L'histoire
Betty est
née en 1954, cadette d'une famille de 8 enfants dont 2 sont décédés.
Betty a la peau brune de son père Landon, un cherokee marié à une
femme blanche. Une famille pauvre qui se déplace de ville en ville,
avant de se fixer dans un village de l'Ohio, dans une maison en
ruines que la famille retape au fil du temps. Méprisés par les
autres habitants, la famille peut compter sur l'amour infini du père
mais aussi sur la force de Betty, « la petite indienne »
qui va se mettre à écrire l'histoire de la famille, avec ses
drames, ses décès, mais aussi l'amour des collines de l'Ohio, les
complicités entre les sœurs, les trahisons, les destins brisés.
Mon
avis
Gallmeister
a vraiment le chic pour trouver des jeunes auteurs bourrés de talent
et de proposer un chef d’œuvre de plus. Tiffany Mc Daniel romance
en fait l'histoire de sa propre mère, à la peau trop sombre dans
l’Amérique puritaine du « good way of life » des
années 50/60.
On parle
souvent du racisme envers les noirs, l'auteure elle nous parle d'un
autre racisme terrible, celui des indiens (ici des Cherokees, peuple
nomade vivant au nord des USA, puis au sud, avant d'être parqués
dans les monts Orzaks entre l'Arkansas, le Missouri, une région
minière où ils furent exploités. D’autres clans se sont formés
ailleurs dans le pays. Les cherokees sont une société matriarcale,
la femme possède les terres et a le don de les fertiliser. Au fil du
livre, le magnifique personnage du père raconte un peu de
l'histoire cherokee à Betty, cette petite fille si vive et qui lui
ressemble tant. Ainsi que d'incroyables histoires pour apaiser les
enfants. Il a hérité d'un don pour les plantes et pour sculpter le
bois. Lui même a été victime du racisme en étant violemment
agressé par des ouvriers blancs dans les mines et reste boiteux.
Ce
personnage de ce père aimant, un peu fantasque, attachés à des
traditions ancestrales est un héros sans médaille qui fera tout
pour sa famille, même si il ignore pas mal de choses.
Des choses
que Betty sait. Des choses mauvaises, comme si une malédiction
pesait sur les femmes de la famille. Il y a la mère, une femme qu'on
qualifierait de bipolaire aujourd'hui, entre crises de folie et
moments d'inertie au passé cruel que l'on découvrira dans le livre.
Il y a Fraya la sœur aînée, discrète, maternelle (surtout avec le
petit dernier Lint qui semble être un enfant différent, mais qui
est en fait assez solide) qui cache un terrible secret qui la mine et
finit par la dévorer. Enfin il y a Flossie, la plus jolie qui veut
être star. Flossie, orgueilleuse, parfois mesquine rate en fait le
rôle de sa vie. Celle qui se voulait une femme libérée, n'assume
ni son mariage forcé et encore moins la maternité qui en découle,
elle rejette son fils, et finit par disparaître dans la drogue (nous
n'en saurons pas plus).
Seule,
malgré sa peau trop brune, Betty qui raconte l'histoire de sa
famille, a son baccalauréat (ou son équivalent américain) et
devient sans le vouloir une héroïne universelle. Douée pour
l'écriture dont elle remplit des carnets et la poésie, elle seule
a compris les douloureux secrets de famille, l'amour infini de son
père, malgré la pauvreté, la disgrâce. Elle nous conte son
enfance avec toutes la gamme des émotions où l'on aime se perdre.
Les merveilleuses histoires de son père, emplie de poésie et de
sagesse, les chamailleries d'enfants, quelques traits d'humour sont
là pour tempérer cette histoire où les femmes sont réduites à
être objets des hommes, bonnes épouses, bonnes mères ou putains.
Seule Betty avec sa force et « les milliers d « étoiles
qui étaient dans le ciel le jour de sa naissance »
sait affirmer la femme qu'elle va devenir, forte et jamais soumise,
au-delà des chagrins, des deuils et la résilience qui vient des
mots et de la nature magique de ce coin perdu dans les Appalaches.
Un roman qui
vous prend au tripes, avec l'écriture magnétique de Tiffany Mc
Daniel.
Il y aurait
tellement à dire sur ce roman que cela ne serait plus un avis mais
une avalanches de mots, et je préfère vous laisser découvrir ce
livre qui restera longtemps en vous.
J'aime
particulièrement les civilisations amérindiennes (qui sont souvent
matriarcales comme chez les Navajos). Leur philosophie de vie et
leurs croyances me semblent proches. Ce sont des valeurs
merveilleuses fondées sur la Nature, la vie simple mais authentique.
Biographie :
Né en 1985
dans l'Ohio, Tiffany McDaniel est une romancière, poétesse et
artiste visuelle américaine. Auteure autodidacte sans formation
artistique universitaire particulière, elle écrit de nombreux
textes non publiés avant que son premier roman, "L'Été où
tout a fondu" 2016), soit finalement accepté par un éditeur,
Gallmeister.
Son deuxième roman "Betty" (2020),
particulièrement remarqué par la critique lors de sa parution en
français, reçoit le prix du roman Fnac 2020 et le Prix America du
meilleur roman 2020. Tiffany McDaniel s’inspire de la vie de sa
mère, une métisse cherokee, pour livrer un roman enchanteur et
tragique.
Elle vit à Circleville dans l'Ohio. Une suite semble
prévue pour Betty.
Son site :
https://www.tiffanymcdaniel.com/
Extraits :
Dans
différentes tribus indiennes, les 3 sœurs représentent les 3
cultures les plus importantes. Le maïs, les haricots et les
courges...
L'aînée est le maïs. Elle est la plus grande et
c'est à elle que s'accrochent les tiges de ses sœurs plus
jeunes.
La seconde, c'est le haricot. Elle apporte azote et
nourriture au sol, ce qui permet à ses sœurs de devenir fortes et
résistantes.
La plus jeune, c'est la courge. Elle est la
protectrice de ses sœurs. Elle étend ses larges feuilles pour
faire de l'ombre à la terre et empêche les mauvaises herbes de
s'installer. Ce sont les tiges de courges qui unissent les
sœurs
par le lien le plus fort qui soit.
Avant le
christianisme, les Cherokees étaient fiers de leur société
matriarcale et matrilinéaire. Les femmes étaient à la tête de la
famille, mais le christianisme a donné aux hommes un rôle
prédominant. A la suite de ce bouleversement, les femmes ont été
écartées de la terre qu'elles avaient possédée et cultivée. On
leur a donné un tablier et on leur a signifié que leur place était
à la cuisine.
’ai
compris une chose à ce moment-là : non seulement Papa avait
besoin que l’on croit à ses histoires, mais nous avions tout
autant besoin d’y croire aussi. Croire aux étoiles pas encore
mûres. Croire que les aigles sont capables de faire des choses
extraordinaires. En fait, nous nous raccrochions comme des forcenées
à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité
autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une
destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées.
La nature
nous parle. Nous devons simplement nous souvenir de l’écouter.
Le plus
bel arbre de Noël, c’est celui qu’on laisse dans sa terre pour
qu’il puisse y grandir et vivre sa vie.
Pas besoin
de s’asseoir sur un banc pour entendre parler de la création
divine, disait-il. Tout ce que vous avez à faire pour savoir qu’il
existe quelque chose de plus grand, c’est aller vous promener dans
les montagnes. Un arbre prêche mieux que n’importe quel homme.
Devenir
femme, c'est affronter le couteau. C'est apprendre à supporter le
tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et
malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d'avoir
les genoux assez solides pour passer la serpillière dans la cuisine
tous les samedis. Ou bien on se perd, ou bien on se trouve. Ces
vérités peuvent s'affronter à l'infini. Et qu'est-ce que l'infini
sinon un serment confus ?
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