemblent pas.

  • Du fait que je m’intéressais à la bible, on m’a considérée comme une élève travailleuse – une candidate pour le noviciat ...à ce qu’affirmait le bon « père » qui me violait. Mon initiation à l’obéissance, par cet émissaire du seigneur, avait un caractère éminemment biblique… Au fait, cela n’est pas par manque d’instruction que j’évite de mettre la majuscule à certains mots, mais à cause du mépris et du dégoût qu’ils m’inspirent.

  • Peu à peu, nous avons été conquis par les biens de consommation des Blancs, le tabac, les perles, les colifichets, les couvertures… La liste n’en finit pas, avec pour conséquence l’épidémie de diabète qui sévit aujourd’hui dans les réserves. Ils n’ont plus guère de mal à nous exterminer. Il leur suffit de nous intoxiquer avec leurs frites et leurs hamburgers… qui les tuent eux aussi.

  • Pendant nos pérégrinations, nous avons constaté, Wind et moi, les effets de la ruée vers l'or et les terres agricoles. Les grands troupeaux de bisons ont été décimés, des races étrangères de bovins introduites. Les sols sont forés, défigurés, dégradés pour en extraire ces trésors cachés auxquels les Blancs sont si attachés. Partout l'on construit des voies ferrées, des villages, des ranchs, des forts pour l'armée. Alors, oui, la terre qu'ont toujours connue les Indiens disparaît sous leurs yeux.

  • Molly Standing Bear : Sur 5 712 femmes et filles indigènes portées disparues en 2016, selon le Centre d’informations criminelles des États-Unis, seulement 116 ont été enregistrées dans le fichier des personnes disparues du Département de la Justice.
    506 : le nombre de femmes et filles indigènes disparues ou assassinées dans 71 villes américaines en 2016, d’après un rapport de novembre de l’Urban Indian Health Institute.1 sur 3 : selon le Département de la Justice, la proportion d’Amérindiennes victimes d’un viol ou d’une tentative de viol, soit plus du double de la moyenne nationale.84% : le nombre de femmes indigènes qui ont subi des violences physiques, sexuelles ou psychologiques au cours de leur vie, selon le National Institute of Justice.New York Times, 12 avril 2019. (nota : ces chiffres sont tout à fait vrai, j'ai vérifié)

  • Quel bénéfice l'humanité a-t-elle tiré de ses guerres incessantes ? Que nous ont-elles jamais apporté, à part la mort, la souffrance et le chaos ? La paix et l'harmonie entre les peuples ne sont-elles pas notre but ultime ?


Biographie :
Né en 1950 à Chicago,
Né d'une mère française et d'un père américain, il se passionne dès l'enfance pour la culture Cheyenne alors qu'il visite l'ouest du pays en voiture avec son père pendant l'été. Ses parents décèdent alors qu'il a 16 ans et il part vivre dans le Colorado où il poursuit ses études.

Il vivra ensuite en Floride où il est professeur de tennis avant de revenir dans le Colorado en 1980. Il s'installe dans la petite ville de Rand, qui compte treize habitants, pour se consacrer exclusivement à l'écriture.
Il publie en tant que journaliste de nombreux articles, essais ou interviews dans la presse magazine et collabore à des journaux.

Son premier roman, "Mille femmes blanches" ("One Thousand White Women"), l'histoire de femmes blanches livrées aux Indiens par le gouvernement américain pour partager leur vie, est publié aux États-Unis en 1998 et rencontre le succès. Il a sillonné seul avec ses chiens le Middle West, pendant plusieurs mois, sur les pistes des Cheyennes, afin d'écrire ce livre.
En 2016, il publie "La vengeance des mères" ("The Vengeance of Mothers"), qui fait suite au premier ouvrage de l'auteur, "Mille femmes blanches", paru dix-huit ans plus tôt. Avec "Les Amazones" (2019), Jim Fergus achève la trilogie. Lettres Modernes à la Sorbonne Nouvelle, il devient scénariste en 2000.

son site :http://jimfergus.com/


En savoir Plus :

Sur Jim Fergus


Sur le peuple Cheyenne

vendredi 7 octobre 2022

BENOIT PHILIPPON – Petiote – Editions Les Arènes - 2022

 

L'histoire

Gus, la quarantaine est un loser magnifique. Au RSA, sans ambitions, il vient de se voir refuser la garde de sa fille, une ado de 13 ans ultra connectée. Il décide donc de prendre en otages les habitants du peu reluisant « Love Hôtel » en périphérie de la ville. Le gérant George a le cœur sur la main, accompagné de Boudu un ex SDF alcoolo mais cinéphile, une prostituée intello, un couple illégitime, un livreur d'Uber Eats grand fumeur de gandja,Fatou une sans-papier enceinte, sa fille chérie mais aussi un très inquiétant personnage Sergueï de la maffia serbe. Tout ce joli monde de bras cassés doit résister à la négociatrice de la police, l'hôtel étant cerné par le GIGN , le RAID et toute la police locale. Ajouter un journaliste véreux, 10 kilos d'héroïne et vous vous retrouverez en mode « page turner », autrement dit total addictif.


Mon avis

Le dernier roman de Benoît Philippon nous entraîne encore dans une histoire rocambolesque, avec ce style inimitable qui fait son succès.

On se croirait dans un pastiche de Chandler, avec un rebondissement à chaque chapitre. La galerie de personnages est franchement comique, un bon lot de barjos sympathiques en fait. Mais avec cet auteur de polar, il faut se méfier. Derrière le burlesque se cache aussi une réalité sociale. Le gérant George a un cœur en or et il accueille pour pas très cher tous les exclus de la société. Comme Fatou que sa famille a envoyé en France, mais qui a du subir les viols de passeurs et se retrouve sans papiers, enceinte près de l'accouchement, et Gus, notre preneur d’otage qui ne veut faire de mal à personne, exige que la jeune femme soit régularisée. Boudu est un SDF sympathique et fou de cinéma, qui voue une amitié sans faille à Georges qui l'a sauvé de la rue. Cerise, la prostituée féministe est une fille intelligente mais au passé familial difficile.

Philippon s'en donne à cœur joie pour tacler la société dans ses petits et gros travers : médias, crise familiale, sans-papiers, viols, justice hasardeuse, femmes battues.

Le journaliste arriviste surnommé « La tique » travaille pour une chaîne câblée minable « What4TV ». Et puis le balai des badauds et de la foule qui se déverse pour apercevoir le coupable et donner son avis qui fluctue selon les événements. Le monde virtuel et les réseaux en prennent aussi pour leur grade, avec un flux de commentaires, pour ou contre selon le moment. Et Émilie, la « petiote » que son père aime plus que tout, même si il ne s'est jamais trop occupé d'elle ni versé les pensions alimentaires, est le cliché de l'ado scotchée à son smartphone, irrévérencieuse.

Comment tout cela va-t-il finir ? D'autant que les vrais méchants, des trafiquants de drogue et autres sont de la partie...Ce polar très amusant laisse aussi un petit arrière goût amer, comme toujours chez cet auteur de polars dont le style est unique.


Extraits :

  • George est un authentique ange gardien. Sorte de saint Pierre supervisant ce purgatoire, il accueille les âmes errantes, dont certaines obtiendront leur ticket pour le paradis, mais la majorité, au vu de leur fiche signalétique, plutôt un aller simple pour l'enfer.

  • l est pourvu d’un bagout qui a fait ses preuves en matière de vente, et quand il veut bien s’en donner de la peine il a de l’esprit. Ça fait rire les filles. Il leur arrive alors d’oublier son manque de charme et de percevoir ce que cet hypocrite de Disney vend depuis que le rêve se pèse en biftons : le prince charmant se cache sous l’apparence d’une moule avariée.

  • Les hommes ont de grands principes en ce qui concerne le comportement des autres. Leur intransigeance devient plus malléable quand vient leur tour de respecter ces règles.

  • Balcerzak est une négociatrice au pedigree exceptionnel, saluée pour sa force de persuasion, son tempérament fonceur et son caractère martial, respectée pour son esprit d’analyse et de réactivité en situation extrême. Ce qui ne la préserve pas d’une propension à l’agacement qui lui a valu une réputation de femme à ne pas trop chahuter. Quand elle rue, c’est l’autre qui se retrouve sur un brancard.

  • Devenez écolo , couchez avec une végétarienne.

  • Cet hiver, six cent douze sans-abri ont trouvé la mort dans la rue. Plus dix pour cent par rapport à l’an dernier. On dirait les résultats du CAC 40. Sauf qu’avec cette fluctuation-là il n’y a aucun gagnant.

  • La Tique. Le cheveu gras plaqué en arrière, la peau luisante, le rictus de faux derche dans son costume en tweed râpeux mal coupé. La pestilence du professionnel qui a passé ses dernières nuits à courir après le scoop le plus puant, le plus vendeur. Un mélange de vieille école journalistique et de ce qui se fait de pire dans l’investigation de terrain. Entre sensationnalisme et voyeurisme, influence BFM dans ce que la méthode à de plus racoleur.

  • La lose, ça ne se refuse pas. C’est plus sournois que du liquide, ça s’immisce entre les mailles de l’injustice.

  • Niveau matière grise , il ne disposait pas du bagage requis, alors que visser des boulons ou trier des sardines sur le tapis roulant d’une usine de conserves, il avait deux bras, pas trop d’amour-propre, ça suffisait pour qu’un employeur accepte de l’exploiter.

  • Preneur d'otages, ça ne s'improvise pas. Il aurait dû potasser. "Prise d'otages pour les nuls", le genre de recherche qui alerte la DGSE direct, non ?


Biographie :
Né en 1976,Benoît Philippon est un écrivain, un réalisateur et un scénariste français, auteur de roman noir.
Il grandit en Côte d'Ivoire, aux Antilles, puis entre la France et le Canada. Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne Nouvelle, il devient scénariste en 2000.

En 2016, il écrit son premier roman, "Cabossé", édité chez Gallimard, collection Série Noire, qui obtient le Prix Transfuge du meilleur espoir polar 2016 et le Prix du Goéland Masqué 2017 du meilleur premier polar.
En 2017, il développe, avec le dessinateur Malec, "Super Mimi", une série jeunesse en bande-dessinée, éditée par Jungle Éditions, sortie en Février 2018.
"Mamie Luger" (2018), son second roman, sort aux éditions les Arènes, dans la collection EquinoX, suivi de "Joueuse" (2020).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_Philippon

son site : https://twitter.com/philippon_b



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jeudi 6 octobre 2022

ELLA CARA DELORIA – Nénuphar, femme sioux, fille du grand peuple Dakota – Éditions Cambourakis - 2021

 

L'histoire

Oiseau Bleu, femme dakota, rejoint son clan familial avec son bébé Nénuphar, après avoir été répudiée par un mari jaloux et stupide. Accueillie parmi les siens, elle élève dans les meilleures conditions sa fille Nénuphar que nous suivrons de son enfance à ses 23 ans. Un roman captivant qui nous éclaire sur le mode de vie des femmes sioux bien avant l'arrivée des colons dans le grand territoire du Dakota (incluant les Dakotas du Nord et du Sud, le nord du Nebraska et l'ouest du Minnesota.


Mon avis

Cambourakis publie dans une nouvelle traduction le roman de la dakota Ella Cara Deloria, la première femme amérindienne a être antropologue et linguiste.Pendant des années, Deloria a travaillé comme linguiste, parlant elle-même plusieurs dialectes dakotas. Élève de Franz Boas l'un des premiers antropologue à s'intéresser aux modes de vies des sioux, elle passe une dizaine d'années à traduire les rares ouvrages laissés par son peuple, et recueille les traditions verbales des anciens, Pendant 20 ans, jusqu'à la mort de Boas et d'une de ses disciples et amie, elle étudiera les coutumes, la religion, les relations sociales des dakotas, un peuple sioux et élaborera le premier dictionnaire Sioux-Américain de l'histoire.

Elle ne trouve pas de financements pour publier ses recherches mais sur les conseils d'une amie, elle décide de vulgariser ses découvertes sous une forme de roman. Tout ce qui est décrit dans le roman est donc véridique et nous éclaire un peu plus sur ce peuple mystérieux.

Les Dakotas font parti des Sioux, ils sont répartis en plusieurs clans. Sa famille les Isáŋyathis habitent dans le nord du Dakota, et fait parti du Tiposyae (groupe de tipi ou village) d'Aigle Noir, son cousin. C'est un peuple nomade qui déplace selon les saisons.

Sans se revendiquer elle-même féministe, trop préoccupée par ses recherches, l'histoire, ou plutôt la vie quotidienne est vu par 3 femmes. Gloku, la grand-mère se charge de l'éducation de Nénuphar et de son demi-frère Petit Chef, un rôle important car il est à la base de tout comportement social. A l'adolescence, les garçons sont alors pris en charge et éduqués pour devenir des bons chasseurs. Glokun, femme généreuse est respectée comme une sage et son deuil durera un an, ce qui est exceptionnel. Oiseau Bleu devient elle aussi une femme remarquable. En secondes noces, elle épouse le fils de Gloku dont elle aura 3 enfants. Tous les deux chassent aussi et montent leurs chevaux (un bien sacré) mais élèvent leurs enfants dans la traditions pour en faire des dakotas respectables. Oiseau Bleu est l'archétype de la femme dakota : il lui revient d'éduquer ses enfants (mais aussi d'autres), de trouver l'eau et le bois, de préparer les repas et de fabriquer des vêtements et les décorer. Dures journées pour les femmes. Les hommes eux doivent assurer la chasse, protéger et chérir leurs femmes, et s'occuper des cérémonies sacrées. Les mariages sont libres mais parfois les femmes peuvent être « achetées » par une autre clan. La jeune fille peut refuser, mais souvent elle accepte, en raison d'une dot qui va améliorer la vie du village. C'est ce qui arrive à la jeune Nénuphar, elle décide de vivre dans le clan de son époux qu'elle connaît à peine et qui vit plus au Sud (les Iháŋktȟuŋwaŋs). Hélas la froid et surtout une terrible épidémie transmises par des marchands blancs déciment la tribu et Nénuphar enceinte peut rejoindre sa famille.

On ne parle pas de religion chez les Sioux comme on parlerait du Christianisme. Il y a un coté animiste (la déesse de la terre, l'esprit du bison etc) mais ce sont plus des légendes que l'on transmet pour souder le clan ou élever les enfants, sans jamais les réprimander sérieusement, mais en leur expliquant. De même les très grandes fêtes sont aussi un moyen de réunir les familles, dans l'esprit de solidarité, d'entraide et d'amitiés qui sont les valeurs les plus importantes des dakotas.

D'une écriture facile, ce livre a la double vocation de nous montrer d'une part la richesse des modes de vies sioux et de nous imprégner de leur bienveillance, de leur humanité profonde, des valeurs qui nous échappent de plus en plus.

 

 

Extraits :

  • Voyez, mes enfants, dit un jour le viel homme, c'est pour ça que j'ai prié. Pour que le cœur de la tribu soit disposé favorablement envers nous, pour qu'un cercle de sympathie se resserre autour de nous. Ma prière est exaucée, et j'en suis reconnaissant. Très vite, cette cérémonie devint l'affaire de toute la tribu, car tous, un jour ou l'autre, avaient été touchés par la gentillesse de Gloku et voulaient la lui rendre. Souvent, ils ne se contentaient pas d'apporter un seul cadeau, mais en apportaient plusieurs, à des moments différents de la période de deuil. A en juger par la pile qui s'amoncelait, la redistribution des biens allait être grandiose.

  • A la surface de l'eau poussaient des nénuphars qui l'attiraient irrésistiblement. Comme ils étaient beaux ! Comme ils vous forçaient à écarquiller les yeux pour pénétrer leur forme et leur esprit. Son regard passait de l'un à l'autre; soudain, il lui fut impossible de les dissocier du visage de son enfant. Une nouvelle sensation l'envahissait, l'étouffait presque. "Ma fille ! s'écria-t-elle, comme tu es belle ! murmura-t-elle dans des sanglots de joie.

  • Les enfants qui s'étaient installés dans une position plus confortable finirent par s'endormir, la tête sur les genoux de leur mère. Elle les regardait tendrement en leur épongeant le front, car la journée était très chaude. Qu'est ce qu'une femme peut demander de plus que d'avoir les bras pleins d'enfants ?

  • Les garçons faisaient tourner des branches de cèdre sur la glace, comme des toupies. Les plus petits aimaient représenter le vieux mythe du hibou. Ils se déguisaient et portaient des masques pour incarner l'esprit du hibou et allaient de tipi en tipi tout en dansant. Le public leur demandait de prédire le temps, car ils étaient supposés venir du Nord, le pays de l'hiver. On leur donnait des gâteaux de maïs et de la viande sèche avec des fruits sauvages et autres friandises.

  • Chaque jour, le soleil se levait un peu plus tôt et ses rayons se faisaient de plus en plus chauds et brillants. Le matin, lorsqu'il apparaissait, les vieux sortaient pour le saluer et l'invoquer. En peu de temps toute la neige serait fondue.

Galerie Photos (femmes dakotas)

 




Ella Cara Deloria


Biographie :
Ella Cara Deloria (1889 – 1971) aussi nommée Aŋpétu Wašté Wiŋ (Beautiful Day Woman), est née en 1889 dans le quartier de White Swan de la réserve Yankton indienne, des Dakota du Sud. La famille avait des ascendances Yankton Dakota, anglaises, françaises et allemandes. (Le nom de la famille remonte à un ancêtre trappeur français nommé François-Xavier Delauriers.) Son père était l'un des premiers Sioux être ordonné comme un prêtre épiscopal. Sa mère était la fille d'Alfred Sully, un général de l'armée américaine, et un Métis Yankton Sioux. Ella était le premier enfant du couple, qui avait plusieurs filles par chaque précédent mariage.
Ella a grandi dans la réserve indienne de Standing Rock au Wakpala, et a commencé ses études auprès de son père à la mission St. Elizabeth puis au pensionnat à Sioux Falls. Après ses études, elle a assisté aux cours de l'Oberlin Collège dans l’Ohio où elle avait remporté une bourse d'études. Après deux ans à Oberlin, Deloria fut transférée au Teachers College, Columbia University, New York, et a obtenu un baccalauréat ès sciences en 1915.

Elle fut l'un des premiers véritables chercheurs bilingues et biculturels dans l'anthropologie américaine, et une érudite extraordinaire, professeur, poursuivant son travail et ses engagements dans des conditions notoirement défavorables. Elle vécut pendant un temps dans une voiture tout en recueillant des matériaux pour Franz Boas. Tout au long de sa vie professionnelle, elle a souffert de ne pas avoir l'argent ou le temps libre nécessaire afin d’avancer ses recherches. Appui financier de sa famille en tant qu’ainée, Son père et sa belle-mère étant des personnes âgées, sa sœur Susan dépendait d'elle financièrement.
En plus de son travail en anthropologie, Deloria avait un certain nombre d'emplois, y compris dans l'enseignement (danse et éducation physique), des conférences et des démonstrations sur la culture amérindienne, ainsi que pour le camp des Filles du Feu et la YWCA. Elle a également occupé des postes à l'Indian Museum Sioux dans Rapid City, Dakota du Sud, et en tant que directrice adjointe au cours Musée WH à Vermillion. Son frère, Vine Deloria V., Sr., était un prêtre épiscopal, connu pour son charisme et ses talents oratoires. Il fut désillusionné par le racisme au sein de l'Église épiscopale. Son neveu était Vine Deloria, qui est devenu un grand écrivain et activiste intellectuelle.

Voir aussi : https://www.telerama.fr/idees/ella-cara-deloria-lindispensable-sioux-de-franz-boas-6658728.php


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