mercredi 30 novembre 2022

BEATA UMUBYEYI MAIRESSE – Consolée – Éditions Autrement (Flammarion) - 2022

 

L'histoire 

Ramata, sénégalaise, change de métier et devient arthérapeuthe. Elle effectue un stage de validation dans un Epahd. Elle y rencontre une vieille dame, Astrida, une femme métisse, souffrant de la maladie d'Alzheimer, qui parle peu mais dans une langue incompréhensible. Avec l'aide de la psychologue, Ramata va chercher a comprendre le passé de cette dame discrète et gentille.


Mon avis 

Il y a des romans qui vous touchent particulièrement. Par leur écriture, leur histoire. Celui-ci sera mon coup de cœur du mois à coup sur. D'une part parce que j'ai une belle-sœur rwandaise, et de l'autre parce que ce roman nous interroge sur notre rapport à la couleur de peau.

Ramata est noire, sénégalaise venue en France lors d'un regroupement familial où son père a trouvé du travail. Sa couleur de peau, elle ne peut pas l'effacer, même si le Sénégal lui semble abstrait. Il y a le regard d'autrui. Condescendant, ouvertement inamical pour ne pas dire hostile et raciste. Il y a les faux racistes (« non mais moi je suis pas fasciste voyons j'ai un ami arabe »), les mépris dans le travail et dans la vie quotidienne. Ramata affiche son fort caractère, sa dignité et ses compétences, tout en observant les réactions de son entourage dans l'Epahd. Ce ne sont pas les résidents, souvent perdus dans leurs mondes ou bien contents de trouver une oreille attentive, mais les instances dirigeantes qui se demandent encore comment cette femme peut être plus diplômée qu'eux.

Et puis il y a la touchante et merveilleuse Astrida, cette vieille dame dont la mémoire s'enfuit et la ramène dans son enfance. A l'Epad on ne sait pas grand chose d'elle, mais la voilà qui parle dans une langue inconnue et chantante. Ramata finit par retracer l'histoire de cette femme métisse, ôtée de sa famille pour être placée dans un pensionnat catholique où on lui inculque le bon catholicisme, écrire, lire, compter en français.

L'écriture a la fois drôle et poétique, étayée de mots en kinyarwanda, la résonance chantante comme les oiseaux qui ont peuplé l'enfance de la jeune Astrida.

Au-delà des mots, ce livre nous donne à réfléchir à notre rapport avec celui qui est différent de nous. Et relate aussi une histoire vraie : celle des efants métis sous la colonisation belge au Rwanda.


Extraits :

  • Au moment où leurs silhouettes atteignent le sommet de la colline, une araignée entreprend de tisser une toile qui scintillera bientôt sous la lune, entre les branches les plus basses du ficus centenaire.

  • Laisse les Blancs se battre entre eux, nous serons toujours des intrus à leurs yeux. Aujourd'hui le frère riche écrase le frère pauvre mais sache que si demain un étranger rentre dans la danse, les anciens ennemis sauront s'unir contre lui. Le colon a su semer la zizanie entre nous pendant des siècles, exploitant avec succès les vieilles velléités entre les Peuls, les Wolofs et les Sérères mais jamais il ne laissera un Noir participer à ses propres disputes familiales.

  • La rosée. C'est l'élégance de l'amant qui part sans bruit, effleurant d'une caresse le front de l'endormie, ce que l'ombre laisse au jour naissant. Une promesse de retour.

  • Et la beauté ?
    Consolée rouvre les yeux, pupilles rétractées, cils immobiles.
    Elle égrène les visions comme d’autres des perles de prière et le vieux traduit dans sa tête alourdie par la sagesse des ans :
    La brume du matin. - Des voiles blancs qui flottent encore au-delà de la haie, s’accrochant parfois aux branches des arbres les plus hauts. C’est un drap si léger qu’elle s’imagine pouvoir le déchiqueter d’un souffle.
    Les fleurs près de la porte. - Il y en a de trois sortes mais un seul mot pour les désigner.Les rouges à jupe froufrou au duvet soyeux, les jaunes regorgeant d’un pistil farineux, tiges si frêles que la moindre brise les fait ployer, les blanches etmauves aux pétales irréguliers, dents-ivoire cariées sans raison à moins qu’elles n’émettent spontanément un sucre incolore, ce qui expliquerait le ballet incessant des abeilles sur leurs têtes.
    Les fleurs sont à cet âge-là une source permanente d’éblouissement. Éclosion de sourires.

  • Comment est-ce possible de parler aveuglément une langue sans la questionner, sans la libérer des démons du passé ?
    Comment est-ce possible que le mot "colonial" soit toujours autant prisé dans notre pays, qu'une entreprise vende des meubles sous le sigle de "Maison Coloniale", qu'il existe une marque de thés qui s'appelle "Compagnie Coloniale" ?
    Je lui raconte la fois où sa tante Maguette m'en avait acheté à l'aéroport et me l'avait offerte en riant ; Vous vivez encore dans une certaine nostalgue ici on dirait !" Avant de préciser : "J'ai hésité entre une thé noir et un thé blanc..." ménageant son suspense pendant que je déballais la boîte... Elle avait choisi un thé vert. Tu sais ce qu'elle m'avait expliqué : "C'est le thé de l'avenir, chérie, Mars et les Martiens vont bientôt venir vous couvrir des bienfaits de leur civilisation, dèh !

  • Ce que l'exil a fait d'eux. Le médecin devenu aide-soignant, le mathématicien conduisant un taxi, le mécanicien faisant la plonge, et la silence devenait la loi. Sauf au bar-pays où on buvait sa chiche paye le samedi en refaisant la révolution pour une capitale où on ne retournerait sans doute jamais même si on se l'était promis, à la retraite on irait. En attendant ici profil bas les enfants iront à l'école de "Lafrance", on les voyait peu, le travail pour les gens comme eux c'était trop tôt ou trop tard, et à force de labeur, envoyer aussi de l'argent au pays, le temps passait, les enfants avaient grandi, le corps était fourbu, les rêves enterrés. Pour la nouvelle génération, ça n'était plus le contremaître, mais le flic, qui faisit trembler, et souvent au bout se trouvait la prison. une honte qui n'avait pas de nom.

  • Nos adaptations d’émigrants.
    Ces longs mois d’observation quand tu apprends la langue et que tu tentes tant bien que mal de distinguer les tons, les accents, les variations pour ensuite dans le silence de la nuit ranger tout cela de façon cohérente, mais que tu réalises qu’ici ce n’est pas la même cohérence, que les règles ont changé en même temps que le sens des onomatopées
    Tu t’accroches à ces « mon » ces « ma » qui peuvent avancer seuls, faire sens dans une individualité que tu n’as jamais connue là-bas.
    Là d’où tu viens.
    Là-bas les lettres vivaient en communauté, on faisait chalouper les consonnes ensemble sans que cela ne torde la bouche, les « mb » « ng » « nd » et « nk » entraînant des rythmes collés-serrés.
    Ici la langue les sépare par des apostrophes trébuchantes on dit « haine - diaye » « aime - bapé » comme si parler devait nécessairement relever d’une déclaration sentimentale.
    Ici on ne chaloupe pas, on danse des rocks cassés en performant des chorégraphies mécaniques, un Robert et un Grevisse sous chaque pied


Bibliographie

Née en 1979 au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse est une écrivaine franco-rwandaise. Elle est née et a grandit à Butare, au sud du Rwanda. Fille unique, férue de lecture dès son plus jeune âge, elle fréquente l’école belge. Lors du génocide des Tutsi, elle échappe à la mort. En passant par le Burundi voisin, Beata arrive en France le 5 juillet 1994.
Beata est inscrite en classe de seconde au lycée Sainte-Marie de Beaucamps-Ligny, près de Lille. Puis, elle poursuit ses études : hypokhâgne au lycée Faidherbe, à Lille, Sciences-Po Lille et un DESS en développement et coopération internationale à la Sorbonne.
Coordinatrice de projet pour MSF, chargée de programmes au Samusocial International, assistante à la recherche à l'Université d'Ottawa, chargée de mission AIDES, elle anime des rencontres littéraires à Bordeaux où elle vit.

"Lézardes" (2017) a obtenu le prix de l'Estuaire 2017 et le Prix des Lycéens de Decize 2018."Après le progrès" (2019) est son premier recueil de poésie et "Tous tes enfants dispersés" (2019) - son premier roman. Ce dernier se voit décerné le prix Ethiophile 2020.
Le 3 décembre 2021, Béata a reçu à Bruxelles, à la Maison de la Francité, le Prix Littéraire Richelieu de la Francophonie, des mains de Micky Piron, présidente internationale du club Richelieu International Europe, en présence notamment de représentants de l'OIF, de l'AMOPA, et d'Yves Namur, secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Langue et le Littérature Françaises de Belgique.
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Sur les métis rwandais


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Rwanda, le pays aux mille collines

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Femmes rwandaises métisses aujourd'hui

Pensionnat catholique de Save

Pensionnat Catholique à Save

Cathédrale de Save, Rwanda

samedi 26 novembre 2022

JOEL DICKER – La vérité sur l'affaire Harry Quebert – Éditions De Fallois - 2012

 



L'histoire 

Marcus Goldman, jeune écrivain qui vient de rencontrer un immense succès est en panne d'inspiration, alors que son éditeur le presse de sortir un nouveau roman. A même moment, son professeur et ami de toujours, Harry Quebert est placé en garde à vue pour le meurtre d'une jeune fille de 15 ans Nola, qui fit son grand amour 30 ans plus tôt. Persuadé de l'innocence de son mentor, Marcus va mener l'enquête.



Mon avis 

Pour ce deuxième roman, Joël Dicker a fait très fort. Écrire un livre dans le livre, un vrai bon suspense, bien ficelé et agréable à lire.

Bon c'est un polar et ce n'est pas le livre le plus merveilleux du monde, mais au moins d'est addictif. Le roman est très bien structuré, nous naviguons entre 3 époques. L'année 1975 voit naître une passion interdite entre l'émérite professeur Harry Quebert qui vient d’emménager dans le New-Hampshire, dans une belle villa tranquille pour écrire. Il y rencontre Nola, une fascinante jeune fille de 15 ans, alors qu'il en a 34. Cet amour interdit par la loi sur la protection des mineurs ne peut se vivre au grand jour. Mais il inspire à Quebert le roman qui fera de lui un très grand écrivain. Mais Nola a disparu mystérieusement et les enquêtes de la police ne donnent rien.

En 2003, Harry rencontre le jeune Marcus, assez imbu de lui-même même si il cède à la facilité. Le jeune homme veut devenir écrivain, à succès si possible, mais il est un peu paresseux, mène une vie sans discipline même si il réussit brillamment dans une université de seconde zone. Pris en charge par Quebert, l'étudiant apprend la rigueur, la boxe, une bonne hygiène de vie et finit par publier un best-seller dont il profite joyeusement.

En 2008, Marcus a perdu l'inspiration et son éditeur s'impatiente de plus en plus. C'est alors qu'éclate l'affaire de Nola, dont le cadavre est retrouvé dans le jardin de Quebert. Persuadé de l'innocence de son ami, Marcus va tout faire pour rechercher la vérité dans la petite ville d'Aurora (fictive) où vit son ami.

Dicker a l'art et la manière de procéder en se mettant peut-être aussi un peu en scène lui-même. En grand connaisseur de l'Amérique et de la région de la « Nouvelle Angleterre », où il a vécut, il en profite pour tacler la société américaine d'une petite ville où tout se sait et tout se tait.

Le monde de l'édition en prend aussi pour son grade. Comment on fabrique un best-seller en coulisse, les campagnes de promotions prévues à l'avance, les petits arrangements avec la vérité. Mais c'est surtout la vie d'une petite communauté qui est démontée. Avec tous les travers, peut-être un peu caricaturaux, des petits gens. La mère qui veut marier sa fille a un bon parti, le racisme latent (nous sommes en 2008, l'année où le premier président noir Obama sera élu), les jalousies, les mensonges pour se faire bien voir. Et aussi une interrogation sur comment écrire un best-seller, exercice particulièrement réussi pour Dicker dont les livres sont toujours des succès littéraires. Mais on peut regretter une écriture trop classique et linéaire, et surtout des clichés et des réflexions qui ne sont pas assez étayées. 

En en 1968, le grand prix de l'Académie Française était revenu Belle du Seigneur. En 2012 l'académie récompense un polar bien fait certes. Mais nous ne sommes pas chez Chandler, James Ellroy, Hammet ou les grands noms des polars (un genre que j'apprécie certes mais quand il y a derrière un vrai fond).

C'est vrai que depuis Dicker s'est amélioré mais en restant toujours un peu sur la même trame, souvent une affaire dans l'affaire ou un polar à tiroirs. Pour résumer, c'est page turner, mais ce n'est pas de la haute littérature non plus. 



Extraits :

  • Vous essayez de me parler d'amour, Marcus, mais l'amour c'est compliqué. L'amour, c'est très compliqué. C'est à la fois la plus extraordinaire et la pire chose qui puisse arriver. Vous le découvrirez un jour. L'amour, ça peut faire très mal. Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber, et surtout pas de tomber amoureux, car l'amour, c'est aussi très beau, mais comme tout ce qui est beau, ça vous éblouit et ça fait mal aux yeux. C'est pour ça que, souvent, on pleure après.

  • Environ une demi-seconde après avoir terminé votre livre, après en avoir lu le dernier mot, le lecteur doit se sentir envahi d’un sentiment puissant; pendant un instant, il ne doit plus penser qu’à tout ce qu’il vient de lire, regarder la couverture et sourire avec une pointe de tristesse parce que tous les personnages vont lui manquer.

  • Le seul à savoir si Dieu existe ou n'existe pas, c'est Dieu lui-même.

  • Être avec Nola, c'était vivre vraiment. Je ne saurais pas vous le dire autrement. Chaque seconde passée avec elle était une seconde de vie vécue pleinement. Voilà ce que signifie l'amour, je crois.

  • Je vous déteste, l'écrivain, tenez-vous-le pour dit. Ma femme a lu votre bouquin : elle vous trouve beau et intelligent. Votre tête, à l'arrière de votre livre, a trôné sur sa table de nuit pendant des semaines. Vous avez habité dans notre chambre à coucher ! Vous avez dormi avec nous ! Vous avez dîné avec nous ! Vous êtes parti en vacances avec nous ! Vous avez pris des bains avec ma femme ! Vous avez fait glousser toutes ses amies ! Vous avez pourri ma vie !

  • Vous savez ce qu'est un éditeur ? C'est un écrivain raté dont le papa avait suffisamment de fric pour qu'il puisse s'approprier le talent des autres.

  • Et je m'étais dit qu'une étoile filante, c'était une étoile qui pouvait être belle mais qui avait peur de briller et s'enfuyait le plus loin possible. Un peu comme moi.

  • Après les hommes, il y aura d'autres hommes. Après les livres, il y a d'autres livres. Après la gloire, il y a d'autres gloires. Après l'argent, il y a encore de l'argent. Mais après l'amour, Marcus, après l'amour, il n'y a plus que le sel des larmes.

  • Les livres sont devenus un produit interchangeable : les gens veulent un bouquin qui leur plaît, qui les détend, qui les divertit. Et si c'est pas toi qui le leur donnes, ce sera ton voisin, et toi tu seras bon pour la poubelle.

  • Cette année 1998 fut également celle de l'affaire Lewinsky. 1998, année de pipe présidentielle, au cours de laquelle l'Amérique découvrit avec horreur l'infiltration de la gâterie dans les plus hautes sphères du pays, et qui vit notre respectable Président Clinton contraint à une séance de contrition devant toute la nation pour s'être fait lécher les parties spéciales par une stagiaire dévouée.

  • Sur mon compte Facebook, je passai en revue la liste de mes milliers d'amis virtuels; il n'y en avait pas un que je puisse appeler pour aller boire une bière.

  • Couper des arbres pour imprimer des torchons pareils, c'est criminel. Il n'y a proportionnellement pas assez de forêts pour le nombre de mauvais écrivains qui peuplent ce pays.

  • Blocage mental, Marcus, voilà ce que c'est ! Les pages blanches sont aussi stupides que les pannes sexuelles liées à la performance: c'est la panique du génie, celle là même qui rend votre petite queue toute molle lorsque vous vous apprêtez à jouer à la brouette avec une de vos admiratrices et que vous ne pensez qu'à lui procurer un orgasme tel qu'il sera mesurable sur l'échelle de Richter.

  • C’est la beauté du droit en Amérique : lorsqu’il n’y a pas de loi, vous l’inventez. Et si on ose vous chercher des poux, vous allez jusqu’à la Cour Suprême qui vous donne raison et publie un arrêt à votre nom : Goldman contre Etat du New Hampshire.

  • Je compris que pour être formidable, il suffisait de biaiser les rapports aux autres ; tout n'était, finalement, qu'une question de faux-semblant

  • Le jour tombait et la nuit promettait d'être douce et belle; le genre de soirée d'été qu'il fallait magnifier avec des amis, en mettant des énormes steaks sur le grill tout en sirotant de la bière. Je n'avais pas les amis, mais je pensais avoir les steaks et la bière.

  • Et j'ai réalisé à cet instant, à cause de cette fille de quinze ans, que je n'avais certainement jamais connu l'amour. Que beaucoup de gens n'avaient certainement jamais connu l'amour. Qu'ils se contentaient au fond de bons sentiments, qu'ils se terraient dans le confort d'une vie minable et qu'ils passaient à côté de sensations merveilleuses, qui sont probablement les seules à justifier l'existence.


Bibliographie

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la série adaptée par Netflix



vendredi 25 novembre 2022

Emily DICKINSON – la poète recluse

 


Extraits d’œuvres

  • L'espoir est une étrange chose à plume qui se pense dans notre âme, hante des chansons sans paroles, et ne s'arrête jamais.

  • Pour être hanté, nul besoin de chambre, nul besoin de maison, le cerveau regorge de corridors plus tortueux les uns que les autres.

  • Pour faire une prairie

  • il faut un trèfle et une seule abeille, Un seul trèfle, et une abeille, Et la rêverie. La rêverie seule fera l'affaire, Si on manque d'abeilles. Pour faire une prairie il faut un trèfle et une seule abeille, Un seul trèfle, et une abeille, Et la rêverie. La rêverie seule fera l'affaire, Si on manque d'abeilles.

  • Parfois avec le Cœur
    Peu souvent avec l'âme
    Plus rarement avec force
    Peu - aiment vraiment
    Sometimes with the Heart
    Seldom with the soul
    Scarcer once with the might
    Few - love at all

  • On ne sait jamais qu'on part - quand on part - On plaisante, on ferme la porte
    Le destin qui suit derrière nous la verrouille - Et jamais plus on n'aborde.
    We never know we go - when we are going -We jest and shut the door - Fate following behind us bolts it- And we accost no more.

  • Ce monde n'est pas Conclusion
    Un ordre existe au-delà -
    Invisible, comme la musique -
    Mais réel, comme le Son -
    Il attire, et il égare -

  • L'Espoir est la chose emplumée-
    Qui perche dans l'âme-
    Et chante la mélodie sans les paroles-
    Et ne s'arrête-jamais-
    C'est dans la tempête- que son chant est- le plus suave-
    Et bien mauvais serait l'orage-
    Qui pourrait intimider le petit oiseau
    Qui a réchauffé tant de gens-
    Je l'ai entendu dans les contrées les plus glaciales-
    Et sur les mers les plus insolites-
    Pourtant- jamais- même dans la pire extrémité,
    Il ne m'a demandé- une miette.

  • Je me cache dans ma fleur
    Pour, me fanant dans ton Urne,
    T’inspirer à ton insu - un sentiment
    De quasi-solitude. Se charger à l'extrême comme le tonnerre
    Et puis , alors que toute chose - Se terre , éclater grandiose - Voilà ce que serait la poésie.

**********************


  • Ma barque s'est-elle brisée en mer,
    Crie-t-elle sa peur sous le vent, 
    Ou docile a-t-elle hissé sa voile,
    Pour des iles enchantées ;

    À quel mystique mouillage
    Est-elle aujourd'hui retenue, -
    Ça c'est affaire de regard
    Là-bas au loin sur la baie. (traduction de René Char)


    Whether my bark went down at sea -
    Whether she met with gales -
    Whether to isles enchanted
    She bent her docile sails -

    By what mystic mooring
    She is held today -
    This is the errand of the eye
    Out upon the Bay.


****************************************

Un oiseau
Un oiseau passe sur le sentier...
Ses yeux ressemblaient, pensai-je, à des perles qui ont peur
Il remua sa tête de velours
Comme un être en danger, avec précaution.
Je lui offris une miette:
Il déplia ses ailes
Et s'en alla chez lui, voguant plus doucement
Que des rames qui fendent l'océan...

Sur le cours fantasque du Temps
Sans une rame
Nous sommes contraints de voguer
Notre Port un secret
Notre sort une Bourrasque
Quel capitaine voudrait
Courir le risque
Quel boucanier naviguer
Sans garantie contre le Vent
Ou horaire de la Marée
(" Car l'adieu, c'est la nuit")


J’aime un regard d’Agonie…
J’aime un regard d’Agonie,
Car je sais qu’il est vrai –
On ne singe pas la Convulsion,
On ne feint pas, des Affres –
L’œil se fige d’un coup – et c’est la Mort –
Impossible de simuler
Les Perles sur le Front
Par la fruste Angoisse enfilées.

ls sont tombés comme des Flocons -
Ils sont tombés comme des Étoiles -
Comme les Pétales d'une Rose
Quand soudain au beau milieu de Juin
Passe un vent - pourvu de doigts -


Ce n'était pas la mort, car j'étais debout,
Et tous les morts sont couchés.
Ce n'était pas la nuit, car les carillons
Déchaînaient leur voix pour midi.

Ce n'était pas le gel, car sur ma peau
Des siroccos semblaient serpenter;
Ni le feu - car mes pieds de marbre
Auraient glacé un sanctuaire.

Il y avait de tout cela, pourtant:
Les formes que j'ai vues
Alignées pour les funérailles
Me rappelaient la mienne,

Comme si l'on avait raboté ma vie
Pour l'insérer dans un chassis -
J'avais perdu la clef du souffle -
C'était un peu comme à minuit,

Quand tout ce qui battait s'est tu,
Quand bée le vide alentour,
Quand le gel sinistre, aux matins d'octobre,
Abolit les pulsations du sol.

C'était avant tout un chaos - infini - glacé -
Sans une chance - sans un espar -
Sans le signe d'une terre,
Pour justifier le désespoir.


La Nuit est mon Jour préféré - j'aime tant le silence - et je ne parle pas d'une simple trêve (cessation) du Bruit - mais de ceux qui parlent de rien à longueur de journée et prennent cela pour de l'allégresse...

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Biographie

Née le 10/12/1830 dans le Massachusetts et décédée le le 15/05/1886, Emily Elizabeth Dickinson est une poétesse américaine.
Considérée aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes américains, Emily Elizabeth Dickinson n’eut pas droit à la reconnaissance littéraire de son vivant. Presque absente de la scène littéraire, elle fut également peu présente dans le théâtre de la vie.

Son champ d’expérience fut limité, puisqu’elle ne s’éloigna d’Amherst que pour passer une année au collège de Mount Holyoke à South Hadley ou lors de rares séjours, à Washington ou à Boston.
Il semble donc qu’elle n’ait guère quitté le cercle de cette petite communauté puritaine de Nouvelle-Angleterre, ni franchi le seuil de la maison familiale où elle disait tant se plaire – entre son père juriste et homme politique, admiré et craint, et sa mère plus effacée ; entre sa sœur Lavinia, qui ne partit jamais non plus et son frère Austin, installé dans la maison voisine avec sa femme Susan, amie de cœur de la poétesse. Le choix d’un certain retrait du monde livre un signe essentiel : la mise à distance, l’ironie.

Mais, à certains égards, ce retrait fut peut-être moins absolu qu’il n’y paraît : tout en se dérobant au monde, au mariage, elle adressa des lettres passionnées à divers correspondants masculins. La fin de sa vie fut marquée par des deuils répétés (son père en 1874, sa mère en 1882, son neveu Gilbert, mort à l’âge de huit ans en 1883, le juge Otis P. Lord (qu'elle devait épouser) en 1884).

Secrète et expansive, grave et moqueuse, discrète mais audacieusement libre, sa personnalité est aussi complexe que l’espace réel de son expérience fut restreint.
Depuis l'âge de vingt ans jusqu'à sa mort à cinquante-six ans, Emily Dickinson a écrit 1775 poèmes. Elle est enterrée dans un cercueil blanc dans le carré familial à l’ouest du Cimetière sur Triangle Street. Au cours de la cérémonie funéraire, Higginson lit « No Coward Soul Is Mine » (Mon âme n’est pas lâche), le poème d’Emily Brontë que préférait Emily Dickinson.

Voir aussi :

En savoir Plus


Vidéos


Poèmes en pdf


Une petite play-list

Poèmes en lignes


Quelques photos

-  https://fr.wikipedia.org/wiki/Amherst_(Massachusetts)

- https://www.amherstdowntown.com/ 

Amherst Main Stret

Amherts Church

Tombeau d'Emily Diclinson

Maison d'Emily devenue son musée

Maison d'Emily

Maison d'Emily dans les années 1900


 



lundi 21 novembre 2022

MAGGIE O'FARELL – Hamnet – Poche 10/18 - 2021

 

L'histoire 

Hamnet , 11 ans, cherche un moyen de sauver sœur Judith malade. Agnès, la mère est partie rechercher des herbes médicinales en forêt et le père William est à Londres pour son travail. Mais le petit garçon est malade lui aussi. Une épidémie de peste sévit en Angleterre et touche aussi la région de Stratford où vit la famille. Un drame familial historique.



Mon avis 

Ce dernier roman de l'irlandaise Maggie O'Farrell s'inspire d'une histoire vraie. Celle de la famille de William Shakespeare, marié à Agnès Hathaway et qui eut 3 enfants : l’aînée Susanna, puis les jumeaux Hamnet et Judith. Lors de l'épidémie de peste en 1556, le garçon mourût, rendant sa famille inconsolable. Environ quatre ans plus tard, Shakespeare écrivit sa plus célèbre pièce de théâtre Hamlet.

Mais ici, il ne s'agit pas de raconter la vie du grand écrivain mais plutôt celle de sa famille, vivant à la campagne dans le petit village de Stratford, et le rôle de cette mère Agnès, une paysanne qui ne savait ni lire ni écrire, mais qui connaissait le secret des plantes médicinales. Le futur grand écrivain tomba amoureux de cette femme simple, et l'épouse malgré le refus paternel. Le grand père d'Hamnet est un homme riche, mais malhonnête et violent, ce qui oblige le fils a travailler dur à Londres pour rembourser les dettes, loin de sa famille. Mais ce n'est pas Shakespeare qui intéresse l'auteure, mais la vie à la campagne, le poids des traditions, la différence sociale avec un époux qui s'éloigne petit à petit pour rechercher le succès à Londres. Agnès, femme forte et fragile, mère jusqu'aux bout des ongles ne réussit pas à sauver son fils mais sauve sa sœur.
Le livre alterne des aller-retour entre le passé et le présent, le passé de l'amour fou qui a lié deux être différents et un présent qui est douloureux. Agnès, presque sauvageonne, éprise de nature et qui gambade dans les bois, lit dans les âmes mais ne pense pas qu'elle a un don.

Et puis il y a cette nature magique, si bien dépeinte par l'autrice, cette région anglaise riche en rivières,  forêts, prairies et fleurs, telle qu'on l'imagine au 14ème siècle, où l'on communique par lettres qui mettent longtemps à arriver, ou l'éclairage d'une bougie réchauffe un intérieur simple,

Il règne un climat étrange dans ce roman, envoûtant, triste mais beau, sublimé par l'écriture (le roman est écrit au présent, ce qui lui donne justement cette étrangeté). On sait que Maggie O'Farrell fait de la mort ou de la perte un de ces sujets de prédilection. Mais il n'y a pas de pathos larmoyant, juste une histoire universelle, celle d'un amour déjà condamné, celle de la perte d'un être cher, et la vie qui continue malgré tout.


Extraits :

  • Ce qui est donné peut être repris, à n'importe quel moment. La cruauté la dévastation vous guettent, tapies dans les coffres, derrière les portes, elles peuvent vous sauter dessus à tout moment, comme une bande de brigands. La seule parade est de ne jamais baisser la garde. Ne jamais se croire à l'abri. Ne jamais tenir pour acquis que le cœur de vos enfants bat, qu'ils boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu'ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons.

  • la maison d’Henley street fonctionne comme une structure hiérarchique : il y a d’abord les parents, puis les fils, la fille; viennent ensuite les cochons de la porcherie, les poules du poulailler, l’apprenti et, pour finir, tout en bas de l’échelle, les bonnes. Agnès dirait que sa position, en tant que nouvelle belle-fille, est encore floue, se situe entre l’apprenti et les poules.

  • Elle se souvient d’avoir examiné leurs paumes, à lui et à Judith, lorsqu’ils étaient bébé, allongés ensemble dans leur berceau. Elle avait déployé ces mains miniatures, avait promené leurs doigts le long de leur ligne : les mêmes que les siennes en plus petit. Hamnet avait une fossette profonde, bien marquée, au centre de sa paume, comme dessinée d’un coup de pinceau, annonçant une longue vie ; les lignes de Judith étaient quant à elles mal définies, incertaines, s’essoufflaient pour réapparaître plus franchement plus loin. Cette vision avait fait froncer les sourcils à Agnès, lui avait fait poser les doigts sur ses lèvres — ces lèvres qui les embrassaient, sans cesse, avec un amour presque féroce, presque dévorant.

  • Et un désir brûle en lui, force lui est de l'avouer, celui de retrouver les quatre murs de sa petite chambre où personne ne vient jamais, où personne ne le regarde, le le demande, ne lui parle, ne le dérange, où il n'y a qu'un lit, un coffre, un bureau. Il n'y a que là-bas qu'il peut échapper au bruit, à la vie, aux gens qui l'entourent ; il n'y a que là-bas qu'il peut oublier le monde, se dissoudre, n'être plus qu'une main tenant une plume trempée dans l'encre, et regarder les mots se déverser de sa pointe. Et c'est alors que ces mots viennent, les uns après les autres, qu'il parvient à s'absenter de lui-même, à se réfugier dans une paix si prenante, si apaisante, si intime, si joyeuse que plus rien d'autre n'existe.

  • Ce qui est donné peut être repris, à n'importe quel moment. La cruauté la dévastation vous guettent, tapies dans les coffres, derrière les portes, elles peuvent vous sauter dessus à tout moment, comme une bande de brigands. La seule parade est de ne jamais baisser la garde. Ne jamais se croire à l'abri. Ne jamais tenir pour acquis que le cœur de vos enfants bat, qu'ils boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu'ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons.

  • Et c'est alors qu'Agnès comprend une chose : elle peut tout supporter, mais pas la souffrance de son enfant. la séparation, la maladie, les coups, la naissance, le manque de sommeil, la faim, l'injustice, le rejet des autres, Agnès peut tout endurer, mais pas cela : pas son enfant fixant du regard son jumeau décédé. Pas son enfant pleurant la mort de son frère. Pas son enfant accablé de chagrin.

  • Elle sort le cadre de la ruche, s'accroupit pour l'examiner. La couche grouillante qui le recouvre semble se mouvoir comme une seule et même entité, brune, striée d'or, aux ailes semblables à de tout petits cœurs. Cette couche est composée d'abeilles, de centaines d'abeilles, serrées les uns contre les autres, agrippées au cadre, à leur trophée, au fruit de leur travail.

  • Chaque arbre répond aux caprices du ciel à un tempo différent de son voisin, ploie, frémit, projette ses branches, comme par nécessité de fuir l’air, de fuir le sol même que le nourrit.

  • What is the word, Judith asks her mother, for someone who was a twin but is no longer a twin? Her mother, dipping a folded, doubled wick into heated tallow, pauses but doesn’t turn around.
    If you were a wife, Judith continues, and your husband dies, then you are a widow. And if its
    parents die, a child becomes an orphan. But what is the word for what I am? I don’t know, her mother says. Judith watches the liquid slide off the ends of the wicks, into the bowl below. Maybe there isn’t one, she suggests. Maybe not, says her mother.

  • Le nuage au-dessus de sa tête s’assombrit, empeste de plus en plus. Agnes aimerait poser la main sur son bras, aimerait lui dire, Je suis là. Mais si ses mots ne suffisent pas ? Si le baume qu’elle voudrait être ne fonctionne pas sur ce mal sans nom ? Pour la première fois de sa vie, elle ne peut aider quelqu’un. Ne sait pas quoi faire. (…)
    Tandis qu’elle ramasse les assiettes, Agnes s’étonne, qu’il est facile de passer à côté de la douleur, de la colère qui peuvent habiter quelqu’un, surtout si cette personne ne dit rien, les garde pour elle comme une bouteille trop bien fermée où la pression s’accumule, s’accumule jusqu’à ce que… quoi ?
    Agnes ne le sait pas.

  • Agnès a planté des pommiers le long du haut mur en briques. Quatre poiriers de part et d'autre de l'allée principale, des pruniers, un sureau, un bouleau, des groseilliers, de la rhubarbe aux pieds rouges. Elle prélève une bouture sur l'églantier au bord de la rivière qu'elle plante près du mur chaud du grenier à houblon. Puis repique un sorbier à côté de la porte du jardin. Elle sème partout sur le sol des graines de camomille, de souci, d'hysope, de sauge, de bourrache et d'angélique, d'absinthe et de partenelle; installe sept ruches dans le coin le plus éloigné; par les chaudes journées de juillet, il est possible de les entendre bourdonner depuis la maison.



Bibliographie

Née en Irlande du Nord en 1972, Maggie O’Farrell est une romancière et journaliste britannique. Elle a grandi entre le Pays de Galles et l'Écosse. A l'âge de huit ans, elle est frappée par un virus qui l'empêche d'aller à l'école pendant un an. Cet événement sera repris dans l'un de ses romans, "La distance entre nous" ("The Distance Between Us", 2004, Prix Somerset-Maugham 2005).

Après des études littéraires à l'Université de Cambridge, elle exerce de nombreux emplois, notamment celui de critique littéraire. Parallèlement à son activité de romancière, Maggie a travaillé comme journaliste, notamment à Hong Kong. Elle a également enseigné l'écriture créative.
Face au succès de son premier roman, "Quand tu es parti" ("After You'd Gone", 2000, Betty Trask Award), elle prend la décision d’abandonner sa carrière de rédactrice en chef des pages littéraires de l’Independent on Sunday pour se consacrer à l’écriture.
"Cette main qui a pris la mienne" ("The Hand That First Held Mine") est lauréat du prestigieux Costa Book Award 2010.
Les romans de O'Farrell tournent autour de thèmes récurrents : la complexité des relations entre deux sœurs, la perte d'un être cher et les conséquences que celle-ci entraîne dans l'existence de ses personnages.
Elle est mariée au romancier William Sutcliff, avec lequel elle vit à Édimbourg.

Voir aussi :

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Sur le roman


Sur Shakespeare et Agnès Hathaway

Sur Hamlet


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