L'histoire
Nous avions laissé Yeruldelgger à la fin du tome 1, pensant qu'il avait enfin tué son dangereux et cruel Erdenbart. Le voilà qui enquête sur la mort d'une de ses indics Colette, crime que l'on veut lui faire endosser. Sa collègue Oyun elle, enquête sur la morts de 2 hommes, brûlés en plein désert Mongol. Très vite le policier, pas commode et de plus en plus incontrôlable découvre la disparition du fils de Colette, un jeune mendiant qu'elle avait pris en charge et d'un apprenti moine pas très sérieux dans ses études aux 7ème monastère Shaolin. Isolé, face à la violence et aux faux amis, notre enquêteur va mettre au jour un terrible complot politique.
Mon avis
Quand vous rentrez dans un polar de Ian Manook, ici dans sa série en Mongolie, il faut vous attendre à des rebondissements, des mots mongols (dont on comprend le sens) et une tonne d'embrouilles.
Ça commence avec l'arrestation de Yeruldelgger, accusé à tort par la Police des Polices d'avoir tué une de ses indicatrices Colette, une prostituée, gentille femme, qui a pris sous son aile un gosse des rues comme il en existe des milliers à Oulan Bator, toujours plongé dans un smog qui en fait la ville la plus polluée au monde. Non seulement il réussi à prouver son innocence, mais il se met en quête, alors qu'il n'en est plus officiellement chargé, de comprendre pourquoi on lui a fait porter le chapeau, et où sont passés les deux enfants, le fils de Colette et un apprenti-moine pas trop sérieux. On leur dit qu'ils sont partis en France, mais très vite notre policier qui n'a pas peut de prendre des coups ou d'en donner se rend compte qu'il s'agit d'un trafic d'être humains. Les enfants, auxquels on promet richesse et liberté, sont sous le contrôle d'un cartel qui les oblige à mendier ou voler.
Mais ce n'est pas tout. Son beau-père, le monstrueux Erdenbart n'est pas mort et dirige ce cartel, ainsi que d'autres activités illégales, entouré par des voyous et pas n'importe lesquels, des militaires qui n'ont aucune limite.
Erdenbart s'est mis en tête de conquérir le pays par des élections truquées et devenir un dictateur à la Poutine.
Des steppes sauvages de Mongolie, aux cimes enneigées, d'Ulan Bator qui cède à la mondialisation et perd son identité, masquant les pauvres dans des yourtes de fortune en périphérie, c'est un pays qui commence à se perdre, et surtout à perdre son identité profonde. Si cela réjouit Oyun qui peut s'habiller de vêtements européens chics et de marque, cela désole Yeruldelgger qui aime son pays avec ses traditions, sa cuisine (là franchement, je préfère vous zapper les menus qui sont vomitifs à souhait, mais qu'on peut expliquer par les températures de -40° en hiver.
Un voyage au Havre, et puis des rebondissements à tous les chapitres, on ne s'ennuie jamais avec Monsieur Manook, grand voyageur, qui connaît la Mongolie comme personne. Du page turner un peu gore mais parfait pour des frissons estivaux, avant de plonger dans la grande bleue.
Extraits
Oyun n'avait pas souvenir de tels dzüüd dans son enfance. Le premier dont elle se souvenait était celui de 2001. Un hiver si rude et si long que sept millions de bêtes étaient mortes à travers le pays. Elle gardait en mémoire l'image de ces milliers de nomades encore fiers et solides quelques mois plus tôt, venus s'échouer pour mendier et mourir en silence, transis, dans les égouts d'Oulan-Bator. Les hommes avaient perdus tous leurs chevaux, les femmes tous les yacks et toutes les chèvres, et les enfants tous les agneaux et jusqu'à leurs petits chiots. Cet hiver-là avait tué en Mongolie plus d'âmes que les avions des tours de Manhattan.
À la fin des années quatre-vingt, dans le cadre de la coopération fraternelle entre les peuples pour un avenir radieux et de la planification du pillage systématique des ressources naturelles des petits pays frères, les Soviétiques avaient construit cette ville russe en territoire mongol. Interdite aux Mongols. La ville ne servait d’atelier, de dortoir et de réfectoire qu’aux techniciens et cadres russes de la grande mine d’uranium à ciel ouvert de Dornod, le second plus grand gisement du pays.
Elles filaient sous ses yeux, de gauche à droite, en long troupeau étiré, et bondissaient soudain à plus de deux mètres de haut. C’était comme une symphonie silencieuse, la partition d’une ode à la nature. Les gazelles défilaient droites comme des notes sur une portée, puis accrochaient en bondissant des doubles et des triples croches aériennes qui donnaient une harmonie orchestrales à leur fuite.
Des milliers d'assauts quotidiens de petites turpitudes, de bassesses, de méchancetés, de jalousies qui se formaient en tourbillons pour devenir des vols, des crimes, des assassinats. Son métier ne lui donnait à voir que le côté obscur de l'humanité.
Tu crois en Dieu ? demanda Akounine au lieu de répondre. - Moi ? J’ai déjà tellement de mal à croire en l’homme.
La vie, tu vois, c’est plutôt comme une yourte : tout est rond et sans côtés. Ni bons, ni mauvais. Tu es dedans, ou tu es dehors, c’est tout.
Un vent d’est s’était levé dans la nuit. En s’engouffrant dans la vallée de la Tuul, il avait dispersé la pollution de la ville jusque vers les contreforts du Khustain Nuruu et les steppes de Mandalgovi, laissant Oulan-Bator frigorifiée sous un ciel bleu immobile et un petit soleil blanc.
Pendant quelques minutes Zarza s’abîma dans la contemplation désabusée de cette ville post-soviétique qui défilait derrière les vitres, semblable à toutes celles que ces utopistes totalitaires avaient imposées, pour leur bonheur matérialiste, aux populations asservies.
Tu sais, les citadins et les étrangers nous prennent pour des sorciers. Toutes ces histoires de chamanes, ces pouvoirs surnaturels, ce lien avec les esprits… Tout ça n'est que foutaise. Tu sais quelle est notre seule force ? C'est celle de prendre le temps d'être là, dans la steppe, immobiles. Il suffit d'écouter et de regarder pour avoir l'air d'un sage.
Restez là pendant que j'apprends son boulot à votre chef, peut être que vos cerveaux atrophiés en tireront une petite leçon.
Et puis, quelques minutes à peine après son envol, le Fokker déchira de ses hélices vrombissantes le voile épais qui étouffait la ville et jaillit dans le bleu lumineux du ciel. Oulan-Bator n’était rien en regard de la Mongolie tout entière. Juste une petite métropole prétentieuse encaissée dans une petite vallée fermée qui gardait sur elle ses fumées. Et tout autour, la Mongolie. La vraie Mongolie qu’il aimait.
Le massif de l’Otgontenger tout entier était une Zone Strictement Protégée. Autant pour la faune et la flore qu’il abritait que pour l’esprit sacré qu’il représentait aux yeux de tous les Mongols. Aucune implantation humaine n’y était autorisée à l’exception du petit musée d’Agop et de deux temples bouddhistes. Le premier pour étudier et préserver la nature, les seconds pour protéger et honorer les âmes.
Devait-il vraiment continuer à aimer ce pays qui courait à sa perte, avec la même arrogance qu'il avait chevauché, des siècles plus tôt, à la conquête de civilisations qui lui étaient cent fois superieures?
Qu'est ce que c'est que ce baragouin? se moqua Zarza. - Ah, là tu te trompes, camarade. Le Baragouin, c'est le breton, du temps où ils quémandaient dans leur langue, en terres françaises, du pain et du vin. Barra et Gwin. C'est du moins ce qu'on dit.
Oyun aperçut devant eux un renard blanc en maraude dans la neige. Son museau pointu frôlait les cristaux brillants comme s'il pistait en zigzag une proie invisible et ivre. Soudain, les oreilles dressées, il se figea face à un petit tas de pierres enrobé d'une croûte de glace. Immobile, il s'était fondu dans le paysage immaculé. Puis en trois bonds il avait surpris le pika des steppes qui s'était aventuré hors de son petit nid de foin entre les pierres. Maintenant le lièvre crieur nain bondissait dans la neige sans aucun espoir d'échapper au renard. Dans cette étendue moirée jusqu'à l'horizon, la scène bouleversa Oyun par sa beauté et sa cruauté à la fois. Mais comme le renard s'apprêtait à bondir pour briser l'échine du frêle rongeur, un appel criard stria l'azur et un faucon chasseur s'abattit sur le renard pour lui déchirer la gorge entre ses serres.
Autour de la mine, à vingt kilomètres d'ici, la teneur en radon est cent fois plus élevée que les normes admises. En ville, on ne mesure plus depuis vingt ans, histoire de ne pas savoir. Mais je peux te dire qu'ici, on mange de l'uranium, on boit de l'uranium, et on respire de l'uranium. Et je ne te parle pas des métaux lourds et des boues toxiques dans laquelle tu patauges dès que tu descends du trottoir.
Décidemment, Big Brother n'était rien comparé à l'agglomérat des milliards de Mini Brothers s'espionnant les uns les autres.
Biographie
Journaliste,
éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian.
Il
a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et
Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le
pseudonyme collectif de Page Comann.
Grand voyageur, dès l’âge
de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans,
sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et
en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à
l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en
Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il
séjournera treize mois de plus.
De retour en France au milieu
des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à
Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du
Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime
également des rubriques "voyage" auprès de Patrice
Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient
ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles
il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse
dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31.
Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux
récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".
En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition
spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions
de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse
(Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à
2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées
humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac :
L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli
2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé
"Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme
lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014.
Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages"
(2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade"
(2016).
Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow"
(2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion.