dimanche 25 juin 2023

ABIR MUKHERJEE – L'attaque du Calcutta-Darjeling – Folio 2016

 

L'histoire

1919. Le capitaine Wyndham arrive à Calcutta où il doit prendre ses fonctions d'enquêteur de sa très sérénissime majesté (le Roi Georges V). E déjà une affaire l'attend, le meurtre d'un haut fonctionnaire de l’État Anglais, proche du Vice-Gouverneur. Si il semble que le meurtre soit imputable à des terroristes et notamment un homme très recherché par les services secrets, celui-ci, vite arrêté n'avoue pas le meurtre. D'ailleurs Wyndham, aidé du loyal sergent Banerjee va devoir faire la lumière non seulement sur cette affaire, mais aussi sur l'attaque d'un train supposé transporter des fonds. Et si les deux affaires n'étaient pas liées ?


Mon avis

Voici le tout premier volet de la série des Wyndham qui comporte à ce jour 4 titres. Un très gros succès commercial Outre Manche, et l'entrée en scène de célèbre Capitaine (ancien de Scotland Yard). Le voici débarqué à Calcutta, ville déjà tentaculaire, avec ses beaux quartiers construits dans le style néo-colonial des anglais, et ses quartiers louches où l'on trouve des bars, bordels et autres fumeries d'opium, habités par les castes les plus pauvres. Qu'allait donc faire dans ces quartiers peu surs pour les européens le haut fonctionnaire assassiné, un homme dépeint tour à tour comme exigeant puis alcoolique et finalement très pieux ? La piste terroriste si elle conduit comme par hasard à l'arrestation d'un homme très recherché des services secrets ne convainc pas du tout le Capitaine qui met à jour une machination soignée.

Nous découvrons l'univers qui pouvait régner en Inde à la fin de la seconde guerre mondiale. Un double ressentiment. Les Anglais bien installés qui s’occupent de commerce ou travaillent dans l'Administration n'ont aucune considération pour les indigènes, et ceux-ci ne les aiment pas plus comme colonisateurs. Et puis il y a le regard et la façon de parler de Wyndham, unique dans son genre. C'est assez hilarant, pas vraiment toujours convenable mais un style est né, et on s'amuse beaucoup à lire ce polar, rien que pour les remarques ironiques, acerbes ou très drôles du fameux capitaine. Avec ce premier livre, un héros est né, genre anti-héros qui ne dit jamais non à une pinte de bière, ni à quelques verres de whisky et va fréquenter de temps en temps les fumeries d'opium.


Extraits :

  • 'Empire, c'était vraiment une entreprise de la classe moyenne, s'appuyant sur des écoles comme Haderley. Des institutions qui produisaient à la chaîne les diligents jeunes hommes au teint frais servant de lubrifiant à ses rouages; ils devenaient ses fonctionnaires, ses ecclésiastiques et ses percepteurs. Ils se mariaient à leur tour et avaient des enfants qu'ils renvoyaient en Angleterre recevoir la même éducation qu'eux. Dans les mêmes écoles, où ils étaient modelés pour devenir la prochaine génération d'administrateurs coloniaux. La boucle était bouclée.

  • Nous nous arrêtons devant une entrée assez grandiose. Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire : Bengal club, fondé en 1827.
    A côté d'elle un panneau en bois annonce en lettres blanches : ENTREE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS. Banerjee remarque ma désapprobation. - Ne vous inquiétez pas, Monsieur, dit-il, nous savons où est notre place. En outre , les britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n'a pas atteintes en plus de quatre mille ans.- Absolument renchérit Digby. Je demande des exemples. Banerjee a un mince sourire.- Et bien nous n'avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens.

  • Ainsi , dis-je, vous ne croyez pas à la supériorité de l'homme blanc ? - En plus de quinze ans ici, j'attends encore d'en avoir une preuve. Je suis irlandais , capitaine. Si je n'accepte pas qu'à Londres tant d'Anglais soient prêts à me traiter de stupide paddy , qu'est-ce qui me donne le droit de me dire supérieur à une autre race ?

  • Le soleil se lève à cinq heures en déclenchant une cacophonie de chiens, de corbeaux et de coqs, et au moment où les animaux se fatiguent, les muezzins démarrent, de chaque minaret de la ville. Avec tout ce bruit, les seuls Européens à ne pas être déjà éveillés sont ceux qui sont ensevelis au cimetière de Park Street.

  • La cage d'escalier a une odeur de respectabilité. En réalité elle sent le désinfectant, mais à Calcutta c'est à peu près la même chose.

  • Vous êtes vraiment un sale type méfiant, n'est-ce pas ? J'imagine que vous ne faites confiance à personne ? - C'est vrai. Parfois, même pas à moi.

  • Sa colocataire, la fille maigre au visage sévère, est dans le couloir les bras croisés et les lèvres serrées, telle une jeune Mme Tebbit en formation. Un de ses bigoudis s'est détaché. Il essayait probablement de s'enfuir. Je ne peux pas le lui reprocher.

  • La voiture avance dans une longue allée de gravier entre les pelouses immaculées. Plusieurs jardiniers indigènes sont occupés à tailler le gazon déjà parfait. Comme des barbiers au service d'un homme chauve.

  • L'idée m'a paru d'autant meilleure que je n'en avais pas d'autre.

  • Très peu de choses sont strictement illégales pour un Anglais en Inde. Aller dans une fumerie d'opium ne l'est certainement pas. Quant aux Chinois, eh bien nous pourrions difficilement le leur interdire, attendu que nous avons mené deux guerres contre leurs empereurs pour avoir le droit de répandre ce maudit truc dans leur pays. Au point que nous avons réussi à faire des drogués d'un quart de la population mâle. Si on y réfléchit, cela fait de la reine Victoria le plus grand trafiquant de drogue de l'Histoire.

  • La discipline est essentielle.
    C'est comme traverser une rivière sur le dos d'un crocodile : certains pourraient juger l'entreprise téméraire, mais si vous savez ce que vous faites, elle vous mènera ou vous le souhaitez.
    Le principe, évidemment, est de ne pas se faire dévorer, et c'est pourquoi vous devez être maître de la situation.


Biographie

Né en 1974 à Londres, Abir Mukherjee a grandi dans l’ouest de l’Écosse dans une famille d’immigrés indiens. Fan de romans policiers depuis l’adolescence, il a décidé́ de situer son premier roman à une période cruciale de l’histoire anglo-indienne, celle de l’entre-deux-guerres.
Premier d’une série qui compte déjà̀ quatre titres, "A Rising Man" (L’attaque du Calcutta-Darjeeling) a été́ traduit dans neuf pays.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Abir_Mukherjee


Critiques presse

lundi 19 juin 2023

Antoine CHAINAS – Bois-aux-Renards – Gallimard Nrf 2023

 

L'histoire

Au début il y eu Chloé, bébé miraculeusement rescapé d'un accident de voiture qui a emporté toute sa famille (1951).

1986, Yves et Bernadette qui ont perdu leurs films unique Romain, se sont transformés en un couple de tueurs en séries. Leurs vacances en camping-car n'est qu'un prétexte à enlever des filles dans des endroits isolés, puis de les étrangler lentement et de les enterrer. Ce petit rituel dure depuis quelques années, mais cet été là sera différents. Alors qu'ils ont enlevé une prostituée, Anna, une fillette de douze ans, analphabète et handicapée mentale les surprend en plein acte de torture. Yves part à sa recherche sans succès. Anna sait se faufiler partout, et est sauvée par une renarde douce qui fait partie de Bois-aux-Renards, une forêt où a pris racine un curieux clan, mené par Hermione, une vieille femme boiteuse. Ici on vit au plus prêt de la nature, dans son respect et avec l'amitié des animaux. Mais tout bascule quand Yves et Bernadette entrent dans cette forêt aux étranges pouvoirs.


Mon avis

Qui aurait pu penser que le merveilleux rejoigne le polar, que les contes se heurteraient à la macabre réalité, que la magie combattrait la noirceur des âmes? Plus qu'un roman c'est une très belle expérience littéraire à laquelle nous convie Chainas, et son écriture d'une grande beauté.

Au centre du roman, parfaitement structuré, on trouve ce fameux « bois-aux Renards » une forêt enchantée où la nature s’entremêle, généreuses avec ceux qui la respecte et sont des âmes pures, dure et cruelle comme un piège qui se referme sur les âmes noires. Notamment celle de ce couple étrange formé par Yves et Bernadette, en apparence si classiques. Elle est instinctive, sans réflexion et sa sexualité ne peut s'épanouir que dans le meurtre, d'abord de son propre enfant, puis de jeunes femmes inconnues, des sdf, des prostituées, qui ne manqueront à personne. Yves lui se sent investit d'une mission : outre celui de satisfaire les désirs morbides sa femme, il s'auto-justifie en se comparant à un Dieu, en exprimant par sa haine de la société de consommation, car dans la vie ce ne sont qu'une caissière et un magasinier, soumis aux aléas du patronat et de la mode et en filigrane de son impuissance à satisfaire sa femme sexuellement

Cet été 1986 tout bascule. Le premier meurtre, celui d'une prostituée est hélas observé par Anna, une enfant de 12 ans, analphabète et simple d'esprit, ballottée de campings en campings par une mère irresponsable qui l'abandonne pendant des jours entiers. Anna n'a pas l'intelligence requise mais comprend qu'elle est en danger. Alors qu'elle se sait poursuivie, elle arrive à échapper à Yves en rentrant à son insu dans Bois-Renards. Elle est alors hébergée par Chloé, seule rescapée d'un accident de voiture et qui a été sauvée par Hermione, la maîtresse d'un clan de chasseurs-cueilleurs qui vit là depuis des siècles et qui ont créé tout une mythologie autour du lieu, y vivent le plus simplement possible.

La deuxième erreur du couple maudit est de tenter de capturer une adolescente mais celle-ci a une force surhumaine et arrive à s'échapper. Perdus alors qu'ils doivent absolument quitter la région en suivant la voie des cols, le couple pénètre dans un village miteux du bois légendaire. Les masques tombent, et une fois encore cette magnifique forêt, cachée de tous, continue sa vie, entourée de la nature généreuse, des mythes qui s'ajoutent et d'une harmonie retrouvée.

Un ouvrage magistral qui vous tient en haleine, il est structuré en alternant les point de vue d'Yves le tueur, d'Anna l'enfant devenue la protégée de Chloé, revenue vivre dans cette forêt pour prendre soin des renards, de Marjolaine a la triste fin, et de la communauté menée par Hermione la guérisseuse et son mari le conteur Admète aussi chef de clan. Admète connaît toutes les mythologies du monde, il fait référence aussi bien à Artémis, qu'aux guerres perses, a lu Eschyle et autres philosophes mais est implacable face à la dissimulation.

Vous serez étonnés comme Anna qui découvre sa nature profonde et qui n'est plus considérée comme une arriérée, vous serez bercés par les contes et les histoires qu'on raconte à la veillée où les hommes, les renards, les arbres et la terre ne font plus qu'un.

Un des meilleurs romans que j'ai lu depuis quelques temps, et surtout l'écriture érudite et ce français si bien écrit, juste un langage poétique et simple, ce qui est rare de nos jours où les effets de style, de mise en pages ou de ponctuation sont quelques peu dédaignés. Les amoureux de la langue française y découvriront des mots peu utilisés mais prégnants, des phrases sans trop ni moins, le parfait équilibre entre la rédaction et l'histoire.


Extraits :

  • La voûte étoilée, lande scintillante éclairée par des feux lointains que l’on savait morts depuis des siècles, des millénaires peut-être, ouvrait entre les nuages les lacets de son corsage , dénouait les fils lascifs des ténèbres et défrayait les imaginations fiévreuses trop promptes aux extases ou à l’effroi.

  • Le plus grand péché de l’être humain, c’était de laisser passer la première faute. Ensuite, plus moyen de s’arrêter. Une fois l’élan donné, l’erreur descendait la pente sans rien à quoi se raccrocher.

  • Ces lieux te montreront ce que tu as besoin d'obtenir, de retrouver. Ils te dévoileront les choses oubliées, celles dont  il faut se souvenir pour apprendre. Les réminiscences t'aideront à renouer avec l'unité, à reconnaître ton propre destin. Je sais que tu ne comprends pas ce que je dis, enfin pas tout à fait, mais tu devines que quelque chose t'a attirée ici, et que tu ne dois pas repartir avant d'y avoir accéder. Bois-aux-Renards t'indiquera la marche à suivre. Il te suffira de suivre la nature, de l'imiter

  • L’obligation des précautions sordides, les gestes fixés à l’avance pour apaiser l’esprit ou détourner l’attention augmentaient le plaisir.
    Le quadragénaire omit à dessein de préciser que leur excursion en boîte de nuit s’était soldée par du rouge dans une ruelle. Du rouge fumant sur une gorge froide.

  • Peut-être que cette nausée avait toujours existé, se dit-il. Peut-être qu'elle avait toujours attendu, précédant son arrivée au monde, et qu'aujourd'hui il la rencontrait enfin, il l'identifiait, il la reconnaissait, il l'épousait, il y succombait.


Biographie

Né en 1971 à NiceAntoine Chaînas est un écrivain français de romans policiers. Il s'est imposé, à partir de 2007, comme l'un des auteurs phare de la collection "Série noire" dirigée par Aurélien Masson chez Gallimard. Son roman "Pur" est paru en 2014 à la Série noire de chez Gallimard. Ce livre a été récompensé du Grand Prix de la Littérature Policière la même année. Son sixième roman "Empire des Chimères" paraît à la rentrée littéraire de septembre 2018, toujours dans la même collection. Bois-aux-Renards est son dernier roman.


Critiques presse


dimanche 18 juin 2023

SUSAN CHOI – Exercice de confiance – Actes Sud - 2021

 

L'histoire

Années 1980, ACA, prestigieuse académie anglaise (Académie des Arts et du Spectale).

David et Sarah s'y sont inscrits avec le rêve de devenir sinon de grands acteurs, du moins décrocher des jobs dans le domaine artistique.

Amoureux, durant un été, ils sont remis en cause comme tous les étudiants par le professeur Mac Kinsey quia connu une très brillante carrière au théâtre. Mais ce professeur a des méthodes d'enseignements particulières. Ne s'inspirant d'aucune école connue, il reprend des idées de l'actor's studio qu'il déploie pour casser la personnalité des élèves, pour la reconstruire. Il applique au théâtre une méthode psychanalytique, sans faire de travail sur le texte, ni donner de véritables cours d'interprétation.

Il aime plonger ses élèves dans le noir et les faire se toucher, ou les mettre dans des situations difficiles où le corps est bien plus présent que l'esprit.

Sarah, profondément altérée à son insu par ces enseignements particuliers se confie à ce professeur qui résonne comme une icône ou plutôt un gourou. Ainsi, elle rompt avec David. 12 ans plutard, Sarah remet en question l'enseignement qui l'a marquée et en livre sa propre version.


Mon avis

On aurait pu penser à une version du film culte Fame, et sur la liberté de création. Il n'en est rien et c'est plus un roman un peu décousu, en trois parties qui se veut de disséquer les liens entre l'auteur et son public mais qui n'y arrive pas.

La première partie est axée sur l'enseignement en lui-même et sur les ressentis assez nombrilistes des élèves. Ils suivent aveuglement un enseignant qui a eu son heure de gloire, mais qui les pousse dans des exercices qu'ils ne peuvent pas assumer, trop jeunes et trop immatures pour en saisir la portée symbolique. Et certainement pour un plaisir un peu sadique de ce prof vénéré.

Sarah et David formaient le petit couple amoureux parfait et complémentaire. Mais leurs amours ne dureront qu'un été, brisé par les regards de l'enseignant, des supposées vérités qu'ils croient inscitent en eux. Cette première partie fait un peu penser à un roman d'ados où au lieu de s'ouvrir au monde, chacun se retranche derrrière la personnalité qu'il croit avoir. Ici on ne parle pas d'analyse de textes, d'une pièce à monter, de l'art du jeu ou de la technique comme la diction, les longues répétitions. Bref on n'est pas à la Comédie Française.

La deuxième partie se veut l'analyse de ces années d'études par Sarah qui, le temps ayant passé. Elle croit poser un regard critique sur l'enseignement reçu, mais accumule les clichés de psychologie de comptoir et c'est encore un autre échec. De plus, les personnages changent de noms ce qui brouille le récit et semble justifier son manque d'action par la supposée supériorité de la pensée.

La dernière partie nous montre une Sarah devenue actrice de sa propre vie, sans plus de recul, et toujours dans l'ambiguité.

Bref un roman indigeste à souhait, si ce n'est une certaine solidarité féminine et des allusions à au mouvement me-too mais cela ne suffit par pour moi de quoi en faire un livre qui se perd dans les méandres de la fausse psychologie, de la perversité effleurée mais jamais abordée, de la manipulation où l'on aime trop jouer les fausses victimes.

Bref un roman de 360 pages qui ne nous apprend rien, ne nous entraine ni vers la poésie, ni vers l'envie de faire du théâtre même en loisirs et qui ne nous ouvre aucunement sur d'autres mondes.



Extraits :

  • À l’Aca, les élèves en première année d’Art Dramatique apprenaient la Mise en Scène, Shakespeare, le Solfège, et se livraient en cours de théâtre à des Exercices de Confiance, termes qui tous devaient s’écrire avec une majuscule, comme il convenait à leur relation à l’Art avec un grand A.

  • Cherchant peut-être à faire comme si elle avait mal entendu, comme les gens le font parfois pour gagner du temps, quand ils pensent que ce qui compte est la façon dont ils réagissent et non la chose qui a été dite.

  • Dans leur ville, seuls les plus pauvres des pauvres, ou les personnes venant de se faire agresser, marchaient.


Biographie

Susan Choi, née en 1969 à South Bend dans l'Indiana, est une romancière américaine lauréate du National Book Award en 2019.
Choi est née d'un père coréen et d'une mère juive, ses parents ont divorcé lorsqu'elle avait neuf ans. Elle est diplômée en littérature de l'Université Yale et de l'Université Cornell.
Son premier roman "Exercice de confiance" a été traduit en français chez Actes Sud.

Pas beaucoup de critiques presse pour ce livre qui n'a pas semblé non plus captiver les journalistes spécialisés.

samedi 17 juin 2023

RON RASH – Par le vent pleuré – Seuil 2021

 

L'histoire

Été 1969, Silva, petit village à l’ombre des Appalaches en Caroline du Nord.

Tous les dimanches Bill 21 ans et son frère 16 ans vont pécher la truite dans un coin de la rivière isolé. Ils rencontrent une adolescente Ligeia, placée chez son oncle pour divers problèmes dont des addictions à la drogue. Peu farouche, elle couche avec les deux frères et accroche surtout avec Eugène, plus fragile, qui va voler des médicaments (opiacés, valium et autres) dans la pharmacie de son grand-père. Il lui apporte aussi de l'alcool, bières, vins, whisky. Puis un jour l'adolescente, déjà connue pour des fugues disparaît, ce qui n'étonne personne, la gamine était connue pour fugues, et delits mineurs.

Mais 40 ans plus tard, des ossements sont retrouvés lors d'un glissement de terrain. Il s'agit bien de Ligeia, et l'autopsie révèle qu'elle a été égorgée. Eugène se pose des questions.


Mon avis

Ron Rash connu pour ses romans et poèmes écrit sur sa Caroline du Nord, notamment dans les zones montagneuses où se terminent la chaîne des Appalaches. Un excellent roman, court et qui nous replonge dans les années du flower power aux USA.

A Silva, on écoute encore de la country et le mouvement hippie est inconnu. C'est ce que va apporter Ligeia, qui entraîne avec elle, le cadet de la famille Matney. Cette famille dysfonctionnelle est menée à la baguette par le grand-père, le seul médecin généraliste de la ville, homme respecté et craint qui mène la vie dure à ses deux petits fils, le père étant mort et la mère effacée. Il décide de tout, notamment de ses petits fils. Le brillant et raisonnable Bill sera chirurgien, et le cadet plus rêveur fera au mieux un bon enseignant, au pire un instituteur. Pour leur argent de poche, les deux frères si différents doivent nettoyer le cabinet de soin et n'ont que le dimanche, après la messe et le repas pour se distraire.

Dans le petit bras de rivière un peu isolé où ils aiment pêcher, il rencontrent la sensuelle Ligeia, qui vient de Floride. Elle amène un vent de fraîcheur et de liberté dans les existences bien chronométrées des deux garçons. Elle connaît les musiques qui sont à la mode, se vante d'avoir vécu dans une communauté hippie, et séduit surtout Eugène, totalement fascinée par cette « sirène «  si libre, aimant faire l'amour, mais exigeant toujours un peu plus de cadeaux. Si Bill qui est fiancé comprend que cette histoire ne peut pas durer et que cette fille cache plus de problèmes qu'un joli minois, Eugène lui satisfait tout ses caprices : de la bière ou du vin, on passe au whisky et parce qu'elle est supposée rester scolarisée à Sylva, elle retrouve des amis dealers et initie aussi le petit à fumer de l'herbe. Elle parle tout le temps de partir en Floride ou à San Franscico, et un jour, après un « incident » qui semble vite réglé elle disparaît.

En 40 ans, les choses ont bien changé à Silva. Bill a épousé sa fiancée et est devenu un brillant chirurgien reconnu comme l'un des meilleurs. Eugène qui se rêvait romancier est resté alcoolique. Après un accident où il a mis en danger les jours de sa propre fille, alors qu'il avait trop bu, sa femme le quitte et sa fille sauvée de justesse ne veut plus le voir. Il erre dans la maison familiale, continue à boire, ne fait rien de ses journées. Quand le chérif vient lui poser quelques questions sur Ligeia, il s'inquiète et pense que son frère n'est peut-être pas étranger au meurtre. Il veut savoir la vérité. Finalement Bill lui raconte ce qui s'est vraiment passé, ce qu'il a vu, et qui lui aussi le hante. On mesure alors tout l'amour qui lie l’aîné à son cadet, un amour dont Eugène, trop perturbé n'a pas conscience.

Pour cette histoire, Rash se serait inspiré d'un fait divers. Il raconte avec simplicité et poésie cette étrange histoire, celle qui inspire tous ses livres, celle de l'Amérique très rurale, et des destins brisés.



Extraits :

  • J’avais prévu de rédiger mon mémoire sur [Thomas] Wolfe. Ma directrice de maîtrise m’en a dissuadé. « Wolfe est quasiment oublié de nos jours », a-t-elle objecté, ce qui me semblait une raison de plus pour le faire, afin qu’il ne soit pas oublié, ou seulement, comme l’avait écrit Wolfe lui-même, « par le vent pleuré ». 

  • Nos salaires étaient équivalents à ceux que nous aurions touchés pour des emplois plus pénibles si nous avions bossé dans une équipe municipale d’entretien des espaces verts ou à la scierie locale. Que Grand-père nous ait engagés, Bill et moi, semblait une façon de réaffirmer ce qu’il avait déclaré à notre mère quand l’accident de chasse l’avait laissée veuve – qu’il prendrait soin d’elle et de nous deux. Grand-père était propriétaire de la maison où nous vivions, qu’il nous autorisait à habiter sans acquitter de loyer, toutes taxes et charges payées.

  • - Allez, Eugene, a-t-il repris avec un petit rire. Ne me dis pas que tu n'as jamais bu quelques bières en cachette. - Non, jamais. - Même pas une ? - Non. - Mais alors, qu'est-ce que tu fous toute la journée ? s'est-il enquis, incrédule. Tu ne peux pas passer ton temps à lire et à écrire ! Tu ne joues pas au base-ball, tu ne sors pas avec des filles, et tu ne vas pas au ciné. Au moins, je me disais que tu devais picoler. A-t-on jamais vu un écrivain qui ne picole pas ?

  • Chaque printemps les fortes pluies arrivent, et la rivière monte, et son cours s'accélère, et la berge se désagrège toujours davantage, brunissant l'onde de son limon, mettant au jour une nouvelle couche de terre sombre.

  • Il y a certains choix que l'on fait et dont on a connaissance, pour toujours, jusqu'à son dernier soupir – il ne s'agit là, évidemment, que des mauvais choix.

  • Maintenant l'hiver est là. La terre autour de Panther Creek est enfouie sous trente centimètres de neige, la rivière vitrée par le gel. Il ne reste plus de feuilles pour donner une voix au vent.

  • Je me souviens de longues soirées d'été, heures de méditation et de contemplation, seul sur la plage, comme une chose échouée, quelque part entre Mingan et Longue-Pointe-de-Mingan. J'écoutais la tranquillité du monde, assis sur le sable fin.

  • Ma petite amie, voilà comment je pensais à elle. Parfois, devant la glace, je le disais tout haut, et quand j'écoutais la radio les chansons d'amour me laissaient penser que j'étais peut-être amoureux. "C'est gentil" disait-elle chaque fois, mais à part le collier elle n'a jamais rien porté de ce que je lui ai offert. Elle disait qu'elle cachait mes petits présents dans sa valise pour que son oncle et sa tante ne se demandent pas d'où ils venaient.

  • Á San Francisco, le Summer of Love, l’été de l’amour, a eu lieu en 1967, mais il a fallu deux ans pour qu’il atteigne le petit monde provincial des Appalaches. Sur l’autoroute en février, on a aperçu un hippie au volant d’un minibus bariolé, un évènement dument signalé dans le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture était quelque chose qu’on ne voyait qu’à la télévision, tout aussi exotique qu’un pingouin ou un palmier nain.

  • Il n'y a pas de photo de mon grand-père sur la cheminée, et il n'y en a jamais eu - une des rares occasions données à ma mère de tenir sa présence à l'écart de notre existence .

  • Et donne-moi une fin heureuse, a ajouté Ligeia, dont le sourire s'est évanoui, parce que dans la vraie vie ça ne risque pas d'arriver.

  • Votre moitié vous croit meilleur que vous ne l'êtes, et pendant un moment, à vrai dire, vous partagez cette opinion. Mais un beau jour vous cessez d'y croire, et bientôt votre épouse aussi, c'est alors que vous lui rappellerez où elle vous a rencontré, et le verre de whiskey qui était posé entre vous sur le comptoir, et elle dira : "Oui, je t'ai rencontré dans un bar. J'ignorais simplement que ta vie se déroulerait comme si tu n'en étais jamais sorti."

  • Je me suis mis à genoux derrière elle. En nouant les cordons verts, j’ai pensé : Je sais maintenant de quoi parlent toutes ces chansons, ce dont elles parlent je l’ai fait. Ligeia s’était rallongée et elle a fermé les yeux. Je l’ai imitée, mais moi j’ai gardé les miens ouverts ; la bière et le sexe, la chaleur de l’après-midi et le murmure de la rivière avaient provoqué en moi un sentiment de satiété rêveuse. Je n’étais plus celui que j’avais été, et cette personne-là, ce garçon-là, je ne le serais plus jamais.

  • C'est là que les romans se trompent si souvent, se trompent sciemment, a-t-elle remarqué lorsqu'elle a rouvert les yeux. On fait certains choix et l'on s'éteint sans avoir jamais pu vérifier s'ils étaient bons ou mauvais.


Biographie

Né en 1943 en Caroline du Nord, Ron Rash est un écrivain, poète et nouvelliste, auteur de romans policiers. Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de littérature anglaise.
Il est titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il enseigne l’écriture de nouvelles. Sa carrière d'écrivain s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998.
Il a écrit des recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires. Ron Rash vit actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement des tribunes sur ces sujets.

 

Le Film Serena

Au lieu de vous mettre des liens, je vous propose ma critique du très beau film tiré du livre Serena de Ron Rash, mis en scène par Suzanne Bier avec Bradley Cooper et Jennifer Lawrence dans le rôle titre.

Georges Pemberton épouse sur un coup de tête la somptueuse et mystérieuse Serena rencontrée à Boston et l'emmène en Caroline du Nord, où il exploite du bois. Nous sommes en 1930, la Grande dépression frappe et la main d’œuvre bon marché afflue pour l’abatage des arbres. Serena s'y connaît aussi en exploitation forestière. Elle fait venir un vautour dressé pour chasser les serpents venimeux et sauve la vie à un des hommes de main de Georges qui lui témoignera une admiration et une soumission totales. Car on meurt beaucoup dans le travail difficile de l'abattage des arbres. De plus, pour limiter l'exploitation, le gouvernement veut instaurer une réserve naturelle et protégée. Pour maintenir ses intérêts, lors d'une partie de chasse Georges abat un représentant de l’état mais ne sera pas inquiété malgré les soupçons du shérif, ses hommes témoignant pour lui.

Serena, admirée et respectée perd l'enfant qu'elle portait et apprend qu'elle ne peut plus en avoir. Elle découvre que Georges a eu un fils illégitime avec une cuisinière de la petite communauté et cherche par tous les moyens à le faire supprimer, entrant de plus en plus dans la folie. Georges s'en rend compte et réussit à mettre à l'abri la femme et l'enfant.

Mais Georges est impliqué aussi dans une double comptabilité, et sait que la police va l'arrêter. Il remet ses livres comptables au shérif et lui promet de venir se rendre le lendemain. Le temps de réaliser son rêve : abattre un puma. Mais c'est le puma sauvage qui le tue. Comprenant qu'elle est ruinée, que son mari ne l'aime plus, Serena se donne la mort en mettant le feu à la maison.

Le film est hélas sorti au mauvais moment, de gros films étant à l'affiche. Mais je ne remettrais pas en cause l'interprétation sublime de J. Lawrence, qui s'empare de ce personnage, et laisse monter la folie qui la mènera à la catastrophe. Pour le film, Bier a fait reconstruire un vrai petit village en Caroline du Nord, avec sa voie ferrée, son église, ses forêts, et la maison des Pemberton tout au bout de main-street, grande mais sans tape à l’œil ostentatoire. Elle a décidé aussi d'y tourner les scènes d'intérieures. Sa palette de couleurs sourdes, des bruns, des gris, des verts passés contrastent avec l'élégance de Serena qui seule porte des couleurs chatoyantes et luxueuses, signe de richesse autorisé. Bradley Cooper qui peut rentrer dans plein de registres facilement et qui avait déjà tourné avec Lawrence dans Happiness Thérapy, se fond dans ce personnage finalement fade de petit seigneur local. Il marche avec un temps de retard par rapport à son ambitieuse femme, il ne sait pas la consoler de la perte de l'enfant tant désiré, sinon en lui offrant bijoux et robes. Les rôles secondaires sont aussi parfait et les décors grandioses. Dommage que ce drame ayant eu des problèmes de financement et n'ayant pu concourir aux Oscars ait été un peu oublié. C'est un vrai film d'autrice, sans temps mort et toujours en tension.


 

 

mardi 13 juin 2023

AKI SHIMAZAKI – Hôsuki, l'ombre du charbon – Babel Poche 2021

 

L'histoire

Mitsuko tient une librairie spécialisée en livre rare. Elle vit avec son fils de 7 ans Taro, sourd-muet et sa mère. Un jour une cliente femme de diplomate lui achète pour une fortune de livres. Cette femme dont la petite fille s'est prise d'amitié pour Taro fera tout pour revoir Mitsouko.


Mon avis

Les petits livres d'Aki Shimazaki, qui écrit en français font le succès des librairies. Appréciés pour leur histoires assez courtes, poétiques, ou drôles, tout le monde devrait avoir un petit livre de cette autrice dans son sac.

En résidence littéraire à Montréal où elle vit depuis 1991, elle apprend le français et écrit des cours romans en cycles de cinq, tous inhérents à la nature humaine.Le premier cycle s'appelle le poids des secrets, le second Au cœur du Yamato, le 3ème l'Ombre du charbon dont tous les titres ont des noms de fleurs, et pour le moment le dernier cycle qui n'a pas trouvé son nom.

Dans Hôzuki (nom d'une jolie fleur japonaise rouge qui fleurit l'hiver), ce sont les coïncidences qui n'en sont pas qui sont à l'honneur. Mitsuko tient une librairie d'ouvrages d' philosophie, c'est une grande lectrice. Aidée par sa mère qui a adopté pour l’église catholique, Mitsuko n'a pas de conviction religieuses, alors que son fils Taro très curieux s'intéresse au bouddhisme tout comme l'étrange cliente qui cherche tant à nouer une amitié avec Mitsuko. Sans le savoir, elles ont une histoire commune.

L'occasion de s'interroger sur le hasard, les coïncidences ou la synchronicité. Et servi par l'écriture épurée de l'autrice qui laisse traîner son regard sur les petites joies du quotidien nous emmenant dans son monde ici enchanté.

On peut tout a fait lire les histoires indépendamment les unes des autres, tant elles sont variées et dans des registres différents.



Extraits :

  • Je me demande toujours qui j'étais dans mes vies antérieures et qui je serai dans mes vies futures. À chaque vie, je ne suis pas la même personne, mais l'âme demeure la même en changeant de corps éternellement. C'est comme un collier de perles sans fin. Lorsqu'une perle en croise une autre, - c'est le moment où on rencontre quelqu'un, comme nous -, ce sont les deux âmes qui se croisent.

  • Mitsuko, sais-tu quel est le but des religions ? C'est de libérer de la douleur de la vie et de la mort. Le bouddhisme ne fait pas exception. Ce en quoi il est différent des autres religions, c'est que les bouddhistes tentent par eux-mêmes d'atteindre l'éveil, alors que les monothéistes comptent sur leur dieu pour arriver au paradis. - Alors, quel est le but de la philosophie ? - C'est de se demander comment vivre jusqu'à la mort, pourquoi on est né dans ce monde, surtout de comprendre ce que signifie le monde.

  • Je me rappelle la phrase que Shôji m’a lancée une fois : « La pensée est une prérogative de l’humain. » Je ne savais pas de qui il tenait ce cliché, mais je n’y trouvais que de l’arrogance. Je lui avais dit : « Les animaux aussi parlent, observent, réfléchissent, se souviennent, ont peur, se battent, se cachent… Ils ne vivent pas seulement par instinct, ils pourraient avoir une pensée possiblement plus sage que celle des hommes. »

  • Devant les clapiers à lapins du zoo où elle a emmené son fils Taro pour fêter ses sept ans, Mitsuko se rappelle son secret, l'adoption de Taro, adorable métis qui s'est révélé handicapé, sourd et muet.

  • Chacun a une vie unique et des problèmes qui pourraient être incroyable. Comme on dit:" La réalité dépasse souvent la fiction." Mais après tout, la vie d'autrui ne regarde personne.

  • Si madame Sato avait connu la vérité sur ma vie et sur ma mère, elle aurait sans doute immédiatement cessé de me voir. Peu importe. Je me serais fichée de ce qu’elle aurait pensé de nous. J’ironise dans ma tête : « Se ficher de tout, cela implique-t-il être « sereine » ?

  • Vous me semblez mener une vie sereine », m'a dit madame Sato, qui a reçu une bonne éducation et de l'instruction. Mariée à un diplomate, elle vit dans l'aisance. « Sereine», je ne sais pas vraiment ce qu'elle veut dire. Je vis à n'en pas douter dans un monde totalement différent du sien. On ne choisirait pas le mien spontanément, sauf pour le métier de bouquiniste.

  • Par contre , ce dont madame Sato parle ,c'est de l'ésotérisme.Un monde spirituel qu'on ne voit pas. Je nourris des doutes quant à l'état mental des gens qui, comme elle, se préoccupent de choses pareilles. En fait , elle est complètement perdue.

  • Pourtant, notre relation a pris fin : Shôji m'a demandé de l'épouser et j'ai refusé. L'idée de fonder une famille avec lui, ou avec qui que ce soit, ne me tentait pas, surtout pas celle d'élever des enfants. Je voulais être libre d'obligations domestiques.


Biographie

Née au Japon en 1954, Aki Shimazaki est une romancière québécoise. Elle est née au Japon dans une famille dont le père est agriculteur. Durant sa jeunesse, elle développe une passion pour la littérature. Cependant, elle travaille pendant cinq ans comme enseignante d'une école maternelle et a également donné des leçons de grammaire anglaise dans une école du soir.
En 1981, elle émigre au Canada, où elle passe ses cinq premières années à Vancouver, travaillant pour une société d'informatique. Après cela, elle part vivre pendant cinq ans à Toronto. À partir de 1991, elle s'installe à Montréal où, en plus de son activité littéraire, elle enseigne le japonais. En 1995, à l'âge de 40 ans, elle commence à apprendre le français tant par elle-même que dans une école de langue. Puis, elle commence à écrire en français de courts romans. Tous les titres de ces livres portent un mot japonais.
Pour son premier roman "Tsubaki" (1999), elle a obtenu le Prix de la Société des écrivains canadiens et a été finaliste du Prix Littéraire de la Ville de Montréal 1999 et du Grand Prix des lectrices Elle Québec 2000. Pour "Hamaguri" (2000), elle s'est méritée le prix Ringuet 2001 et a été finaliste pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2001.
Ses premiers romans sont publiés dans la collection "Un endroit où aller" chez Leméac/Actes Sud. Il s'agit d'une série de cinq titres, un premier cycle intitulé "Le poids des secrets" (1999-2004), qui racontent la même tragédie, mais chaque fois sous angle différent puisque le narrateur change d'un roman à l'autre. Elle a remporté le Prix littéraire Canada-Japon du Conseil des Arts du Canada 2004 pour "Wasurenagusa" (2003) et le Prix du Gouverneur général du Canada 2005 pour "Hotaru" (2004).
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ELIF SHAFAK – Crime d'honneur – Édition Phoebus ou Poche 10/18. - 2014

 

L'histoire

Londres 1991. Iskender, 30 ans à peine, sort de prison après 13 années de peine. Il a tué sa propre mère, La jolie Pembé dont il supposait la liaison avec un homme autre que son père. En fait de liaison, il s'agissait de pudiques rencontres avec un homme, à peine un baiser échangé du bout des lèvres. Il faut dire que Pembé a été abandonnée par son mari, alcoolique, joueur, et infidèle qui est parti pour vivre avec une danseuse de cabaret ? Pour nourrir ces 3 enfants, la fougueuse Esma et le petit dernier Yunus scolarisés dans des bonnes écoles à Londres, Pembé travaille dans un salon de coiffure. Mais elle est aussi l'héritière d'un lourd passé familial. Il faut comprendre le pourquoi de ce meurtre, et comment des croyances d'un autre temps et d'un autre pays ont conduit à cette situation là.


Mon avis

On n'est jamais déçu quand on lit un livre d'Elif Shafak. A chaque fois, elle nous offre des histoires qui tentent de réconcilier Orient et Occident. Avec sa poésie naturelle, une structure du roman qui ne nous laisse jamais en rade.

Pour comprendre l'histoire, il faut remonter à 2 générations. Dans un village perdu de la Turquie kurde, la mère de Pimbé n'a donné naissance qu'à 7 filles et pas un héritier. Ce que cette femme, morte en couches après avoir encore donné naissance à une fille mort-née, ne se pardonne pas.

Parmi les benjamines, les deux jumelles Pembé et Jamila sont inséparables. Mais Jamila i est déjà exclue du village : même si sa virginité est restée intacte, elle avait été enlevée par des truands mais les ragots du village font qu'elle ne peut pas se marier et d'ailleurs elle ne le souhaite pas. Son prétendant Arem épouse donc la jumelle, une femme qu'il n'aime pas et qui ne l'aime pas non plus, mais ainsi est fait le destin. Jamila restera au village, dans une modeste maison où elle deviendra sage-femme et guérisseuse, tout en correspondant avec sa sœur tant aimée.

Après un séjour à Istanbul, la famille de Pembé, alors enceinte de son troisième enfant, débarque en Angleterre dans le quartier modeste de Hackney où vivent des familles de migrants. Adem trouvera bien un emploi mais entre la boisson et les dettes de jeu, il fini par délaisser le foyer, pour s'installer avec une danseuse de cabaret dont il devient le serviteur.

Pembé se retrouve seule à élever 3 enfants. Iskender celui qu'elle appelle son sultan, l’aîné, est orgueilleux, violent, soupçonneux. Entouré d'un gang de mauvais garçon, et influencé à son insu par l'islamisme radical qui commence à prendre racine, il se met à surveiller sa mère et découvre qu'elle voit un autre homme en cachette. Sans rien savoir ni comprendre, sans parler avec sa mère, poussé par les mauvais conseils, il décide qu'en tant qu'homme et chef de famille désormais il doit agir. Et il comment l'irréparable.

Sa sœur Esma est douée pour les langues et se fond très vite dans la société anglaise. Elle se rêve en auteur (elle précise bien écrivain sous un pseudonyme), noue une belle complicité avec son petit frère, et ne s'intéresse pas au comportement de sa mère, en bonne adolescente rebelle.

Yunus lui, bien qu'à peine 7 ans tombe amoureux d'une jeune punkette qui vit dans un squat où se retrouve toute une bande hippies, d'anti-capitaliste, où la bière coule à flots tout comme les pétards, la musique punk dans une atmosphère finalement bon enfant. Ce sont les années Thatcher, la crise économique frappe, mais on est aussi à peine sorti du mouvement hippie et les jeunes désabusés refont le monde à leur façon. Yunus qui deviendra un musicien reconnu se sent bien dans cette nouvelle famille. Si il aperçoit sa mère avec un autre homme par hasard, il ne dit rien. Il est d'un tempérament pacifique, et ne perçoit pas le danger mais il sera efficace quand on aura besoin de lui, tout comme Esma, ces deux là sont liés d'une forte complicité.

D'ailleurs Adem, le père malgré ses crises d'ivrogne est plutôt un homme libéral, il est fier des ses enfants, et il est content que les deux derniers aillent dans de bonnes écoles, ne fait pas attention aux tenues de sa fille ou de sa femme qui s'habille sobrement. Il ne fait pas non plus ses prières, plus gagné par la passion du jeu et un amour impossible pour une belle qui le méprise ouvertement. Pas plus qu'il ne songe à demander le divorce, étant pris dans son propre engrenage.

Un récit plein de rebondissement, où nous suivons les vies des principaux personnages, dans la Turquie kurde musulmane très attachée à ses traditions, où l'on parle de djinn, de sorciers, de sort et où on gagne à peine de quoi survivre et dans un Londres en pleine mutation socio-économique. Et avec des actions violentes contre les migrants, on voit aussi comme se met en place le début d'un Islamisme radical, dans un pays jugé bien trop libertaire, et ceci en raison de l'autonmie des femmes.

Elif Shafak nous réserve aussi des petites surprises, mais je ne dévoilerais rien.

Encore une fois, ce livre se lit d'une seule traite, avec cette belle écriture, où se mêlent les parfums de rose, d'épices, ou de sueur du métro. Et au centre de tout cela, Iskender qui fait malgré lui un cheminement en prison, rongé par le remords, la culpabilité qu'il masque par la colère et abandonné des siens.




Extraits :

  • Une fois, après un orage, il était tombé sur des créatures des profondeurs rejetées sur la rive. ça l'avait choqué de voir ces organismes si singuliers sans espoir, après ce déplacement. Au fil des ans, tandis qu'il travaillait dans de nombreuses villes occidentales, il s'était souvenu de cette scène en observant la vie des immigrants de première génération. Eux aussi étaient coupés de leur environnement naturel. Dans leur nouveau cadre, ils avaient du mal à respirer, ils étaient vulnérables, ils attendaient que l'océan les remporte ou que la plage avale leur inconfort, les aide à se faire une place. Elias comprenait ces émotions, car il s'était toujours considéré comme un homme vivant en marge d'autes cultures, mais, fondamentalement, il était différent d'eux. Il pouvait survivre n'importe où, puisqu'il n'était attaché à aucun bout de terre.

  • A une époque, je me croyais de taille à réaliser de grandes choses, à livrer des batailles épiques, à défendre des idéaux. J'allais devenir écrivain et militante des droits de l'homme. Je voyagerais par le monde pour voler au secours des opprimés, des victimes. J.B. Ono- le célèbre auteur de romans où personne ne se laisse piéger par l'amour. J'avais souhaité être au centre du monde. J'ai fini par accepter de n'être qu'un des nombreux personnages d'une histoire, et encore, pas un des principaux.

  • Je ne crois pas être en mesure de devenir un véritable écrivain, et ça n'a plus d'importance. J'ai atteint un âge qui me met davantage en paix avec mes limites et mes échecs. Il fallait pourtant que je raconte cette histoire, ne serait-ce qu'à une personne. Il fallait que je l'envoie dans un coin de l'univers où elle pourrait flotter librement, loin de nous. Je la devais à maman, cette liberté.

  • Les humains sont des êtres curieux. Ils trouvent les insectes répugnants, mais se disent chanceux quand une coccinelle se pose sur leur doigt. Ils détestent les rats, mais affectionnent les écureuils. Révulsés par les vautours, ils sont impressionnés par les aigles. Ils méprisent les moustiques et les mouches, mais s’émerveillent devant les lucioles. Alors que le cuivre et le fer ont leur importance en médecine, ils ne leur prêtent guère d’attention, mais ils vénèrent l’or. Ils ne remarquent même pas les pierres sur lesquelles ils marchent et deviennent fous devant les pierres précieuses.

  • Notre père nous envoyait des cartes postales, des cadeaux et de l'argent d'Abu Dhabi, de moins en moins au fil des ans, jusqu'à ce qu'il finisse par couper tout contact. Mon oncle et ma tante nous ont cachés son suicide aussi longtemps qu'ils ont pu, en dissimulant, brouillant, déformant la vérité. Je le sais, parce que je fais la même chose avec mes enfants. C'est devenu une tradition familiale de voiler la vérité, de l'enterrer si profondément dans le quotidien immuable qu'au bout d'un moment on ne peut plus l'atteindre, même par l'imagination.

  • Istanbul... Dans les circonvolutions de ma mémoire, le nom de la ville se distingue des centaines de mots que j'ai rangés tout au fond, au fil de ma vie. Je le pose sur ma langue, je le déguste lentement, avec envie, tel un bonbon. Si Londres était un bonbon, ce serait un caramel - riche, intense et traditionnel. Istanbul, par contre, serait un morceau de réglisse à la cerise - un mélange de saveurs opposées, capable de transformer l'aigreur en sucre, la douceur en amertume.

  • Quoi qu'il se produisît dans un coin du village, ça se savait immédiatement. Les secrets étaient un luxe que seuls les riches pouvaient s'offrir.

  • Un salon de beauté est sans doute un lieu où se faire couper les cheveux avant une mise en plis, mais c’est surtout un lieu de parole. Les femmes n’y viennent pas parce qu’elles doivent arranger leur coiffure tous les quinze jours. Beaucoup ont juste envie de bavarder, d’échanger des mots qui s’écoulent comme l’eau suit les méandres d’un fleuve. De temps à autre, les clientes ont besoin de quelqu’un avec qui papoter, elles aiment se faire chouchouter comme la princesse qu’elles ont rêvé d’être, enfant.

  • Les mots, comme les tribus nomades, n'ont pas d'adresse. Ils voyagent au loin, se dispersent sur la terre.

  • Un homme privé de l’honneur qui lui est dû est un homme mort. Il ne peut plus marcher dans les rues, à moins de s’habituer à déambuler le nez vers les pavés. Il ne peut plus aller au salon de thé ni jouer au trictrac, ni regarder un match de foot au bistrot. Il voûte les épaules, serre les poings, ses yeux s’enfoncent dans leurs orbites et tout son être n’est plus qu’une masse apathique contre les rumeurs, de plus en plus rabougrie. Personne ne lui prête attention quand il parle, ses mots n’ayant pas plus de valeur que des galettes de bouse.

  • Les mères ne montent pas au paradis, quand elles meurent. Elles obtiennent la permission de Dieu de rester un peu plus longtemps dans les parages pour veiller sur leurs enfants, quoi qu’il se soit passé entre eux au cours de leurs brèves vies mortelles.

  • Cette fois, Naze ne chercha pas à s’enfuir. Elle poussa un soupir, enfouit son visage dans l’oreiller et se tourna vers la fenêtre ouverte, comme si elle s’efforçait d’entendre le destin murmurer dans le vent, doux comme le lait. Elle se dit que, si elle écoutait très attentivement, elle pourrait percevoir une réponse des cieux. N’y avait-il pas, après tout, une raison qu’elle ignorait mais qui était sûrement évidente aux yeux d’Allah, pour qu’Il leur ait envoyé deux filles de plus, alors qu’ils en avaient déjà six, et toujours aucun fils ?

  • Depuis qu’elle était petite, Pembe adorait les chiens. Elle aimait leur manière de lire dans l’âme des gens, même profondément endormis, à travers leurs paupières closes. La plupart des adultes croient que les chiens ne comprennent pas grand-chose, mais elle pensait qu’ils avaient tort, que les chiens comprenaient tout. Ils étaient juste indulgents.

  • Pour elle, l'avenir était une terre pleine de promesses. Elle n'en connaissait rien, mais elle ne doutait pas qu'il fût lumineux et superbe, un lieu au potentiel infini, une mosaïque de pierres mouvantes, tantôt en ordre impeccable, tantôt un peu désorganisées, qui se recréait constamment.
    Pour Adem, le passé était un autel, fiable, solide, immuable et surtout persistant. Il fournissait l'explication du début de tout ; il lui donnait une impression de stabilité, de cohérence et de continuité.

  • Le passé se trouve dans un coffre, au grenier, au milieu de choses valables ou sans aucun intérêt. Je préfère le laisser fermé, mais il s’ouvre au moindre coup de vent, de lui-même, et, avant que je puisse intervenir, son contenu s’éparpille. Je remets chaque feuille à l’intérieur, une par une, les souvenirs, bons ou mauvais, jusqu’à ce que le coffre se rouvre quand j’y suis le moins prête.

  • La culpabilité est une émotion bizarre. Ça commence par un doute, petit comme un pou. Ça s’incruste dans votre peau, ça vous suce le sang, ça accroche ses œufs partout.

  • Les noms féminins, quant à eux, évoquent la délicatesse d’un vase en porcelaine fine. Avec des noms comme Nilüfer, « Fleur de lotus », Gülseren, « Buisson de roses », ou Binnaz, « Mille flatteries », les femmes sont les ornements de ce monde, de jolis à-côtés, mais rien d’essentiel.

  • Comparée à celle d’un diamant, la vie humaine est plus brève qu’une pluie d’été. À quatre-vingts ans, un humain est vieux et frêle, mais un diamant n’est encore qu’un nourrisson.

  • Nul besoin d’être noire pour qu’un raciste s’en prenne à vous. Il y a de nombreuses formes de racisme, bien qu’elles soient toutes les mêmes, à mon avis.

  • Si un homme est querelleur, son amour est plein de luttes. S’il est calme, son amour est un baume. S’il se plaint tout le temps, son amour tombera en poussière. S’il est joyeux, son amour parlera de joie. Avant de perdre ton cœur pour une femme, tu dois te demander quel genre d’amour tu peux lui offrir.

  • Les êtres humains étaient destinés à la sédentarité, comme les arbres et les rochers. Sauf si vous étiez un de ces trois personnages : le mystique errant qui a perdu son passé, le fou qui a perdu la tête ou un Majnûn qui a perdu sa bien-aimée.

  • En Angleterre, tout était sens dessus dessous. Le mot "couscous" bien que courant, y était traité avec respect. Pourtant le mot "honte", bien qu'important, était pris à la légère.

  • Ce n'est que la surface. Avec les les gens comme avec la terre, la surface représente rarement le cœur.

  • On appela donc les jumelles par leurs deux noms : Pembe-Kader et Jamila-Yeter, Destinée-Rose et Assez-Belle. Qui aurait pu deviner que de l'un de ces noms ferait un jour la une des journaux dans le monde entier ?


Biographie

Née à Strasbourg en 1971, Elif Shafak, est une écrivaine turque. Elle est la fille d’une diplomate turque. Élevée par sa mère après le divorce de ses parents, elle a passé son adolescence à Madrid puis à Amman, en Jordanie, avant de retourner en Turquie.

Diplômée en relations internationales de la Middle East Technical University d'Ankara, elle est aussi titulaire d'un master en genre et études féminines dont le mémoire portait sur la circulaire Compréhension des derviches hétérodoxes de l'islam.

En 1998, elle obtient pour son premier roman, "Pinhan", le Prix Mevlana récompensant les œuvres littéraires mystiques en Turquie.
Son second roman, "Şehrin Aynaları", entremêle les mysticismes du Judaïsme et de l'Islam dans une Méditerranée historique du xviie siècle. Mahrem confirme par la suite le succès de Şafak, lui valant ainsi le Prix des écrivains turcs en 2000.
"The Saint Of Incipient Insanities" (2004) est le premier roman que Şafak écrit en anglais. Elle y raconte les vies d'immigrants musulmans à Boston et visite le sentiment d'exclusion que ceux-ci peuvent ressentir aux États-Unis. Lorsqu'elle y met la touche finale en 2002, Şafak est chargée de cours au Mount Holyoke College (dans le Massachusetts) auprès de la chaire de Women's Studies. Elle enseigne ensuite à l'université du Michigan dans la discipline “Gender and Women's Studies”. L'année suivante, elle devient professeur à temps plein au département des Études du Proche-Orient à l'université d'Arizona.
Après la naissance de sa fille en 2006, Şafak souffre de dépression post-partum pendant plus de 10 mois. Elle aborde cette période dans son premier roman autobiographique ("Lait noir") et y combine fiction et diverses formes de non-fiction.

Internationalement reconnue, elle est l'auteur d'une douzaine de livres, dont "La Bâtarde d'Istanbul" et "Bonbon Palace" qui sont des best-sellers en Turquie. Elif Şafak écrit aussi des articles pour des journaux et magazines en Europe et aux États-Unis, des scripts pour séries télévisées et des paroles de chansons pour des musiciens rock. Mariée à Eyüp Can, journaliste turc, rédacteur en chef du quotidien Referans, et mère de deux enfants, elle vit à Istanbul. .
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Sur le roman

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Presse

Dans l'univers du roman

Sur les crimes d'honneur

COLIN THIBERT – Mon frère, ce zéro – Éditions Eloïse d'Ormesson - 2021.

 

L'histoire

André, vit du RSA dans une caravane déglinguée en compagnie de l'imposant Jean-Jacques, alcoolique, tout juste viré par sa riche femme pour adultère. Un troisième larron Canard, plongeur dans un établissement de luxe pour personnes déficientes mentales a une affaire à proposer. Enlever le frère jumeau d'un des plus importants hommes d'affaires du pays, sosie parfait de ce dernier pour aller en Suisse et vider les comptes du milliardaire en faisant passer le malheureux Julien pour le vrai patron. Évidemment avec une équipe de bras cassés pareils l'affaire a peu de chance d'aboutir. D'autant que l'appât du gain donne aussi l'eau à la bouche à un stupide détective privé et à quelques autres...


Mon avis

Un polar hilarant mené par une bande de pieds nickelés, losers sublimes dans l'ignorance et le ridicule. Colin Thibert n'a pas son pareil pour nous décrire ce petit monde de marginaux, dont l'intelligence n'est pas la capacité première.

André et Jean-jacques ont été des militants écologistes dans leur passé, et Canard est un demi-cinglé qui se shoote à tout ce qu'il trouve dans l'armoire à pharmacie de l'institut médical pas très regardant semble-t-il. Si l'enlèvement réussit, il ne faut pas longtemps à la police, gérée directement par le Ministre de l'Intérieur, grand ami du chef d'entreprise pour penser à un enlèvement politique. Deux cadavres plus tard,les inspecteurs de la PJ vont chopper les malfrats mais sans Julien, le frère, qu'on aurait aperçu en Suisse mais qui reste introuvable. Et pendant ce temps, en toute discrétion, un peu de bon sens et de chance, l'argent de notre milliardaire s'est tranquillement volatilisé dans des paradis fiscaux, pour une fin amorale.

Voilà un polar plein de rebondissements, très drôle dans son écriture et sa structure, de quoi vous amusez pour une lecture estivale, sans vous prendre la tête. Au passage Thibert éreinte quelques petits travers de la société où l'argent et la renommée sont les deux mamelles qui font tourner le monde des grands. On ne refuse rien à Monsieur Thibault Dastry (notez le nom qui peut vous évoquer quelques grands patrons), qui doit à tout pris cacher le secret d'avoir ce frère si handicapé, qui pourrait nuire à sa belle image. Où la capitaine de gendarmerie se fait systématiquement rabrouer ou « piquer la vedette » par ces messieurs de la Grande Police Nationale. A tous les étages de la société c'est l'appât du gain ou le petit frisson d'être un peu en marge qui est le moteur. Et tant pis si nos 3 éclopés de la vie en sont pour leurs frais. Après tout, la vie est injuste non ?


Extraits :

  • Si désespérée que fût sa situation, il ne se voyait pas braquer une banque, une bijouterie ou un fourgon blindé. Surtout avec le pitoyable Antoine et son copain Canard, dont on pouvait, raisonnablement, craindre le pire. - C'est pas un casse, murmura Antoine, avec un sourire aguicheur. C'est beaucoup mieux ! Pas d'armes, pas de violence... - Comme Spaggiari, quoi ? - Voilà, c'est ça, approuva Antoine qui ne savait pas trop si Spaggiari était un coureur cycliste ou un artiste de la Renaissance italienne. - Creuser des tunnels, c'est pas trop mon truc non plus, grommela Jean-Jacques qui abhorrait l'effort physique. - Des tunnels ? répéta Antoine, l'œil incertain. Pourquoi des tunnels ?

  • - Ooooh ! Un magnifique puzzle de mille cinq cents pièces ! - C'est Rio, non ? dit Canard en examinant l'image. Avec le pain de sucre, là. - Mais non, c'est Naples. Avec le Vésuve qui fume. - Qui ça ? - Le Vésuve. C'est un volcan. - Depuis quand y a un volcan à Naples ? - Depuis les Romains, mec, tu devrais te tenir au courant.

  • - Thibault Dastry a un frère jumeau ? s'étonna le lieutenant Wilmers. Depuis quand ? - Depuis toujours, lieutenant. Un jumeau... - Oh. Oui. Je vois.

  • Un plan audacieux prenait forme dans son esprit. Désaccoutumé de penser, il en fut le premier surpris.

  • - Ce mec ? On peut vraiment lui faire confiance ? - Il est de gauche. - Ça veut rien dire, ça, bordel ! - Quand même !

  • Il était fier de lui : à cinquante ans révolus, il était passé sans difficulté du statut d'apiculteur pacifique à celui de criminel endurci.

  • Quant à la bibliothèque, elle ne recelait pas d'ouvrages plus subversifs que des livres de cuisine, les œuvres de Danielle Steel et de Marc Levy.

  • Lorsqu'il fut amené dans une petite salle d'interrogatoire où l'attendaient un capitaine de gendarmerie à l'air plutôt avenant et un homme en civil au visage émacié qui ne devait pas rire plus d'une fois par an, Jean-Jacques fut convaincu qu'il s'était fourré dans de très sales draps.


Biographie

Né à Neufchâtel en 1951, Colin Thibert, pseudonyme de Pierre Colin-Thibert, aussi connu comme Léon Noël, est un scénariste, romancier, auteur de pièces radiophoniques et anciennement dessinateur de presse. Après des études littéraires, il rmonte à Paris, en 1979, et se lance dans le dessin de presse et l'illustration. Il travaille pour une bonne vingtaine de magazines : informatiques, sportifs, syndicaux et pour des ouvrages scolaires ou techniques. Il signe en 1982 une bande dessinée, Le Goût de l'exploit (éd. Sipe).

Parallèlement il commence à écrire des pièces pour la radio ("Les Mille et un jours" sur France-Inter, de 1983 à 1986) et fait ses premiers pas et ses premiers sketches à la télévision grâce à Jean-Michel Ribes qui réalise alors l'émission "Merci Bernard". Il rencontre Roland Topor, Gébé, Gourio…Il abandonne progressivement le dessin de presse pour travailler de plus en plus à la télévision… (séries de dessins animés, épisodes de sitcom).

Il entre à la Série noire en 2001 avec Noël au balcon. Il enchaîne avec Royal Cambouis en 2002 qui obtient Prix SNCF du polar du meilleur roman policier français, Nébuleuse.org en 2002, Barnum TV (2003) et Cahin-Cahos (2005). Remarqué pour ses publications à la Série noire, il est lauréat du prix polar SNCF pour Royal Cambouis, et du prix Roland de Jouvenel décerné par l’Académie française pour Torrentius, paru aux éditions Héloïse d’Ormesson.
En savoir plus :

mercredi 7 juin 2023

NISHIMURA KYOTARO – Les grands détectives n'ont pas froid aux yeux – Piquier Noir poche 2021.

 


L'histoire

Monsieur Sato, très riche homme d'affaires japonais convie les célèbres détectives Hercule Poirot, Maigret, Ellery Queen et Kogoro Aketchi, pour leur confier une mission particulière et grassement rémunérée. Quelques temps auparavant, 300 millions de yens avaient été dérobés sans aucune violence par un individu que la police n'a jamais retrouvé. Pour résoudre cette enquête Monsieur Sato propose aux 4 grands détectives vieillissants de sacrifier la même somme (2 millions de dollars) en recrutant utilisant à son insu un jeune dont le profil psychologique correspond à celle du premier criminel, et le poussant, via son homme de main, de dérober la somme assez facilement puis d'étudier son comportement. L'homme veut prouver que la police japonaise a perdu beaucoup de temps et d'argent en ne menant pas une enquête efficace. Amusés, les 4 détectives acceptent la proposition. Mais tout ne se passe pas comme prévu.


Mon avis

Si en France on connaît quelques grands auteurs de polars japonais, on est loin d'imaginer le succès de Nishimura au Japon, un auteur qui compte parmi les 3 plus grosses fortunes nippones. Si il a commencé a écrire après 30 ans, il s'essaye à la satire sociale, puis publie 4 livres où il met en scène les 4 grands détective, dont il connaît par cœur l’œuvre de leurs auteurs, puis crée son héros, le commissaire Totsugawa qui mène des enquêtes avec comme principe : des trains, une région, un crime. Celui lui vaut un succès considérable au Japon où il tire à plus de 250 000 exemplaires et une série TV. Avec la régularité d'un métronome, il publie 1 titre par mois, écrit à la plume dans un ancien ryokan à près de Kyoto, qu'il partage avec sa consoeur Yamamura Misa. Il vous recevra avec toutes les délicatesses nippone tout en continuant à écrire la nuit, parce qu'il « ne sait rien faire d'autres ». De plus, la traduction n'est pas toujours facile, l'auteur a le goût du pastiche et les jeux de mots que permettent l'écriture japonaise ne sont pas traduisible en français.

Bien évidemment au Japon comme ailleurs tout le monde connaît les héros de d’Agatha Christie, Georges Simenon, Edogawa Rampo et les auteurs américains Manford et Nathan.

Les japonais sont aussi friands de polars que les européens, et la différence Orient/occident est balayée même si malicieusement l'auteur glisse quelques comportements typiquement nippons dans son roman qui n'est pas dénoué d'humour, bien au contraire.

Nous retrouvons tous les « tics » ou petites manies des détectives qui ont traversé les siècles et nos vies aussi,et que l'on réadapte régulièrement à la télévision.

Bien évident nos 4 grands détectives vieillissant mais toujours en forme vont résoudre l'énigme proposée en un tour de main, avec un regard amusé devant les déductions un peu hâtives de la police et tout aussi par rapport à leur hôte.

Si on peut aisément deviner la fin, le charme reste dans la lecture, hilarante, et pleine de rebondissements. On ne s'ennuie pas, on s'amuse beaucoup à voir cet auteur – qui ne sera jamais un prix Goncourt et qui s'en moque je pense – dont l'écriture vive, le sens du rebondissement et un « tempo » qui ne laisse pas de répit va vous passionner. Un chouette moment de lecture, et finalement une forme d'hommage aux grands maîtres du polar.


Extraits :

  • la plupart de ceux qu’on appelle « les grands criminels » ne sont en réalité que les victimes de leur faiblesse.

  • La plupart des être humain sont faibles. C’est la nature qui veut ça. Toi et moi, par exemple, nous sommes des assassins ou des criminels en puissance et si nous ne passons pas à l’acte, ce n’est pas tant grâce à notre force de caractère qu’à cause de notre éducation et de la morale sociale.

  • Son expérience personnelle lui avait appris que l’on pouvait presque toujours les ramener à trois : la peur, le profit ou les femmes.


Biographie

Kyōtarō Nishimura (1930- 1922) est un écrivain japonais de roman policier.
Après avoir travaillé pendant onze années dans l'administration, il commence à écrire dans l'approche de la trentaine.
Il remporte le prix Edogawa-Rampo en 1969 pour "Tenshi-no Shokon" ("La cicatrice de l'ange") et le prix des auteurs japonais de romans policiers en 1980 pour "Taminaru Satsujin Jiken" ("L'affaire du meurtre de Terminal").

Une dizaine de livres ont été traduit en français,


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