L'histoire
Manazuru c'est une île au Japon. L'île où a disparu le mari de Kei, Rei, dans des circonstances jamais élucidées. Depuis 10 ans, sa femme le cherche de temps en temps, en se rendant dans cette petite ville insulaire, envahie par les amateurs de pêche les week-ends, mais déserte et mystérieuse en semaine. Parce que c'est le dernier mot laissé par son mari. Fugue ? Suicide ? Meurtre ? Fei envisage toutes les hypothèses dans une ambiance où le temps semble se figer et avec l'impression de n'être jamais seule, mais avec une présence qui la suit.
Mon avis
Si vous aimez les livres où l'imaginaire, la poésie et le monde flottant sont comme des vagues d'émotion, il faut lire ce roman, magnifiquement écrit.Kei, personnage central raconte son histoire. Cette femme d'une quarantaine d'année vit avec sa fille Momo, une adolescente joyeuse et parfois capricieuse comme peuvent l'être les adolescents. Sa mère vit aussi dans leur foyer à Tokyo où elle se charge de la cuisine, de garder sa petite fille et de l'harmonie sans la présence du père. Kei a bien un amant, un homme marié qu'elle voit de temps en temps mais qui ne peut lui faire oublié ce mari tant aimé. En rassemblant ses souvenirs, et ses voyages à Manazuru, elle parle à une femme mystérieuse dont l'identité n'est jamais révélée. D'ailleurs cette femme ne serait-elle pas le fruit de son imagination, son double qui mènerait une vie idéalisée ?
Un roman évanescent, qui pose la question de l'abandon. Car Kei vit en fait dans la peur de l'abandon. Celui de sa fille quand elle quittera le foyer pour vivre sa vie de femme, celui de son amant qui se lassera d'elle, d'autant qu'elle le substitue à son mari lors de leurs échanges qui ne l'épanouissent pas. Le rôle de la famille, celle qu'on a créée, celle dont on rêve est central.
L'écriture fluide et poétique de l'auteure, pour une fois très bien traduite par Picquier, alterne les moments de vie quotidienne et de réel avec ceux imaginaires qui se passent dans les rêveries de Kei, cette femme qui n'arrive pas à tourner la page, et qui se demande inlassablement où est sa faute, si il y en a une.
C'est léger, poétique, fantasque et tendre. Une littérature qui affirme aussi la place des écrivaines japonaises.
Extraits :
Tandis que je marchais, j’ai senti que je n’étais pas seule.
La distance était trop grande, je ne pouvais pas savoir si c’était un homme ou une femme qui se trouvait derrière moi. Sans me poser davantage de questions, j’ai continué à avancer.
J’avais quitté dans la matinée l’auberge près de l’estuaire, et je me dirigeais vers la pointe du cap. J’avais passé la nuit dans un petit hôtel du bourg tenu par un couple dont l’âge laissait supposer que c’était la mère et le fils.
A mon arrivée de Tokyo après deux heures de train, il était neuf heures du soir et la façade était obscure. En fait de façade, le nom de l’auberge n’y figurait même pas, il y avait simplement un petit portillon de fer que rien ne différenciait d’une habitation ordinaire, avec deux ou trois pins de petite taille aux branches torsadées et une vieille plaque accrochée discrètement sur laquelle on découvrait le caractère «Sunna », « Sable » écrit au pinceau.Le refus de toute intrusion. J'ai conservé cette attitude depuis que Momo est tout bébé. A cette époque d'ailleurs, que je l'admette ou non, rien ne pouvait s'immiscer entre elle et moi. Elle m'était proche de nuit comme de jour. Ce n'était nullement un plaisir. C'était épuisant. Dans une complète immobilité, je vivais repliée sur moi-même, comme un fauve sur la défensive. J'allaitais, je faisais la cuisine, le ménage et la lessive, mon corps s'affairait du matin au soir sans un seul regard pour le monde extérieur. Comme on a le cou rentré dans les épaules, j'avais le regard recroquevillé.
Je n'ai pas enlevé son nom. Je continue à l'utiliser quand j'ai à me nommer. Oui, j'éprouve de la rancune, mais ce n'est pas dans la forme, c'est quelque chose au plus profond de moi, mon être tout entier, le noyau de mon corps éprouve du ressentiment pour ce mari disparu sans rien dire.
En même temps que mon corps entier en veut à Rei, quelque chose au plus profond de moi le réclame. Quelque chose dont Seiji ne peut pas se rendre maître. Il faut que ce soit Rei. Ce n'est pas parce qu'il avait le rôle d'époux, c'est l'homme qu'il était qui pouvait seul s'en rendre maître.Il paraît que si on arrive à voir en rêve ce qu'on a perdu, c'est le début de l'apaisement, l'indice d'une consolation possible.
Tout existe dans l'esprit. Tout ce qu'on a vu de ses propres yeux depuis qu'on est au monde, tout, y compris ce qu'on croit avoir oublié depuis longtemps, existe à l'état pur dans la conscience.
Et ça ne s'arrête pas là ! Même ce qu'on n'a jamais vu existe, jusqu'aux choses qu'on n'a encore jamais imaginées...Rei était comme le reflux.
On a beau se retenir, la marée descendante emporte tout.
Je me suis laissée enlever par Rei. Il avait le don de prendre les gens au dépourvu. Persuadée d'avancer sur une route unie, je ne me méfiais pas, et il s'était emparé de moi. Au bout de deux mois de fréquentation à peine, j'étais devenue incapable de penser à autre chose qu'à lui.Le vent a soufflé, faisant bruire les bouts de papier que j'avais fixés sur le frigidaire avec des aimants. La porte donnant sur le jardin était restées entrouverte.
Les morceaux de papier palpitaient comme des ailes d'oiseau. Ils gonflaient tant que j'ai même cru qu'ils allaient s'échapper de l'emprise de l'aimant, mais ils sont restés.De même qu'une seule goutte d'eau contient l'univers tout entier, le monde de l'enfance connaît peut-être tout de la vie.
Biographie
Née
en 1958 à Tokyo, Hiromi Kawakami est une romancière, critique
littéraire et essayiste japonaise. Elle sort diplômée de biologie
de l'université pour femmes d'Ochanomizu en 1980.
Sa première
nouvelle, "Kamisama" (littéralement : Dieu), est publiée
en 1994. Deux ans plus tard, elle reçoit le Prix Akutagawa pour
"Hebi wo fumu" (littéralement : Marcher sur un
serpent).
Depuis ses débuts en 1994, elle est devenue l'un des
écrivains les plus populaires au Japon, et l'un de ceux qui
parviennent à être publiés et reconnus en Occident .
En 1999,
Kamisama obtient le prix des Deux Magots et le premier prix Pascal
des jeunes auteurs de nouvelles, en 2000 Oboreru reçut le prix de
littérature féminine.
En 2000, sa nouvelle Sensei no kaban (Les
Années Douces, littéralement : La sacoche du professeur) est
récompensée par le prix Tanizaki. Hiromi Kawakami y raconte l'
histoire entre une jeune femme trentenaire, Tsukiko, et l'un de ses
anciens professeurs de littérature, septuagénaire, rencontré dans
un café. Ce roman a été adapté en manga par Jirô Taniguchi et
publié en japonais en 2008 et traduit en français en 2010.
Hiromi
a su s’imposer dans le monde littéraire japonais par la tonalité
très particulière de son style, à la fois simple et subtil dont
les thèmes privilégiés sont le charme de la métamorphose, l’amour
et la sexualité.
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