dimanche 25 septembre 2022

KAWAKAMI HIROMI – Manazuru – Picquier ou livre de poche - 2009

 

L'histoire

Manazuru c'est une île au Japon. L'île où a disparu le mari de Kei, Rei, dans des circonstances jamais élucidées. Depuis 10 ans, sa femme le cherche de temps en temps, en se rendant dans cette petite ville insulaire, envahie par les amateurs de pêche les week-ends, mais déserte et mystérieuse en semaine. Parce que c'est le dernier mot laissé par son mari. Fugue ? Suicide ? Meurtre ? Fei envisage toutes les hypothèses dans une ambiance où le temps semble se figer et avec l'impression de n'être jamais seule, mais avec une présence qui la suit.


Mon avis

Si vous aimez les livres où l'imaginaire, la poésie et le monde flottant sont comme des vagues d'émotion, il faut lire ce roman, magnifiquement écrit.

Kei, personnage central raconte son histoire. Cette femme d'une quarantaine d'année vit avec sa fille Momo, une adolescente joyeuse et parfois capricieuse comme peuvent l'être les adolescents. Sa mère vit aussi dans leur foyer à Tokyo où elle se charge de la cuisine, de garder sa petite fille et de l'harmonie sans la présence du père. Kei a bien un amant, un homme marié qu'elle voit de temps en temps mais qui ne peut lui faire oublié ce mari tant aimé. En rassemblant ses souvenirs, et ses voyages à Manazuru, elle parle à une femme mystérieuse dont l'identité n'est jamais révélée. D'ailleurs cette femme ne serait-elle pas le fruit de son imagination, son double qui mènerait une vie idéalisée ?

Un roman évanescent, qui pose la question de l'abandon. Car Kei vit en fait dans la peur de l'abandon. Celui de sa fille quand elle quittera le foyer pour vivre sa vie de femme, celui de son amant qui se lassera d'elle, d'autant qu'elle le substitue à son mari lors de leurs échanges qui ne l'épanouissent pas. Le rôle de la famille, celle qu'on a créée, celle dont on rêve est central.

L'écriture fluide et poétique de l'auteure, pour une fois très bien traduite par Picquier, alterne les moments de vie quotidienne et de réel avec ceux imaginaires qui se passent dans les rêveries de Kei, cette femme qui n'arrive pas à tourner la page, et qui se demande inlassablement où est sa faute, si il y en a une.

C'est léger, poétique, fantasque et tendre. Une littérature qui affirme aussi la place des écrivaines japonaises.


Extraits :

  • Tandis que je marchais, j’ai senti que je n’étais pas seule.
    La distance était trop grande, je ne pouvais pas savoir si c’était un homme ou une femme qui se trouvait derrière moi. Sans me poser davantage de questions, j’ai continué à avancer.
    J’avais quitté dans la matinée l’auberge près de l’estuaire, et je me dirigeais vers la pointe du cap. J’avais passé la nuit dans un petit hôtel du bourg tenu par un couple dont l’âge laissait supposer que c’était la mère et le fils.
    A mon arrivée de Tokyo après deux heures de train, il était neuf heures du soir et la façade était obscure. En fait de façade, le nom de l’auberge n’y figurait même pas, il y avait simplement un petit portillon de fer que rien ne différenciait d’une habitation ordinaire, avec deux ou trois pins de petite taille aux branches torsadées et une vieille plaque accrochée discrètement sur laquelle on découvrait le caractère «Sunna », « Sable » écrit au pinceau.

  • Le refus de toute intrusion. J'ai conservé cette attitude depuis que Momo est tout bébé. A cette époque d'ailleurs, que je l'admette ou non, rien ne pouvait s'immiscer entre elle et moi. Elle m'était proche de nuit comme de jour. Ce n'était nullement un plaisir. C'était épuisant. Dans une complète immobilité, je vivais repliée sur moi-même, comme un fauve sur la défensive. J'allaitais, je faisais la cuisine, le ménage et la lessive, mon corps s'affairait du matin au soir sans un seul regard pour le monde extérieur. Comme on a le cou rentré dans les épaules, j'avais le regard recroquevillé.

  • Je n'ai pas enlevé son nom. Je continue à l'utiliser quand j'ai à me nommer. Oui, j'éprouve de la rancune, mais ce n'est pas dans la forme, c'est quelque chose au plus profond de moi, mon être tout entier, le noyau de mon corps éprouve du ressentiment pour ce mari disparu sans rien dire.
    En même temps que mon corps entier en veut à Rei, quelque chose au plus profond de moi le réclame. Quelque chose dont Seiji ne peut pas se rendre maître. Il faut que ce soit Rei. Ce n'est pas parce qu'il avait le rôle d'époux, c'est l'homme qu'il était qui pouvait seul s'en rendre maître.

  • Il paraît que si on arrive à voir en rêve ce qu'on a perdu, c'est le début de l'apaisement, l'indice d'une consolation possible.

  • Tout existe dans l'esprit. Tout ce qu'on a vu de ses propres yeux depuis qu'on est au monde, tout, y compris ce qu'on croit avoir oublié depuis longtemps, existe à l'état pur dans la conscience.
    Et ça ne s'arrête pas là ! Même ce qu'on n'a jamais vu existe, jusqu'aux choses qu'on n'a encore jamais imaginées...

  • Rei était comme le reflux.
    On a beau se retenir, la marée descendante emporte tout.
    Je me suis laissée enlever par Rei. Il avait le don de prendre les gens au dépourvu. Persuadée d'avancer sur une route unie, je ne me méfiais pas, et il s'était emparé de moi. Au bout de deux mois de fréquentation à peine, j'étais devenue incapable de penser à autre chose qu'à lui.

  • Le vent a soufflé, faisant bruire les bouts de papier que j'avais fixés sur le frigidaire avec des aimants. La porte donnant sur le jardin était restées entrouverte.
    Les morceaux de papier palpitaient comme des ailes d'oiseau. Ils gonflaient tant que j'ai même cru qu'ils allaient s'échapper de l'emprise de l'aimant, mais ils sont restés.

  • De même qu'une seule goutte d'eau contient l'univers tout entier, le monde de l'enfance connaît peut-être tout de la vie.

Biographie

Née en 1958 à Tokyo, Hiromi Kawakami est une romancière, critique littéraire et essayiste japonaise. Elle sort diplômée de biologie de l'université pour femmes d'Ochanomizu en 1980.
Sa première nouvelle, "Kamisama" (littéralement : Dieu), est publiée en 1994. Deux ans plus tard, elle reçoit le Prix Akutagawa pour "Hebi wo fumu" (littéralement : Marcher sur un serpent).
Depuis ses débuts en 1994, elle est devenue l'un des écrivains les plus populaires au Japon, et l'un de ceux qui parviennent à être publiés et reconnus en Occident .
En 1999, Kamisama obtient le prix des Deux Magots et le premier prix Pascal des jeunes auteurs de nouvelles, en 2000 Oboreru reçut le prix de littérature féminine.
En 2000, sa nouvelle Sensei no kaban (Les Années Douces, littéralement : La sacoche du professeur) est récompensée par le prix Tanizaki. Hiromi Kawakami y raconte l' histoire entre une jeune femme trentenaire, Tsukiko, et l'un de ses anciens professeurs de littérature, septuagénaire, rencontré dans un café. Ce roman a été adapté en manga par Jirô Taniguchi et publié en japonais en 2008 et traduit en français en 2010.
Hiromi a su s’imposer dans le monde littéraire japonais par la tonalité très particulière de son style, à la fois simple et subtil dont les thèmes privilégiés sont le charme de la métamorphose, l’amour et la sexualité.


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samedi 24 septembre 2022

CHIGOZIE OBIOMA – la prière des oiseaux – Éditions Buchet-Chastel 2020 (ou poche pocket)

 

L'histoire

Un paysan pauvre sauve du suicide une jeune femme Ndali, qui elle, vient d'un milieu aisé. Il en tombe amoureux, mais ils ne sont pas du même milieu social. Pour la séduire, Nonso va suivre un parcours exemplaire. Il va aller étudier à Chypre, mais sa trop grande naïveté, sa gentillesse naturelle et le peu de culture vont hélas malmener ses projets et le contraindre à la violence.


Mon avis

Un livre qui va voir faire voyager au Nigeria et plus particulièrement dans la culture Igbo, dont est issu ce jeune auteur.

L’originalité du récit est qu'il est raconté par le Chi, sorte d'âme dans la culture igbo, le double spirituel du sujet et par son opposé l'Onyeuwa, sa personne physique incarnée sur cette terre. En résumé, la religion de ce peuple qui se situe au sud-ouest du Nigeria. Troisième ethnie de ce pays, elle compte environ 18 millions de personnes, a sa propre langue. Ils sont souvent des agriculteurs. Après la colonisation anglaise, beaucoup ont été converti à la chrétienté, mais une minorité de la population reste fidèle à ses traditions millénaires. Le peuple igbo a payé un lourd tribu lors de l'esclavage (165% des esclaves entre 1650 et 1900). La société est organisée en clan. Leur cosmologie est riche et le livre s'inspire de nombreuses légendes qui lui donnent ce charme si particulier

Et bien évidemment il y a le volet social. Quand on est pauvre, on ne réussit pas. Hélas la situation est toujours actuelle. Les igbos ne parlent pas tous anglais, et font partie des populations les plus pauvres du Nigeria. On y voit bien les dégâts subis par la mondialisation : arnaques pour partir en Europe, perte des racines, la sagesse des anciens n'est plus écoutée, la religion s'efface au profit de la technologie et on y parle même de "Qui veut gagner des millions ?" . Mais ce qui frappe le plus, c’est le style de l'auteur, mouvant, entre les dialogues avec le chi (que Nanso n'écoute pas souvent). Écrit au « Je » pour le chi, et à l'impersonnel pour le reste de l'histoire, nous passons de moments de poésie pure à des instants cruels, durs. L'esclavagisme est aussi évoqué plusieurs fois, comme une cicatrice qui ne se refermera jamais. Mais aussi la corruption, et tous les travers d'un monde qui ne va pas mieux ici qu'ailleurs.

Un chef d’œuvre à lire pour un voyage enchanteur. D'ailleurs n'est-ce pas un voyage que fait Nonso, entre les travers de la vie, des rencontres improbables, des amours impossible. Et Nonso était le Ulysse africain d'Homère ?


Extraits :

  • L'homme malade commence par éprouver une sensation inhabituelle. A mesure que la douleur se répand dans son corps et que le glas de la fièvre résonne dans son crâne, des émotions surgissent, à commencer par une nervosité insolite. (...) Alors une forme d'angoisse met peu à peu sa machinerie en place. (...) Jusqu'à quand,jusqu'à quels extrêmes la maladie va-t-elle persister? L'homme est submergé d'angoisse. Mais il n'y a pas que cela. Vient la stupéfaction de voir la maladie prendre possession de son corps, dicter quelles parties du corps il faut lui céder, et comment il faut lui complaire pour espérer guérir. Mais le plus grave, c'est comment la maladie instille chez le malade la conviction qu'il en est lui même la cause.(...) Alors la maladie devient le serpent silencieux qui, délogé de sa paisible demeure, en conçoit rage et rancœur, et qui inflige ainsi sa vengeance légitime.

  • Dès qu’il s’endormit, comme souvent quand il entre dans cet état d’inconscience, je me défis des barrières de son corps. Même sans en sortir, je parviens souvent à percevoir ce qui m’est caché lorsqu’il est éveillé. Comme tu le sais puisque tu nous as créés, nous sommes des créatures qui ignorent le sommeil. Nous existons comme des ombres qui parlent le langage des vivants. Et même durant le sommeil de nos hôtes, nous demeurons éveillés. Nous veillons sur eux contre les forces qui s’animent dans la nuit. Lorsque dorment les hommes, le monde de l’éther déborde de bruit, d’agitation, de la susurration des morts. Agwus, fantômes, akaliogolis, esprits et ndiichies de passage sur la terre surgissent des yeux aveugles de la nuit et arpentent la terre avec la liberté des fourmis, oublieux des limites humaines, indifférents aux murs et aux clôtures. Deux esprits en querelle peuvent très bien, en se bagarrant, basculer dans une maison et atterrir sur la tête d’une famille sans même y prendre garde. Parfois, ils se contentent de pénétrer dans les demeures des humains pour les observer...

  • Il venait grossir le troupeau évoqué par Tobe, celui de tous ces gens dépouillés de leurs biens : la jeune Nigériane près du commissariat, l'homme de l'aéroport, et tous les captifs du passé ou du présent contraints de faire ce qu'il ne voulaient pas, pris dans un système qu'ils refusaient. Innombrables. Tous ceux qu'on a enchaînés et battus, au territoire pillé, à la culture éradiquée, tous ceux qu'on a réduits au silence, violés, déshonorés, assassinés. Avec tous ces gens, il partageait désormais un sort commun. Ils étaient les minorités du monde, avec pour seul recours l'orchestre universel qui n'avait plus qu'à pleurer et gémir.

  • Si la proie ne donne pas sa version de l’histoire, le prédateur sera toujours le héros des récits de chasse. (Proverbe igbo)

  • Ô Olisabinigwe, les glorieux anciens disent que, lorsqu'un homme pénètre en pays inconnu, il redevient un enfant. Ô Egbunu, le silence est souvent la forteresse où se réfugie l'homme brisé, car c'est là qu'il peut communier avec son esprit, son âme et son chi.

  • Rien en ce monde n'appartient vraiment à personne. Si on conserve ce qu'on possède, c'est parce qu'on s'y accroche, qu'on refuse de lâcher. En étant ici, debout, sous un toit, je m'accroche à ma vie. Si je lâche, on me l'enlèvera.

  • Ô Ebubedike, les anciens disent d'un homme angoissé et effrayé qu'il est enchaîné.

  • Au temps des grands anciens, seuls les fainéants, les oisifs, les infirmes ou les maudits vivaient dans le besoin, mais aujourd'hui presque tout le monde était dans ce cas. Il suffit de s'aventurer sans les rues, au coeur de n'importe quel marché du pays igbo, pour voir des travailleurs, des hommes aux mains dures comme des pierres, aux vêtements trempés de sueur, qui vivent dans une atroce misère.

  • ans tout le pays des anciens, le sanctuaire d'Ala, la déesse mère, se dressait souvent aux abords du marché. Dans l'esprit des anciens, c'était également un lieu de rassemblement humain par excellence, un endroit propre à attirer les esprits les plus anarchiques : akaliogolis, amosus, esprits manipulateurs, et toutes sortes de créatures errantes et désincarnées. Car sur terre, un esprit sans hôte n'est rien. Il faut habiter un corps pour avoir le moindre impact sur les choses de ce monde. Ainsi ces esprits sont-ils constamment en chasse de réceptacles à occuper, en une quête insatiable de matérialisation.

  • Ô Gaganaogwu, les jours de la vie des amants finissent par se ressembler au point de ne plus se distinguer les uns des autres. Les amants portent dans leur cœur les mots de l’être aimé qu’ils soient ensemble ou séparés ; ils rient ; ils parlent ; ils font l’amour ; ils se disputent ; ils mangent ; ils s’occupent ensemble du poulailler ; ils regardent la télévision et rêvent d’un avenir ensemble. C’est ainsi que le temps file et que les souvenirs s’amassent jusqu’à ce que leur union devienne la somme de tous les mots qu’ils se sont dits, de leurs rires, de leurs étreintes, de leurs disputes, de leurs repas, de leur travail au poulailler, de toutes les choses qu’ils ont faites ensemble. Lorsqu’ils sont l’un sans l’autre, la nuit leur devient indésirable. 

Biographie

Né en 1986 à Akure, Nigeria, Chigozie Obioma est un écrivain nigérian.
Né dans une famille de douze enfants, il fait des études supérieures à la Cyprus International University à Chypre, où il obtint une bourse et un poste d'enseignant.
Il s’est offert une entrée en littérature fracassante en 2015 avec la publication de son premier roman intitulé "Les Pêcheurs" ("The Fishermen"), finaliste du très prestigieux Prix Booker. Ce roman obtient également le prix du premier roman du "Guardian", le prix des nouvelles voix Afrique et Moyen-Orient du "Financial Times" et est traduit dans 26 langues.
Une année plus tard, il part aux États-Unis, où il suit des cours de l'écriture créative à l'Université du Michigan.
Chigozie Obioma enseigne la littérature et l'écriture créative à l’Université du Nebraska à Lincoln.
Son deuxième roman, "La prière des oiseaux" ("An Orchestra of Minorities", 2019), une grande épopée romanesque, a reçu un accueil dithyrambique de la presse étrangère et était finaliste du Prix Booker 2019.


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TANIZAKI JUN'ICHIRO – Noir sur Blanc – Picquier Poche - 2019

 

L'histoire

Mizuno, un écrivain médiocre mais très imbu de lui-même publie des romans sen format de feuilletons dans un journal de Tokyo. Réputé pour son cynisme, il s'inspire d'un journaliste réputé et décide de l'assassiner dans son prochain roman, en se mettant en scène comme l'assassin. Par ailleurs il est fasciné par une femme étrange, habillée à l'occidentale qui se prostitue selon le règlement très stricte qu'elle impose. Mais à force de jouer ce qu'on est pas, on finit par se piéger soi-même


Mon avis

Manuscrit écrit en 1927, les éditions Picquier ont fait traduire ce manuscrit en 2019. Moi qui adore cet auteur , un des plus grand de sa génération, je regrette une fois de plus la traduction peu fluide de Picquier. Je ne retrouve pas le style habituel et vivace de l'auteur.

Bien évidemment, Tanizaki se met en scène dans ce personnage d'écrivain cynique et qui se veut machiavélique. Car toute sa vie, Tanizaki aura pour obsession non as de choquer pour le plaisir de choquer mais pour renouveler la littérature japonaise, en s'attaquant aux tabous de l'époque, homosexualité, obsessions sexuelles, désir et haine, vengeance.

Ici c'est un roman mal traduit qui aurait du receler l'humour implacable de l'auteur. Déjà les premiers pages prêtent à confusion entre Kodama (le héros du livre) et Kojima, le personnage réel et Koyama dans la suite commandée par le journal.

Hors tout tourne autour de la personnalité de Mizuno, un homme plus très jeune, peu séduisant, qui sort peu, si ce n'est pour aller au cinéma, ou dans les maisons de prostitution et s'enivrer. Par ailleurs, il méprise tout le monde, persuadé de son génie. Pourtant il procrastine, passe plus de temps à trouver des stratagèmes pour échapper à son éditeur qu'écrire et bien sur, l'arroseur fini arrosé.

Pourtant on prend un sacré plaisir à travers ce personnage, qui en fait cache sa sensibilité (il tombe réellement amoureux de cette femme dite « l'occidentale » dont il ne saura jamais ni le prénom, ni le lieu réel où elle vit, comme un écho à ses mensonges un peu idiots. Il finit même par éprouver de la tendresse pour son ex-femme dont il a divorcé car il la trouvait ennuyeuse. Le portait d'un homme qui gâche son destin, alors qu'il pourrait avoir une grande carrière littéraire est dépeint magistralement par l'auteur japonais, qui a lui, bien du s'amuser à écrire ce livre.


Extraits :

  • Pour dire les choses franchement, si le personnage de l’écrivain du roman choisissait Kodama pour victime sans y mettre aucune implication personnelle, ce n’était pas en revanche sans une certaine animosité que Mizuno avait choisi Kojima pour modèle. Certes, un type avec « une tête à se faire assassiner », ça n’existait pas, on ne pouvait pas dire ça d’un seul individu dans le monde entier, mais si cela avait été, eh bien, Kojima aurait assez bien correspondu à la description. Depuis quelque temps, ce genre de fulgurance lui venait parfois. Évidemment, la gravité d’un crime ne dépend pas de la personnalité de la victime. Mais, toute pensée rationnelle mise à part, s’il fallait en tuer un, eh bien oui, sans doute celui-ci plutôt que celui-là… ou bien, si un type dans son genre se faisait assassiner, eh bien, ma foi, cela ne serait pas si grave… Voilà ce qu’il en venait à se dire. Comme au théâtre, dans la scène avec Mitsugi, le sabreur en série, lorsque se pointe un type en simple kimono de coton qui se fait d’emblée couper en deux par le tueur, pour la seule raison qu’il a croisé sa route. À tous les coups, ce genre de personnage est un maigrichon à la peau mate, au physique ingrat, visage et corps affligeants, bref, ce n’est pas gentil à dire, mais le genre de type, tu souffles dessus, il s’envole. La dignité d’un insecte. Mizuno lui-même n’avait rien d’un bel homme, il était malingre et chétif. À l’époque où il fréquentait le salon de thé Kadoebi, après plusieurs jours sans décoincer, quand il traînait jusqu’à midi assis devant le brasero de la grande salle, la tête prise dans la gueule de bois de la veille, il se disait à lui-même : « Si maintenant entre un type qui a perdu la tête comme Mitsugi et fait un carnage, je figurerai parmi les morts qui se prendront un coup de sabre sans même l’avoir cherché. » Voilà, en un mot, Kojima, c’était ce genre-là. Dès la première fois qu’il l’avait rencontré, quand il était venu le voir avec Suzuki, vraisemblablement, oui, dès le premier rendez-vous, à peine avaient-ils échangé quelques mots que cela lui était venu à l’esprit : « Pauvre type… » Il y a des visages sans intérêt qu’on oublie généralement une heure ou deux après les avoir quittés. Mais Kojima, c’était pire que ça, c’était un visage tellement insignifiant qu’il s’était au contraire imprimé dans son souvenir. Il ignorait de quelle région il était originaire, en tout cas il n’était pas de Tokyo. Vous ne trouverez pas de Tokyoïtes avec un visage aussi plat et aussi mièvre. De complexion, il aurait pu être carrément noir, cela aurait mieux valu que ce teint vaguement bistre comme le cuir d’une vieille godasse. Un nez bas, une lumière étique dans les yeux, une face sans le moindre relief ni la moindre dynamique, comme si elle n’était que bajoues, et en même temps un maniérisme affecté dans les moindres détails. Bref, autant dire que ce n’était pas seulement son teint, c’était dans son ensemble que son visage ressemblait à une vieille chaussure. Et avec ça, une voix opaque, sèche, dénuée de charme, mâchant les mots de façon incompréhensible. On entendait une voix, mais quand on le regardait, les mouvements de sa bouche ne correspondaient pas, bref, une chaussure qui parle, il n’y a pas d’autre mot.

  • Il était habitué à la vie de bohème depuis son jeune âge, ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait s'abîmer dans la neurasthénie du solitaire; n'empêche, les gares suscitent toujours ce sentiment ambivalent, inhérent aux voyages, comme lorsqu'on regarde le soleil couchant loin de son pays natal, surtout quand la nuit est froide comme ce soir.

  • L'homme ne contrôle pas son esprit, son cerveau n'est que l'appareil de projection de son cinématographe intérieur; un projecteur automatique pour tout dire, d'où jaillissent les monstres des films délirants qu'il a décidé de visionner et qu'il s'oblige à regarder.

  • Depuis qu’il était né, il n’avait jamais éprouvé d’amour pour quiconque, hormis pour sa propre personne. Le monde n’est qu’un grand n’importe quoi de bout en bout, voilà le nihilisme sous-jacent qui parcourait son œuvre. Et plus son talent artistique s’amenuisait, plus il se sentait enclin à appliquer cette idée à la vie elle-même. D’un côté, c’était à cette mentalité qu’il devait de n’avoir aucun véritable ami et de mener la vie recluse et cynique qui était la sienne. S’il n’avait eu ce don particulier pour la fiction, sa vie n’aurait été que vanité et solitude. Mais d’un autre côté, il ressentait le besoin de se tester : n’éprouvait-il vraiment aucune mauvaise conscience ? Le seul fait de se le demander était la preuve que déjà la folie couvait en lui, il ne s’en était simplement pas encore rendu compte. De toute façon, à son sens, sentir le poids de la conscience relevait tout bonnement de la névrose. Le système nerveux de l’homme est tellement délicat. Qu’on force sur ses capacités cérébrales ou qu’on soumette son esprit à une stimulation un tant soit peu excessive, et le voilà qui s’épuise et se détraque en un rien de temps, sans avoir pour cela besoin de commettre quoi que ce soit d’immoral. Par conséquent, c’était bien simple, pour accomplir un crime sans être oppressé par le fardeau de la conscience, il suffisait, soit de tromper son système nerveux, soit de l’endormir jusqu’à ce qu’il s’accoutume au mal. Et dans la mesure où « tromper son système nerveux » signifiait tout simplement « agir avec logique »… il devait être tout à fait loisible d’enseigner à ses nerfs que commettre un acte de ce genre n’avait rien d’effrayant, qu’il ne s’agissait au contraire que de mettre héroïquement en accord ses actes avec ses idées. Il suffisait de s’endurcir peu à peu dans le mal en surveillant ses réactions nerveuses du coin de l’œil pour devenir capable d’accomplir n’importe quel crime en toute indifférence.

Biographie

Né en 1886 et mort en 1967 à Tokyo, Né dans une famille aisée de marchands, fortune due à l'ingéniosité de son grand-père, il fait de brillantes études à l'Université impériale de Tôkyô, mais en 1910 la ruine de son père le contraint à les interrompre. Il considéra son père comme un être faible qu'il transposera dans ses écrits. La même année, il publie son premier texte, une nouvelle cruelle et raffinée, "Le Tatouage", dans la revue qu'il a fondée avec quelques amis. L'histoire de la belle courtisane et de son tatouage en forme d'araignée fait scandale et lance sa carrière d'écrivain.

En 1913, il rassemble toutes ses nouvelles dans un recueil intitulé "Le Diable" et subit les foudres de la censure qui les juge « immorales ». Il publie sans trêve drames, comédies et scénarios à une époque où le cinéma en est encore à ses balbutiements, il traduit également la pièce d'Oscar Wilde "L’Éventail de Lady Windermere".
Installé à Yokohama, il fréquente les résidents étrangers et découvre l'image de la femme occidentale. Lorsqu'un terrible tremblement de terre détruit la ville en 1923, il s'installe définitivement dans le Kansai. Le séisme le bouleverse profondément : alors qu'il puisait son inspiration dans un Occident et une Chine exotiques, il revient vers le Japon à partir de 1924, date à laquelle paraît son premier roman, "Un amour insensé".
Dans les années 30, il multiplie les publications : "Yoshino" (1931), "Le Récit de l’aveugle" (1931), "Histoire secrète du sire de Musashi" (1932), "Le Coupeur de roseaux" (1932), "Shunkin, esquisse d’un portrait" (1933), "Éloge de l'ombre" (1933).

Il se consacre ensuite à la traduction en japonais moderne de "Le Dit du Genji" de Murasaki Shikibu. En 1943, la publication en feuilleton de son chef-d'œuvre "Quatre sœurs" est interdite car jugée inconvenante en temps de guerre. Après la guerre, Tanizaki publie des romans audacieux comme "La Mère du général Shigemoto" (1950) et "La Clef : La Confession impudique" (1956).

Son état de santé s’aggrave après 1960. Sa souffrance et son obsession de la mort apparaissent dans son "Journal d’un vieux fou" (1961).
En 1964, il fait partie des six derniers candidats retenus de la short list du comité Nobel.
Décerné en son honneur, le prix Tanizaki est l'une des principales récompenses littéraires au Japon


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lundi 19 septembre 2022

THOMAS B. REVERDY – Climax – Flammarion 2021 – ou J'ai Lu en poche

 

L'histoire

En Norvège, un petit de pêcheur village est coincé au creux d'un bras de mer. Les maisons s'enfoncent alors que l'on est proche du cercle attique où la nuit dure presque trois mois. Ces dernières années, grâce à l'exploration pétrolière, a été construit sur l'autre rive tout un port de commerce moderne, un des premiers ports de l'arcoil, le pétrole de l'Arctique.

Deux événements se produisent : un accident sur la plate forme de forage au large, dans lequel deux Russes perdent la vie avec un troisième dans un état critique et une fissure qui menace dangereusement le glacier. Et si tout était lié ?
Ces faits vont remettre en présence la bande d'amis des années 1990. Trois anis d'enfance se retrouvent pris dans ce roman écologique.


Mon avis

Dans le genre « fin du monde », nous sommes servis. Nous avons Noah le personnage principal qui est le héros de ce livre entre polar, roman écologique et légendes nordiques, que j'adore particulièrement.

Véritable interrogation sur l'avenir de notre planète, Climax pourrait se lire comme un livre d'aventures mais l'enjeu est trop grave et il est difficile après sa lecture de rester optimiste.
Non seulement, le changement est en cours, mais certains ont compris tout le profit qu'ils pouvaient tirer du réchauffement et vont encore l'accentuer à seul but de profit, mettant tout l'écosystème en péril…
Non seulement l'homme est responsable du réchauffement climatique, mais, plutôt que d'en tirer la leçon et de faire le maximum pour le limiter, continue à l'aggraver. Évidemment, Climax est une fiction, et peut-être tout n'est pas irrémédiable, mais l'urgence est là.
Par bonheur, le personnage de Anders qui garde toujours un œil rêveur et émerveillé sur la beauté qui l'environne apporte une note poétique. Il aime la solitude et la nature, affirmant « La solitude, dans la nature, ce n'est pas pareil… Dans la nature, on a pour soi la beauté du monde » : une belle note lumineuse dans ce monde déréglé ! Quant à Knut nous savourons par procuration sa vengeance avec ses chiens sur ce Russe trafiquant et son équipe.
Climax roman très contemporain et un roman à suspens, même si l'on en pressent l'issue, roman dans lequel l'auteur effectue un constat écologique pour le moins alarmiste. Ce magnifique décor du grand Nord dans lequel se déroule l'aventure apporte une splendide touche lumineuse avec la beauté de la nature mais, malheureusement, avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, prend une dimension crépusculaire. On aurait presque envie de se visiter ses fjords mystérieux et beaux. Pour le reste, le constat de la fonte des glaciers fait l'objet de communications régulières,  ^par le GIEC et les ONG. J'ai personnellement préféré le roman de Michael Farris (ICI) qui par son coté angoissant et réaliste me parle plus.


Extraits :

  • Toutes les jeunesses sont éternelles. Après cela nous changeons, nous vieillissons. Nous faisons des choix, plus ou moins, la vie choisit aussi pas mal de choses à notre place, et peut-être qu’avec le temps toutes les bifurcations deviennent de plus en plus automatiques, jusqu’à ce que nous ne fassions plus de choix du tout, jusqu’à ce que nous soyons vieux c’est-à-dire immuables en quelque sorte, mais quand on se retourne, notre jeunesse, elle, est toujours là. Tout le temps de notre vie elle demeure, elle nous sert de repère, elle est là, qu’on ait aimé ou non la vivre, elle est toujours là debout et on y fait toujours la même gueule, qu’elle soit chouette ou pas, la même gueule indécise, étonnée que quand on mourra, le sourire de travers. Notre jeunesse est éternelle.

  • Les gens qui n’ont jamais grimpé ne savent pas à quel point c’est facile. On imagine qu’il faut une force herculéenne pour se hisser à bout de bras, les mains crochées dans la paroi, les doigts tétanisés, et tout ce gros corps derrière qui tire vers le bas, mais c’est tout le contraire : ce n’est qu’une question d’équilibre entre les points d’appui, de placement du bassin. Hors le vertige, ce n’est presque qu’une posture de yoga, la même sensation de légèreté dans le mouvement, comme une araignée qui ne pèse plus sur sa toile, avançant de toutes ses pattes à la fois sans jamais pencher d’un côté, le corps soutenu, suspendu comme un ressort. L’alpiniste ne lutte pas contre la pesanteur, il s’en sert pour la défier.

  • La solitude, dans la nature, ce n’est pas pareil. Dans la nature, on n’est jamais seul. On fait partie de quelque chose de plus grand, qui nous oblige à vivre à son rythme et selon ses lois. Dans la nature, on a pour soi la beauté du monde.

  • Puis le soleil reviendra hanter le ciel blanc, il y aura des crépuscules et des rivières de nouveau, des mousses qui fleuriront, de petits arbustes peuplés d'insectes et des rongeurs qui sortiront de leurs tunnels pour profiter du jour, il y aura le retour des grues blanches, des migrateurs de tous poils, des rennes dans les alpages, ce sera l'été.

  • Son cousin Ursus Arctos, malgré son nom, n’était que l’ours brun d’Europe, présent dans les Alpes et chassé à courre dans les Pyrénées jusqu’au milieu du XIXe siècle, puis disparu, puis réintroduit et devenu, au début du siècle suivant, un symbole et une ligne de front entre éleveurs et écologistes.

  • La couleur du ciel au couchant, quand monte la nuit, baisse le jour, la couleur changeante du ciel, ce n'est pas une couleur, c'est du temps qui passe.


Biographie

Thomas B. Reverdy est un romancier français né en 1974.
Au cours de ses études de lettres à l'université, il travaille sur Antonin Artaud, Roger Gilbert-Lecomte et Henri Michaux. Il participe aussi à cette époque à la revue "La Femelle du Requin", dont il dirige la publication du numéro 4 au numéro 12.

Il obtient l'agrégation de lettres modernes en 2000. Il enseigne depuis dans un lycée de Seine-Saint-Denis, le lycée Jean Renoir. Il raconte cette expérience de professeur dans "Le Lycée de nos rêves", coécrit avec Cyril Delhay.
Ses trois premiers romans, "La Montée des eaux" (Seuil, 2003), "Le Ciel pour mémoire" (Seuil, 2005) et "Les Derniers Feux" (Seuil, 2008), constituent une sorte de cycle poétique. Ils abordent les thèmes du deuil, de l'amitié et de l'écriture.
En 2010, "L'Envers du monde" propose une intrigue policière aux implications morales et philosophiques, dans le New York de l'après 11-septembre. L'ouvrage obtient l'année suivante le Prix François-Mauriac.
Publié en août 2013, "Les évaporés" est couronné la même année par le Grand Prix Thyde Monnier de la Société des gens de lettres et en 2014 par le Prix Joseph-Kessel.

son site :http://www.thomasreverdy.com/




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MINATO KANAE – Expiations, celles qui voulaient se souvenir – Éditions Akatombo - 2019

 


L'histoire

Par une chaude après-midi d'été, dans un petit village montagnard du Japon, la petite Emiri 10 ans se lait enlever, violer et tuer, alors qu'elles jouent avec ses copines. Lesquelles absorbées par leur jeu n'ont pas vu le temps passé et finissent par découvrir le drame, affolées et effrayées. Elles seront les seules témoins et seront hantées à jamais par le drame.

18 ans plus tard, elles doivent rendent des compte à l'impétueuse et riche maman d'Emiri qui leur avaient posé un ultimatum. Les considérant comme des meurtrières, elle a impose aux 4 petites filles, soit de trouver le tueur, soit d'expier, en les menaçant de gâcher à jamais leur vie. Qui va relever le pari ? Que va-t-il devenir des menaces de cette mère dévastée par la rancœur.


Mon avis

Dans les polars japonais, je ne connaissais que Harakami Ryu, dont j'avais lu quelques livres, il y a longtemps, préférant la littérature japonaise classique, de Kawabata à Kensaburo Oé ou Murakami Ru (auteur plus contemporains.

Un livre qui baigne dans une atmosphère étrange, entre le japon rural où les choses se font routinières et le Japon branché de Tokyo.

Raconté toue à tour par les 4 fillettes devenues adultes, ce sont quatre destins de femmes qui basculent. Que peut -on faire quand on perd jeune une amie. L'enquête de police ne donne rien, les fillettes ne sont pas vraiment suivies par des psychologues et leurs souvenirs sont imprécis.

Sae, très petite jeune femme, timide et fragile se marie avec un homme pervers qui l'habille en poupée, et ce sera son drame.

Maki, réputée la chef de la bande, grande et d'un caractère de chef devient institutrice et sauve une classe d'enfants d'un malade mental qui est prêt à tuer.

Akiko, ronde et sportive se noie dans la dépression, elle a peur du tueur et cette peur n'est pas comprise par sa famille jusqu'à ce qu'un drame familial vienne interrompre la supposée harmonie familiale

Enfin Yuka, est la cadette d'une sœur chérie par sa mère, car elle asthmatique. Se sentant rejetée par sa famille, elle devient kleptomane, puis tombe enceinte du mari de sa sœur dont elle est secrètement amoureuse. Affligée par une myopie depuis son enfance, elle est la seule à se mettre en quête du tueur qu'elle n'a pas pu voir.

Quatre femmes d'origine sociale très moyenne, plutôt paysanne qui n'ont pas vraiment d'ambition dans la vie, à part suivre leur petit bonhomme de chemin. Et puis Emiri, qui elle vient d'un milieu aisée qui vit dans un immense appartement, et qui fascine ses jeunes camarades.

Alors que le langage est ditons ordinaire (les deux traducteurs ont expliqué leur difficulté a retranscrire le travail de l'auteure, l'intrigue l'est moins. C'est un roman où l'angoisse plane, où ce que nous considérons nous comme de la maltraitance infantile est une arme de vengeance. La vie provinciale japonaise y est décrite avec un mélange de traditions ancestrales et de relatif modernisme, parce que c'est une petite ville enclavée.

Présentée par ses pairs comme "la reine du Iyamisu", terme japonais désignant des thrillers à l'arrière-goût désagréable, Kanae Minato nous offre avec Expiations, Celles Qui Voulaient Se Souvenir, un récit choral à la fois terrifiant et raffiné où les vies de cinq femmes se désagrègent dans l'amertume de la faute, du remord et du désarroi.



Extraits :

  • Je ne vous pardonnerai jamais. A moins que vous ne trouviez le meurtrier avant l’expiration du délai de prescription. Si vous ne pouvez pas le faire, trouvez une façon d’expier qui soit acceptable pour moi. Si vous ne parvenez pas à faire ni l’un ni l’autre, je vous le dis, je me vengerai de chacune de vous.

  • Tentant de me persuader que c'était la bonne explication, j'entrais dans la chambre pour y faire le ménage La poupée à la douce expression m'attendait. Emme était vêtue d’une robe rouge. A part le lit, la chambre était meublé d'une, table en bois et d'une armoire en bois gravée de manière identique. Lentement je m'approchai de l’armoire et puis écartai d'un coup ses battants. Elle comprenait des robes exactement identiques pour la poupée et pour moi.

  • mon mal au front est immédiatement généralisé à toute ma tête. Comme si j'allais me fendre en deux, Je ne comprenait pas ce qui m'arrivait, un sentiment de profond dégoût est monté en moi. C'était exactement ce que j'avais éprouvé à la découverte du cadavre d'Emiri. Je n'aurais jamais du ouvrir cette porte. Je me suis souvenue combien de fois je l'avais regretté.

  • Incroyable avait dit mes copines. Même Akiko a imaginé cette robe. Mais c'était tout ce que je pouvais faire pour être mignonne. Les jolies choses ne vont pas à une ourse. Alors je les aimais en secret. Et cela me suffisait bien.

  • Vous, les parents qui êtes ici, je me demande comment vous apprenez la prudence à vos enfants ? J'espère que personne ici ne croit que c'est entièrement de la responsabilité de l'école

Biographie

Née en 1973 au Japon , Kanae Minato est une auteur japonaise de thriller. Née en 1973 à Innoshima, dans une famille d’arboriculteurs, Kanae Minato mène une mission humanitaire de deux ans en Polynésie avant de devenir enseignante. Elle s’essaie à l’écriture à partir de 2004. Son premier roman, Kokuhaku (Les Assassins de la 5e B), Grand Prix des libraires du Japon 2009, est un succès foudroyant avec plus de trois millions d’exemplaires vendus. L’œuvre de cette romancière fréquemment primée compte de nombreuses nouvelles et plus d’une vingtaine de romans. En 2019, Atelier Akatombo a publié Expiations, celles qui voulaient se souvenir, puis en 2021 Nostalgie.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kanae_Minato


Les éditions Akatombo ont été fondées en 2019 par un couple de français qui a vécu 15 ans au Japon. « En créant Atelier Akatombo en 2018, nous avons souhaité offrir un voyage aux lecteurs francophones en leur proposant les traductions de certains des ouvrages des terres flottabtes du Japon. Si mille excursions sont depuis longtemps offertes au public, aussi bien dans le domaine de la mode ou du manga, voire de l’électronique ou de la gastronomie, il en existait finalement peu dans celui du roman de genre. La tradition est pourtant ancienne au Japon, puisqu’elle démarre vers 1666 avec l’écrivain et moine Asai Ryōi et son héros Ukiyobō qui atteint l’illumination grâce à une vie de débauches urbaines.

Leur site ; https://atelier-akatombo.com/la-maison



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Gilda Piersanti – Les somnambules – Éditions Le Passage Noir ou Poche Pocket 2021

 

L'histoire

Quand la fillette de 13 ans de Gabriele, honnête docteur à Rome, est enlevée, c'est tout un passé enfoui qui ressurgit. Ils étaient 3 copains, Dario, Massimo et Gabriele qui ont fait les pires bêtises de jeunesse, mais ont surtout commis un acte horrible, pour lesquels ils n'ont jamais été poursuivis. 25 ans plus tard, le passé se rappelle à eux, et menace les belles situations qu'ils ont construits. Dario est devenu un ministre respecté, Massimo un très riche entrepreneur, et Gabriele un honorable médecin. Mais quand le danger menace de les ruiner, c'est alors du chacun pour soi, et tous les coups sont bons à jouer. Et surtout les pires.


Mon avis

Avec plaisir, nous retrouvons ici Gilda Piersanti dans un polar assez inattendu. Elle explore les domaines de la vengeance, du ressentiment, et de la haine.

Les 3 héros masculins sont presque des caricatures du pire. Dario est un homme devenu puissant, surtout grâce à sa femme Simona qui agit dans l'ombre pour régler les problèmes possibles et les obstacles à la réussite de son mari. Cet homme imbu de lui-même, qui a toujours su être le leader à coups de flatterie ou de pressions. Massimo est passablement riche, mais l'amour ne peut pas acheter le cœur, et le sien bat pour Alice, la femme de Gabriele. Enfin Gabiele, un homme rongé par le remords, qui veut avant tout sauver sa fille, et qui ne veut plus être considéré comme le sous-fifre de la bande.

A cette galerie de personnages s'ajoutent les personnages de Valentina, Francesco et sa mère. Valentina vit à Los Angeles depuis qu'un drame a endeuillé sa vie d'adolescente et dont, à part des cicatrices, elle n'a aucun souvenirs. Humaine, renfermée sur elle-même, elle est le seul personnage attachant, par son passé, par son travail acharné d'artiste et de femme érudite. Francesco, l'enfant non désiré, frère de Fabrizio mort dans un incendie, fait tout pour plaire à sa mère, une mater dolorosa qui ne se remet pas de la mort de son fils adoré et utilise le cadet comme bon lui semble, entre menaces, chantage affectif, mais sans lui donner la moindre attention.

Ici les thèmes de l'emprise, et de la vengeance sont parfaitement exploités.

Tous ces personnages qui sont aussi manipulateurs que cabossés par la vie n'auront qu'une idée : sauver ce qui peut encore l'être. Et en prime une petite visite d'un quartier de Rome insolite, un peu du vieux Rome populaire qu'affectionne tant l'autrice. Inutile de vous dire que ce livre, écrit avec une apparente légèreté, assez dialogué, va vous enchanter par son suspens, sa vivacité, et son machiavélisme. On n'en attendait pas moins de Miss Piersanti, dont le talent n'est jamais pris en défaut.


Extraits :

  • La vie qu’il menait lui imposait des pauses, s’il voulait continuer à la vivre ; son psy n’avait de cesse de le lui répéter et sa femme d’en tirer les conséquences. Lui ne les écoutait que d’une oreille distraite, les médocs étaient plus fiables pour retrouver l’équilibre, sinon le sommeil. Lutter pour ne pas en abuser, céder, résister, puis céder de nouveau : c’était le cycle d’un plaisir tortueux qui risquait de se révéler dangereux. Heureusement, Gabriele, son fidèle médecin et ami d’enfance, veillait sur lui ; lui seul le connaissait vraiment. Il n’était pas sûr de tenir encore à lui comme à l’adolescence, mais il lui était attaché, surtout depuis qu’il dosait savamment ses psychotropes.

  • Un avertissement ? Pour quoi ? Ses affaires étaient globalement en règle, quelques tensions avec le fisc, comme tout le monde, réglées par ses comptables. Des méthodes d’entrepreneur banales, le fisc ne vient pas vous intimider à l’aube en heurtant votre voiture. Avait-il dérangé quelqu’un sans s’en rendre compte ? Il n’avait jamais eu affaire à de vrais criminels ; à des escrocs oui, à des crapules aussi, mais c’étaient généralement des types solitaires, des mecs qui avaient envie de tricher vite, de gagner plus vite encore, de voler bien sûr, mais sans jamais recourir à la violence. Alors pourquoi cet avertissement ? Qui voulait l’avertir de quoi?

  • Il y avait du vrai et du juste dans cette colère envers les « dominants », ainsi que tout un peuple nommait désormais les élus ; mais il y avait aussi beaucoup d’hypocrisie, de l’envie et un besoin sourd de vengeance de la part de ceux qui détestaient toute hiérarchie. Les sentiments les meilleurs se mêlaient aux plus bas et la rage qui se déchaînait se révélait parfois plus nuisible que le mal contre lequel elle prétendait lutter.

  • Elle était de nouveau la femme coopérative et efficace, prête à saisir le gouvernail de la barque dans la tempête. Sans savoir que cette fois elle ne monterait pas à bord.

  • Elle avait trouvé un filon qu’elle explorait honnêtement depuis le début, mais elle considérait que son œuvre, la vraie, c’étaient ses portraits cachés. Il lui plaisait d’imaginer qu’on les découvrirait un jour, après sa mort, et que la postérité la jugerait sur ce qu’elle n’avait jamais montré à personne.

  • Simona se voyait toujours obligée d’intervenir pour modérer ses élans, corriger certaines initiatives ou en réduire la mesure. Il fallait donner, mais pas trop, ni tout le temps, ni à tout le monde ; en politique comme ailleurs, la gentillesse était perçue comme de la faiblesse. La machine de guerre de leur couple était parfaitement au point : il était aimé ; elle était crainte.



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dimanche 18 septembre 2022

Paula HAWKINS – Celle qui brûle – Éditions Sonatine Pocket 2022

 

L'histoire

Daniel Sutherland, un drôle de type, est retrouvé égorgé dans sa péniche amarrée sur l'un des quais de Londres. Qui pouvait bien lui en vouloir. Parmi les suspects, Laura 25 ans, bosse dans une laverie et boite du à un accident de la route. Miriam, sa voisine de péniche, une femme à l'aspect repoussant, cache un passé traumatique. L'oncle et la tante de Daniel, personnes assez riches, qui vivent aux abords du canal, les seuls parents encore en vie de Daniel ont eut aussi un passé dramatique. Ces personnes en colère, contre leurs vies, leurs échecs, ne se connaissent pas mais ont toutes eu un lien avec le mort. L'enquête s'annonce complexe.


Mon avis

Voilà donc le tout dernier roman de Paula Hawkins, celle qui a écrit le best-seller « La fille du train ». On y retrouve comme à chaque fois, la structure des précédents romans, à savoir que la parole est donnée tour à tour aux principaux protagonistes et entre le franc parler de Laura, la froideur hautaine de Carla, chacune à sa façon de s'exprimer. Parallèlement, un récit écrit par Théo, un romancier qui a eu son heure de gloire, mais qui est en panne d’inspiration vient ponctuer le récit comme une pause dans l'intrigue principale.

Encore une fois Paula Hawkins ausculte ses personnages à la loupe.

Laura est une fille mal lotie par le destin. Handicapée par un accident de voiture dans son enfance, elle boite et garde des séquelles psychiques. Elle peut exploser de colère à la moindre vexation, et blesser quelqu'un. Elle aime boire, elle n'a pas d'amis, à part Irène, une vieille dame qui vit seule et qui a vu bien des choses, une apprentie Miss Marple en sorte.

Miriam est une femme au physique difforme, elle est petite et grosse, peu attirante. Elle aussi vit sur une péniche, s ans amis, et à tendance à être cleptomane. Elle a subit un traumatisme dans le passé, et en garde outre un dégoût d'elle-même, une haine qui la ronge, par ce qu'elle n'a pas su faire et aussi parce qu'on lui a volé son manuscrit.

Paula, grande femme élégante, issue d'une famille fortunée, a perdu dans des circonstances tragiques son enfant. Elle est persuadée que c'est la faute de sa sœur, la mère de Daniel, une femme alcoolique qui est morte quelques semaines auparavant d'un accident (ou pas ?). Son mari Théo, dont elle est officiellement divorcée, mais qu'elle voit tous les jours fait tout pour la reconquérir, un homme sans grand caractère, écrivain médiocre qui vit sur sa gloire passée.

Trois femmes, trois colères rentrées suite à des aléas de la vie qu'elles n'acceptent pas, et qui pourraient bien les avoir menées jusqu'au meurtre.

Un bon roman de suspense certes, mais je ne retouve pas le charme de « la fille du train » ou d »Au fond de l'eau » qui reste sans doute mon préféré. Le roman est aussi plus court, et l'auteure aurait du explorer plus en profondeur les problèmes de la maternité et de l'éducation et celle de la douleur qui devient colère.

 

Extraits :

  • Irène avait quatre-vingts ans, mais elle se sentait beaucoup plus jeune. Pas seulement parce qu'elle était alerte et bien portante (malgré sa cheville foulée), mais surtout parce qu'il était impossible d'avoir l'impression d'avoir quatre-vingt ans. Personne n'avait l'impression d'avoir quatre-vingts ans. Si on lui avait demandé son avis, elle aurait répondu que dans sa tête , elle avait plutôt trente-cinq ans. Ou quarante à la rigueur. Un bon âge, quarante ans. On sait qui on est. On a laissé derrière soi la frivolité et les incertitudes de la jeunesse, mais on n'a pas encore eu le temps de s'endurcir, de devenir intraitable.

  • Lors d'une journée de printemps comme celle-ci, le paysage était un camaïeu de verts : vif sur les jeunes rameaux des platanes et des chênes, olive pâle dans le feuillage des saules pleureurs du chemin de halage, citron vert presque électrique pour les lentilles d'eau à la surface du canal.

  • Coucou papa c'est Laura. Alors hier, on m'a arrêtée pour meurtre mais on m'a laissée partir sans m'inculper, ensuite je me suis fais virer pour avoir raté un jour de boulot parce que j'étais en garde à vue, toute la bouffe que j'avais achetée est périmée et aussi, j'ai plus un rond. Est-ce que tu pourrais me rappeler! Bonne journée, hein! Allez, bisous

  • Et voilà, c'était écrit noir sur blanc. Si on oubliait les insultes, les accusations nauséabondes, le rejet en bloc de ses allégations " sans aucun fondement ", "erronées", "ténues", "diffamatoires", "déraisonnables", leur argument principal résidait dans cette dernière phrase : nous avons l'argent, nous avons le pouvoir. Et vous, vous n'avez rien.

  • Carla était le genre de femme qui savait mettre un prix sur tout, mais qui ne connaissait la valeur de rien.

  • Encore et toujours la même conclusion. Vous ne pouvez pas comprendre, vous n'êtes pas une mère. Vous n'avez jamais connu le véritable amour. Vous n'êtes pas capable d'éprouver un amour infini et inconditionnel. Et par ricochet, une haine absolue.


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jeudi 15 septembre 2022

Guadalupe NETTEL – L'oiseau Rare – Éditions Dalva 2022 -

 

L'histoire

A 20 ans, Laura et Alina, meilleures amies s'étaient jurés de ne pas être mères. 10 ans plus tard, Alina décide de tomber enceinte. Une grossesse difficile et un enfant handicapé qui vont demander à Alina un courage de mère surhumain. Elle est soutenue par Laura qui ne juge pas mais qui maintient ses convictions. Pourtant Laura se prend d'affection pour son petit voisin, un enfant difficile.


Mon avis

Un roman fort, triste et beau qui ne tombe pas dans le pathos, grâce à l'écriture nuancée de Guadalupe Nettel. Le roman, raconté du point de vue de Laura, alterne les chapitres entre les 2 femmes, sans forcément un lien de temporalité, ce qui ne nuit en rien à la compréhension du livre.

Ici c'est la maternité que l'auteure mexicaine interroge. Laura ne veut pas d'enfants. Elle va se faire ligaturer les trompes. Ses arguments, pour cette féministe convaincue sont l'asservissement de la femme à la maternité et ses cortèges d'ennuis (accouchement, nuits blanches, allaitement, éducation que l'on confie surtout aux mères). Anaïs Nin, dans son premier journal, ayant appris qu'elle ne pourrait pas avoir d'enfants écrivait en 1919 : la maternité n'est pas le but de la femme, elle a aussi d'autres moyens de création. Une phrase choc pour l'époque mais noyée dans l'intensité de ses journaux. Laura tient bon, éconduit les prétendants qui veulent fonder une famille, se heurte aux reproches de sa mère. Toutefois, pendant quelques mois, elle en arrive à s'occuper de son jeune voisin, un enfant sujets à des colères terribles que la mère, femme seule et fragile ne peut plus assumer.

Alina, elle, rencontre son mari et tentent de procréer : examens médicaux, tentative de FIV (une seule car cela coûte très cher au Mexique). Finalement Alina tombe enceinte. Une petite fille est attendue Inès. Mais les échographies finales indiquent un manque de développement du cerveau et avant même la naissance, les parents savent que l'enfant ne survivra pas. Pourtant Inès naît et ne semble ni sourde, ni aveugle, et plonge sa mère dans des interrogations sans fins, et surtout sans solutions pratiques. Les médecins ne sont guère optimistes. Mais Inès s'accroche à la vie. Aidée par une association et une nounou compétente, Alina reprend espoir.

C'est toute l'histoire d'une médecine mexicaine où les bons soins sont payants, figée dans ses certitudes et ses concepts que nous raconte l'auteure. Mais aussi une interrogation sur le fait d'être mère. La détresse d'Alina qui ne sait pas quoi faire de ce bébé différent, et la problématique, ici comme chez nous de l’accompagnement médical, social, scolaire des enfants handicapés, le regard des autres. Et puis, il y a aussi les violences faites aux femmes.

Un livre à lire mais dans une période où vous vous sentirez forte, car l’histoire est dure, touchante, et chacun réagira selon sa sensibilité.

Extraits :

  • Les deux pigeons étaient revenus. Posés sur le nid, ils roucoulaient plus fort que d’habitude, me semblait-il. Regrettaient-ils la présence de l’autre œuf ? Vivaient-ils sa disparition comme une perte douloureuse ou était-ce une chose à laquelle les pigeons et les autres animaux étaient préparés, quand nous autres êtres humains ne pouvions tout simplement pas le tolérer ?

  • Je fais partie de ces gens dont le corps se crispe intégralement quand les pleurs d'un bébé retentissent dans un avion ou la salle d'attente d'un cabinet, et qui deviennent fous si ces cris se prolongent au-delà de dix minutes. Mais ce n'est pas non plus comme si les enfants me repoussaient complètement. Les voir jouer au parc ou s'écarteler pour un jouet dans un bac à sable peut même parvenir à me distraire. Ils sont un exemple vivant de ce que nous serions nous, êtres humains, si le civisme et les règles de savoir-vivre n'existaient pas.

  • Incontestablement une grossesse change quantité de choses, entre autres la relation que l’on entretient avec les gens : les amies qui avaient décidé de ne pas avoir d’enfants la regardaient à présent différemment, comme si Alina était atteinte d’une maladie contagieuse. Au contraire, celles qui en voulaient et voyaient le temps passer la contemplaient avec une admiration teinte d’envie. J’ignore si l’une d’elles, autre que moi, était sincèrement heureuse pour elle.

  • Quand on est jeune, il est facile d’avoir des idéaux et de vivre en accord avec eux. Ce qui est compliqué, c’est de maintenir une cohérence dans le temps malgré les difficultés que nous impose la vie.


Biographie

Guadalupe Nettel écrivain née à Mexico en 1973. Elle a obtenu de nombreux prix littéraires dont le prix Herralde et le prix Anna-Seghers. Ses livres sont traduits en plusieurs langues.
Guadalupe Nettel a passé son enfance entre le Mexique et la France, où elle a obtenu le titre de Docteur en Sciences du Langage à l'École des hautes études en sciences sociales.
Son premier roman, El Huésped (Anagrama, 2006), a été publié simultanément en français par les éditions Actes Sud sous le titre L'Hôte.

Les éditions Dalva (filiale d'Actes Sud) se consacrent uniquement à la littérature ecrite par des femmes.

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mardi 13 septembre 2022

Gilda Piersanti – Jaune Caravage – Editions Le passage/ Seuil – 2008 ou Poche Pocket.

 


L'histoire

Eva, une adolescente de 17 ans, est retrouvée morte, égorgée et énuclée (on lui a ôté les yeux) alors que la fête de la Nuit blanche bat son plein dans ce quartier de Rome, autrefois populaire et désormais lieu branché de la jeunesse italienne. Cette jeune fille, en apparence bonne élève, très jolie, joyeuse cache en fait des secrets que sa mère ignore. Des relations ambiguës avec l'amant de sa propre mère, une affection particulière pour l'élève la plus douée de son lycée. (mais aussi la moins appréciée pour son physique ingrat et sa solitude). Une enquête surprenante de l'inspectrice-chef Mariella De Luca


Mon avis

Qui a dit que les femmes ne pouvaient pas écrire des polars à la limite du « gore » ? Avec Jaune Caravage, Gilda Piersanti clôt les 4 romans des « des 4 saisons ». Après Rouge Abattoir, Vert Palatino, et Bleu Catacombes. On y retrouve l'inspectrice Mariella De Luca, en situation amoureuse difficile et son adjointe, Silvia, son opposée (caractère, physique).

Et comme pour les précédents romans, le personnage principal est Rome. Car chacun des polars des saisons meurtrières se passe dans un quartier de la ville éternelle, pas forcément connue du grand public.

ci c'est sur une rive du Tibre, dans un quartier en pleine mutation. Autrefois quartier ouvrier, celui-ci se transforme avec l'ouverture d'une énorme boite de nuit, et d'un prochain centre pour les jeunes. Il reste encore quelques figures insolites comme le vieux Eugénio qui vit dans une cabane où il passe son temps entre son potager et la pèche, entre deux litrons d'un vin du cru et la confection d'un minestrone délicieux. La maman d'Eva, une émigrée russe, vit chichement dans un petit 2 pièces bien entretenu. Elle est « Badente » (femme de ménage, ou nourrice, employées par les riches romaines.

Mais revenons à l'enquête. Des suspects, il y en a, mais jamais le bon au final. Des mobiles aussi, mais jamais les bons non plus. Le duo d'enquêtrice va donc plonger dans les tourments de l'adolescence et jeunes à la dérive.

Par ailleurs, nous suivons les aventures de Mariella, qui se poursuive à chaque romans, ici un déboire amoureux et une rencontre étonnante avec un jeune homme sorti du passé (mais il faut avoir lu les 3 romans précédents pour comprendre. Pour ceux qui ne les auraient pas lu, Mariella enquête discrètement sur la disparition du fils unique du Commissaire D'Innocenzo, son mentor et son ami.

Un polar puissant et une visite de Rome, avec beaucoup de références à la littérature italienne ou au Rock de ces années-là. Nevermore.

 

Extraits :

  • Les mains assassines s’affolèrent au milieu des buissons sauvages. Elles cherchaient le baladeur d’où s’échappait encore la chanson qu’Eva n’entendrait plus :
    « As my memory rests
    but never forgets what I lost
    wake me up when september ends. »
    La lampe de poche zigzagua au milieu des arbustes, le baladeur avait disparu. Le quai était désert mais en cette nuit de fête quelqu’un pouvait encore avoir envie de descendre jusqu’au Tibre pour trouver un coin tranquille, à l’abri des foules qui arpentaient la Nuit Blanche. Paniquées, les mains abandonnèrent la recherche. Eva était évanouie. Les mains arrêtèrent de trembler, sortirent quelque chose de la poche du jean, relevèrent le tee-shirt d’Eva pour s’en faire une protection et portèrent un coup net sur la carotide. Le sang gicla violemment sur le coton blanc.

  • Elle scrutait sa silhouette à l'autre bout du couloir et tremblait de tout son corps. Brusquement, elle s'élança à sa rencontre et l'enlaça passionnément. La clé toujours dans sa main. Comme Ingrid Bergman.

  • ça va bien un temps, son sale caractère ! se disait-il. Le couple ne peut quand même pas être une épreuve de tous les jours !



Biographie

Née en 1957 à Tivoli, Gilda Piersanti est une écrivaine française de romans policiers.
Elle habite à Paris depuis vingt ans et écrit directement en français. Elle reste un an à l’Ecole d'Architecture de Rome et obtient un doctorat en Philosophie (thèse sur l'esthétique de Baudelaire).
Elle exerce l'activité de critique littéraire, traduit des œuvres de la littérature française et est commissaire pour deux expositions concernant Constantin Guys et Charles Meryon.

Elle se consacre exclusivement à l'écriture depuis 1995.
Son premier roman, "Rouge abattoir" (2003), a été adapté pour France Télévision sous le titre "Hiver rouge" (2011), un film de Xavier Durringer, avec Patrick Chesnais et Jane Birkin. "Bleu catacombes" en 2007 reçoit les Prix du Polar Méditerranéen 2007, Prix SNCF du polar européen 2007..Elle est aussi l’auteur d’un roman intitulé "Médées", dans lequel elle réinterroge à la faveur d’une intrigue très contemporaine le mythe de Médée, la mère infanticide.
"Illusion tragique" reçoit, en 2018, le Prix Méditerranée Polar et le Prix des lecteurs Quais du polar/20 minutes.


Nota

  • une adaptation de 4 téléfilms a été faite des saisons meurtrières, mais transposée à Paris, et le personnage de Mariella Di Luca ne correspond en rien aux romans.

  • Un glossaire en fin de livre nous permet de saisir quelques notions sur le mode de vie typique de Rome.

  • J'ai lu l'ensemble des 4 livres des « saisons meurtrières » mais je dois avouer que j'aime particulièrement le thriller Jaune Caravage. Je viens de le relire suite à un pari gagné avec une amie aussi fan de polar que moi. Hihi.




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