samedi 29 juin 2024

Joan SAMSON – Délivrez nous du bien – Editions Toussaint l'Ouverture - 2024

 

L'histoire

La famille Moore, paysans de père en fils, vit sur ses terres pas loin du village de Harlowe dans le Nord du New-Hampshire (USA). Grand-mère Ma qui a sont franc parler, cohabite avec son fils John, un homme taiseux, sa femme Mim, et leur petite fille de 4 ans Hildie. Sans être très riches, ils vivent de leurs récoltes et de leurs vaches laitières. Un jour, le sherif du village arrive accompagné d'un homme qui se prétend commissaire priseur et demande un objet pour une vente aux enchères afin d'engager un adjoint au shérif. Ils repassent la semaine suivante, puis la suivante et au fil des semaines la maison se vide de ses biens, des outils, nécessaires aux travaux agricoles, des vaches. Un projet circule même de créer des résidences secondaires de luxe notamment sur les terres des Moore. Mais quand l'exploitation va trop loin, ce n'est pas sans conséquences.


Mon avis

Il aura fallu 49 ans pour que soit traduit et sorti de l'oubli ce roman incroyable de l'écrivaine Joan Samson (1937-1976). qui pourtant fit parler de lui à sa sortie, un an avant la mort de la jeune autrice.

Il s'agit d'une histoire de spoliation, comme vous n'en n'avez jamais lu. La vie se passe tranquillement à Harlowe, village de cultivateurs et d'éleveurs. Mais c'est sans compter sur l'arrivée d'un certain Perly Dunsmore, qui se présente comme commissaire priseur et conseiller. L'homme a du charme et fait de l’œil à Mim, qui si elle se sent flattée dans un premier temps, le déteste, impuissante. Avec la complicité du shérif Gore, un homme qui ne brille pas par son intelligence, le pillage des habitants commence. Sous prétexte de vouloir doter la police locale d'adjoints, des ventes aux enchères sont organisées et les ruraux priés de donner quelque chose. Mais ce quelque chose devient de plus en plus énorme. De plus, par un étrange hasard, les récalcitrants ont des ennuis : blessures physiques ou accidents mortels. Les Moore, attachés à leurs terres se voient ainsi privés de tout : les jolis meubles hérités, les rares tapis, les vaches laitières, et vivent dans la peur qu'on leur vole leur enfant. Car, comble de l'ignominie, ce commissaire priseur qui se fait construire une maison magnifique sur la « Main Street », l'avenue principale, va mettre aux enchères des enfants : un bébé abandonné soit disant, qui est en fait le fruit de ces amours illicites avec une jeune fille de la région, et un enfant de 3 ans qui est un des derniers fils d'une famille spoliée. Les biens sont achetés par des habitants riches de Boston ou des jeunes familles cherchant une maison. Car le commissaire-priseur veut transformer Harlowe en station de vacances chic, profitant de sa situation près des montagnes, les White Mountains, prévoit des pistes de ski, et autres agréments pour les futurs acheteurs. Et bien évidemment sur les terres volées aux ruraux, qui reçoivent une maigre somme de dédommagement, quand ils ne se font pas expulsés pour des motifs idiots.

Moore qui a tout perdu, et qui voit sa famille dépérir, rongée par l'angoisse que leur jolie petite fille ne soit enlevée et vendue, reste figé dans son désespoir. Les autorités à Concord (la capitale du New Hampshire) sont inefficaces, le renvoyant de services administratifs en services administratifs. Alors il prend une grand décision au péril de sa vie. Ce geste libérateur va entraîner les habitants spoliés et permettre au village de se retrouver.

Incroyablement moderne, ce roman qui attaque de front le capitalisme effréné, la création de besoins aux dépens des autres est l'un des rares à raconter cette histoire qui s'inspire probablement de faits réels, poussés ici à l'extrême. L’écriture simple, sèche aussi de l'autrice fait monter le climat d'angoisse qui saisit la famille, la peur de la mère, la détermination de Ma a ne pas céder, et son fils qui semble plonger dans un état léthargique, jusqu'au sursaut, celui de perdre non seulement ses terres mais aussi sa fille adorée. Elle nous laisse, nous lecteurs, impuissants, tant on aurait envie de massacrer ce commissaire-priseur qui vient d'on ne sait où et qui fait main-basse sur une bourgade tranquille. Un formidable roman, où la psychologie des principaux personnages est très bien étudiée, sans aucune fausse note. Roman noir, tragique mais compensé par une fin heureuse, c'est un incontournable dans votre bibliothèque.



Extraits

  • Le feu s'élevait en un cône parfait comme suspendu à la fine volute de fumée qui montait en ligne droite vers le vaste ciel printanier. Mim et John tiraient du bois mort d'un tas près du mur de pierre et le jetaient dans les flammes, se reculant rapidement tandis que les feuilles sèches s'embrasaient dans un sifflement. Hildie, quatre ans, entendit le camion arriver avant même que leur vieux chien de berger ne dresse l'oreille. Elle trottina vers le bord du chemin et attendit fébrilement. C'était le pick-up de Gore. Il roulait à vive allure et s'enlisait profondément dans la boue en la faisant gicler de part et d'autre. John et Mim convergèrent derrière l'enfant, chacun passant en revue ce qui pouvait clocher pour que le shérif vienne jusqu'à la dernière ferme du bout de la route.

  • Il y avait la cadence discrète des horloges tictaquant les unes contre les autres - l’horloge coucou, l’horloge huit jours avec son ancolie peinte sur le verre, et l’horloge de parquet dans l’entrée. Les différents carillons et le gazouillis du coucou n’étaient plus synchronisés, et la maison était remplie de tic-tac aléatoires que les Moore entendaient à peine, un contrepoint au chant des oiseaux qui filtrait du dehors.

  • Mim, écoute-moi, dit-il en l’attirant sous les couvertures. Les choses sont ce qu’elles sont. Mais ils ne peuvent pas te prendre la chair de ta chair. Et ils ne peuvent pas prendre la terre, parce qu’on est dessus. – Des mots, John. Ca, ça ne les arrête pas. Qu’est-ce qu’ils ont fait tout cet été et cet automne ? – C’est encore l’Amérique. Ils peuvent pas. Il y a des limites. – Réfléchis. Toute la terre sous les grandes villes, c’étaient des fermes avant. Et d’une façon, je ne sais pas comment, ils ont fait partir les fermiers.

  • Les pendules parties, la vieille demeure des Moore était silencieuse, mais chaque mouvement semblait marquer un pas vers l’inexorable venue du jeudi. La liste habituelle des corvées automnales se dissolvait. Il n’y avait aucune vache à soigner, aucun dollar en trop pour acheter de la peinture, aucun outil pour couper du bois ou réparer des meubles. Même les innombrables babioles à dépoussiérer et à briquer avaient été emportées. Maintenant que le poste de télévision n’était plus là, les Moore maintenaient l’électricité coupée pour économiser de l’argent. Leurs routines prirent un rythme primaire qui aurait rapidement pu paraître commode, s’il n’avait pas été entièrement bouleversé par chaque visite du jeudi.

  • Je dis qu'on a compris foutrement trop bien depuis foutrement trop longtemps et qu'on est restés foutrement trop silencieux !

  • Souvenez-vous seulement de ceci, dit-il enfin d'une voix caverneuse qui tranchait nettement dans la confusion. Tout ce que j'ai fait, vous m'avez laissé le faire.

  • Vous êtes-vous posé la question, John, de savoir si vous étiez en position de nous empêcher d’entrer ?



Biographie

Joan Samson est une écrivaine américaine. Née à Erie en Pensylvanie le 9/9/1937 et décédée à Cambridge Massachusetts le 27/02/1976 ?
Elle a fréquenté le Wellesley College de 1955 à 1957, ses années de premier cycle étant interrompues par un mariage et son départ pour Chicago avec son mari. Elle a terminé ses études à l’Université de Chicago (B.A. 1959) et a enseigné à l’école primaire à Chicago (1959-1960). Peu de temps après, son mariage s’est achevé.

Elle a ensuite enseigné à Newton, Massachusetts (1960-1963). Elle a également enseigné à Londres, en Angleterre. C’est là, que le 27 mai 1965, elle a épousé Warren C. Carberg, Jr., administrateur de bibliothèque. Ils ont vécu quelques années en Europe avant de retourner dans le Massachusetts. Ils ont eu deux enfants, une fille et un fils.
Samson est retournée étudier à l’Université Tufts (MA 1968), a enseigné dans une école de campagne à Brookline, Massachusetts, en 1968-1969, et a travaillé comme secrétaire de rédaction pour la revue "Daedalus" de 1973 à 1975.
En 1974, elle écrit un premier livre, "Watching the New Baby". Basé sur la naissance de sa fille, c’est un récit destiné aux futurs parents qui s’apprêtent à accueillir un nouveau membre dans leur famille.
Elle décide, en 1975, bien qu’elle ne se soit jamais essayée à la fiction (l’auteur de la famille, c’est son mari, professeur de lettres), d’écrire une nouvelle d’une dizaine de pages sur l’arrivée dans un village du New Hampshire d’un étranger venu de la ville. L’idée lui serait venue d’un cauchemar. Après avoir fait lire la nouvelle à son mari, celui-ci l’encourage à en faire un roman, et c’est grâce à Pat Myrer, agent littéraire de chez McIntosh and Otis avec qui elle avait collaboré, que Joan Samson parvient rapidement à publier son texte. Le livre, "The Auctioneer" ("Délivrez-nous du bien"), parait en janvier 1976, et en peu de temps se hisse sur la liste des meilleures ventes. Joan Samson meurt le 27 février 1976, à l'age de 38 ans, d’un cancer du cerveau quelques semaines après la parution.

mercredi 26 juin 2024

Suzie YANG – Ivy – Livre de Poche - 2023

 


L'histoire

Ivy, chinoise confiée à sa grand-mère arrive aux USA, près de Boston où sont déjà installés son père, Nan sa mère et le petit dernier Austin. Le changement est rude pour cette petite fille à qui la grand-mère qui se méfie des américains a appris toutes les astuces pour voler, surtout des babioles sans intérêt. En conflit permanent avec sa mère qui exige des bonnes notes car elle veut voir sa fille rentrer dans une université, Ivy, égocentrique, inquiète du regard des autres abandonne ses études pour devenir institutrice, et décide coûte que coûte d'épouser un ami d'enfance Gideon, fils de sénateur et bel homme en plus. Mais on ne gagne rien sans un petit effort...



Mon avis

Pour son premier roman Suzie Yang a choisi de nous présenter une héroïne totalement dénuée de scrupules et de morale. Ivy est une voleuse, une menteuse, en conflit perpétuel avec sa mère. A la suite d'une bêtise, elle est envoyée en Chine, chez sa tante riche qui la couvre de cadeaux, la jeune fille qui entre temps est devenue très jolie, fait un rejet total de ses origines chinoises, et surtout est bien décidée à conquérir le cœur de Gideon, fils d »un sénateur, qui est un gros bosseur. Sa famille est riche mais on ne montre pas l'argent. La maison de vacances, restée un peu dans son jus, la simplicité avec laquelle Ivy est acceptée, la complicité immédiate avec Poppy, la mère de Gideon sont des atouts un peu trop faciles. Ivy veut le mariage et rien d'autres. Elle décide de reprendre des études d'avocate, mais l'idée de devoir travailler dur la fait renoncer. Surtout, elle renoue avec Roux, un type devenu riche grâce à la mafia locale. Mais Roux, personnage peu sympathique est fou amoureux d'Ivy, et promet de rompre son mariage en avouant aux fiancés leur liaison et le passé de voleuse et menteuse de cette fille dont il pense qu'elle lui ressemble.

Ici avec son héroïne atypique, la morale en prend pour son grade. Mais Ivy n'est pas non plus une personne qui sait maîtriser son sang-froid, pas toujours du moins. Elle vit dans l'angoisse que Gideon ne l'aime pas vraiment, et continue d'avoir des rapports difficiles avec sa famille, qui pourtant veut financer le mariage. Ivy n'a pas compris qu'à force de travail, les siens sont devenus riches et respectés. Et sont bien plus gentils avec elle qu'elle ne le pense.

Émigration, famille, rêve américain sont au cœur de ce livre, qui alterne entre humour noir, et ambiance angoissante. Ivy se rend malade physiquement, et surtout, n'a pas d'ambitions : à part devenir une parfaite maîtresse de maison, elle n'étudie pas, pique de l'argent à Roux qui laisse faire pour s'acheter fringues de luxe et maquillage. Elle est peu empathique Ivy, parfois elle nous agace à ne faire aucun choix, et pourtant elle reste aussi attachante par ses émotions.

Écriture simple, psychologie approfondie des personnages, y compris les secondaires, ce premier roman, même si il comporte un peu de longueurs et redites est amusant à lire. Parce qu'on ne croise pas tous les jours une héroïne qui joue sa vie sur un fil, qui ne comprend pas l'éducation stricte chinoise donnée par sa mère, qui veut voir ses enfants réussir et qui renie ses origines. Le titre original est « White Ivy », ce qui est assez approprié.

Bref une lecture détente, pas mal de rebondissements et une idée assez drôle du poids de la femme ballottée entre deux cultures.


Extraits

  • Elle remarqua la fossette sur sa joue droite, pareille à une virgule sur une page vierge, et se demanda pourquoi il ne cherchait pas à soigner son apparence. Il serait sans doute mignon s’il y mettait un tant soit peu du sien. S’il portait les bons habits, se faisait couper les cheveux, souriait à quelques filles, alors bim ! – transformation. Lui qui pourrait si facilement passer pour le jeune Américain-type ne faisait aucun effort dans ce sens ; alors qu’elle, qui se donnait tant de mal à parfaire ses tenues et ses manières, aurait toujours la peau jaune, les cheveux noirs et le nez épaté, son moi extérieur dissimulant le fait qu’elle était américaine ! Américaine ! Américaine ! Une telle injustice la blessait profondément.

  • Elle se sentait seule, pourtant ce n’était pas d’amitié dont elle avait envie. Filles et garçons « traînaient » à l’école, mais les choses passaient à la vitesse supérieure en dehors du collège, aux fêtes ; or Ivy n’était jamais invitée à aucune fête. Elle avait appris (en théorie) le mécanisme des jeux populaires tels que celui de la carte, de la bouteille, des sept minutes au paradis, de la pomme, du clin d’œil, ou d’action ou vérité – un grand classique – ainsi que d’autres actes qui ne relevaient pas de jeux mais de la vraie vie. Dans le vestiaire des filles, elle entendit Liza Johnson raconter que Tom Cross avait défait sa braguette et guidé la main de la jeune fille vers son entrejambe – « pendant que mon père était en train de conduire ! »

  • Même si l'une parlait roumain et l'autre chinois, Ivy remarqua l'étrange similitude entre les cris de Mme Roman et ceux de Nan, pareils à une nuée de corbeaux furieux, les consonnes abrégées et durcies par la colère. Peut-être la colère était-elle l'unique langage universel.

  • Comment donc cette modeste fille aux grands yeux en était-elle venue à voler, exactement ? De la même manière que l'eau s'infiltre dans les plus minuscules interstices entre les rochers, sa personnalité s'était façonnée en formes biscornues autour de la structure rigide de son éducation chinoise.

  • Jamais elle ne pourrait faire comprendre à cet homme simple et droit que chez une femme, les morceaux les plus fragiles étaient composés de millions de coups d'œil furtifs et de commentaires insoucieux lancés par autrui ; c'était ça l'identité.

  • C'était là le problème quand on recevait trop de bonheur à la fois. Si on n'avait pas le temps pour s'adapter, la douleur de son absence soudaine devenait insupportable.

  • Donner d’une main et prendre de l’autre. Mais pour l’instant, elle préférait taire les humeurs de sa mère, les coutumes chinoises de sa famille, ses propres larcins. Que ce soit des informations ou de l’argent, il était imprudent de donner sans rien exiger en retour. Jamais on ne pouvait les récupérer.

  • Jamais elle ne se montra trop cupide. Jamais elle ne se montra imprudente. Surtout, jamais elle ne se fit prendre. Même si on l’accusait un jour de quelque méfait, ce serait sa parole contre celle de l’accusateur. Cette idée la rassurait – et s’il y avait bien une chose dont elle s’enorgueillissait, en dehors d’être une voleuse, c’était d’être une menteuse hors pair.

  • Toutes ces héroïnes avaient une chose en commun : leur beauté. Ivy en conclut que la beauté extérieure était la fontaine d’où jaillissaient toutes les autres caractéristiques désirables – l’intelligence, le courage, la volonté, la pureté de cœur.

  • Elle apprit facilement l’anglais – elle ne se souvenait en effet pas de l’époque où elle ne comprenait pas cette langue – et devint une lectrice précoce. La minuscule bibliothèque mal entretenue de West Maplebury, administrée par une bibliothécaire à moitié sourde, servait à Nan de baby-sitter gratuite.

  • Comme nombre de parents immigrés, Nan et Shen ne voulaient qu’une chose pour leur fille : que celle-ci devienne médecin. Ivy n’avait qu’à s’écrier : « Je veux être docteur ! » pour voir le visage de ses parents s’illuminer de satisfaction, ce qui chez eux se rapprochait le plus de l’amour et qui était Tout aussi rare.

  • À cause de ces joues, on la prenait souvent pour une élève d’école primaire quand elle avait quatorze ans – inconvénient fâcheux dans tous les domaines sauf dans celui du vol, où son apparence enfantine s’avérait un camouflage fort utile.

 

 

Biographie

Susie Yang est une romancière.
Elle a émigré enfant aux États-Unis. Après un doctorat en pharmacie de l'Université Rutgers puis une carrière dans le codage informatique à San Francisco, elle a repris des études de création littéraire à Tin House et à Sackett Street.
"Ivy" ("White Ivy", 2020), son premier roman, est l’une des dernières sensations de la scène littéraire américaine. Elle réside au Royaume-Uni.

Son site : https://www.susiebooks.com/



samedi 22 juin 2024

Daniel FOHR – La vague qui vient – Editions Inculte - 2023

 

 

L'histoire

Le narrateur est un dessinateur de BD, sans succès et fauché. Il se réfugie dans sa maison sur l’île, en attendant un chauffagiste. Un peu déprimé, tout change quand Monsieur le Maire lui même lui propose de créer une fresque pour la salle des fêtes. Ce grand chantier comporte des contraintes : représenter tout ce que l'île a de beau. Du célèbre pirate Christophe Condent, qui a fini sa vie ici à une actrice célèbre lors de la nouvelle vague qui vit recluse dans une château. Chacun vu figurer sur la fresque, et sous son meilleur jour. Pour cela, notre dessinateur doit rencontrer les insulaires, et comprendre les ressorts de cette île.



Mon avis

Hilarant ce dernier livre de Daniel Forh, qui crée un anti-héros sur mesure, venu habiter la petite maison en mauvais état qu'il avait acheté des années auparavant. Cette Île (fictive) située quelque part dans l'océan Indien vit au rythme des saisons. Une côte ensoleillée et estivale d'un coté, une cote venteuse digne de la Bretagne de l'autre et 3 catégories d'habitants : les natifs, les secondaires (ceux qui ont une maison de vacances alors qu'ils viennent du continent, et les touristes qui font les beaux jours des commerçants, qui partent aussi vite qu'ils sont venus. Le maire, un brin imbu de sa petite personne, commande à notre dessinateur une fresque immense pour recouvrir la salle des fêtes, et surtout pour faire une promotion de l'île dans ce qu'elle a de merveilleux. Un ancien pirate y aurait laissé un trésor, que nul n'a jamais trouvé Une ex-actrice de la nouvelle vague y vit, recluse dans son château, juste aidée par son homme de main et que personne ne voit jamais, et tout un petit monde haut en couleur, parfaits clichés de ces braves gens, qui espèrent tous qu'ils seront magnifiés sur la fresque. Mais derrière ce monde convenu, se cachent aussi des secrets. Des histoires et aussi l'histoire de l'Art. Notre dessinateur n'est pas un Michel-Ange, mais il a envie de s'inspirer du « Jardin des délices » de Jérôme Bosch, triptyque foisonnant de détails. Pour ce qui est de Bosch on repassera mais la fresque dévoilée montrera un personnage central inattendu.

Drôle, facile à lire, il nous montre la singularité des insulaires, tous assez loufoques, et finalement coincés dans l'entres-soi, alors que l’Île est ouverte sur la mer. Hilarant. Un lecture qui fait du bien mieux qu'un anti-dépresseur !


Extraits

  • C’était une fin novembre habituelle dans l’hémisphère nord, si tant est qu’il existe encore des habitudes en la matière. Un grand vide occupait la place du ciel, une pluie horizontale rayait toutes choses. Les corps-morts dansaient sur l’eau noire et j’attendais par une nuit d’automne le traversier, en compagnie de cinq ombres, sous la lumière des deux réverbères de l’embarcadère. J’attendais, un gros sac de toile en bandoulière et une valise cabine à la main dont les roulettes usées se coinçaient à chaque tour de roues.
    Un clapot nerveux agitait l’océan comme un genou sous la table et une poussière de mer blanche volait sur la crête des vagues étêtées par le vent. La silhouette de l’Île se découpait le temps d’un éclair, noire sur le ciel blanc, tel un fantôme rétinien. Le traversier sortit de la nuit dans un gros bouillon phosphorescent. C’était une puissante vedette hollandaise en aluminium, blanche, avec un bastingage peint en rouge et, dans la cabine, quatre rangées de banquettes en plastique moulé bleues, réparties de chaque côté d’une travée qui menait à la poupe où le pont pouvait accueillir des marchandises, des bagages et des vélos par la passerelle arrière. L’été, un navire supplémentaire de taille supérieure assurait la liaison pour répondre à l’affluence touristique.

  • Ceci pour remettre en perspective le fait qu’un auteur de bandes dessinées n’est pas nécessairement quelqu’un qui n’a jamais rien su faire d’autre que de gribouiller dans les marges de ses cahiers, lieu commun qui lui colle à la peau et autorise ses lecteurs à lui taper dans le dos et à le tutoyer sous prétexte qu’ils ont l’habitude de le lire aux toilettes.
    L’échec du premier tome de La Galaxie des Mille Soleils, une saga ambitieuse, sans aucun texte, une grande œuvre purement visuelle planifiée en treize albums, m’avait plongé dans un état d’abattement profond. Trois ans de travail engloutis dans les profondeurs de l’économie du pilonnage du papier.
    L’ambition est le moteur de tout artiste, l’envie de croire qu’il est toujours possible de faire mieux, mieux que soi et mieux que les autres, d’accoucher de l’œuvre ultime et d’obtenir la reconnaissance légitime du plus grand nombre. Mais lorsque cette ambition se brise contre le mur d’une réalité contraire, elle se transforme en doute, en dépression, en suspicion, et l’idée que l’artiste se fait alors de son talent lui apparaît comme pure illusion.

  • Contrairement au rire dont sont capables le chimpanzé et même le rat dès lors qu'on les chatouille, le barbecue est le propre de l'homme. Aucun autre animal ne pratique ce rituel qui consiste à parler à quelqu'un en surveillant la cuisson de saucisse ou de côtelettes.

  • La plupart des gens croient qu'ils ne savent pas dessiner, alors qu'ils ne savent pas regarder. Les hanches sont toujours moins larges que le haut des cuisses, mais personne ne le remarque. Un regard non exercé ne voit pas la réalité, mais l'idée qu'il s'en fait. L'homme voit ce qu'il croit. Cette capacité à nier l'évidence permet d'expliquer aussi pas mal de faux pas depuis qu'il a appris à marcher.

  • Sur une image satellitaire, l’Île ressemblait à une pirogue renversée, séparée du continent par une langue de mer large de cinq kilomètres sept cent cinquante, soit deux milles nautiques, un chenal animé par un courant puissant, obligeant les voiliers qui remontaient au vent à tirer d’innombrables bords. Le fond entre l’Île et le continent était de quarante-deux mètres au plus profond et sablonneux, avec des remontées à dix mètres, conformation qui dessinait dans le chenal de larges bandes turquoise dont les images embouteillaient les réseaux sociaux. Il y faisait chaud dès le printemps jusqu’au milieu de l’automne et durant le court hiver, il pleuvait soit un peu, soit beaucoup, selon les jours, comme s’il y avait deux îles distinctes, l’une méridionale, baignée de lumière, d’air chaud, de senteurs de thym, d’eucalyptus et de pierres sèches, l’autre enveloppée de cette tristesse océanique à laquelle les gens dépressifs ou qui ont à cœur de rentabiliser leur résidence secondaire finissent par trouver un certain charme.

  • Les îles sont le refuge de de réalités parallèles et, comme dans Shutter Island, la vérité y jouit d'un droit d'asile au sens psychiatrique du terme.

  • C'est l'un des paradoxes des îles, la sensation d'indépendance y est plus forte qu'ailleurs quand la réalité de la dépendance y est souvent bien supérieure.

  • Le gant de laine et la théière chinoise en fonte sont le triomphe de l'inadéquation à leur environnement, deux pierres dans le jardin de Darwin.

  • Je marchais, pour sortir de cette apathie dépressive qui s'était emparée de moi au lendemain de la disparition de l'actrice et de l'achèvement de la fresque. La marche est le meilleur remède pour l'homme, disait Hippocrate à une époque où il s'agissait surtout de consoler ceux qui n'avaient pas les moyens de s'offrir un cheval. On dit aussi que la marche permet de réfléchir, mais les champions de marche à pied n'ont pas de choses tellement plus intéressantes à dire que les haltérophiles ou les lanceurs de javelot, voire moins.

  • Il est de rigueur de penser que les gens âgés sont plus sages et tolérants mais les guerres sont souvent déclenchées par des gens âgés à la recherche de quelque chose de stimulant qui les sorte de leur déprimant déclin et leur confirme qu'ils comptent encore pour quelque chose dans la marche du monde.

  • Désœuvrement et frustration sont les deux mamelles de la consommation.

  • C’est un étonnement constant de découvrir que des gens qui ne vous connaissent pas ont un avis sur qui vous devez fréquenter et avec quelles couleurs vous avez le droit de vous mélanger. Comme si la liberté des autres les renvoyait à l’enfermement de leur condition.

  • Je viens d’une lignée qui a produit des cavalcades d’aurochs sur les murs de grottes providentielles, sculpté les batailles de Trajan autour d’une colonne de marbre de Paros, peint les semailles de l’Égypte ancienne sur les parois de la tombe de Nakht et dessiné les trente-neuf feuillets en accordéon d’un codex maya conservé à Dresde. Mes prédécesseurs racontaient le monde en images quand l’écriture n’existait pas et que les écrivains étaient encore dans les arbres.

  • Sans réserves financières et sans perspectives d’en constituer, j’avais vendu mes quelques possessions et transformé mon appartement en temple du dépouillement, au point que j’avais finalement résolu d’en faire l’économie et décidé de m’installer sur l’Île pour une période un peu plus longue que les vacances qu’il m’arrivait d’y passer seul ou accompagné, même si un artiste ne prend jamais de vacances, comme en attestent les carnets de Léonard de Vinci où le mot n’apparaît pas.

  • J'avais préparé une allocution destinée à définir mon champ d'intervention et à rappeler les objectifs qui m'avaient été fixés, afin d'être sûr que tout le monde était sur la même ligne. Je résumai. J'étais là pour décorer la salle et « surprendre le visiteur par la représentation d'éléments caractéristiques de l'île ». Tout le monde fit oui, oui, en se regardant, comme pour s'assurer qu'il n'y avait pas de piège dans l'énoncé.


Biographie

Daniel Fohr, né en Algérie en 1956, est un écrivain français, enseignant, rédacteur, directeur de création. Après une enfance entre l’Algérie, le Vietnam, et la Corse, il passe un bac littéraire à Nantes, puis entreprend des études universitaires à Paris.
Titulaire d’un doctorat de lettres et civilisation hispano-américaines, il suit aussi les cours de Tzetan Todorov sur la question de "l’autre" à l’ENS de la rue d’Ulm.
En 1981, il part enseigner le français et l’espagnol au Venezuela à Maracaibo. De retour à Paris, en 1985, il devient concepteur-rédacteur pour l’agence TBWA. Il est à l'origine de nombreuses campagnes récompensées par des prix nationaux et internationaux.
En 2005, il est l'un des trois fondateurs et associés de l'agence M&C Saatchi GAD.
Écrivain, "Un mort par page" (Robert Laffont, 2007) est son premier roman. Daniel Fohr signe avec "La vague qui vient" (2023) son sixième roman. Il vit à Paris.

Son site : https://danielfohr.com/



jeudi 20 juin 2024

Cécile BAUDIN – Marques de Fabrique – 10/18 – 2023

 

 

L'histoire

Claude, jeune femme volontaire est obligée de se déguiser en homme pour exercer son métier d'inspectrice du travail. Elle enquête sur la mort mystérieuse d'un ouvrier des glaces. Nous sommes dans l'Ain, en 1893. C'est l'heure des usines, de la Révolution Industrielle. De son coté Sœur Placide accueille des jeunes filles qui sont destinées à être formées à la florissante industrie de la soie. Un pensionnat où entre éducation religieuse et travail de 12 heures par jour, ces toutes jeunes filles sont mise à rude épreuve pour un salaire de misère. Sous ces airs de femme dure, Sœur Placide s'intéresse à une jeune fille qui ressemble à Léonie, sa petite protégée de jadis dont elle n'a plus jamais eu de nouvelles.

Deux enquêtrices aussi éloignées l'une de l'autre pour résoudre un mystère commun.



Mon avis

Pour son premier roman, Cécile Baudin, va explorer sa région natale au temps de la révolution industrielle. Fini le temps où le pays vivait de l'agriculture, et de petits commerces, l'heure est aux grandes usines qui emploient presque toute la population. Surtout les soieries Perrin, réputées pour l'excellence de leur travail. Les cocons sont importés de Chine et doivent subir plusieurs traitements avant d'être filés. Pour cela, un étrange partenariat a été passé avec les autorités religieuses. Un bâtiment de 10 étages accueille chaque année un lot de fillettes de 8 à 14 ans. Formées dans la plus pure tradition du catholicisme, elles sont ensuite affectées à des travaux pénibles, 12 heures par jour, sauf le dimanche. Mal payées, elles ne toucheront leur paye qu'à la fin de leurs travaux, de quoi se payer un trousseau car elles sont des épouses recherchées, pour savoir conduire le ménage et pourquoi pas ouvrir un petit atelier de couture.

Avec astuce, via un polar historique fascinant, l'autrice s'en donne à cœur joie pour dénoncer ce capitalisme qui pointe son nez, et le sort des femmes. Car l'argent ne profite qu'aux riches, aux propriétaires des usines et de leurs cadres. Ceux-ci se croient tout permis, y compris les violences faites à ces femmes pauvres, sans réelle instruction.

Pour inverser la tendance, l'écrivaine donne vie à deux sacrées femmes : Claude est une femme déterminée et bien décidée à démontrer que son statut de femme ne l'empêchera pas de mener à bien sa carrière. Certaines de ses missions sont interdites aux femmes ? Qu'à cela ne tienne, elle s'affublera d'une fausse moustache et d'une redingote. Après tout, Claude est un prénom épicène, non ? Cela nous permet de bien appréhender quelle était la place du sexe dit faible dans la société de l'époque. Edgar est passionné de photographie, là aussi les détails sont une vraie mine d'or pour le lecteur. Sœur Placide s'investit beaucoup pour ces fillettes dont elle a la responsabilité. Et elle ira jusqu'au bout pour savoir ce qui advenue de sa petite protégée de jadis, Léonie, qui n'a plus jamais donné de nouvelles depuis son mariage, en prenant des risques insensés dans ce pensionnat où tout le monde surveille tout le monde.

Alternant les récits et les enquêtes des deux femmes, l'intrigue semble complexe, les premiers chapitres étant un peu lents à mon goût, mais il faut bien restituer l'ambiance particulière de l'époque. Écriture fluide, suspens qui nous apprendre à jouer au détective, voilà un roman bien écrit, qui est le premier de l'autrice.


Extraits

  • Au-dessus d’eux, un peu plus loin devant, on reconnaît la forme d’un homme, pendu par le cou, bien qu’il paraisse également retenus par les bras, dans une posture grotesque d’oiseau en vol. Le visage n’est pas discernable, car la tête penche en avant, menton sur la poitrine, selon un angle biaisé et impossible. Claude comprend que les fils précieux avec lesquels l’homme s’est entravé ont entaillé près de la moitié du cou, comme du beurre, détachant partiellement la tête du corps.
    Ce n’est rien de dire que le malheureux ne tient plus qu’à un fil…

  • Ce qu’elles mangeront, l’heure de leur réveil, de leur toilette, de leur coucher, tout ce qu’elles feront entre les deux, le moment de la matinée où elles iront se soulager, le choix de leur activité récréative, tout respectera désormais le règlement à la lettre. Au moins pendant trois ans, et, pour la plupart d’entre elles, jusqu’au mariage. La plus vieille de ces filles n’a pas quatorze ans.

  • S'il n'y avait eu qu'elle, cette enquiquineuse, et eux, ces étranges sosies, Edgar serait retourné à ses développements photographiques et à ces procès-verbaux qu'il envoie pompeusement au procureur, prétextant les avoir rédigés lui-même. Mais il y a l'âcre douceur de la Saône, et la talentueuse cuisinière de Julien. Il sent déjà l'odeur salée de la petite friture qu'elle lui prépare, à peine farinée et citronnée, encore frémissante à la sortie du bain d'huile, comme si les poissons frétillaient encore.

  • Le lendemain, Claude est contrainte de se grimer à nouveau (...). A la fabrique, c'est ainsi qu'on la connait, avec ses cheveux plaqués sur son crâne et sa moustache élégante. Un gilet d'homme et une redingote sévère sur son torse plat. Si elle se présentait subitement en tant qu'elle-même, on ne se dirait pas qu'elle était auparavant déguisée en homme. On en déduirait plutôt que l'homme a rasé sa moustache et s'est travesti en femme. Il est curieux de constater que chez les gens, la première vision reste toujours la référence, comme un ancrage automatique de la raison. Ce réflexe doit jouer bien des tours à de nombreuses personnes.

  • Jacquet est enfin arrivé au plus près du bord. Il pose sa lampe sur la glace, à sa gauche. Il râle déjà à l'idée qu'il va lui falloir ouvrir son pantalon de velours, puis son caleçon, et offrir ce qu'il a de plus précieux à la morsure de l'hiver. D'expérience, il redoute le moment où il devra viser le plus loin possible, avec un sexe réduit à la taille d'un goujon, et pas beaucoup plus facile à attraper.

  • Le gendarme n'a jamais rencontré d'inspecteur du travail. Un instant, il se demande si cela existe vraiment. Peut-être, après tout. De nos jours, il y a des inspecteurs pour tout et n'importe quoi. Ça, et des commissions.

  • Cette hiérarchisation des taches permet de coller à l’ordre naturel, les hommes étant mieux payés que les femmes, et les enfants, moins que les adultes. La rentabilité est à ce prix : la concurrence grandit, avec la Grande-Bretagne notamment, et les cocons doivent désormais s’importer du Japon.


Biographie

Cécile Baudin est une auteure française née à Lyon en 1972 , Après des études scientifiques à l'Université Claude-Bernard-Lyon-1 (1990-1995), elle a intégré une entreprise de transport de voyageurs.
Tout au long de sa carrière dans le transport (1995-2007), puis dans le BTP (2007-2011), et enfin à son compte, elle a également eu la chance de découvrir la Lorraine, la Charente Maritime, et l'Ile de France.
Son métier de DRH lui a permis de comprendre et de mettre en valeur de nombreux métiers industriels, artisanaux, ou de services. Tous essentiels, tous passionnants, tous constituant un patrimoine précieux de la culture et de l'histoire françaises.
En 2019, elle a décidé de donner une chance à son rêve d'enfant, l'écriture. "Marques de fabrique" a été publié en 2022 par France Loisirs.
Cécile Baudin réside en Seine-et-Marne.

Son site : https://www.cecilebaudin.fr/


vendredi 14 juin 2024

Madeleine BENJAMIN – Les enfants du Blizzard – Albin Michel 2023 -

 

 

L'histoire

Les deux sœurs Gerda et Raina, 16 et 17 ans sont employées comme institutrices avec comme mission d'apprendre l'anglais à la vague de migrants venus de Suède, Norvège, Allemagne, attirés par les annonces du gouvernement américain. Nous en en 1888, et ce que les USA nomment le Dakota où vit aussi une réserve Cheyenne. Mais sur ces terres, gelées en hiver et chaudes en été, difficile de cultiver ou de faire de l'élevage. Surtout que le temps est capricieux. Le 12 janvier 1888 la matinée est quasi estivale, mais un blizzard et un ouragan terribles s’abattent sur les écoles où enseignent les jeunes filles. Comment protéger ces enfants, peu vêtus du froid glacial qui s' engouffre partout ?



Mon avis

Madeleine Benjamin romance un sujet historique dont même les américains ne se souviennent plus. Le terrible blizzard de l'hiver 1888 qui a fait officiellement 260 morts chez les enfants, bien plus, car ne sont pas comptés les enfants amérindiens ou pas déclarés par leurs familles.

En 1887, le gouvernement des États-Unis avait lancé une grande campagne dans les pays d'Europe du Nord pour y faire venir des colons. Les grandes plaines de l'ouest, du Nebraska et du Dakota restaient peu peuplées, et les amérindiens parqués dans des réserves surveillées par l'Armée. Alors ils sont venus les colons auxquels on donnait des hectares de terre, parce que chez eux, l'emploi se faisait rare, les paysans ne gagnaient pas grand chose. C'est ainsi que les deux sœurs Olsen, filles d'intellectuels poussés par le changement et parlant anglais sont recrutées dans des écoles à une classe. Des bâtiments mal conçus avec des enfants de 5 à 15 ans issus des familles de colons.

Mais voilà que ce terrible blizzard arrive, alors que le matin même le temps était doux et que les enfants n'avaient pas leurs lourdes pelisses. Pour Raina, consciente que le petit bois de chauffage pour l'unique poêle ne suffira pas, décide de sauver tous les enfants, à commencer par Annette, une petite fille placée dans une famille où elle n'est pas la bienvenue et à qui la jalouse et stupide propriétaire n'a pas un mot aimable. Elle n'ignore pas non plus que son mari Gunner est intéressé par la jolie et fraîche Raina, une jeune fille prudente qui ne croit pas aux belles promesses.

La première partie du roman est formidablement étouffante , on souffre , on a froid , on espère , on prie mais on ne peut pas se sortir de ce marasme glacial .
Par la suite , viendra le temps de ..., vous savez , ce temps désespéré qui succède à toute catastrophe. Tellement bien relaté avec , il faut bien le dire, même si l'autrice grossit un peu les traits pour mieux faire passer le message, mais sans jamais tomber dans le misérabilisme et la mièvrerie. Deux sœurs, deux choix différents,
Derrière ce qu'on pourrait considérer comme un grave accident climatique se cachent bien des aspects de cette immigration. Les fausses promesses relayées par la presse pour " attirer " les volontaires, leur installation dans des plaines " désertiques " à la terre incultivable, la misère des colons, le retour au pays de la plupart , le racisme , le " système " éducatif qui n'en est pas un. Et puis il y a les profiteurs, les journalistes corrompus pour enjoliver la réalité, la compagnie de chemin de fer qui peut s'étendre, avec des tarifs élevés et des guerres internes entre les mairies, car là où le train passe, c'est une activité économique qui s'installe aussi.
Bien écrit, fluide, les chapitres alternent entre les récits et les choix des deux sœurs que désormais tout oppose. Avec une fin « ouverte » où l'on espère que Raina qui passe des diplômes universitaires mais reste hélas seule effectivement trouvera son bonheur.

Une lecture d'autant plus salutaires qu'en cette année 2024, les ouragans se sont déchaînés dans le middle-west américain, tout comme les chutes de neige, les inondations, des blessés et les morts. Pour l'écrire, l'autrice a fait des recherches pendant 1 an, en consultant les archives de presse, en regroupant des témoignages des enfants des survivants, dont certains sont devenus des personnages de ce livre.



Extraits

  •  Raina avait grandi, ce matin-là. Elle avait grandi, était sortie de l'enfance, des incertitudes, des idées fantasques, de ce romantisme idiot. Elle sentait qu'elle se tenait plus droite, que ses muscles s'étaient endurcis, qu'elle avait un goût amer dans la bouche. La vie dans toute sa beauté et sa tragédie c'était à cela qu'elle venait de goûter. Elle connaîtrait peut-être un jour l'amour à nouveau, la douceur, l'espoir, le bonheur. Mais elle ne connaîtrait plus jamais un monde où maman et papa avaient le pouvoir de tout arranger.  doit feindre ses orgasmes !

  • Anette est perdue dans la plaine en voulant partir vers la ferme où elle vit.
    « Elle resta un moment le bras en l'air, prête à frapper. Elle aurait aimé avoir quelque chose, quelqu'un à bourrer de coups. Elle hurla à pleins poumons, un long cri perçant qui se termina en geignement enroué. Elle haleta, c'était trop dur de respirer dans ce froid polaire, et pourtant de nouveau elle laissa libre cours à sa rage, une rage qui vint se heurter contre celle du ciel, sans le moindre effet. Elle était trop petite, trop insignifiante. Personne ne l'entendait. Personne ne s'en souciait. Tombant à genoux, elle pleura à gros sanglots. Et trembla, se consuma de colère, se ratatina de peur, et elle sut qu'elle allait mourir là et que personne ne s'en inquiétait.Prendrait-on la peine d'avertir sa mère ? Viendrait-elle chercher son corps ?  »

  • Là-bas, ils ne manquaient de rien ; il y avait toujours à manger sur la table, et les habits passaient de cousin en cousin. Ils n’étaient pas riches, c’est sûr – pas riches des choses qui ont de la valeur pour les hommes. Mais Raina savait que sa mère était plus heureuse, car elle était riche des choses qui ont de la valeur pour les femmes : la compassion, la conversation, la proximité. Malheureusement, une femme mariée ne choisissait pas. Son avenir était celui de son mari.

  • il est mort si petit, si vite, qu’il m’arrive d’oublier. Evidemment, je n’oublierai jamais complètement, mais les journées sont bien chargées, et je vous ai toutes les deux alors il m’arrive de ne pas penser à lui pendant quelques heures. Peter, c’est comme ça qu’on l’avait baptisé. Je ne reverrai jamais sa tombe et j’en ai pleuré, c’est vrai, quand on est partis.

  • Raina veut guider les enfants vers un refuge .« Elle marcha, et derrière cela suivit. Encore un pas, encore un. Quelqu'un tomba au milieu, il y eut des cris confus, puis il ou elle se releva tant bien que mal et la chaîne humaine reprit sa progression, en avant, en avant, toujours en avant. Pour combien de temps ? Combien de temps encore allait-il le supporter ? »

  • Il refusait que ses enfants soient instruits par pitié. Non, merci. Ils méritaient d’apprendre avec quelqu’un qui leur ressemblait et qui pensait comme eux. Ils méritaient d’être traités comme des êtres humains, pas comme de simples barreaux sur l’échelle du paradis. 

  • Mais ceux qui avaient vécu le blizzard ne l'oublieraient jamais. Ils transmettraient leurs histoires de génération en génération, sans les embellir, car ce n'était pas nécessaire. Et ce n'était pas leur genre. La vie continuait. Pour autant, bien des existences avaient irrémédiablement changé. Certaines, en mieux. La majorité, en pire.

  • Mais là c'était différent, et Anette n'arrivait pas à saisir en quoi ; elle savait juste que le nuage gigantesque qui cachait le soleil et secouait la petite école à en faire vibrer les vitres et les murs en planches semblait avoir recouvert son cœur aussi. Il lui donnait envie de hurler de terreur.

  • Aussi loin que l'œil pouvait voir, il n'y avait que ceci : un tapis mouvant de nuances de blanc aussi pures que la robe d'un ange; un soleil jaune cireux qui diffusait une méchante lumière crue et transformait la neige en dangereux tessons de verre visant pile les yeux.


Biographie

Néé Indianapolis, le 24/11/1962, Mélanie Benjamin est le nom de plume de l'écrivaine américaine Mélanie Hauser (née Miller).
Elle publie "Confessions of Super Mom" puis "Super Mom sauve le monde".
Son troisième roman, "Alice I Have Been", a été inspiré par la vie d'Alice Liddell Hargreaves.
"L'Autobiographie de Mme Tom Thumb" se concentre sur la vie de Lavinia Warren Bump. "Les Cygnes de la Cinquième Avenue", publié aux éditions Albin Michel, a été un best-seller international.

Son instagram : https://www.instagram.com/madeleine.benjamin.9803/


mercredi 12 juin 2024

Katarina Mazetti – Mon doudou divin – Editions Gaïa - 2012

 

 

L'histoire

Wera, pigiste en mal de succès trouve un sujet qui intéresse le magazine suédois Circulaire, dont la cible est les bobos chics. Elle va s'infiltrer dans une petite communauté « La Béatitude » qui veut réinventer un nouveau Dieu ? Installée dans un ancien camps de scout mal entretenu, elle se retrouve avec 4 autres individus plus le couple qui dirige le groupe. Des personnages qui ont tous quelque chose à cacher et qui sont (selon elle) totalement cinglés. Mais peut-on vivre sans Dieu ou sans croyance ?



Mon avis

La suédoise Katarina Mazetti s'empare d'un sujet complexe : la croyance en un Dieu. Non sans humour, le récit alterne entre les pensées de Wera et celles de Madeleine, une femme mystérieuse, plus toute jeune, qui ne se sépare jamais de son sac à dos noir.

Le couple qui les héberge a tout du cliché (voulu) : Annette, femme grassouillette, figure maternelle et son époux Adrian, le gourou habillé d'une robe de moins bleu foncé, qui énonce platitudes sur platitudes. Parmi les invités, il y aussi Karim, un jeune homme musulman qui est pour la fusion des 3 religions à Dieu unique (catholique et juifs), une mystérieuse dame grise qui ne se lie pas beaucoup et ne parle que par poèmes, le médecin radié Bertil qui fait la démonstration que l'humain a besoin de croire en quelque chose, ce quelque chose qu'il appelle Dieu mais qui est fait pour le rassurer (qui, croyant ou pas, n'a jamais dit un jour « au mon dieu ») ? Annette fait une crise de féminisme en rappelant que les hommes ont rejeté les déesses mères antiques pour mieux contrôler les femmes. Adrian lui veut un dieu écologique et bienfaisant concrètement. Madeleine veut oublier ses péchés et renouer avec la foi. Wera qui enregistre en secret ce petit monde, s'en fout royalement, et propose elle des dieux à la carte. Les discussions sont vives, chacun campant sur ses positions. Mais Wera découvre vite que tout le monde a quelque chose à cacher : que contient le sac noir de Madeleine, qui est ce docteur Bertil, assez riche mais radié de l'ordre des médecins. Annette et Adrian forment un couple mal assorti et qui ne s'entend plus. Karim a un besoin immense de reconnaissance. La femme grise est insignifiante, personne ne fait attention à elle.

D'une plume malicieuse qui sait aussi parfois se faire un peu angoissante, l'autrice suédoise s'en donne à cœur joie pour démystifier les religions. Mais pourtant, ne reste-t-il pas en chacun de nous ce petit désir de croire en quelque chose ?

Petit roman facile à lire, il vous fera réfléchir sur le poids de la religion, vos croyances, et peut-être vous faire réfléchir et remettre en questions vos certitudes. C'est bien fait, sans leçons de morale, çà se lit vit et c'est très drôle. La fin est assez épique mais je ne spolie pas.



Extraits

  • Les images le montrent bien : s'il existait une quelconque entité divine, elle serait malveillante et il faudrait la combattre par tous les moyens !
    " Le Dieu des catholiques qui a sur les mains le sang de millions de séropositifs et qui déclare que l'amour physique est un péché, pendant que les curés violent des petits garçons. Le Dieu tu-ne-tueras-point des bombardiers, qui laisse ses serviteurs bénir les bourreaux avant l'attaque. Le Dieu des musulmans qui pousse de jeunes hommes à se faire exploser en même temps que des innocents. Qui sert d'alibi pour réduire des femme en esclavage, pour faire d'elles le bétail des hommes et des prisonnières de leur propre corps. Le Dieu des juifs qui construit un nouveau mur de Berlin, le Dieu des hindous qui massacre les sikhs et les musulmans... et inversement...
    "Oui, les apôtres de toutes les religions avancent dans le sang, baignent dans le sang, tiennent des peuples entiers en esclavage dans un abominable abus de pouvoir ! LA FOI EN "DIEU" EST UNE PANDÉMIE QUI MENACE L'EXISTENCE DE L'HUMANITÉ !"

  • A la place de l’orgueil se déroule la Faiblesse-du-moi. Tu ne fais l’affaire que lorsque tu as acheté tel ou tel produit ou assimilé tel ou tel message ! Et nous devenons des victimes faciles pour les experts et les publicitaires, aussi faciles que nous l’avons un jour été pour le prêtre qui nous promettait le royaume des cieux.
    Au lieu de l’Avarice nous visons dans un Gaspillage porteur de mort. Nous savons tous que nous avons hypothéqué les ressources du futur et que nous sommes en train de les dilapider dès aujourd’hui. Nous avons mangé la nourriture de nos enfants, comme des parasites. Nous avons fabriqué nous même l’apocalypse qui nous attend.
    Le péché capital Luxure est devenu une industrie de luxure qui nous pousse dans l’Ennui. Qui peut vivre le vertige d’un baiser lorsque les sens ont été stimulés à outrance par des copulations routinières dans tous les orifices du corps ? L’amour comme exercice de fitness interminable où celui qui flanche doit feindre ses orgasmes !

  • Je travaille comme journaliste free-lance dans une petite localité. Si petite que les automobilistes de passage sont sidérés de tomber sue le panneau "Merci de votre visite, à bientôt" alors qu'ils croyaient tout juste arriver. Oui, il est parfaitement possible de louper complètement la ville, si on n'y prend pas garde. Je projette de déménager, mais il faudrait d'abord que ma vieille mère décide de mourir, elle n'en a plus que pour un an ou deux, au grand maximum. On n'est pas les meilleures amies du monde, mais on observe une sorte de neutralité armée, et je suis son seul enfant.

  • Je n'ai évidemment pas approché la solution du mystère d'un seul millimètre : qu'est ce qui peut bien pousser des personnes totalement ordinaires et normales ( en tout cas en apparence) à mettre en veilleuse leur existence de tous les jours pour venir sonder le fond de leur âme dans ce décor glauque ?

  • Et autre chose ! Toutes les cultures depuis l'aube des temps ont eu des mythes et des dieux - et à moins d'être cinglé au point de croire en tous, on est bien

  • obligé de tirer la conclusion que c'est un simple mortel qui les a bricolés au coin du feu dans sa hutte !

  • M'est venue à l'esprit la définition italienne des scouts : "un groupe d'enfants vêtus comme des idiots, menés par un idiot vêtu comme un enfant."

  • Ils étaient issus d'horizons divers et n'avait qu'une seule chose en commun :
    Aucun n'entretenait de relation avec le bonhomme surnaturel et barbu qui passait ses journées sur un trône la haut dans la stratosphère à trier les chèvres des moutons.

  • Il parlait comme un sauveur et il ressemblait à un dictateur, jamais auparavant je ne me suis rendu compte à quel point ces deux rôles sont si proches.

  • Ma voisine mange du yoghourt russe et du ginseng et pense qu'elle vivra au moins jusqu'à quatre-vingt-dix ans. Je lui ai demandé pourquoi elle voulait atteindre un tel âge plutôt que de mourir dix ans plus tôt comme la plupart des gens. Que se passe-t-il donc de si spécial entre quatre-vingts et quatre-vingt-dix ans? Il me semble que c'est précisément la période de vie dont on pourrait se passer.

  • Personne n’a encore réussi à profaner mon petit esprit méfiant et acariâtre avec des mystifications évangéliques, et si un jour je me sentais merveilleusement rachetée de mes péchés, j’irais immédiatement consulter un psy !

  • L'épouse (?) d'Adrian, Annette, vêtue d'une couverture de cheval indienne brodée. Elle avait le menton appuyé dans ses grosses mains rouges et elle regardait Adrian fixement, le visage totalement inexpressif. Je n'ai pas su déterminer si elle était fière de lui ou si elle prenait des mesures à vue de nez pour lui confectionner une nouvelle tenue.

  • Nous les femmes, nous avons solidairement mis un pied hors de notre foyers pour nous charger des fardeaux de nos hommes, mais eux n'ont pas encore porté les nôtres, alors qu'ils s'en trouveraient bien plus heureux ! Et ne serait-ce pas suffisant, ça, vouloir rendre le monde meilleur pour la moitié de l'humanité, pour ne pas dire toute l'humanité ?

  • Mais évidemment que DIEU existe ! avait-il rugi subitement. C'est à dire pas en tant qu'être divin ! Mais le concept "DIEU", c'est le plus grand politicien, le plus grand manipulateur et lèches bottes de tous les temps, et ses fidèles, ces abrutis malléables, peuvent se constituer en lobby, le plus grand de toutes les sociétés !



Biographie

Katarina Mazetti est une journaliste et écrivaine suédoise, née en 1944. Elle grandit à Karlskrona, port naval du sud de la Suède. Après des études de journalisme, elle amorce sa carrière dans des journaux locaux. Plus tard, elle reprend ses études et obtient une maîtrise de littérature et d’anglais à l’Université de Lund.

Elle travaille comme professeur à Malmö, puis comme producteur et journaliste à la Sveriges Radio (Radio suédoise) de 1989 à 2004. En littérature, elle publie des livres pour tous les âges, ainsi que des critiques littéraires, des chansons, des comédies et des chroniques pour des journaux et la radio. Son premier ouvrage de littérature d'enfance et de jeunesse est un livre d’images écrit en vers hexamètres classiques.

Elle vit pendant vingt ans avec son compagnon et ses quatre enfants dans une petite ferme du nord de la Suède avant de s'installer à Lund. Publié en 1998, son premier roman destiné aux adultes, "Le mec de la tombe d'à côté" ("Grabben i graven brevid") est fondé sur son expérience en tant que femme d'agriculteur. Il a été traduit en 22 langues et a connu un grand succès. Vendu à 450 000 exemplaires en suédois, il sera adapté au théâtre, à la télévision et au cinéma. En 2002, le film, réalisé par Kjell Sundvall, est un succès, vu par plus d’un million de suédois. En 2008, elle signe un roman historique intitulé "Le Viking qui voulait épouser la fille de soie" ("Blandat blod").
Elle est également l'auteur de la série jeunesse "Les Cousins Karlsson" ("Kusinerna Karlsson") ayant pour héros les quatre cousins Karlsson (7 tomes, 2012-2016).

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Katarina_Mazetti


mardi 11 juin 2024

Agnès LEDIG – Se le dire enfin – J'ai lu – 2021 -

 

 

L'histoire

Édouard, 50 ans, décide d'abandonner sa femme, sur un coup de tête, en portant la valise d'une vieille dame anglaise. Cela faisait longtemps que son couple battait de l'aile. Il arrive au gîte du « Doux Chemin », perdu dans la forêt de Brocéliande. Accueilli chaleureusement par Gaëlle, la maîtresse des lions, il va rencontrer son fils muet Gauvain et une étrange et très belle jeune fille Adèle. Dans sa poche la lettre de son grand amour qui n'habite pas loin.


Mon avis

On retrouve dans ce roman, les thèmes chers à Agnès Ledig : la connexion avec la nature et la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette fois-ci c'est la forêt de Brocéliande, haut lieu druidique avec ses arbres magnifiques, ses légendes, ses méandres qui sert de décor.

Les personnages sont tous un peu fracassés par la vue. Gaëlle qui vit seule depuis la mort de son mari et doit s'occuper de Gauvain, enfant mutique et hypersensible. L'étrange Adèle qui est une cavalière hors-pair et qui cache aussi un lourd secret. Susan, l'écrivaine un peu trop fureteuse, qui espionne en douce les activités des membres. Puis il y a Raymond, le voisin bourru mais sympathique, qui parle une sorte de patois hilarant. Enfin Platon, le chat philosophe observe son petit monde en distribuant coups de griffes ou affections selon.

Édouard fait le point sur sa vie. Il n'aime plus sa femme, trop superficielle, trop dans l'apparence, et espère renouer avec celle qu'il a toujours aimé qui vit dans la région justement.

La paix de la nature, la mer déchaînée, les petites bruines de cet été finissant et l'heure des grands choix et des révélations.

Agnès Ledig sait dire en douceur les malheurs et sa poésie n'est plus à démontrer. Mais, c'est son deuxième livre, et j'aurais aimé qu'elle change de sujet. J'aurais aussi aimé plus de place à la magie de Brocéliande, aux légendes et un peu moins d'introspection de la part d’Édouard, qui hésite encore. 465 pages c'est un peu trop pour révéler ce que l'on a compris dès les premières pages. Et les personnages sont un peu trop clichés pour moi. On est loin de la puissance d'écriture d'une Tiffany Mc Daniel, bref ce livre ne laissera pas des souvenirs mémorables.

Mais c'est bien écrit, c'est page turner si on ne connaît pas.



Extraits

  • Platon s’approcha de l’arbre à pas de loup, grimpa le long du tronc couvert d’une mousse épaisse, ses griffes largement déployées pour atteindre l’écorce et s’y agripper. Deux énormes branches jumelles – qui, à deux mètres du sol, partaient à l’opposé l’une de l’autre – offraient à son corps gracile une zone plane et confortable. Il s’allongea et ferma les yeux. Le chat pouvait rester ainsi des heures sans bouger. À l’affût du moindre bruit, en sécurité, perché là-haut au bord d’une clairière calme.
    Le temps s’écoulait, rythmé par l’agitation alentour et les nombreux chants d’oiseaux.
    Le bruissement des feuilles répondait au murmure imperceptible des graminées qui dansaient dans le vent. L’animal, enveloppé de verdure, se laissait bercer par le concert que la nature lui jouait, riche de milliers de solistes. Platon ne céderait jamais sa place car il sentait qu’elle était sienne. Rien ne pouvait s’opposer à cette douce vérité. Après sa sieste, il pandicula avec soin puis s’éloigna comme il était venu, vers sa maison de Doux Chemin, intrigué par cette sensation éprouvée durant son sommeil. Il se retourna juste avant de bifurquer vers le sentier qui menait au hameau, pour regarder le tilleul une dernière fois. Rien ne serait plus comme avant.

  • Que veux-tu ? Avec qui ? Pourquoi ? Comment ? Pose-toi ces questions mille fois et agis. Tu as plus de printemps derrière toi que devant. Il est temps. Le passé est révolu. Le présent est ici. Tu y joues un rôle, ton rôle. L'avenir s'imposera. Attends.
    La liberté est l'oxygène de certains amours. Elle en a besoin, toi aussi, tu le sais. Tu respires mieux depuis que tu es ici; Et il n'y est pas question de feuilles ou de béton. Tu es un affranchi. Un affranchi du couple. L'idée te convient, elle convient à Elise. Certains canapés ont des messages subliminaux à délivrer.
    Rien n'empêche de s'aimer. Surtout pas cette liberté-là. Vivre seul à deux donne envie de partager plus fort les moments plus rares. Tu as l'âge où tout bouge, tout se remet en question, tu as lâché quelques certitudes, compris quelques règles simples, imaginé assez de scénarios pour savoir celui qui te convient. réfléchis et à la fois arrête de réfléchir. Vis.

  • Lui revint la description que Gaëlle avait fait de son fils, et qui le replongea au creux de sa propre enfance. L’hypersensibilité dont il avait souffert, sur laquelle il n’avait jamais posé de mots. Il avait dû appartenir à cette catégorie d’enfants différents qu‘on appelait aujourd’hui précoces, ou dys-quelque chose. Quarante ans plus tôt, ce genre de dépistage n‘était pas monnaie courante. Le comportement de cet adolescent le renvoyait à sa propre réalité – il en fut consolé. Sa différence, ressentie depuis toujours, ne lui apparaissait plus comme une faiblesse mais comme un fait dont il s’était accommodé.

  • Elise.
    Il y pensait le matin, le soir, dans tous les moments où de belles choses se présentaient à lui et qu'il avait envie de partager. Elle était l'incarnation du beau dans ce monde plutôt laid.
    Elle était une nuit de pleine lune quand on a peur du noir.
    Elle était le rayon de soleil sur le feuilles d'automne.
    Elle était la première fleur du printemps.
    Elle était la campagne enneigée à l'aube.

  • S'il y a bien deux choses sur lesquelles l'homme n'a aucune prise, c'est le temps qu'il fait et le temps qui passe.

  • Puis il demanda au vieil homme s’il connaissait bien la forêt, sa légende, s’il croyait à la magie qu’on lui prêtait. — C’est en nous qu’est la magie, les arbres sont juste un moyen de nous la montrer. Pour d’autres ce sera la mer ou la montagne.

  • Et si je fais le mauvais choix ?
    -Et si tu fais le bon? Personne n'a dit que la vie était facile. Traversons la en de grandes enjambées heureuses plutôt qu'en rampant.

  • Quand elle alluma le ventilateur au centre de la roue, le mécanisme s'enclencha et délivra ses premières bulles. Elle éclata de rire. De ce rire enfantin qu'elle n'avait pas perdu. Qui avait fait fondre Edouard à quinze ans. Qui le faisait fondre à cinquante. Ce rire, aussi petit et innocent soit-il, désintégrait toutes les peines, toutes les peurs. Il s'installait au premier plan, cachant derrière lui toute la misère du monde.

  • Le miroir aux fées, ou lac de Morgane. Encaissé et entouré de végétation, le lieu et protégé du vent, d'où la surface immobile, comme un miroir. Le Val sans retour est un des lieux les plus symbolique de la forêt. Élève de Merlin, la fée Morgane, après avoir trouvé son amoureux Guyomard dans les bras d'une autre, jeta une malédiction sur les amants infidèles en les enfermant dans ce Val. Lancelot du Lac réussi un jour à les libérer. La réputation sulfureuse de Morgane a fait scandale quand l'abbé Gillard l'a fait apparaître sur le chemin de croix de l'église du Graal. je te montrerai quand nous la visiterons. Gaëlle resta silencieuse un long moment lui pensait aux avances d'Adèle. La ressemblance est troublante avec la fée. Belle, élancée aux atouts certains, aux cheveux longs noirs, libre et provocante. Un peu magicienne.

  • Cette liberté immense et trop soudaine lui donna le vertige. Un angoissant vertige. Tous ses repères voltigeaient, ce q'il avait construit s'effritait. Il se sentait disparaître à l'intérieur de lui-même, n'être qu'un éboulement, un puits naturel qui se forme, sans pouvoir s'accrocher aux parois trop friables. Il allait mourir sous ses propres gravats.

  • Au moyen age une ancolie sur un tableau voulait dire que celui-ci recelait un message caché. C'était aussi la signature de Léonard de Vinci, dont le célèbre dessin de l'Homme de Vitruve illustre les proportions du corps humain, dans lesquelles on retrouve le nombre d'or.

  • Éprouvant le besoin de le toucher, il s'approcha du tilleul. Une sorte de fluide invisible l'envahit, l'aidant à apprivoiser le vertige du vide.
    Ne te sens pas coupable. On a parfois besoin de se retrouver seul pour faire le point. Tu as aimé ta femme. Peut-être pas aussi fort qu'il est possible, mais tu l'as aimée. Puis tu l'aimes moins. Différemment. Tu as de l'affection. Une simple affection. même le désir s'en est allé. Alors pourquoi tu restes ?
    Par confort ? Par habitude ? La peur de décevoir ? Ou celle, plus insidieuse, de faire mal ? Tu réfléchis beaucoup, alors que tu as déjà toutes les réponses.
    Cherche bien. Cherche en toi. Tu sais. Pieds nus dans l'herbe mouillée, il pensait à Elise. Tout sonnait juste au fond de lui. Oui. Tout sonnait juste. 

     

Biographie

Agnès Ledig est une romancière française née à Strasbourg en 1972.
Après une expérience en agronomie, elle décide d’intégrer l’école de sages-femmes de Strasbourg. Spécialisée en prévention, contraception et accompagnement émotionnel des femmes, elle obtient son diplôme et devient sage-femme libérale. Elle est sage-femme libérale en Alsace jusqu'en 2015. Elle est l'épouse d'un agriculteur normand et mère de trois enfants.
Agnès Ledig commence à écrire en 2005, pendant la maladie de son fils Nathanaël, souffrant d'une leucémie. Pour répondre aux questions que posaient tous ceux qui se préoccupaient de Nathanaël, elle tenait un bulletin hebdomadaire. Un professeur de médecine qui suivait l'enfant lui a révélé son don de transmission et l'a encouragée à écrire. Quand Nathanaël est parti, elle ne s'est plus jamais arrêtée.

"Marie d’en haut" (2011), son premier ouvrage, a remporte le prix "coup de cœur des lectrices" du roman Femme Actuelle 2011.
En moins de cinq ans, Agnès Ledig s'est imposée comme l'une des romancières françaises les plus aimées du grand public. Ses trois best-sellers, "Juste avant le bonheur" (2013), prix Maison de la Presse 2013, "Pars avec lui" (2014) et "On regrettera plus tard" (2016) sont aujourd'hui traduits en 12 langues.
En 2016, elle publie son premier album jeunesse, "Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage", illustré par Frédéric Pillot, qui illustrera également son deuxième album, "Le cimetière des mots doux" (2019). En 2020, elle publie son septième roman "Se le dire enfin", suivi de "La toute petite reine" (2021).

son site : https://www.agnesledig.fr/biographie


jeudi 6 juin 2024

Jens LILJESTRAND – Et la forêt brûlera sous nos pas – J'ai Lu 2023

 

 

L'histoire

Didrik, sa femme Carola et leurs 3 enfants dont un petit bébé de 3 mois passent leurs vacances d'été au nord du Lac Siljan dans le comté de Dalécarlie au centre ouest de la Suède. Lorsque des incendies éclatent un peu plus au Nord, dans le Jamtland et le feu se propage à toute vitesse. Se rendant compte du danger, Didrick est sidéré de voir que sa luxueuse berline tout électrique est à court de batterie, et on leur conseille de se rendre dans une ville à 11 kilomètres de là, puis dans un camps de réfugiés climatiques à Ratviik, où des familles s'entassent déjà, avec le peu de bien qu'ils ont peu récupérer. Touristes mais aussi habitants évacués, il faut prendre un train pour Stockholm. Mais le fils cadet est introuvable tout comme sa sœur adolescente. La mère Carola, dont l'entente avec son mari n'est pas au beau fixe, décide de partir et laisse son mari partir avec le bébé. Mais à Stockholm c'est un climat de guerre civile. Les militants écologistes sont en rage contre le gouvernement qui n'arrive pas plus à gérer ces feux qu'à apporter des secours. Les magasins sont pillés, le renfort de la police et des barrages pour empêcher de rentrer dans la capitale sont installés. Bienvenue en enfer. C'est la première des 4 histoires comptées dans ce livre.


Mon avis

Jens Liljestrand est un documentariste spécialisé dans l'écologie. Ce premier roman, traduit en 22 langues est toujours un best-seller en Suède, mais aussi dans les pays nordiques.

Ici, il nous livres 4 histoires, racontées par quatre protagonistes qui vivent chacun la situation des ces feux monstres selon leur ressenti.

Didrik, ce père de famille, consultant réputé en questions environnementales n'est en fait qu'un homme qui prêche de belles paroles, se-complait dans le statut de « réfugié climatique » alors qu'il n'a fait que des boulettes. Assez riche pour se payer de belles vacances, car la famille devait partir en Thaïlande, n'hésitant pas à dévorer une cote de bœuf bien saignante, dès son arrivée à Stockholm, il se réfugie chez sa maîtresse, Mélissa, à qui il a fait les promesses classiques du type qui n'a pas envie de quitter sa femme et son confort. Mélissa, influenceuse, souvent sans le sou, vit pour l'été dans un bel appartement qui est prêté par des riches propriétaires en vacances. Elle essaye de lire un livre, et pour elle, les questions de réchauffement climatiques existent, mais elle part du principe qu'il faut profiter un maximum de la vie et de ses plaisirs. Un peu raciste sur les bords, auto-centrée, elle finit par mettre dehors son ex-amant dont elle ne supporte plus les mensonges. Malgré les supplications de celui-ci. Elle garde toute fois Becka, qui grandit, ne voulant pas faire vivre l'enfer à ce bébé, qu'elle remettra plus tard à sa mère Carolina.

André, fils d'une ancienne star du tennis prend à son tour la parole. C'est le fils de l'homme qui a loué son appartement à Mélissa. Mal dans sa peau, mais admirant son père qui pourtant le traite de loser, il profite pourtant de la fortune immense que son père gaspille, sans se préoccuper une seconde de ce qui se passe, hors de sa maison de vacances dans l'île de Sandham, privilégiée par un climat agréable.

Enfin Vilga, l'adolescente de 16 ans, l'aînée de la famille de Didrik, fait elle un autre choix. Retrouver son petit frère, que le père a littéralement jeté dans une voiture d'inconnus et reste introuvable. Pour cela, elle fait preuve d'une grande intelligence, aide aux camps de réfugiés et est finalement la seule personne sympathique de ce gros pavé de 700 pages.

Bien évidemment, tout y passe : la surconsommation, L'auteur condamne fermement la société de consommation, et surtout les plus riches d'une absolue irresponsabilité. Quoiqu'il arrive, ils restent centrés sur leurs modes de vie, convaincus qu'ils auront toujours les ressources pour se tirer d'affaire contrairement aux plus démunis qui n'ont aucune chance de survivre aux pénuries.
Sceptiques, résignés, indifférents ou indignés : lorsqu'ils sont confrontés à une situation de crise, les personnages réagissent tous de la même manière, sauver leur peau avant tout.

Mais 700 pages, avec un interminable chapitre sur la famille d'André, c'est trop. On sature un peu. D'autant que l'on connaît déjà les problèmes liés au réchauffement climatique, mais héla, individuellement comment réagirions-nous face à une catastrophe (on pense aux inondations qui ont frappé cet hiver/printemps en France), aux feux de 2022 dans les landes, où la terre est toujours chaude en sous-sol. Mais nous n'avons pas encore vécu une forme d'apocalypse où la société se divise, et se meut en une double guérilla. Les écologistes furieux manifestent, tandis que les pillards en profitent ce qui rend Stockholm invivable. Et dans tout le pays où malgré l'aide de la Norvège, ces méga-feux n'arrivent pas être circoncis.

Le mérite de l'auteur est de nous démontrer que nous n'avons pas tous la même solidarité, le même désir quand le vrai danger est là.

Mais une écriture plus resserrée, moins de détails répétés sur les états d'âme des principaux protagonistes aurait à mon avis été bien plus percutant. On fini noyé sous une masse d'informations, alors que nous ne sommes plus de bébés et que la plupart d'entre nous sont quand même au courant du réchauffement climatique et de ces conséquences, si bien démontrées dans ce livre. Que ferions-nous personnellement dans une telle situation entre guérilla civile et incendies monstrueux ? Pour ma part, j'ai constaté l'entraide des populations lors des inondations en France, et je crois que tout ce qu'anticipe notre auteur pourra être évité si nous nous donnions les vrais moyens de vivre plus simplement . N'oublions pas que seuls les dirigeants, les politiques peuvent vraiment orienter au mieux les choix car non, on n'a pas de planète B. Mais cela c'est un autre combat, très peu évoqué dans le livre, alors qu'il me semble crucial.



Extraits

  • Je sors sur le ponton. Le petit bocal en verre se trouve là, juste à côté de l’échelle. Le thermomètre flotte comme d’habitude à la surface de l’eau, attaché à l’un des poteaux par un petit fil en nylon, j’ai une soudaine envie d’y jeter un coup d’œil. Vingt-neuf degrés. Je ne vois pas le dauphin, le vent a dû l’emporter. Je regarde l’orée du bois. La fumée est passée de gris foncé à noire comme la poix. Entre les cimes des arbres, j’entrevois des flammes. Le ciel est une bouillie de suie et de cendres traversé de traînées écarlates, il tremble dans la chaleur, malgré le vent j’entends les craquements des arbres et des buissons. Je fais volte-face et je me dirige vers le petit vieux.
    — Allez, venez ! Nous pouvons nous serrer dans la voiture, vous ne pouvez pas rester, vous le comprenez bien !
    La société ne doit pas gaspiller du temps et des ressources inutilement, juste parce que vous…
    Il demeure immobile. J’avance d’un pas vers le banc, je tends une main. Le vieux corps se fige, un mouvement imperceptible sous les vêtements, des tendons, du cartilage qui se tendent. L’idée de le hisser du banc, le guider, le porter, le transbahuter jusqu’à la maison puis à la voiture où se trouve déjà une famille de trois enfants avec tout son paquetage me fatigue d’avance.

  • La civilisation court à sa perte et à terme aussi toute l'espèce, la plupart des gens pensent sans doute que l'être humain existera sur cette plante dans cent ans, trois à cinq cents ans c'est aussi possible de se l'imaginer, sous une forme quelconque, au moins dans certaines régions, mais dans mille ans ? Dix mille ans ? C'est ridicule, pourquoi existerions-nous encore ? Elle sourit de ses dents d'une blancheur éclatante. Et dans cela réside une certaine liberté. Une consolation. Il n'y a pas de problèmes environnementaux, il n'y a pas de crise climatique, il n'y a pas de fin du monde. Ce qu'il y a, ou y avait, c'est une espèce de mammifères qui s'est multipliée ah point de briser tous les écosystèmes dont elle dépendait, ce qui l'a menée au suicide collectif et c'est dommage, bien sûr, si on a le malheur d'appartenir à cette espèce, mais dans une perspective cosmique ou évolutive, c'est tout à fait insignifiant. Ça n'a pas la moindre importance. Elle balaie le public du regard. Certains prennent des notes, mais le majorité d'entre nous l'écoutons sans broncher. Alors qu'est-ce qui importe ?

  • La nature ne négocie pas. On ne peut ni la convaincre, ni l'apaiser, ni la menacer. Nous sommes une catastrophe naturelle qui s'étend depuis dix milles ans, nous sommes la sixième extinction de masse, nous sommes un super-prédateur, une bactérie meurtrière, une espèce invasive, mais pour la nature nous sommes qu'une ride sur la surface. (...) Lorsque nous disons que nous sommes en train de "détruire la planète" ou d'"endommager la nature" c'est un mensonge égocentrique. Nous ne détruisons pas la planète. Nous ne détruisons que nos possibilités d'y vivre.

  • Désolé pour le bruit, mais je suis en train de ranger la voiture, nous devons nous dépêcher de partir.. Les informations, enfin ça dépend de ce que vous entendez par là. Bien sûr qu on a reçu des informations indiquant quil fallait partir etc., mais dans une perspective à long terme, cette canicule extrême est causée par une crise climatique que toutes les autorités du monde occidental connaissent depuis des décennies sans avoir agi, et là je pense qu on aurait pu mieux nous INFORMER, je veux dire, pas maintenant, mais il y a dix, vingt ou trente ans, on aurait au moins pu nous INFORMER que l'Etat n'avait pas l'intention de remplir sa mission la plus importante, à savoir protéger la population mondiale d'une série de catastrophes très prévisibles.

  • Nous devons leur apprendre que le pire n’est pas ce que la nature va nous faire. Mais ce que nous nous ferons les uns les autres.

  • L'insolence, l'égoïsme, l'absence totale de reconnaissance qui semblent couler dans ses veines, tout cela se pose comme une pellicule sale, grasse, sur le bonheur qui à l'époque m'emplissait chaque fois que je plongeais dans ses yeux bleu clair.

  • Lorsque nous disons que nous sommes en train de "détruire la planète" ou "d'endommager la nature", cer c'est mensonge égocentrique. Nous ne détruisons pas la planète. Nous ne détruisons que nos possibilités d'y vivre.

  • Pourtant, la chaleur c'est la mort, me dis-je, assis sur le quad, à regarder les flammes danser dans les cimes des arbres autour de moi. C'est mourir, faner, flétrir, se désintégrer, devenir cendre. La chaleur fait de nous des êtres indolents, paresseux, passifs, indifférents. Puis vient le feu. Et avec lui l'anéantissement.

  • Une époque où les journaux usaient encore de titres comme LE SUPER ÉTÉ CONTINUE! 0u LA CHALEUR MÉDITERRANÉENNE EST DE RETOUR! comme si la canicule était un phénomène dont il fallait se réjouir, les plages, la baignade, les terrasses, les soirées à transpirer dans les festivals de musique, les enfants euphoriques qui jouent dans le jet de l'arroseur de jardin, une époque où la Méditerranée était synonymne de cocktails et de traces de bronzage. Pourtant, la chaleur C'est la mort, me dis-je, assis sur le quad, à regarder les flammes danser dans les cimes des arbres autour de moi. C'est mourir, faner, Flétrir, se désintégrer, devenir cendre. La chaleur fait de nous des êtres indolents, paresseux, passifs, indifférents. Puis vient le feu et avec lui l'anéantissement.

  • Devenir mère c'est se briser, une plaie qui ne cesse jamais de saigner, s'ouvre à plusieurs reprises. Il y a des mots spéciaux que seule une mère peut prononcer, des larmes qui n'appartiennent qu'à elle.

  • C'est tout ce bordel aussi, dis-je avec un geste vers la situation chaotique sur le quai. La vie s'écoule et ce serait différent si l'on pouvait se projeter dans un avenir radieux, se dire que toi et moi on pourrait profiter d'une vie un peu luxueuse après cinquante, soixante ans, mais ça ne se passera pas comme ça, hein ? La vie c'est ça maintenant et ça va aller de mal en pis. Tout. On ne peut qu'espérer mourir avant que ça ne devienne totalement insupportable. Mais la chaleur, l'eau, la nourriture. Qu'on réussisse à faire fonctionner la société quelques années de plus, avant que la prochaine pandémie ne referme tout. Qu'on ne soit pas obligés de manger des insectes. Que les racistes et les fous ne conquièrent pas encore plus de régions du monde. Qu'il y ait du café à boire dans notre maison de retraite.


Biographie

Jens Liljestrand , né le 18 décembre 1974 à Västervik , est un auteur , critique littéraire et journaliste suédois .
Il fait ses débuts en tant qu'écrivain en 2003 avec le livre de reportage Made in Pride . En 2004, il publie un autre livre reportage, Nous sommes des scouts suédois , portrait d'enfants de la classe moyenne et des différentes ambitions qui les nourrissent. Ses débuts dans la fiction ont eu lieu en 2008 avec le recueil de nouvelles Paris – Dakar . Il a été suivi en 2011 par Adonis , construit autour des membres d'un groupe de chant de Lund .
"Et la forêt brûlera sous nos pas", son deuxième roman, le premier traduit en France, est un livre ouvertement militant. Il cherche à mettre la littérature au service d’une cause, celle qui, aux yeux de l’auteur, devrait ­désormais prévaloir sur toutes les autres : Le réchauffement climatique.

Jens Liljestrand a reçu le prix de littérature Tidningen Vi 2008 ; selon la motivation "pour ses histoires déchirantes et surprenantes, où il dépeint le délire de l'homme suédois contemporain avec une précision linguistique sans faille et un humour cruel".