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jeudi 6 avril 2023

MARIANA ENRIQUEZ – Les dangers de fumer au lit – Editions du sous-sol - 2023

 

L'histoire

 13 nouvelles dans le style bien particulier de L'autrice argentine, en Éros, Thanatos, fantasmagories où les cadavres font bien moins peur que les vivants.


Mon avis

Voilà le dernier recueil de nouvelles de Marina Enriquez qui sort des presses des Éditions du Sous-Sol, filiale des Éditions du Seuil. En fait pas le dernier mais plutôt le premier car il a été édité en 2009 en Argentine mais publié depuis le succès phénoménal de « Notre part de Nuit ».

Comme toujours on retrouve le goût si particulier pour l'étrange, les fantasmes, l'humour, le « gore » à la sauce argentine. Mais si le second recueil des nouvelles de « Ce que nous avons perdu dans le feu » préfigurait déjà le best-seller « Notre part de nuit », celui-ci est dans un registre différent encore, mais avec les mêmes marqueurs typiques de l'autrice. Comme si, au cours du temps, elle affinait sa démarche d’ausculter à la fois la société et l'intimité des êtres.

Un bébé squelette harcèle une jeune fille (en fait son arrière petite fille) pour être ramenée dans le jardin où elle fut enterrée. Deux adolescentes dévorent le cadavre d'une rock star gothique et adulée des jeunes que cela devient un acte de bravoure et non un délit. Une femme s'éprend d'un homme cardiaque uniquement pour entendre les battements irréguliers de son cœur. Des adolescents que l'on croyait disparu depuis des années réapparaissent inchangés comme si le temps s'était figé. Une femme dont le corps est scarifié voit un fantôme qui n'est en fait qu'elle même. Ou fumer sous les draps pour faire des trous et voir le ciel. Autant de courtes histoires, surtout de femmes nous sont racontées sans tabou, et avec une finesse d’observation de nos zones obscures, de nos fantasmes inavouables, de l'onanisme jubilatoire au féminin, au dégoût de soi.

Sous couvert des ces histoires aussi étranges qu'improbables, Enriquez tire le fil de nos fantasmes mais aussi de l'histoire de son pays. Les dictatures avec les histoires des enfants perdus puis retrouvés, le sort des femmes malmenées et réduites au silence, les légendes et superstitions (on retrouve encore des légendes de la région de Corrientes), la pauvreté et l'indifférence qu'elle provoque à travers l'histoire d'un SDF qui défèque sur la voie publique d'un quartier chic qui par malédiction se transforme en taudis, alors que le SDF chassé est mort sur un toit. Autant de maux qui ont traversé et traversent l'Argentine. Autant aussi de croyances païennes comme cette grand mère et sa fille qui ont transféré leurs malédictions dans le corps d'une petite fille, à jamais condamnée à la folie.

Ici, le corps est tour à tour source du plaisir, source de l'abject, source de la douleur, source de la violence et l'auteure lève le voile sur des éléments depuis toujours cadenassés par la société, la pudeur et la honte : oui, la famille peut être un lieu non de protection mais de trahison, les corps peuvent être la source des humeurs les plus répugnantes, des femmes belles peuvent être d'une cruauté machiavélique, la douleur peut cohabiter avec l'érotisme, le désir avec la cruauté, parfois contre soi-même, tous ces éléments procurant bien plus de peur et de terreur que le surnaturel à grand renfort d'imagination.

C'est drôle, c'est angoissant, mais sans être vraiment angoissant parce que les amateurs de l'autrice connaissent sa vision du monde, et son deuxième degré (aimer jouer à se faire peur), mais aussi son honnêteté intellectuelle. De plus elle opte pour un style sans fioriture ni « mots en trop » pour aller à l'essentiel.

Elle renouvelle le genre des légendes urbaines, écrit sans honte ni tabou et ne juge jamais les héroïnes qu'elle a engendrées, comme si elle les observait de loin, et ne faisait que passer des histoires (traditions des contes oraux que l'on retrouve en Patagonie ou dans d'autres régions de ce pays). C'est sans doute ce qui donne à ce petit livre un charme indéfini, pour peu que l'on se prête aux jeux et aux codes qui nous imposent cette écrivaine dont le prix Nobel Kazuo Ishiguro écrira : « Le monde magnifique et horrible de Mariana Enriquez, tel qu'on l'entrevoit dans Les dangers de fumer au lit, avec ses adolescents détraqués, ses fantômes, ses goules en décomposition, les miséreux tristes et furieux de l'Argentine moderne, est la découverte la plus excitante que j'ai faite en littérature depuis longtemps. »

Je me demande bien, moi qui avait classé « Notre part de nuit » au palmarès de mes chefs d’œuvres personnels quel nouveau roman va sortir de la plume incandescente de cette autrice argentine majeure.

Enfin la couverture du livre, un dessin de Van Gogh peu connu, est le point d'orgue de ce concert de voix tragiques ou bouleversantes.


Extraits :

  • C'était l'après-midi, Juancho était bourré et faisait le caïd sur le trottoir, même si plus personne dans le quartier ne se sentait menacé, ni même inquiété, par sa présence toxique. Plus loin, Horacio lavait sa voiture comme tous les dimanches, en short et claquettes, ventre tendu, proéminent, poils blancs sur le torse, radio diffusant un match de foot. Au coin, les Espagnols du bazar buvaient le maté, la bouilloire posée par terre entre les deux fauteuils inclinables qu'ils avaient mis dehors, car il y avait un beau soleil. En face, les fils de la Coca prenaient une bière à l'ombre, et un groupe de filles qui sortaient de la douche, trop maquillées, bavardaient devant la porte du garage de Valeria. Mon père avait tenté, plus tôt, de dire bonjour et de parler avec les voisins, mais il avait fini par rentrer à la maison, comme d'habitude, tête basse, légèrement contrarié, parce que c'étaient de braves gens mais ils n'avaient pas de conversation, tous les dimanches après-midi il disait la même chose.

  • Le frapper, l'ouvrir avec mes ongles, lui imprimer d'autres cicatrices, une façon d'être au plus près de lui, qu'il m'appartienne davantage. Je devais contenir ce désir, ces envies de me rassasier, de l'ouvrir, de jouer avec ses organes, comme des trophées cachés. Je m'imposais de menus châtiments : ne pas manger de toute la journée, ne pas dormir pendant soixante-douze heures, marcher à en avoir des crampes dans les jambes...D'infimes rituels, comme une gamine qui a souhaité la mort de sa mère parce que cette dernière n'a pas voulu lui acheter quelque chose, puis les remords et les petites pénitences, "je ne dirai plus de gros mots, mon Dieu, je te le promets, mais ne fais pas mourir maman", et le gros mot qui lui échappe soudain et la cavalcade la nuit pour voir si maman dans son lit respire toujours.

  • Une nouvelle fois, elle remua la nourriture dans son assiette, mais réussit à avaler deux bouchées et un 7 Up entier, c'était au moins du sucre. Puis elle sortit en direction de la plage, qui se trouvait à un bloc à peine de distance ; il fallait passer par un chemin pavé entouré d'arbustes qui lui coupèrent la respiration, et si quelque chose se cachait là, mais elle courut et arriva aux anciens escaliers en bois et à la mer, la plage immense diaphane, au sable plus clair que sur le reste de la côte, et le ciel d'un bleu violacé parce qu'il allait pleuvoir. Elle s'assit sur une chaise, sous un parasol, et observa des quadras au corps encore svelte jouer au foot ; elle envisagea de s'approcher, d'en attirer un dans son lit peut-être, pourquoi pas, cela faisait un an qu'elle ne baisait pas, mais elle savait que non, le désespoir se sent, et elle empestait. Elle vit des filles défiant le vent avec leurs maillots de bain. Elle attendit la pluie. Se laissa mouiller. Et quand sa longue chevelure se mit à s'égoutter sur son pantalon, quand l'eau froide coula dans son cou vers sa poitrine et son ventre, elle sortit de son sac son rasoir et s'entailla le bras avec précision, une, deux, trois fois, jusqu'à ce que le sang apparaisse, qu'elle ressente la douleur et quelque chose de semblable à un orgasme.

  • Son nez bouché à cause du rhume - elle chopait toujours un virus dans les avions - perturbait sans doute son odorat ; C'était sûrement ça, pourtant quand elle se mouchait avec un Kleenex et réussissait à renifler, l'odeur était encore pire. Elle ne se rappelait pas que Barcelone ait été aussi sale, en tout cas elle ne l'avait pas remarqué lors de son premier voyage, cinq ans plus tôt. Mais ce devait être son rhume, probablement les mucus coincés qui empestaient, parce que dans certaines rues elle ne sentait absolument rien, et soudain l'odeur l'assaillait, lui donnant de violentes nausées. Ca puait la charogne de chien pourrissant au bord de la route, ou la viande périmée et oubliée dans le frigo quand elle devient violette comme le vin. L'odeur se cachait et, par rafales, gâchait les endroits les plus jolis, les ruelles pittoresques avec du linge suspendu entre deux balcons, qui empêchait de voir le ciel. Elle atteignait même les Ramblas.

  • Sa mère lui avait donné une gifle qui l'aurait fait pleurer si Josefina n'avait pas été habituée à ces crises de stress qui se terminaient par des larmes et des étreintes et des "ma petite fille, ma petite fille, et s'il t'arrivait quelque chose". Quoi, par exemple ? avait pensé Josefina. Puisqu'elle n'avait pas l'intention de se jeter dans le vide. Puisque personne n'allait la pousser. Puisque tout ce qu'elle voulait, c'était voir si l'eau reflétait son visage, comme cela arrivait toujours dans les puits des contes de fées, son visage comme une lune avec des cheveux blonds dans l'eau noire.

  • Ils avaient peur. Ils ne comprenaient pas comment les gosses avaient réussi à pénétrer, car la porte et les fenêtres de la maison rose - à l'exception de la fenêtre de l'étage - avait été murées. Mais les enfants étaient entrés. Personne ne pouvait l'expliquer. Les gens qui les avaient vus affirmaient qu'ils n'étaient pas passés à travers les murs, ce n'était pas tout à fait ça. Ils étaient entrés, simplement, comme si les murs n'existaient pas.

  • Alors elle décida d'appuyer l'extrémité de sa cigarette sur le drap pour voir s'agrandir le cercle au bord orangé, jusqu'au moment où ça devenait dangereux, le feu crépitait et augmentait, et elle devait taper sur le drap pour l'éteindre, les bouts de tissu brûlé flottaient dans la tente. Les petits incendies circulaires la faisaient rire. Lorsqu'elle sortait la tête dans la semi-pénombre de la chambre, les trous de cigarette dans les draps laissaient passer la lueur de la lampe dont les faisceaux lumineux se reflétaient au plafond qui paraissait couvert d'étoiles.

  • Il n'a pas protesté quand je lui ai dit que j'en avais marre. Que je voulais le voir. Poser la main sur son cœur délivré des côtes, de sa cage, le tenir dans ma main, palper, jusqu'à ce qu'il arrête de battre, sentir les valvules désespérées s'ouvrir et se fermer à l'air libre. Il a juste dit qu'il en avait assez, lui aussi. 
    Et qu'on allait avoir besoins d'une scie.
    Où es-tu mon cœur ?


Biographie

Je renvoie à l'article très sérieux, puisqu'il a fait l'objet d'une publication intra-médiathèque dont j'ai mis des extraits sur mon blog. : https://nathbiblio.blogspot.com/2022/04/mariana-henriquez-notre-part-de-nuit.html

Sur le roman

vidéos

Presse


Pour l'univers du roman, une fois de plus je vous remercie de suivre le lien : https://nathbiblio.blogspot.com/2022/04/mariana-henriquez-notre-part-de-nuit.html




mercredi 7 décembre 2022

ROBERT BENCHLEY – Pourquoi je déteste Noël – Wombat - 2011

 

L'histoire 

A offrir à tous ceux et celles qui détestent les fêtes de Noël, 12 petites nouvelles qui oscillent entre humour décalé et absurde.


Mon avis

A ne surtout pas pendre au sérieux, 12 nouvelles parfois très drôles, parfois un peu mystérieuse. Le livre a été écrit dans les années 1950, le style est donc de cette époque.

Un vieil oncle qui raconte des histoires pas drôles, un Noël à l'ancienne dans la campagne américaine enneigée et gelée, l’historique de la carte de vœux, le gamin invité insupportable... Pour tous ceux qui détestent les fêtes de fin d'années, même si les nouvelles sont inégales, Le Noël à l'ancienne qui ouvre le livre est particulièrement savoureux. Sans fioritures, sans excès de mots, voilà un petit livre à glisser sous le sapin d'un ami qui a de l'humour. Vite lu, vite oublié.

Mais pour du plus sérieux vous avez quand même d'autres choix.



Extraits :

  • Le déjeuner est largement à la hauteur de ses promesses. Si un Noël à l’ancienne pouvait consister uniquement en un déjeuner, sans les chambres à coucher à l’ancienne, le broc d’eau à l’ancienne et les divertissements à l’ancienne , nous autres pessimistes professionnels n’aurions plus la moindre cuisse de dinde à ronger.

  • En montant l’escalier, vous pénétrez dans une zone d’air froid dont la qualité évoque la température bien régulée d’une bonne crypte. C’est la Zone des Chambres à coucher, là où le thermomètre ne franchit jamais la barre du zéro degré du 15 octobre à la mi-mai. Ces chambres, dans lesquelles personne ne dort, servent d’ordinaire à entreposer des légumes périssables – quelqu’un doit d’ailleurs venir frictionner les tomates et les poires de temps à autre, pour éviter qu’elles durcissent sous l’effet du gel et finissent par se craqueler.

  • Un simple coup d’œil au broc d’eau vous informe que les patineurs vont désormais pouvoir s’en donner à cœur joie.

  • De multiples possibilités s’offrent à vous : vous pouvez aller chercher du bois dans la remise, dégeler la pompe à eau, ou bien vous plonger dans les livres exposés dans la bibliothèque au-dessus du secrétaire. Parmi ces trois options, rapporter du bois serait probablement l’activité la plus plaisante, car vous risquez de vous brûler en tentant de dégeler la pompe ; quant à la liste des lectures à votre disposition, elle comprend ‘’Vie et Hauts Faits du général Grant’’, ‘’Notre premier siècle’’, ‘’Le Voyage d’Andy à Portland’’, des volumes reliés de ‘’La Gazette des éleveurs de vaches de Jersey’’ et ‘’Les Maladies du cheval’’. S’y trouvent aussi plusieurs vieux numéros des ‘’Lectures au coin du feu’’ datant des années 1850-1854 ainsi qu’une pile de planches en couleurs représentant les plans de la future Exposition universelle de 1893 à Chicago. Ainsi passe le temps, dans une farandole de moments de franche gaieté.

  • George est un petit garçon très bien, dites-vous à votre fils, tu devrais prendre exemple sur lui." […] Or, pendant ces dix jours, George entraîne votre fils dans des expériences sur l’électricité qui aboutissent à faire sauter tous les fusibles de la maison et à brûler l’allume-cigare qu’ils avaient chapardé dans la voiture. Il le pousse aussi à traiter la cuisinière d’espionne allemande rôtisseuse de bébés, à insulter plusieurs petites filles du voisinage jusqu’à ce qu’elles pleurent et le menacent de représailles parentales, ainsi qu’à refuser de manger des épinards. Or vous savez pertinemment que Bill n’aurait jamais trouvé ces idées tout seul – il n’a pas assez d’imagination.

  • Voici la méthode préconisée pour se déshabiller avant de se mettre au lit dans une des chambres à coucher de pépé : commencez au pied de l'escalier, là où il fait encore chaud, puis grimpez les marches quatre à quatre afin de faire circuler le sang aussi longtemps que possible. Ouvrez la porte de la chambre d'une main, décrochez les rideaux de la fenêtre avec l'autre, empoignez les tapis de sol et piquez l'étoffe qui recouvre le bureau. Empilez le tout sur le lit, recouvrez avec la porte la plus proche que vous aurez préalablement sortie de ses gonds, puis bondissez au plus vite là-dessous. Parfois, il n'est pas inutile d'enfiler en plus une paire de caoutchoucs sur vos chaussures.



Bibliographie

Né en 1889 dans le Massachusetts et mort en 1945 à New-York, Robert Charles Benchley était un humoriste, scénariste et acteur américain.
Il a écrit de nombreux essais et articles humoristiques pour Vanity Fair et The New Yorker.
Dès 1928, il sera l'un des premiers comiques du cinéma parlant et recevra un Oscar pour son film intitulé : Comment dormir ?
Maître de l'humour décalé et absurde, il est l'un des écrivains américains les plus drôles du XXe siècle. Son petit-fils l'écrivain Peter Benchley fut notamment l'auteur du roman Les Dents de la mer.

Voir aussi :


En savoir Plus : 

Sur le roman

Pour fêter Noël à l'américaine :


Play List insupportable


lundi 17 octobre 2022

MARIANA ENRIQUEZ – Ce que nous avons perdu dans le feu – Poche Points 2016

 

L'histoire

12 nouvelles sur la vie à Buenos Aires ou dans la région de Corrientes qui préfigurent le sublime « Notre part de Nuit », le premier roman de l'auteur argentine. Ici on parle de femmes qui ont fait des choix, des femmes confrontées aux mystères de la vie. On y parle de disparitions ou d'apparitions, liées aux traditions des Saints vénérés en Argentine, la terrible Pomba Gira (vaudou), San La Muerte (à la fois protecteur ou démon), de folies, d'êtres sur le point de basculer.


Mon avis

Paru une première fois en 2016, puis reparu en 2022, suite au succès de son roman « Notre part de nuit3, nous trouvons ici en germe l'écriture fantasque et l'univers entre suspense, horreur maîtrisée, humour et surtout l'importance de la parole données aux femmes.

Des femmes qui sont courageuses, ou qui bravent les interdits (dorgue alcool, conventions), qui partent dans la folie ou qui disparaissent mystérieusement comme Adela que l'on retrouvera dans « Notrepart de nuit », un roman dense, mystique que j'avais adoré, pour son audace narrative, sont histoire déjantée. Ici les pauvres seront toujours pauvres, avec un manque de soutien des associations, faute de moyens, l'instabilité politique et les crises économiques, nous passons des bas-fonds de la capitale argentine à la région de Corrientes et du P Paraguay avec sa police ultra-présente. La nouvelle qui donne son nom au recueil est la plus forte, tant elle nous en dit sur la force de ces femmes qui ne se soumettent pas au destin.

Et puis il y a l'écriture, faussement simple de l'auteure, pour mieux faire passer le fondamental et cette fascination pour la mort, l'irréel, le non-dit.

Les âmes sensibles s'abstiendront quoi que rien ne soit horrible dans ce petit recueil, qui joue sur les codes de la bienséance littéraire toute en finesse.

A lire pour un portrait sans complaisance de l'Argentine des années 1997 à 2010. Rappelons que 40% des argentins vivent sous le seuil de pauvreté (chiffres de 2019) et que la gestion actuelle avec un PIB en chute libre n'aide pas à lutter contre le chômage et la pauvreté. Toutefois, dans ce pays, riche en ressource, en cultures (l'un des pays les plus métissés au monde), on peut espérer qu'après les années Covid, la reprise économique et le soutien du FMI permettront aux classes les plus défavorisées de retrouver une dignité.

Ce premier livre traduit en français et dans 15 autres langues a été encensé par la critique littéraire française.

Galerie photo des lieux des nouvelles

Buenos Aires

Corrientes la ville

Ascuncion au Paraguay

quartier Moreno - Buenos Aires

Quartier Constitution - Buenos Aires


Extraits :

  • Çà fait des années que Lala a décidé d'être femme et brésilienne, mais elle est née homme et uruguayen. Aujourd'hui, c'est le meilleur coiffeur travesti du quartier et elle a arrêté de se prostituer ; prendre l'accent portugais lui était très utile pour accoster les hommes quand elle faisait la pute dans la rue, maintenant ça n'a plus de sens. Mais elle y est tellement habituée que cela lui arrive de parler au téléphone en portugais ou, quand elle s'énerve, de lever les bras au ciel en réclamant vengeance ou en implorant la Pomba Gira, son ange gardien, pour qui elle a dressé un petit autel dans un coin de la pièce où elle coupe ses cheveux, juste à côté de l'ordinateur, connecté en permanence sur des sites de tchat. (L'enfant sale)

  • Tous les jours je pense à Adela. Et si mes souvenirs ne surgissent pas au cours de la journée- taches de rousseur, dents jaunes, cheveux blonds trop fins, moignons à l'épaule, bottines en peau de chamois- il revient la nuit quand je rêve.

  • Je n’étais pas la princesse du château, mais la folle enfermée dans la tour. 

     

Biographie :

Née en 1973 à Bueno-sAires, Mariana Enriquez est écrivain et journaliste.
Née d'un père ingénieur et d'une mère médecin, elle a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12.
Elle a publié trois romans – dont le premier à 22 ans – et un recueil de nouvelles avant "Ce que nous avons perdu dans le feu" (Las cosas que perdimos en el fuego, 2016), actuellement en cours de traduction dans dix-huit pays.

Son roman « Notre part de nuit » sorti en 2021 aux éditions du sous-sol est devenu un best-seller mondial et encensé par la critique littéraire mondiale.

Voir :


En savoir Plus :


Sur l'hitoire de l'Argentine :


Sur les mythes guarani

vendredi 12 août 2022

ZOYA PIRZAD – Le goût âpres des kakis – Éditions Zulma 2010 (ou livre de poche).

 


L'histoire

Un joli recueil de cinq nouvelles dans l'Iran d'hier et d’aujourd’hui. Des coupoles tiraillés entre modernité et traditions, des histoires de solitude, toute un chemin de vie merveilleusement conté par Zoyâ Pirzâd


Mon avis

Le principal sujet de ce livre est l'amour en Iran. Entre la modernité des jeunes qui ont fait des études supérieures notamment en Amérique ou en France, et ceux issus de la tradition où les femmes doivent avant tout savoir tenir leur foyer. Certains hommes libres ont une vision moderne de la femme. Certaines femmes travaillent et n’hésitent pas à divorcer, et vivre leurs désirs. Les femmes mariées sont souvent délaissées par leurs conjoints ou font la loi en exigeant des jolies choses, souvent chères comme un lave-linge, un réfrigérateur, ou des décorations exorbitantes, des bijoux ou des tenues de marques qui ruinent les maris.

Et puis il y a des âmes esseulées qui tentent de vivre leur vie avec gentillesse et honnêteté. Des jolies histoires qui parfois sont sans conclusion, nous permettant d'imaginer des suites que l'on espère heureuses.

Les mots écrit en persan font l'objet d'un glossaire et d'explications en fin de livres. On y apprend ainsi le mode de vie raffiné et délicat des perses même si les jeunes plus éduqués sont pour des décorations modernes, moins de meubles et de bibelots traditionnels. A la fois tendre et triste, ce recueil est un petit voyage en Iran, dans la vie quotidienne des perses. Sans oublier la subtile orientation féministe de l'auteure, qui, l'air de rien, ausculte la société et les désirs d'indépendance des femmes mais aussi des hommes jeunes.


Extraits :

  • Morad s'assit devant la tombe de Sadegh Hedayat.
    Au bout d'une demi-heure,Taraneh eut froid. Plusieurs fois elle eut envie de dire " on s'en va ? " mais elle se souvint de Jean qui répétait toujours à Minouche : " Ce que vous faites de pire, vous les femmes, c'est de tanner les hommes ! Si les femmes comprenaient que les hommes ont parfois besoin de solitude, le monde serait plus supportable ! "
    Elle se leva, s'éloigna de Morad pour lire les noms et les dates de naissance et de mort sur les pierres tombales. Elle parvint jusqu'à la tombe de Marcel Proust dont Morad lui avait parlé maintes fois et dont Minouche disait que si elle apprenait le français, c'était pour pouvoir lire ses oeuvres dans leur langue d'origine...

  • Cette maison était sa dote. Une maison aux vastes pièces lumineuses, protégées par des persiennes, avec son large escalier en colimaçon qui s'élançait depuis le hall d'entrée jusqu'aux chambres à coucher du premier étage. Le sous-sol était organisé autour d'une vasque au centre de laquelle se tenait un ange au regard étonné tourné vers la cour, jonchée d'un fin gravier. Celle-ci gravitait aussi autour d'un bassin entouré d'un massif d'églantines, de roses rouges et d'un plaqueminier.

  • La femme consciencieuse est comme le flambeau qui brûle sans cesse au coeur de la famille et qui fait rayonner tout autour d'elle sa pure lumière et sa bonté.

  • Tu as parfaitement raison. Ça m’est égal. Je n’ai ni le temps d’admirer tes broderies et ton tricot, ni la patience de t’amener des fleurs chaque jour, de te féliciter pour ta cuisine et tes talents de maîtresse de maison, ou encore de te réciter des poèmes d’amour. Pour moi, cela ne fait aucune différence de dormir dans des draps propres et repassés ou par terre sur un matelas sans draps !

  • Quoi ?, se marier sans ma permission ? J'aimerai bien voir ça ! Je n'ai pas élevé un fils pour qu'il nous ramène une étrangère !

  • Monsieur Naghavi ne voyait pas d'un bon œil que les femmes aillent chez le coiffeur. "Pure perte de temps et d'argent, disait-il. Sans compter les mille et une sottises que les femmes y profèrent".


Biographie

Née en 1952 à Abadan, romancière, nouvelliste, Zoyâ Pirzâd est née d’un père iranien d’origine russe par sa mère et d’une mère arménienne.
Mariée, mère de deux garçons, elle débute sa carrière d'écrivain après la révolution de 1979.
Elle a d’abord publié trois recueils de nouvelles dont "Comme tous les après-midi", en 1991. Trois recueils repris aux éditions Markaz à Téhéran en un seul volume. En 2001, elle a publié un roman, "C’est moi qui éteins les lumières", salué par de nombreux prix, dont le prix du meilleur livre de l'année. En 2004 elle publie: "On s’y fera" roman très remarqué.
Zoyâ Pirzâd est aussi traductrice d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carol et de poèmes japonais. Elle fait partie des auteurs iraniens qui font sortir l’écriture persane de ses frontières et l’ouvrent sur le monde. Sa langue est un persan simple et quotidien, une langue très équilibrée. La leçon ultime de Zoyâ Pirzâd est humaniste.




En savoir Plus :

mercredi 27 juillet 2022

Pete FROMM – Chinook – Gallmeister Totem N° 200 - 2022

 

L'histoire

Le dernier Pete Fromm est un recueil de nouvelles. De son Montana adoré en passant par l’Utah, l'Arizona, vous ferez des rencontres avec des gens « comme tout le monde », dans leurs fragilités, leurs doux rêves, leur gentillesse ou leur humour.


Mon avis

On reconnaît bien l'écriture de Pete Fromm, à la fois drôle et poétique. Même si ces nouvelles mettent en scène des personnages inédits, on retrouve un peu de ses autres romans, notamment la sulfureuse « Lucy in the Sky » et un peu de ses propres rencontres, romancées. A la fois doux, triste, amusant.

On connaissait les vents comme la tramontane, l'Autan, le sirocco. Voici le Chinook, un vent d'ouest venu des montagnes Rocheuses. Selon les légendes, des indiens Lilliooet, sous-groupe des Statmics raconte qu'une fille nommée Chinooka, se maria à Glacier, et partit vivre dans sa région près de l'actuel fleuve Birkenhead. Elle fut bientôt nostalgique de sa tribu et envoya un message à son peuple. Ils vinrent à elle, lors d'un rêve, sous la forme d'un flocon de neige, lui disant qu'ils viendraient la chercher sous-peu. Ils arrivèrent et se disputèrent avec Glacier à son sujet, mais ils finirent par l'emporter et purent la ramener chez elle. De nombreuses légendes l'entoure. Ce vent ne souffle qu'en hiver et fait fondre la neige des glaciers, puis il rapporte de la neige.

Tout comme les personnages de ce livre, qui se perdent dans les rêves d'une autre vie ou dans les plaisirs simples. Amour, amitié, désillusion, toutes les émotions défilent au long de 16 nouvelles dans une nature sublime, dangereuse ou protectrice.

Un livre à emporter sur la plage.


Biographie :

Né en 1958 dans le Wisconsin, Pete Fromm est un écrivain américain. Il a d'abord été maître-nageur ou ranger avant de se consacrer à l'écriture. Il a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles qui ont remporté de nombreux prix ( dont le prix de la Pacific Northwest Booksellers Association pour "Chinook", "Comment tout a commencé" ou "Lucy in the sky") et ont été vivement salués par la critique. "Indian Creek" est son premier livre traduit en français. Il vit à Great Falls dans le Montana.


Extraits :

  • Je ne parlais pas, sauf pour répondre à ses rares questions sur la rivière, les étangs et le reste. Je savais bien qu'elle n'était pas venue jusqu'ici pour aller à la chasse. Elle avait besoin de parler de toutes ces choses qui l'avaient fait crier et pleurer au téléphone, ce soir-là. Alors j'ai attendu, pagayant quand il le fallait, l'oreille aux aguets au cas où un son s'échapperait de son monde fier et brisé. le fait d'habitude, une petite rodomontade au crépuscule pour nous rappeler que nous ne sommes pas le centre de la terre, mais un détail mineur condamné à errer à sa surface.

  • Je comprenais comment ses sentiments s’étaient émoussés. Elle avait vu le monde entier, mais elle pensait que j’avais vu plus de choses, que j’avais su voir ce devant quoi elle était passée trop vite. Alors elle avait ralenti, pensant que c’était un choix possible pour elle. Et ça aurait pu marcher. Elle était terriblement forte. Mais elle avait aussi suffisamment ralenti pour se rendre compte de qui j’étais.

  • Quand le vent tombait, le silence devenait à nul autre pareil. Peut-être l'avenir ressemblait-il à cela, le silence seulement brisé par des moments qu'il n'aurait jamais cru devoir espérer un jour.

  • C'est moche de voir des gens sortir du sommeil quand on sait que le jour qui se lève n'a rien à leur apporter.

  • - Tu veux venir en Arizona avec moi ? demande-t-il enfin.Joey lève les yeux. Dans le haut-parleur, il déclare :- On mourrait de faim, Papa. Stil s'efforce de sourire. - On pourrait manger de l'herbe. - Y en a pas, en Arizona. - Sur les terrains de golf. - On nous donnerait jamais de carte de membre. Stil regarde l'autoroute. - Tu n'as pas tort. En tout cas, pas pour venir brouter leur herbe.

En savoir Plus :

vendredi 1 avril 2022

Ito Ogawa - Le Ruban - Picquier poche


 
Une grand-mère (Sumire = violette en japonais) fascinée par les oiseaux et sa petite fille Hibari (alouette en nippon) couvent et élèvent un petit oiseau qu'elles nomment ruban en français, car il représente le lien invisible et éternel qui relie cette vieille dame pleine de grâce et la fillette pleine de vie. Mais un jour Ruban s'envole et on suit ses aventures tendres et le lien invisible qui le lie aussi à Hibari sur laquelle il veille. J'ai rarement lu un livre aussi beau, si loin de notre monde plein de haine, la délicatesse du Japon (l'histoire se passe de nos jours) et tout ce qui incite à la bienveillance. Un petit bijou de littérature. (en poche Picquier).
A glisser sous le sapin.
Ito Ogawa a 48 ans aujourd'hui, elle a écrit des livres pour enfants avant de passer aux romans adultes.
 
Extrait 
L'âme c'est ce que nous avons de plus précieux, .. L'âme est protégée par le coeur qui est
protégé par le corps.
- Comme un daifuku à la fraise, j'avais eu une illumination
- Voilà c'est exactement cela a répondu Sumire. L'enveloppe est la pâte de riz, le coeur est la päte de haricots rouge et la fraise est l'âme.Hibari, à votre avis quel est le meilleur dans la daifuku à la fraise ?
- la fraise, ai-je répondu. Ben oui si on ôte la fraise du daifuku ce n'est plus un daifuku
- Exactement et voilà le plus important, mon âme est reliée à la votre Hibari par Ruban (la perruche élevée par Sumire la grand-mère et Hibari la petit fille).
 Nous étions unies par un ruban invisible, transparent. Il me suffisait d'y penser pour que quelque chose se gonfle dans ma poitrine, je ne sais pas exactement quoi, quelque chose de triste et chaud..
 
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"Mon tempérament ne me permet pas de vivre longtemps avec quelqu'un, homme ou femme. Je n'aime ni m'ouvrir ni m'appuyer sur autrui. Même si je suis très proche de quelqu'un, mêmes dans les pires difficultés, je tiens à rester bien droite sur mes deux pieds et à vivre seule, c'est mon caractère"
"j'avais toujours vécu sans déranger personne.
 
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Au bord de la route, je marchais bien sur le côté, attentive à ne pas gêner les automobilistes et les cyclistes. Je faisais continuellement attention où je mettais les pieds pour ne éviter d'écraser par mégarde les fleurs sauvages."
 
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Nota
Au Japon où les logements sont petits, les habitants n'ont pas de chiens ou de chats comme nous mais ils ont souvent des perruches (calopsitte jaune) qu'ils élèvent et qui tiennent compagnie aux enfants ou aux personnes seules.