L'histoire
Ramata, sénégalaise, change de métier et devient arthérapeuthe. Elle effectue un stage de validation dans un Epahd. Elle y rencontre une vieille dame, Astrida, une femme métisse, souffrant de la maladie d'Alzheimer, qui parle peu mais dans une langue incompréhensible. Avec l'aide de la psychologue, Ramata va chercher a comprendre le passé de cette dame discrète et gentille.
Mon avis
Il y a des romans qui vous touchent particulièrement. Par leur écriture, leur histoire. Celui-ci sera mon coup de cœur du mois à coup sur. D'une part parce que j'ai une belle-sœur rwandaise, et de l'autre parce que ce roman nous interroge sur notre rapport à la couleur de peau.
Ramata est noire, sénégalaise venue en France lors d'un regroupement familial où son père a trouvé du travail. Sa couleur de peau, elle ne peut pas l'effacer, même si le Sénégal lui semble abstrait. Il y a le regard d'autrui. Condescendant, ouvertement inamical pour ne pas dire hostile et raciste. Il y a les faux racistes (« non mais moi je suis pas fasciste voyons j'ai un ami arabe »), les mépris dans le travail et dans la vie quotidienne. Ramata affiche son fort caractère, sa dignité et ses compétences, tout en observant les réactions de son entourage dans l'Epahd. Ce ne sont pas les résidents, souvent perdus dans leurs mondes ou bien contents de trouver une oreille attentive, mais les instances dirigeantes qui se demandent encore comment cette femme peut être plus diplômée qu'eux.
Et puis il y a la touchante et merveilleuse Astrida, cette vieille dame dont la mémoire s'enfuit et la ramène dans son enfance. A l'Epad on ne sait pas grand chose d'elle, mais la voilà qui parle dans une langue inconnue et chantante. Ramata finit par retracer l'histoire de cette femme métisse, ôtée de sa famille pour être placée dans un pensionnat catholique où on lui inculque le bon catholicisme, écrire, lire, compter en français.
L'écriture a la fois drôle et poétique, étayée de mots en kinyarwanda, la résonance chantante comme les oiseaux qui ont peuplé l'enfance de la jeune Astrida.
Au-delà des mots, ce livre nous donne à réfléchir à notre rapport avec celui qui est différent de nous. Et relate aussi une histoire vraie : celle des efants métis sous la colonisation belge au Rwanda.
Extraits :
Au moment où leurs silhouettes atteignent le sommet de la colline, une araignée entreprend de tisser une toile qui scintillera bientôt sous la lune, entre les branches les plus basses du ficus centenaire.
Laisse les Blancs se battre entre eux, nous serons toujours des intrus à leurs yeux. Aujourd'hui le frère riche écrase le frère pauvre mais sache que si demain un étranger rentre dans la danse, les anciens ennemis sauront s'unir contre lui. Le colon a su semer la zizanie entre nous pendant des siècles, exploitant avec succès les vieilles velléités entre les Peuls, les Wolofs et les Sérères mais jamais il ne laissera un Noir participer à ses propres disputes familiales.
La rosée. C'est l'élégance de l'amant qui part sans bruit, effleurant d'une caresse le front de l'endormie, ce que l'ombre laisse au jour naissant. Une promesse de retour.
Et la beauté ?
Consolée rouvre les yeux, pupilles rétractées, cils immobiles.
Elle égrène les visions comme d’autres des perles de prière et le vieux traduit dans sa tête alourdie par la sagesse des ans :
La brume du matin. - Des voiles blancs qui flottent encore au-delà de la haie, s’accrochant parfois aux branches des arbres les plus hauts. C’est un drap si léger qu’elle s’imagine pouvoir le déchiqueter d’un souffle.
Les fleurs près de la porte. - Il y en a de trois sortes mais un seul mot pour les désigner.Les rouges à jupe froufrou au duvet soyeux, les jaunes regorgeant d’un pistil farineux, tiges si frêles que la moindre brise les fait ployer, les blanches etmauves aux pétales irréguliers, dents-ivoire cariées sans raison à moins qu’elles n’émettent spontanément un sucre incolore, ce qui expliquerait le ballet incessant des abeilles sur leurs têtes.
Les fleurs sont à cet âge-là une source permanente d’éblouissement. Éclosion de sourires.Comment est-ce possible de parler aveuglément une langue sans la questionner, sans la libérer des démons du passé ?
Comment est-ce possible que le mot "colonial" soit toujours autant prisé dans notre pays, qu'une entreprise vende des meubles sous le sigle de "Maison Coloniale", qu'il existe une marque de thés qui s'appelle "Compagnie Coloniale" ?
Je lui raconte la fois où sa tante Maguette m'en avait acheté à l'aéroport et me l'avait offerte en riant ; Vous vivez encore dans une certaine nostalgue ici on dirait !" Avant de préciser : "J'ai hésité entre une thé noir et un thé blanc..." ménageant son suspense pendant que je déballais la boîte... Elle avait choisi un thé vert. Tu sais ce qu'elle m'avait expliqué : "C'est le thé de l'avenir, chérie, Mars et les Martiens vont bientôt venir vous couvrir des bienfaits de leur civilisation, dèh !Ce que l'exil a fait d'eux. Le médecin devenu aide-soignant, le mathématicien conduisant un taxi, le mécanicien faisant la plonge, et la silence devenait la loi. Sauf au bar-pays où on buvait sa chiche paye le samedi en refaisant la révolution pour une capitale où on ne retournerait sans doute jamais même si on se l'était promis, à la retraite on irait. En attendant ici profil bas les enfants iront à l'école de "Lafrance", on les voyait peu, le travail pour les gens comme eux c'était trop tôt ou trop tard, et à force de labeur, envoyer aussi de l'argent au pays, le temps passait, les enfants avaient grandi, le corps était fourbu, les rêves enterrés. Pour la nouvelle génération, ça n'était plus le contremaître, mais le flic, qui faisit trembler, et souvent au bout se trouvait la prison. une honte qui n'avait pas de nom.
Nos adaptations d’émigrants.
Ces longs mois d’observation quand tu apprends la langue et que tu tentes tant bien que mal de distinguer les tons, les accents, les variations pour ensuite dans le silence de la nuit ranger tout cela de façon cohérente, mais que tu réalises qu’ici ce n’est pas la même cohérence, que les règles ont changé en même temps que le sens des onomatopées
Tu t’accroches à ces « mon » ces « ma » qui peuvent avancer seuls, faire sens dans une individualité que tu n’as jamais connue là-bas.
Là d’où tu viens.
Là-bas les lettres vivaient en communauté, on faisait chalouper les consonnes ensemble sans que cela ne torde la bouche, les « mb » « ng » « nd » et « nk » entraînant des rythmes collés-serrés.
Ici la langue les sépare par des apostrophes trébuchantes on dit « haine - diaye » « aime - bapé » comme si parler devait nécessairement relever d’une déclaration sentimentale.
Ici on ne chaloupe pas, on danse des rocks cassés en performant des chorégraphies mécaniques, un Robert et un Grevisse sous chaque pied
Bibliographie
Née en 1979 au
Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse est une écrivaine franco-rwandaise.
Elle est née et a grandit à Butare, au sud du Rwanda. Fille unique,
férue de lecture dès son plus jeune âge, elle fréquente l’école
belge. Lors du génocide des Tutsi, elle échappe à la mort. En
passant par le Burundi voisin, Beata arrive en France le 5 juillet
1994.
Beata est inscrite en classe de seconde au lycée
Sainte-Marie de Beaucamps-Ligny, près de Lille. Puis, elle poursuit
ses études : hypokhâgne au lycée Faidherbe, à Lille, Sciences-Po
Lille et un DESS en développement et coopération internationale à
la Sorbonne.
Coordinatrice de projet pour MSF, chargée de
programmes au Samusocial International, assistante à la recherche à
l'Université d'Ottawa, chargée de mission AIDES, elle anime des
rencontres littéraires à Bordeaux où elle vit.
"Lézardes"
(2017) a obtenu le prix de l'Estuaire 2017 et le Prix des Lycéens de
Decize 2018."Après le progrès" (2019) est son premier
recueil de poésie et "Tous tes enfants dispersés" (2019)
- son premier roman. Ce dernier se voit décerné le prix Ethiophile
2020.
Le 3 décembre 2021, Béata a reçu à Bruxelles, à la
Maison de la Francité, le Prix Littéraire Richelieu de la
Francophonie, des mains de Micky Piron, présidente internationale du
club Richelieu International Europe, en présence notamment de
représentants de l'OIF, de l'AMOPA, et d'Yves Namur, secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale de Langue et le Littérature
Françaises de Belgique.
En savoir Plus :
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Sur le roman
Sur le Rwanda
https://www.voyageursdumonde.fr/voyage-sur-mesure/voyages/guide-voyage/rwanda/infos-pratiques/hommes
Sur Save (Rwanda)
Sur les métis rwandais
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