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lundi 16 décembre 2024

Marion TOUBOUL – Second Coeur – Editions Le mot et le Reste - 2024

 

 

L'histoire

Alice n'a jamais voulu reprendre l'exploitation agricole de ses parents. Elle suit des études de journalisme à Lyon quand elle rencontre une jeune femme vénézuélienne. Elle part aussitôt en Amérique Latine d'où elle envoie des reportages pour des journaux. Mais au Venezuela, où elle rencontre son compagnon Léopoldo, les manifestations violentes anti-Chavez sont violentes et dans un pays dévasté, elle perd son bébé. Recherchés par la police, le couple s'enfuit pour Madrid. Alice travaille alors comme monteuse et reporter pour la télévision et Léopoldo doit finir un stage pour valider ses compétences d'infirmiers à Barcelone. Mais voilà, Léopoldo ne réapparaît pas et Alice doit se trouver une vie, en cheminant dans les petits villages de l'Espagne profonde.



Mon avis

Voilà un très beau roman, une véritable ode à la poésie et à la nature.

Si certains passages sont inspirés de sa propre expérience, Marion Touboul crée une héroïne attachante, curieuse et qui malgré les deuils va se trouver un chemin dans la vie.

Alice a toujours aimé voyager, et plus dans les pays du Sud. Après une expérience traumatisante au Venezuela à la fin des années Chavez, où elle perd son bébé, faute de soins dans un pays qui sombre dans une guerre civile, elle se trouve refuge, grâce à une amie à Madrid. Elle trouve un petit appartement sous les toits pas très loin de son emploi de monteuse pour la télévision, tandis que Léopoldo part en stage pour devenir infirmier à Barcelone. Mais voilà, Léopoldo ne revient va, ce qui laisse Alice dans un immense chagrin, un autre deuil. La police lui assure qu'il n'y a pas d'avis de décès. Alors Alice va surmonter son chagrin. Tout d'abord elle se rend à Avila, le village qui a vu naître la Sainte Thérèse, fondatrice des carmélites et écrivaine. Elle qui n'est pas du tout religieuse se fait expliquer par un guide, Taigo, la vie et les recherches de la Sainte. Hors il se trouve que sa mère a une image de cette sainte dans le salon, et la mère n'est pas non plus religieuse. Puis lors d'un reportage, elle part en Estrémadure au sud-ouest de l'Espagne, une région assez pauvre et désertique où elle rencontre un éleveur de taureaux sauvages pour les corridas et son neveu Guillermo, un homme solide, terrien qui la réconforte. Ils font même des projets en commun, comme ouvrir une maison d'hôte. Mais avant Alice a très envie de parcourir la via del Plata, une route qui part de Séville et qui est le chemin de Compostelle espagnol, traversant l'Andalousie, l’Estrémadure, Castille et Léon et enfin la Galicie. Le parcourt est fait de longues étapes de marches en passant par des petits villages, ce que préfère Alice qui y est chaleureusement accueillie. Ce périple, couplé à ce qu'elle a retenu des enseignements de Sainte Thérèse d'Avila vont lui donner les réponses qu'elle cherche, mais aussi révéler sa vraie nature : celle d'une voyageuse.

Ecrit dans une langue simple, sans pathos, ce road-movie dans l'Espagne non médiatique, laisse la place belle aux paysages, aux grands espaces, mais aussi aux petits villages quasi-médiévaux. Un très joli moment de littérature, avec ce personnage d'Alice, fragile et forte qui se découvre et apprend à s'aimer et trouver sa voie. Inspirant, poétique, ce cours roman, nous dit l'essentiel, sur nos voyages qu'ils soient intérieurs ou extérieurs.



Extraits

  • Lorsqu'ils s'approchent de Guadix, le jour s'incline. Tiago décide de faire une pause sur le bas-côté de la longue route sinueuse bordée de champs d'oliviers qui mène de Jaen à la mer. Un air encore chaud enveloppe le sommet d'une montagne chauve. À perte de vue se profilent des falaises plissées d'un orange si vif qu'on a envie d'y planter ses crocs comme dans un abricot sec. Et là-bas, derrière les falaises la vue est plus extraordinaire encore : des montagnes enneigées aux formes nettes comme des dents de scie. " la Sierra Nevada..." dit Tiago. Alice regarde le paysage qui la domine par la perfection de sa douceur. Cette alliance de couleur, de relief et de climat... dans aucun voyage elle n'a vu pareille beauté. L'image du Kilimandjaro lui revient en tête. Les mêmes immensités, les mêmes terres depeuplées au pied de cimes comme habitées des seuls dieux. L'Andalousie n'est donc pas qu'une terre chantante, elle sait aussi se taire, et ce silence orangé et le plus beau des flamenco.

  • Les rapports d'Alice avec son père s'étaient dégradés lors de son premier voyage vers Caracas avec Beatriz. Lui en voulait-il de s'offrir la vie dont il avait rêvé ? Alice ravivait-elle ses frustrations d'enfant ? Ou était-il tout simplement inquiet ? Toujours est-il qu'il ne supportait pas son choix de partir. Son père avait toujours compté sur ses enfants pour reprendre la ferme. Rompre le fil de la transmission était inimaginable. Ils se disputaient souvent à ce sujet, d'autant que son petit frère se tenait, comme Alice, aussi loin de la vie paysanne qu'un mouton de la clôture électrique. Ce n'est pas tant le travail de la terre qui lui déplaisait mais sa répétition. Elle sentait l'air se comprimer dans ses poumons sitôt qu'elle s'imaginait dans la peau d'une paysanne. Finalement, plus Alice se tenait loin de son père, mieux elle se portait. Tout les opposait. Elle : petite, fine, sportive, curieuse, émotive. Lui : grand, colérique, le pas lourd, focalisé sur ses vaches. Plus les années passaient, plus le fossé s'était creusé entre eux. Il était le loup en cage, elle était l'hirondelle.

  • Alice avance à pas rapides sur le chemin plat et régulier, tendue comme une flèche vers le nord, le soleil piquant ses joues. Elle voudrait couper à travers champs pour se perdre vraiment, appuyer ses pensées à autre chose qu'à son passé. Mais l'ombre des taureaux derrière les barrières métalliques la retient. Pas un hameau, pas une maison, pas même une ruine pour s'extraire de soi. Alice marche sur cette page blanche comme dans un chant a cappella. Et plus elle marche, plus elle s'enfonce en elle.

  • Il y a des courants qui emportent irrémédiablement. Une envie de se blottir contre l’autre et tout donner, tout de suite, y compris la clef de ses demeures les plus profondes. C’est ce que ressent Alice lorsque la main de Leopoldo effleure la sienne par-dessus l’accoudoir. L’envie folle de se diluer en lui, de le laisser respirer à sa place, pas pour une nuit mais pour la vie. 

     

    Biographie

Née à Paris , le 06/04/1985, Marion Touboul est journaliste de formation. Elle a passé sept années en Egypte où elle a été la correspondante de nombreux médias comme de la chaîne Arte. Elle est correspondante pour Arte en Espagne, où elle a effectué le voyage de la Via del Plata


dimanche 1 septembre 2024

Peter FROMM – Indian Creek – Gallmeister Totem n°72 - 2024

 

L'histoire

Alors qu'il est étudiant en biologie à l'université de Missoula, Peter Fromm accepte sur un coup de tête et bercé par les livres des grands aventuriers un poste de garde-champètre à Indian Creek . Pendant 7 mois, il vivra seul dans une tente et son travail consistera à surveiller un élevage d'alevins de saumons, notamment à déneiger car les hivers sont rudes dans ce coin perdu entre le Montana et l'Idaho. De cette aventure il en fera un livre qui sera un best-seller aux USA.


Mon avis

En 1978, alors qu'il n'a que 19 ans, Pete Fromm s'engage dans des études de biologie à l'Université de Missoula dans le Montana. Mais les études le passionne moins que lire les récits des grands aventuriers.

Sans aucune formation spécifique, il se porte volontaire pour un poste de garde-champètre dans une région perdue de l'Idaho. Son rôle est de surveiller que les jeunes saumons se portent bien. Pour cela, il a juste à déneiger le bout de rivière où vivent les alevins et bien sur survivre dans ce milieu hostile. D'autant que ce n'est pas un quatre étoiles qui l'attend mais une tente d'environ 20m2, où il doit vivre. Il emporte avec lui un camion de nourriture (boites de conserves, riz, légumineuses, oignons, pommes de terre,mais aussi quelques cahiers, des guides de survie, un fusil de chasse (pourtant interdit). Sa priorité, avant que l'hiver neigeux et glacial n'arrive est de débiter assez de bois pour se chauffer (il lui faut 11 cordées de bois), de mettre à l'abri ses légumes en creusant dans la terre et en installant un système qui empêchera la glace de tout recouvrir. Il a à sa disposition un vieux camion (dont il faut ôter la batterie l'hiver pour éviter le gel), des raquettes, un poste de téléphone. Le premier habitat en dur, alimenté au gaz est à environ à 30 km, et une ligne téléphonique qui peut tomber en panne est à 500 m.

Avec pour seule compagnie une petite chienne Boones, Peter commence à ressentir très vite la solitude. Certes à la fin de l'automne, les chasseurs et les randonneurs sont passés le voir, lui ont offerts nourritures et quelques indispensables. Pour compenser sa solitude, le jeune homme commence à chasser des grouses (espèce endémique de très gros oiseaux dont le poids est celui d'un gros poulet) et des écureuils. Il pose aussi quelques pièges de trappeurs mais cela ne lui convient pas. Une fois tous les 2 mois environs, un ranger (garde-chasse officiel) lui apporte son courrier et s'assure que tout va bien). Mais ces visites rapides ne l'intéressent pas. En toute illégalité, il réussit à tuer un élan, et doit ramener des kilos et kilos de viande, non sans difficultés.

Ainsi continue ce récit et de cette étonnante aventure, il rédigera ce livre qui le fera connaître comme écrivain.

L'écriture est simple et réveille en nous notre petit coté globe trotter. On se délecte des petites mésaventures du héros, comme de sa ténacité. Car vivre par moins 40° en hiver, avec le gel et la neige demande un sacré courage. Quelques photos en milieu de livre (dans cette réédition) nous donne un aperçu des paysages grandioses et montagneux, ainsi que la simplicité de la tente. Un récit parfait pour la rentrée et pour prolonger encore un peu des vacances bien originales.


Extraits

  • Après le départ des gardes, la tente que nous avions dressée me parut encore plus petite. Je me tenais devant elle, et un frisson que je croyais dû à une bourrasque me parcourut le cou. Allais-je vraiment vivre là-dedans désormais ? Serait-ce là mon foyer pour les sept mois à venir ? Seul, durant tout un hiver ? Je jetai un coup d’œil vers la rivière sinueuse, entre les parois sombres et accidentées du canyon qui découpaient déjà le soleil de ce milieu d’après-midi. Il n’y avait rien au-delà de ces murs de pierre et de verdure, si ce n’est les étendues sauvages de la Selway-Bitterroot, à l’infini. J’étais seul, au cœur même de la solitude.

  • Il faisait toujours nuit noire à Magruder lorsque je me réveillai. J’allai à la porte pour juger du temps. Le ciel était si proche, si clair que les étoiles semblaient à portée de main. Mais je ne levai pas le bras. On aurait dit que les étoiles étaient l’essence même du froid, qu’elles pouvaient vider la moindre trace de chaleur de toute chose vivante.

  • De la mi-octobre à la mi-juin, j’allais être responsable de deux millions et demi d’oeufs de saumon implantés dans un bras entre deux rivières. La route la plus proche se trouvait à quarante miles, l’être humain le plus proche à soixante miles. Si j’étais intéressé, précisa-t-il, je n’aurais que deux semaines pour me préparer.
    J’entendais de moins en moins ce qu’il disait. Tout me semblait parfait. J’allais enfin découvrir le monde sauvage. Film ou réalité ? Galère ou liberté sans limite ? Mais, de toute manière, peu importe ce que j’allais découvrir, j’aurais une histoire à raconter plus tard, mon histoire.Je dis au garde que tout cela me semblait très intéressant. Si j’avais été plus attentif, j’aurais sans doute pu l’entendre secouer la tête. — Et le salaire, ça ne vous intéresse pas ? demanda-t-il.Je lui répondis que si, bien sûr, même si je n’y avais pas songé.— Deux cents dollars par mois, lança-t-il. — D’accord, répondis-je. C’était trop beau pour être vrai. Être payé, en plus. Il me conseilla d’y réfléchir et de le rappeler le lendemain.— Entendu, fis-je. Une formalité. Ma décision était prise.

  • Quand je montais assez haut, je me retrouvai à l’intérieur même des nuages, et la distance se transformait alors en un gris de néant, la pluie laissant sur mes vêtements détrempés de minuscules perles de cristal.

  • Chaque décision me plongeait dans une agitation extrême, car je savais qu'il fallait faire les bons choix, mais en même temps je commençais à deviner que tâcher de rester occupé allait sans doute devenir la plus importante de mes occupations.

  • En acceptant de venir ici, j'avais dans la tête une vague idée de liberté : n'obéir à personne, ne faire que ce que je voulais. Il me semblait maintenant avoir négligé le fait tout simple que, même si je pouvais faire tout ce qui me chantait, et à n'importe quel moment,  il n'y avait rien à faire.

  • Je souris en imaginant la bagarre frénétique des coyotes, tirant à hue et à dia, jusqu'au plouf final. Et voilà six coyotes, soudain silencieux, sondant les flots et regardant fixement l'endroit où avait glissé leur proie. J'imitai ce que j'imaginais être leur expression stupéfaite et rageuse, me tordant le visage en tous sens avant de prononcer : ''Dommage.'' Je partis d'un grand éclat de rire. Voilà qu'avaient disparu les dernières traces du lynx et du cerf, de l'aigle et des corbeaux. Si j'avais quitté Indian Creek, voilà ce que j'aurais manqué.

  • Je m 'assis et ouvris la trousse de secours pour lire les consignes à suivre en cas d'engelures, tout en me demandant si, dans les heures qui suivraient, je trouverais le moyen de faire encore quelques bonnes bêtises ou si j'avais épuisé tout mon potentiel.

  • Je m'arrêtai au poteau téléphonique dont le garde m'avait assuré qu'il serait mon seul lien avec le monde extérieur. Nous avions découvert la veille que le téléphone ne fonctionnait pas. Je le décrochai tout de même. J'écoutai son silence sourd, la voix du reste du monde.

  • Je plaçai la peau au centre du cadre et m’installai devant, armé d’une grosse pelote de ficelle. Avec mon couteau Green River, je me mis à faire des trous tout autour de la robe, en utilisant un bâton comme support. je la cousis au cadre, ma brochure sur le « Tannage par la cervelle à la manière des Sioux » posée près de moi dans la neige. Le paragraphe sur la quantité de cervelle à utiliser me fit éclater de rire. «Chaque animal dispose d’assez de cervelle pour permettre son propre tannage » précisait le guide. « Et le tanneur, lui, il en a assez ? » me demandais-je.

  • Pour autant, cette même neige qui poussait les écureuils à s'enterrer faisait aussi sortir des montagnes, là où les chasseurs l'avaient acculé, le gros gibier. Un matin, en ouvrant le rabat de la porte d'entrée de ma tente, je me trouvai nez à nez avec une harde d'environ soixante cerfs en train de souffler de l'air chaud sur la prairie. Ils m'avaient repéré les premiers, et ce jour-là, portant mon lourd fusil, je découvris la capacité du gros gibier à disparaître. Nouvel épisode humiliant.

  • La maximale était de moins vingt, et la minimale, la nuit dernière, indiquait moins trente- cinq degrés.

  • Je me glissai dans une baignoire en fer galvanisé et, armé d'un pichet, j'écopai l'eau chaude et la versai sur ma tête. Je me lavai rapidement les cheveux , et utilisai comme je pouvais l'eau qui descendait le long de mon corps pour laver le reste. Je ne disposais que d'une dizaine de litres d'eau chaude, et je finis par y mélanger de l'eau froide afin de pouvoir me rincer. Toute l'affaire fut précipitée et maladroite, et finalement peu agréable.

  • Le soir, pourtant, une fois le courrier relu si souvent que le charme en était rompu, l’excitation retomba et je sentis combien tous ces gens me manquaient. La soirée fut mélancolique. Mais déjà, après deux mois passés ici, ce sentiment s’était atténué et la solitude désespérée du début, cette solitude qui me prenait à la gorge, s’était muée en une émotion lancinante que je savourais presque.

  • Tuer un animal ne me dérangeait pas, à condition de ne pas gaspiller ensuite la viande.

  • Pendant tout ce temps passé à regretter ce que je manquais dans l'autre monde, jamais je ne m'étais rendu compte de ce que je manquerais en quittant Indian Creek. [...] Il me restait toute une vie à vivre dans la civilisation, mais à peine quelques mois à vivre ici.



Biographie

Pete Fromm est un écrivain américain, nouvelliste et romancier né en 1958 dans le Wisconsin
Après des études secondaires à Milwaukee, il étudie la biologie animale à l'Université de Montana. Il vient d'avoir 19 ans lorsque, fasciné par les récits des vies de trappeurs, il accepte un emploi de l'office de réglementation de la chasse et de la pêche de l'Idaho consistant à passer l'hiver à Indian Creek, dans les montagnes de l'Idaho, en plein cœur de l'aire naturelle protégée de Selway-Bitterroot, pour surveiller la réimplantation d'œufs de saumons dans la rivière, d'octobre 1978 à juin 1979. Cette saison passée en solitaire au cœur de la nature sauvage bouleversera sa vie.

À son retour à l'université, il supporte mal sa vie d'étudiant et part barouder en Australie. Poussé par ses parents à terminer ses études, il s'inscrit au cours d'écriture créative de Bill Kittredge - pour la simple et bonne raison que ce cours du soir est le seul compatible avec l'emploi du temps qui lui permettrait d'achever son cursus le plus tôt possible.
C'est dans ce cadre qu'il rédige sa première nouvelle et découvre sa vocation. Son diplôme obtenu, il devient ranger dans le parc national de Grand Teton, au Wyoming et commence chacune de ses journées par plusieurs heures d'écriture. Après avoir jonglé entre son activité d'écrivain et les différents métiers qu'il cumule, dont celui de maître-nageur à Lake Mead (Nevada), il décide finalement de se consacrer à plein temps à la littérature.
Il rencontre un modeste succès avec son premier recueil de nouvelles "The Tall Uncut" (1992). La reconnaissance médiatique vient avec ses chroniques d'"Indian Creek" ("Indian Creek Chronicles", 1993), un récit autobiographique où il relate son expérience au cœur des Rocheuses, à l'endroit éponyme Indian Creek, en hiver 1978-1979.
Aujourd'hui, Pete Fromm a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles qui ont remporté de nombreux prix et ont été vivement salués par la critique. Il est notamment le seul auteur à avoir remporté cinq fois le prix littéraire de la PNBA (l'association des libraires indépendants du Nord-Ouest Pacifique), notamment pour "Indian Creek" en 1994, "Chinook" ("Dry Rain", 1997) en 1998, "Comment tout a commencé" ("How All This Started", 2000) en 2001, "Lucy in the Sky" ("As Cool As I Am", 2003) en 2004 et "Mon désir le plus ardent" ("If Not for This", 2014) en 2015. Il vit à Great Falls dans le Montana.

mercredi 17 juillet 2024

Ian MANOOK – Askja – Albin Michel 2019 – ou Livre de poche 2020 -

 

 

L'histoire

L'inspecteur Kornélius Jacobson de la police criminelle de Reykjavík est appelé dans la région du centre de l »Islande, où un jeune homme a filmé avec son drone le corps d'une femme nue et rousse. Mais sur place, le corps à disparu. Alors qu'il a un témoin/suspect atteint d'Alzheimer qu'il compte emmener au poste de police le plus proche, un sniper mitraille, sans faire de victime, un pont où quelques randonneurs venus admirer le paysage dont le célèbre mont Heroubrio, et le témoin s'est envolé. De son coté, deux jeunes randonneurs trouvent une culotte rouge tachée mais aucun corps. Ce qui intrigue fortement Botty qui est chargée de cette enquête.

Quelques heures plus tard, c'est dans la capitale que le sniper vise un vieux navire de guerre qui fait une sorte de monument historique. Les « Vikings », unité spéciale de la police (l'équivalent de notre GIGN ou du RAID) sont sur le dents. Car le sniper continue à tirer sur des cibles touristiques sans jamais faire de victimes. Konélius, aidé par la légiste Ida, par ailleurs sa petite amie en titre et Botty, une autre inspectrice auront bien du mal à éclaircir cette étrange affaire.


Mon avis

Des steppes de Mongolie aux paysages sauvages de l'Islande, il n'y a qu'un pas littéraire à franchir pour Ian Manook, écrivain voyageur qui a aussi bien vécu en Mongolie qu'en Islande.

On retrouve les personnages d'un premier roman (Heimay) mais on peut lire celui-ci sans avoir lu le premier tome. Kornélius, excellent flic mais aux méthodes discutables, se trouve confronté à deux énigmes. La disparition d'une femme et un sniper dont on se demande quelles sont les motivations. Fausses pistes, rebondissements à chaque chapitre, le tout dans une Islande désertique, entre « hot spot » (ces sources d'eau chaude appréciées pour leurs vertus apaisantes) et montagnes de lave fissurées de crevasses profondes, l'auteur sait nous tenir en haleine tout au long de ces 427 pages. Avec les personnalités hilarantes des deux flics surnommés Komsi et Spinoza (qui philosophe tout le temps), une bouffée de fraicheur s'insinue dans cette enquête complexe à souhait.

Même si il manque ce petit coté exotique que l'on retrouvait dans Yeruldelgger par les légendes mongoles. Ici peu d'allusions aux légendes norroises, tout est concentré sur une enquête, entre bande de petits plaisantins, faux amis et aussi méchants mais pas trop.

Au passage Kornelius va renouer avec son père qui lui révèle enfin les vraies raisons du suicide de sa mère, et aussi sa fille Alma qu'il n'a pas vu depuis 15 ans et qui est devenu la mère d'un petit garçon.

Mais Manook nous démontre aussi qu'en Islande, ce pays dont on vante les mérites de la politique, il peut y avoir aussi des petits dérapages, et des complots pour éliminer quelques ambitieux. Malgré tout, Manook n'a pas son pareil pour nous faire découvrir une autre Islande, moins touristique, faite des déserts de laves, de crevasses et de personnages rugueux. Totalement page turner, un livre à déguster pour un peu de fraîcheur estivale.



Extraits

  • Le Thrihnukavigur est un cône volcanique d’une centaine de mètres de haut à peine. Un tout petit volcan, mais très spécial. Sa silhouette se détache, avec deux autres pitons, au milieu d’un vaste plateau pierreux au cœur des Montagnes bleues. Sa réputation, unique au monde d’après les prospectus, vient d’une éruption avortée. Quatre mille ans plus tôt, la terre a régurgité des flots de lave pour les vomir à la gueule du monde. Mais, par un caprice sismique encore inexpliqué, une faille s’est ouverte au même moment en profondeur sous le volcan et la terre a ravalé toute sa lave incandescente, comme un enrhumé qui renifle, vidant brusquement la chambre magmatique du volcan. La seule au monde, donc, à ne pas avoir été obstruée par les laves refroidies, ou comblée par l’effondrement du cône. La seule au monde, vide et intacte, après avoir été vitrifiée par une lave à mille degrés qu’elle n’a jamais expulsée et qui a disparu. n aptitude à communiquer n'avait pas progressé.

  • Vous savez, le nombre de visiteurs étrangers a triplé au cours de ces dix dernières années, passant de 500 000 à 1 500 000. On estime qu’il atteindra 2 millions dans les trois ans à venir. C’est-à-dire que très bientôt nous recevrons six fois plus de visiteurs que notre pays compte d’habitants. En comparaison, un pays comme la France, première destination mondiale pour le tourisme, accueille chaque année 85 millions de visiteurs pour une population de 67 millions d’habitants. Si la France connaissait la même proportion de visiteurs que nous, ce ne sont pas 85, mais plus de 400 millions de touristes qu’elle devrait accueillir chaque année.

  • Vue du champ de lave, à quatre cents mètres de l’autre côté du lac, la façade vitrée du chalet perché sur ses pilotis s’irise de reflets moirés comme l’aile fragile et légère d’une libellule. Le ciel mauve a rosi, puis s’est nacré d’une brillance laiteuse. Sous la brise légère du matin, les eaux du lac, sombres de l’ombre du champ de lave, se marbrent en diagonale de ridules ondulées. Eiders, arlequins, macreuses, plongeons, grèbes ont réveillé la nuit dès les premières lueurs. Maintenant, ils s’ébrouent et froufroutent de leur bec leur duvet léger sous leurs plumes soyeuses, heureux de se préparer pour le monde qui renaît.

  • Ce type n’a tiré que sur des touristes qui visitaient des endroits parmi les plus iconiques du pays. L’Askja, l’épave du Dakota, et aujourd’hui la cascade des amoureux à Seljalandsfoss !
    - Deux affaires sans cadavre avec deux suspects sans mémoire, et maintenant un sniper après lequel nous ne pouvons faire que courir sans avoir la moindre idée de qui il est ni de ce qu’il veut. Tu ne trouves pas que tout ça tourne au ridicule !

  • C’est vrai que l’instinct transcende la connaissance, alors que la logique ne fait qu’utiliser le savoir.

  • Je suppose que ta fille veut parler de l’hippocampe. C’est une zone du cerveau dont une des fonctions est de graver le vécu dans la mémoire. Pour faire simple, quand l’alcool empêche l’hippocampe de bien fonctionner, c’est comme si tu enregistrais une vidéo en oubliant de mettre une carte mémoire dans ta caméra. Tu ne garderas aucune trace de ce qui a pourtant bel et bien existé.

  • Empile des pierres, du bois et du béton, et c’est l’ingéniosité de la construction. Touche mon cœur et fais-moi du bien, rends-moi heureux parce que c’est beau, et c’est de l’architecture. C’est le jeu savant, correct et magnifique de formes assemblées dans la lumière. Ce que voulait dire Le Corbusier, c’est que le premier matériau de l’architecte, c’est la lumière.

  • Elle doit avoir soixante ans. Cheveux blonds rassemblés dans un impeccable chignon. Chaussons d’intérieur en mouton retourné. Des yeux d’un bleu délavé comme les petits icebergs d’un lac glaciaire. Le regard un peu triste sous des sourcils étonnés. Elle porte un tablier de cuisine bleu sur une robe fleurie et tient une manique aux motifs traditionnels.

  • Et maintenant il longe la coulée de terres torturées sur la droite, et de l’autre côté les rives lisses du lac de Kleifar. Le lac vagabond, dont les eaux pourtant profondes de cent mètres ont disparu par une faille ouverte par un séisme en l’an 2000. Pour revenir ensuite, par un caprice de la faille qui, en dessous de la roche, sépare l’Europe de l’Amérique.

  • Comme des petites vacances pour Saphir. Il pourra voir la grotte et les orgues de basalte de Vik, les petits icebergs de la lagune glaciaire de Jökulsárlón et la statue mystérieuse qui garde l’entrée de la plage de Vestrahorn.

  • Faites de tout ça ce que vous voulez, moi ça ne me concerne plus. J'ai passé l'âge de jouer aux petits soldats. Je vous laisse. Bien le bonjour à la commissaire nationale.

  • La vie est ce que tu en fait mon garçon, si tu la compliques, elle devient compliquée !

  • Dans le désert de l'Askja, assis sur le toit de sa voiture, cerné d'horizons noirs de lave boursoufflées sous des nuages blancs, aveuglants, Kornélius s'en veut d'avoir trahi Botty. Aucun Viking dans le ciel encore. Que des corbeaux. Alors il entonne le Krumavisur, pour se mettre au sinistre diapason de cette journée morose.

  • Viktor, vous empestez tellement la vodka à la vanille de Borgarnes, que j'ai craint une combustion spontanée quand vous avez allumée votre cigarette!

  • Des frimeurs de ce nouveau business du tourisme "extrême ", comme ils disent. Pas pour l'extrême beauté du pays, non, ni pour l'extrême émotion que peut provoquer sa contemplation. Simplement pour d'extrêmes sensations artificielles auxquelles l'Islande ne sert plus que de décor.

  • Parce qu'il faut épargner les mousses, monsieur. Ce sont des végétaux pionniers. Elles poussent sur des supports sans terre pour devenir elles-mêmes le substrat qui nourrira, un jour, d'autres plantes. Elles leur préparent le terrain, en quelque sorte. En même temps, elles constituent un environnement de survie pour de minuscules êtres vivants indispensables à la diversité biologique.

  • De tous côtés, les laves pétrifiées depuis des milliers d'années ne sont qu'un flot immobile de houle noire et plissée. On croirait la peau d'un sharpeï sorti du goudron.

  • Dans les clubs de couture, on ne tricote pas la laine , on détricote la vie des autres.

  • Dehors, l'horizon s'enflamme d'un faux couchant. A cette période, le soleil ne fait que frôler la nuit. Les nuages tissent sur la lande pétrifiée un ciel de lit ridé de velours côtelé, incendié par en dessous de bourrelets cinabre et écarlates. Un océan inversé au-dessus du monde, de houle régulière et immobile, flamboyant. Un ciel de lave.



Biographie

Né à Meudon , le 13/08/1949, Ian Manook est journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian. Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.
Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.

De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016). Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion. 

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Manoukian


 


mardi 4 juin 2024

Agnès LEDIG – Un abri de fortune – Livre de poche 2024 -

 

L'histoire

Ils sont trois (une adolescente, un jeune homme et une femme de 45 ans) a été accueillis en stage de réinsertion/pause aux Censes Perdues, une ferme écologique dans un vallon perdu des Vosges. Ils vont devoir aider le sympathique couple de fermiers qui leur offre l'hébergement et la nourriture en échange de petits travaux (jardinage, monter une clôture, cuisiner). Une ambiance idyllique pour chasser les démons intérieurs qui les entravent et un hymne au ressourcement dans la pleine nature.




Mon avis

Voilà un livre charmant, très facile à lire où même les situations les plus difficiles sont traitées par la douceur.

Karine, la plus âgée, est une femme séduisante, mais en dépression, suite à une liaison avec un pervers narcissique, et une dévalorisation de soi. Rémy, un jeune homme qui est en liberté conditionnelle après 4 ans de prison et un grand gaillard protecteur. Il a tué le compagnon de sa petite sœur, elle même décédée sous les coups du dit compagnon et reste rongé par la culpabilité. Enfin Clémence, à peine majeure est anorexique et a passé de longs mois en hôpital spécialisée. Son père, un homme violent a tué sa mère sous ses yeux. Un drame qui la fait se réfugier dans la privation de nourriture pour ne surtout pas devenir une femme autrement dit pour elle, une proie.

Et puis il y a le couple d'hôtes, charismatiques, qui ont choisi de retaper une vieille ferme et qui rêvent de vivre en autonomie. Sans parler de Jean, le seul qui parle à la première personne, toujours assis sur un banc pas loin de la ferme, un vieil homme rongé par la maladie qui observe ce petit monde, et discute poliment avec les nouveaux arrivés, dont il a tout de suite cerné les problèmes. Très vite, les règles sont établies, et les nouveaux arrivant sont mis au travail, progressivement. Bientôt des chèvres vont arriver, pour faire des fromages, et il faut bâtir leur grand enclos. Lors de ce travail difficile, Karine ancienne professeures d'histoire découvre un escalier étroit, caché dans la végétation luxuriante, et puis les tombes de 3 bébés. La gendarmerie est prévenue, un technicien de la police scientifique est présents. Les petits squelettes sont datés de 50 ans. Pas un cas très passionnant pour les institutions mais têtue Karine mène son enquête, aidée par Rémy qui gagne en force et Clémence qui gagne en assurance.

Ici les féminicides et les violences faites aux femmes sont le fil du livre, mais sans aucun pathos. D'ailleurs les explications du pourquoi ces 3 inconnus sont envoyés là ne sont divulguée qu'à petites touches, le lecteur lui aura compris depuis longtemps. Mais c'est la nature luxuriante, malgré la sécheresse, qui apaise les âmes. Belle démonstration de ce que l'immersion dans une ferme loin de tout peut être une excellente thérapie.

Si ce livre n'est pas le chef d’œuvre du siècle, il a le mérite de nous rendre heureux, l'écriture simple et apaisante de l'autrice, ainsi que des petits suspens, nous offre une bien jolie pause, dans nos vies sur-actives. Sans oublier l'histoire des Vosges, pendant la deuxième guerre mondiale, entre collabos et résistants où l'on peut encore trouver des bombes ou des mines. Ici on réinvente sa vie, on se découvre des passions, on se laisse bercer par le chant des oiseaux ou du coq malicieux qui braille à toute heure. Car la romancière n'oublie pas des petits traits d'humour. Bref si vous voulez faire une jolie pause, ce livre est pour vous ! Et nous incite à faire des pauses dans des forêts, des jolis paysages, loin des smarphones, ordinateurs et télévision !!


Extraits

  • Elle interrogeait son coeur, il répondait avec sa tête. Elle l'a fait remonter plus loin, quand il était petit, adolescent, toutes les situations où le couteau était là et tournait inlassablement. Ils ont décortiqué ses écorchures d'enfance qui s'étaient métamorphosées en rage enkystée. Les cicatrices invisibles qui tiraillent en profondeur. Les béquilles qu'il a trouvées pour mettre un couvercle sur sa rancoeur. Elle lui a fait revivre le jour où tout s'est déchiré d'avoir tellement gardé, encaissé, ruminé. La cuve pleine de fiel et de déception qui déborde de cette crasse des autres qu'on a trop acceptée.
    Il se souvient avoir beaucoup pleuré. Elle a été la première à lui avoir parlé de sensibilité. Au fil des séances, elle lui a appris à se comprendre et à se protéger.
    Il a fait de grands progrès. Maintenant, il se maîtrise, apprend à lâcher prise. A accepter. OK, je n'y peux rien, je passe mon chemin.

  • Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant. Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant. Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.

  • Autour de lui, les cimes des grands arbres oscillent avec le vent, les feuilles bruissent, les insectes volent en tous sens dans une étrange danse, le bois mort repose et nourrit les vivants. Et lui, assis là, immobile, à se demander pourquoi. Pourquoi lui, pourquoi là, pourquoi cet éternel recommencement, quand le soleil se lève ?

  • Il rêve de l’odeur d’une pluie d’orage sur un sol brûlant, d’un lever de soleil sur une colline endormie, de toucher un arbre, qu’il ait cent ans ou deux seulement, de s’égratigner contre l’écorce, de regarder les feuilles tomber puis d’autres repousser au printemps suivant. Il rêve de tout ce qui raconte les recommencements. Les cerisiers en fleur qui annoncent le printemps, les agneaux dans les champs qui tapent dans les pis de leur mère pour grandir goulûment, les colchiques à l’automne qui font oublier l’été brûlant, les rentrées littéraires, le réveillon de Noël.

  • Il confie aux fleurs et aux feuilles immenses ses funestes pensées et sa colère. Les plantes n'ont qu'à onduler dans le vent pour les dissiper. Ce jardin est un filtre qui transforme le noir en couleur. Il vous happe, vous donne envie de danser dans les allées, vous bouscule, vous perd et vous retrouve, vous envoie dans la mousse et le long des ruisseaux, vous caresse la peau, vous prend par la main, vous ouvre les yeux sur le merveilleux et vous relâche à la sortie, lavé de vos émotions les plus tristes.

  • Enfouir des graines dans le sol, c'est un acte d espoir. On plante le récit d un désir possible.

  • Elle se sent vide de savoir. Certes, elle a étudié l’histoire, mais tant d’autres compétences s’offrent à elle comme à chaque être humain qui peuple cette terre et ne discerne du monde qu’une partie infime et ridicule. Elle en a le vertige.

  • Dans ce jardin, elle retrouve un sentiment de sécurité. Les plantes lui veulent du bien. Elle peut même ressentir leur gratitude d'avoir été arrosées, ou délivrées d'une herbe étouffante. En en prenant soin, elle se libère elle-même du processus envahissant du passé.

  • Ils aiment l'idée de cette clairière au milieu du vivant, qui traverse le temps. Les feuilles d'automne y tomberont, l'herbe de printemps y poussera. Des animaux sauvages viendront frôler les stèles, des insectes les escalader ont, le vent les caressé ra. Et elles seront toujours là, comme les absents dans le cœur de ceux qui restent.

  • Le vert, une couleur qui ne demande pas d’ajustement de l’œil, qui diminue physiologiquement l’excitation neuronale et les angoisses du passé.

  • Elle n'a pas seulement savouré un œuf frais, elle a aussi mangé un peu de gentillesse qui flotte au dessus de ce lieu, de la fantaisie qui pousse un peu partout, des nuages calmes qui passent sans se poser de questions et de l'insouciance des poules de M. Seguin qui se fichent des buses tournoyant plus haut dans le ciel.

  • A l'aube du premier jour en compagnie de cette nouvelle communauté, Adrien déambule dans la hêtraie avec son chien. Il aime ce moment où le soleil n'a pas encore dépassé la montagne. Où les nuages se colorent de rouge pour l'annoncer. Où les bancs de brume dans les coins froids des champs s'attardent à l'abri du vent avant de se dissiper. Où chante l'écho du premier train qui progresse dans la vallée en contrebas. Où il se sent plus proche des arbres que des humains. Il aime l'odeur d'humus des matins de printemps, le chant du pic épeiche dans la canopée, ses pas dans les feuilles de l'automne précédent.

  • Qui pensait qu'on en serait à ce point aujourd'hui en terme de sécheresse, de feu de forêt, d'inondation ? Tout s'accélère. Ici, nous voyons souffrir les arbres, les plantes, le sol, les rivières, au quotidien. Nous constatons la dégradation précipitée des conditions météo. Il faudra revenir à des métiers basiques, et à l'objectif simple de se lever le matin pour travailler à se nourrir, et se coucher le soir avec la gratitude d'avoir l'estomac satisfait.

  • Regarde là-haut, toutes les étoiles. Quand j'étais petite, mon père me disait qu'elles étaient là pour absorber nos soucis. Il y en a des milliards dans l'univers, alors on a le droit d'avoir chacun la nôtre pour veiller sur nous et aspirer nos peines. Il suffit de choisir la tienne et de lui faire confiance.



Biographie

Agnès Ledig est une romancière française, Après une expérience en agronomie, elle décide d’intégrer l’école de sages-femmes de Strasbourg. Spécialisée en prévention, contraception et accompagnement émotionnel des femmes, elle obtient son diplôme et devient sage-femme libérale. Elle est sage-femme libérale en Alsace jusqu'en 2015. Elle est l'épouse d'un agriculteur normand et mère de trois enfants.

Agnès Ledig commence à écrire en 2005, pendant la maladie de son fils Nathanaël, souffrant d'une leucémie. Pour répondre aux questions que posaient tous ceux qui se préoccupaient de Nathanaël, elle tenait un bulletin hebdomadaire. Un professeur de médecine qui suivait l'enfant lui a révélé son don de transmission et l'a encouragée à écrire. Quand Nathanaël est parti, elle ne s'est plus jamais arrêtée.

"Marie d’en haut" (2011), son premier ouvrage, a remporte le prix "coup de cœur des lectrices" du roman Femme Actuelle 2011.
En moins de cinq ans, Agnès Ledig s'est imposée comme l'une des romancières françaises les plus aimées du grand public. Ses trois best-sellers, "Juste avant le bonheur" (2013), prix Maison de la Presse 2013, "Pars avec lui" (2014) et "On regrettera plus tard" (2016) sont aujourd'hui traduits en 12 langues.
En 2016, elle publie son premier album jeunesse, "Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage", illustré par Frédéric Pillot, qui illustrera également son deuxième album, "Le cimetière des mots doux" (2019). En 2020, elle publie son septième roman "Se le dire enfin", suivi de "La toute petite reine" (2021).

voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Agn%C3%A8s_Ledig

Son site : https://www.agnesledig.fr/biographie



mardi 21 mai 2024

Pierre CHAVAGNE – La femme paradis – Editions Le Mot et le Reste – 2023 -

 

 

L'histoire

Depuis 6 ans, une femme quasi amnésique vit dans une grotte cachée par la forêt sur un causse dans le sud du pays. Elle passe ses journées à pécher dans la rivière en contrebas, poser des pièges, cultiver un petit jardin. Elle ne possède pas grand chose, quelques objets de sa fuite (ce dont elle se rappelle difficilement), un couteau aiguisé et une carabine avec peu de munitions. Sa plus grande peur : qu'un intrus découvre son refuge qu'elle garde comme une lionne. Elle connaît par cœur son territoire et décide qu'il est inviolable. Quand une détonation se fait entendre dans la vallée, elle part en chasse. Peu à peu des souvenirs remontent.


Mon avis

Étonnant petit livre de 144 pages, qui fait une belle place au « nature writing ». Cette catégorie littéraire, popularisée notamment par les éditions Gallmeister met la nature ou un de ses éléments (une forêt, une rivière, un lac, une montagne mais aussi des conditions climatiques : sécheresse, gel et) au centre de l’histoire pour en faire aussi un personnage principal. Cette littérature a toujours existé mais sans qualificatifs. On peut citer Jim Harrison comme le plus connu des auteurs de nature writing par exemple). Ce genre littéraire prend de l'ampleur, avec la prise de conscience du réchauffement climatique.

Voilà donc une femme, totalement seule depuis 6 ans, qui a perdu la mémoire de son passé, où il ne reste que des brides. Elle sait que son mari est mort, et que le monde était en proie à des violences urbaines, des pannes d'électricité mais cela ne la touche pas. Elle a décidé de s'isoler de l'humain qu'elle finit par détester pour vivre sa vie presque monacale dans ce lieu qu'elle a trouvé par hasard. Une grotte a demi-cachée, dans la forêt, qui est sa résidence principale, bien gardée mais aussi tout un pan de ce paysage, avec sa rivière qui coule en bas, des rochers, la broussaille est son territoire qu'elle défendra coûte que coûte. Elle s'astreint à une discipline de fer, son temps étant occupé à assurer sa nourriture : chasse avec d'anciens pièges laissés par les braconniers, pêche, elle cultive même un petit jardin où poussent des pommes de terre, des poireaux sauvages, de la bardane et autres plantes. De plus elle a des cachettes un peu partout sur le plateau. Elle s'astreint tout les jours aux mêmes rituels, et écrit un journal dans un précieux carnet et un tout aussi précieux stylo.

Mais un jour, elle entend une détonation dans la vallée. Une autre présence humaine donc et cela lui est intolérable. Elle va pister l'intrus puis le tuer (il avait essayé de la tuer aussi avant), et le jette dans la rivière. Sans remords ni regrets, elle récupère les quelques objets qu'avait l'homme. En hiver sur le sol gelé, un autre randonneur importun se fait aussi tuer et elle récupère un sac contenant une liseuse, et un panneau solaire. La lecture, qui lui a tant manqué, devient alors sa principale activité, mais elle se reprend très vite. Elle sent qu'un autre individu est là. Encore une traque à venir. Mais petit à petit ses souvenirs de sa vie d'avant remontent, jusqu'à retrouver la totale mémoire des événements qui l'ont conduite là.

On ne saura jamais son nom.

Étrange roman où la vie en société est devenue infernale (violences urbaines etc) mais où des communautés d'entraide s'organisent. Il me fait un peu penser au livre de Marlen Hopshaufer « le mur invisible » autre dystopie mais qui s'arrête quand la narratrice n'a plus de papier et d'encre pour terminer son récit.

Ce livre mélange subtilement la beauté de la nature à la violence de cette femme qui a choisi volontairement cette vie d'ermite qui n'en n'est pas une. Car il lui faudra aussi un long cheminement intérieur pour comprendre qu'on ne peut pas vivre seule et que l'amour d'un être cher ou d'amis est nécessaire à l'épanouissement. Et que la loi de la jungle où il faut toujours être le plus fort, contre les animaux prédateurs, contre les éléments est épuisant.

C'est aussi le rejet d'un consumérisme aveugle, et du travail subi. La nature aussi belle que dangereuse est un endroit à préserver. D'ailleurs la femme ne prélève que ce dont elle a besoin pour manger. Son cœur s'est endurci. Elle se souvient que son mari est mort. La seule chose qui lui importe est donc « son territoire »,exactement comme les animaux marquent le leur.

Dans une écriture limpide, au mot juste, se côtoient les deux cotés de l'âme humaine : la sauvage et violente enfouie en nous par la bienséance, l’éducation, le désir de bien faire et notre part lumineuse, capable de se réjouir des premiers rayons du soleil ou du chant d'un oiseau, capable d'empathie.

Ce petit livre est dérangeant dans son atmosphère où les angoisses de cette femme (la peur de retrouver un contact humain) l'amène à oublier tout sens moral, jusqu'à la prise de conscience finale. Un livre qui dans la multitude des thèmes effleurés nous renvoie à la question fondamentale : que sauver quand tout s'écroule ?

Voilà un livre qui vous happe, et qui vous scotche, car jamais vous ne lirez une histoire aussi simple et originale, qui oscille entre la beauté de ce coin perdu et l’ambiguïté de cette femme pour laquelle survivre est le seul but.


Extraits

  • Son œil fixe la frontière. À l’ouest, une colline nue et ronde, tachée de genêts ; à l’est, une forêt de pins noirs au garde- à-vous ; entre les deux, s’étirant du nord au sud, un plateau karstique, une étendue rase, sans arbre ni buisson, aux herbes trop courtes pour onduler dans le vent. Tout y est figé. Seules les ombres changeantes des plus gros rochers posés là insufflent la vie. Un sol lunaire sur lequel prospéraient moutons et chèvres quand il y avait encore des bergers. Aucune trace de chemin ni de construction. Les poteaux des clôtures ont été repris et brûlés. Un ruisseau dégoutte de la colline et serpente en pente faible entre les blocs de granit. Le débit est ténu. Elle n’entend rien.

  • La peau de la truite grésille sur le feu. Les odeurs de thym et de romarin embaument. Pour l’occasion, elle épluche une pomme de terre et un poireau sauvage. Elle songe à Belle du seigneur. La patience est mère de toutes les vertus : cinq jours pour qu’une truite pénètre dans le piège ; cinq nuits de lecture pour parvenir à bout des 853 pages. Elle irradie d’une joie simple et directe qui ne s’encombre d’aucun but ni d’aucune route. La journée a été merveilleuse. Dehors, les rayons déclinants participent à son bonheur. Elle rend grâce. Elle est riche de nouvelles émotions et s’apprête à déguster un poisson grillé.

  • Mes souvenirs sont des crépuscules ; aucune de mes histoires n’a de commencement.
    Son œil fixe la frontière. À l’ouest, une colline nue et ronde, tachée de genêts ; à l’est, une forêt de pins noirs au garde- à-vous ; entre les deux, s’étirant du nord au sud, un plateau karstique, une étendue rase, sans arbre ni buisson, aux herbes trop courtes pour onduler dans le vent. Tout y est figé. Seules les ombres changeantes des plus gros rochers posés là insufflent la vie. Un sol lunaire sur lequel prospéraient moutons et chèvres quand il y avait encore des bergers. Aucune trace de chemin ni de construction. Les poteaux des clôtures ont été repris et brûlés. Un ruisseau dégoutte de la colline et serpente en pente faible entre les blocs de granit. Le débit est ténu. Elle n’entend rien. Allongée sur le ventre, immobile, l’humidité du sol infuse sa chemise à hauteur de poitrine, l’air glacé lui griffe les joues, un vautour fauve plane en cercle à son zénith, elle ne bouge pas. Elle attend.
    Hier, dans cette zone, aux confins de son territoire, il y a eu une détonation.
    Elle balaye le causse d’un regard alangui. Elle ignore ce qu’elle cherche alors elle ne s’attarde sur rien. Ses pupilles dilatées flottent dans le paysage, elles s’habituent aux dégradés de vert, de gris, de noir, aux variations de lumière, découvrent des formes, fouillent les ombres. Les rondeurs de la colline dessinent le buste d’une femme généreuse, soulignent son front, son nez, son épaule, son sein lourd jusqu’à l’auréole vert empire de son sexe clair que délimite un tapis de myrtilles sauvages. À la lisière de la forêt, l’œil se fatigue. La vision se brouille comme à travers un grillage. Que distinguer à trois cents mètres dans un enchevêtrement de troncs ? Alors, elle recherche l’indice d’une présence dans l’agitation des branches basses. La nature est harmonie, elle quête la dissonance : la présence humaine.
    Les va-et-vient la bercent. Elle s’engourdit. Une ombre apparaît à sa gauche. Sursaut. Un chien surgit sur la hauteur et dévale les hanches de la déesse endormie. Accélération du cœur. Il est rejoint par un, deux, trois, puis quatre autres bêtes : ce sont des loups. Ils se dirigent vers la forêt. Dans sa position, contre le vent et dos au soleil, elle ne risque rien. La meute s’arrête au ruisseau pour se désaltérer. Elle se hisse sur les coudes pour mieux les observer. Le loup le plus massif pointe son museau dans sa direction. Elle se raidit. Il reste dans cette position un temps infini. Masque de poils blanc, yeux jaunes. Il l’a devinée. Elle bloque sa respiration et étouffe l’épouvante des contes de l’enfance. Il aboie. Les autres loups se tendent vers elle. Il aboie une seconde fois et la meute repart d’où elle est venue. Le corps de la femme s’affale comme une voile morte.

  • En ville, mon esprit était comme une luciole enfermée dans un poing, ma présence au monde avait la vitalité du mannequin de plastique dans la vitrine d’un grand magasin – proportions idéales dans des tissus fleuris, coquette, invisible, je décorais.
    En forêt, tous les animaux savent qui je suis. Ils me craignent, me fuient, aucun n’est insensible et, peut-être, l’un d’eux me dévorera. Ce sera sans méchanceté. Ma lumière finira dans l’estomac d’un sanglier, d’un lynx ou d’un loup, alors j’appartiendrai entière à la vie sauvage. Tout vaut mieux que l’indifférence. Desserrer l’étreinte, s’évader et vivre tel un phare dans l’obscurité du monde.

  • Je demande pardon à Pierre et pardon à Nora. À force de solitude, je me suis entêtée à les oublier. Tout s’éclaire maintenant. J'étais femme et j'étais mère. J'étais moi et j'étais eux. La survie est inutile si on oublie cela. L'homme vaut plus que la somme de ses cellules. Les liens qu’il tisse avec ses semblables et avec son environnement sont plus importants que lui-même. Il vit au-delà des limites de son corps. Il refuse les frontières. Il est le baiser. Il est le souvenir qu’il sème dans l’éternité. Il est le seul être de la création à s’émouvoir d’un coucher de soleil. La biologie ne comprend rien à la poésie. L'amour existe les hommes finiront par l'entendre. Je l'ai compris trop tard. L'amour existe, sinon nous ne servons à rien.

  • Les rondeurs de la colline dessinent le buste d’une femme généreuse, soulignent son front, son nez, son épaule, son sein lourd jusqu’à l’auréole vert empire de son sexe clair que délimite un tapis de myrtilles sauvages.

  • L'intuition n'est pas un sixième sens, c'est la synthèse de tous les sens, l'évidence du corps qui se connecte au monde.

  • Au début, je pleurais pour un rien. J'ai trouvé ma consolation à l'orée d'une clairière. Quand je suis trop pleine de chagrin, je me décharge au creux d'un vieux châtaignier occupé à mourir. Il est ma chapelle. Je me glisse en son sein et l'arbre emploie ses racines à enfouir ma tristesse. Je l'ai baptisé théâtralement : « L'arbre de toutes les peines ».

  • L'homme invente pour se consoler de n'avoir rien créé. Il étiquette pour ne pas se perdre dans ce monde indéfini, il baptise pour laisser une trace, pour exister, pour ne pas mourir tout à fait.

  • La nature est un enseignement continu, une classe debout et remuante où l'essentiel se partage dans les infinies variations de lumière, de pression, ou d'humidité. La roche palpite, la sève circule sous l'écorce, la mousse aspire l'eau, les champignons jaillissent au ralenti après la pluie. Tout vibre: le silence, la vie, la mort et le bonheur dans une égale énergie.

  • Il y a plusieurs durées dans une vie. La régularité du temps qui s'écoule est une invention de l'homme. Au grand dam des horlogers, le temps est malléable et subjectif; les périodes d'ennui diffèrent de celles du jeu. L'enfant l'a compris, son temps s'étire interminable comme un élastique qui ne casserait jamais. Il veut s'échapper du temps, aspire à la nature, à l'épuisement de la course en forêt. À l'inverse, entraîné dans la vie moderne, l'adulte comprend que la minute présente ne lui appartient plus. Les secondes fileront jusqu'à sa mort sans qu'il n'y puisse rien. Et avec l'âge, le mécanisme accélère.

  • Nous ne sommes que cela. Des machines chimiques à produire des molécules. Des endorphines et de la sérotonine, plus ou moins dosées définissent notre personnalité, nos vices et nos vertus, nos joies et nos peines. Le libre arbitre est une plaisanterie comme les sentiments sont une Illusion. Une seule question importe: où se loge l'amour dans cette fragile biologie?

  • J'écris dans l'urgence. Peut-être que demain, il sera trop tard. J'ai repoussé plusieurs fois les assauts. Il faut le crier : les hommes sont nuisibles. La confiance est rompue. Je le raconterai plus tard. La mémoire est une toile d'araignée fragile qui se déchire si on la brusque.

  • Je prélève ma part, ni plus ni moins. Je tue pour vivre, pour ma sécurité et ma nourriture. Dans la société, c'est la même tuerie sauf qu'ici, je ne délègue pas mes besognes au boucher et au militaire. Dans la forêt je m'expose, je me salis.

  • La survie dans le monde sauvage répond à une succession de choix, c’est une balance qui pèse le bénéfice d’une action et son risque inhérent.

  • J'ai construit ma maison haut perchée, comme un château cathare, barricadée dans un cercle dont le rayon avoisine les trois heures de marche. Mon territoire s'étend sur un peu plus de deux cents quatre-vingts hectares, comme celui d'un aigle royal. J'en fais le tour en une journée ― dix-neuf kilomètres si les mathématiques disent vrai. J'ai de l'eau, du bois, des herbes, des baies, du poisson, des écrevisses, des petits animaux que je piège, du silence et de la solitude. Tout cela est suffisant quand on l'a choisi.


Biographie

Pierre Chavagné, né en 1975 en banlieue parisienne, vit et travaille dans le Sud de la France. Auteur Academy est son premier roman.

Voir ici : https://www.youtube.com/watch?v=yGB3vnISRYk




dimanche 19 mai 2024

Tiffany MCDANIEL – Du coté sauvage – Gallmeister 2024

 

 

L'histoire

Chillicothe, Ohio, 1979. Arc et Daffy sont deux jumelles indissociables. Rousses, elles ont des yeux vairons : bleu et vert, mais inversés, Arc a l'oeil bleu à droite et son œil vert à gauche, pour Daffy c'est le contraire. Mais qui va remarquer ce genre de détails ? Élevées par leur douce grand-mère qui les abreuvede contes et légendes de cette terre qui était autrefois occupée par les amérindiens, elles sont récupérées par leur mère Addie et leur père tout juste sortis d'une cure de désintoxication. Mais très vite, l'addiction à l'héroïne revient. Le père meurt d'une over dose, et Addie qui vit avec sa sœur Clover, droguée elle aussi, se livre à la prostitution, et finit par ne plus sortir de son lit. Elle ne s’occupe pas plus de sa maison que de ses filles qui vont à l'école et ont des projets : championne de natation pour Daffy et archéologue pour Arc, qui adore creuser la terre, pour déterrer des objets futiles. Mais la malédiction familiale se poursuit. Daffy essaye de l'héroïne « pour voir » et entraîne Arc dans une addiction. Prostitution, tentative de sevrage qui échouent. En même temps, un sérial killer sévit dans la région, des corps de femmes, souvent battues à mort ou ayant subi des sévices post ou ante mortem sont retrouvée dans la rivière boueuse, qui s'écoule non loin de là. Toutes ces femmes ont un point commun : junkies et prostituées. Quand à son tour Daffy disparaît, Arc après l'avoir cherché partout, prend enfin la meilleure décision de sa vie. Partir. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?


Mon avis

Attendu avec impatience, je me demandais ce que l'autrice de « Betty » et « l'été où tout a fondu » allait écrire. Un chef d’œuvre de plus qui vous happe dès les premières pages. Pour cela Tiffany McDaniel s'est inspirée d'un fait divers retentissant qui a secoué la petite ville de Chillicothe dans l'Ohio dans les années 2014/2015, affaire toujours non résolue où 6 femmes ont disparu et dont certains des corps mutilés ont été retrouvés dans la rivière.

Il ne s'agit pas ici de refaire une enquête, mais de mettre l'accent sur ces femmes que le destin prive de tout.

Arc, la narratrice, est intelligente, cultivée aussi (car elle va lire des livres à la bibliothèque) et surtout se donne pour mission de protéger sa sœur Daffy, plus lunaire, qui écrit des poèmes un peu partout.

Mais le destin va s'acharner sur ces deux jumelles. Déjà l'environnement familial est totalement déséquilibré. Elles vivent dans une petite maison, juste derrière l'usine de papeterie, la seule activité qui reste dans une ville qui aurait pu être la capitale de l'Ohio. Les fumées nauséabondes de l'usine, une tante droguée qui passe son temps devant la télé, et une mère qui a renoncé à tout, mais qui reçoit chez elle les « johns », le surnom donné aux clients. La maison n'est pas entretenue, la mère se montre violente avec ses filles, et fini par vivre recluse dans sa chambre. Pour combler le vide, les jumelles se racontent des histoires ou reviennent sur les temps heureux de leur enfance auprès d'une grand-mère aimante et toujours prête à raconter la puissance des femmes et leur proximité avec la nature.

Tout bascule à 10 ans quand les jumelles se font violer régulièrement par celui qu'elles appellent l'Araignée, un homme grand puissant et qui de plus est policier. En récompense, elles ont le droit à une boite de « Happy Meal » et son jouet caché.

Et les rêves d'enfance s'effacent. Parce que, « pour voir » Daffy se pique à l'héroïne où elle se sent bien dans un monde différent. Elle entraîne Arc dans la dépendance, et comme l'héroïne coûte cher, elles en viennent à se prostituer, 5 dollars la passe, par des clients dont certains n'hésitent pas à les tabasser. Elles sont entourées d'amies également sous l'emprise de la drogue et de la prosititution : Thursday, une fille de riches qui a rejeté ses parents (qui portant, chaque semaine, viennent l'alimenter et lui donner de l'argent) et vit dans un mobile-home. Sa meilleure amie surnommée « Sage Nell » est passionnée de philosophie mais qu'elle arrange comme cela lui convient. Violet, la plus âgée, semble sortie de la dépendance, elle a une fille dont la garde a été confié au père et rêve d'ouvrir une pâtisserie. Indigo est une jeune femme cultivée et rêveuse, qui vient se greffer au groupe, Ce petit groupe de filles se soutient et décide d'aller en cure de désintoxication.

En même temps, un sérial killer s'en prend à des femmes. C'est Arc qui découvre dans la rivière la première victime, Harlow qu'elle ne connaissait pas. Comme elle découvrira la seconde, Sage Nell. Mais la police ne prend pas la peine d'ouvrir une enquête, ce ne sont que des junkies et des prostituées, victimes d'accident. Au fur et à mesure, les amies d'Arc disparaissent ou sont retrouvées mortes dans la rivière.

Cette rivière, boueuse, faite de vase et des probables déchets de la papeterie, est aussi un personnage dans ce roman. Sinueuse, ou déchaînée, gelée dans les hivers froids de l'Ohio, lente en été, les filles vont s'y baigner en lui prêtant des pouvoirs magiques. L'eau est d'ailleurs un symbole du féminin, comme la terre. N'oublions pas, Arc est marquée par la terre, Daffy par l'eau.

Structuré en 9 chapitres, le roman est comme la rivière, il fait des aller-retours dans le passé, dans les souvenirs heureux ou dans la poésie des rêves de ces femmes qui ne sont rien. Aucune structure sociale, aucun soutien à long terme, et surtout aucune loi les protégeant des brutalités infligées. Les hommes ici sont des prédateurs, le flic araignée, le revendeur de came odieux, un drôle de type violoniste, l'homme de nettoyage de l’hôtel où ont lieu les passes qui collectionne les larmes sur des cassettes vidéos, ce sont soit des hommes violents, soit des hommes au passé inconnu mais sûrement trouble.

Et la fin magnifique, inattendue, vient sublimer ce roman. L'autrice ne nous épargne rien des violences faites à ces femmes, mais sublime par son écriture magique et poétique cette histoire où elle veut rendre hommage à ces oubliées, ces femmes de rien qui étaient aussi des sœurs, des mères, des êtres avec leurs cotés sauvages mais aussi leurs beaux cotés.

Un livre inoubliable, qui navigue entre la vie et la mort, la beauté et l'horreur, soutenu par cette merveilleuse conteuse qu'est Tiffany Mc Daniel. A travers elle, c'est aussi le portait en creux qu'une Amérique qui se fissure, qui réduit les droits des femmes (comme les lois anti-avortements), et qui tient aussi à nous rappeler de la mythologie grecque. Au début ils avaient les Titans, puis les titans ont créés Gaïa, la Terre, tout aussi malmenée mais belle, comme les héroïnes de ce roman à la puissance magique.


Extraits

  • Écoutez-moi, maintenant, les filles, dit-elle de la manière la plus sérieuse du monde. Le pouvoir, ce n'est pas seulement quelque chose de physique. Ce n'est pas un hercule qui soulève des poids énormes. C'est bien plus que ça.
    C'est être intelligent. Cela veut dire que vous résistez.
    — Ça veut dire quoi, résister, mamie?
    Je ne me souviens plus si c'est moi qui avais posé cette question ou bien Daffy.
    — Cela veut dire que vous supportez quelque chose en vue d'atteindre un but plus important. Parce que dans ce monde, vous devez être intelligentes et vous devez résister.
    Surtout, vous devez être prêtes à être traitées comme une femme. Si vous n'êtes pas prêtes à ça, vous serez broyées en mille morceaux.
    — Comment elle est traitée, la femme? demandai-je.
    — Pas comme une personne.

  • Une sorcière, ce n'est pas un chapeau pointu, un balai, ou des verrues. Une sorcière, c'est simplement une femme qui est punie parce que sa sagesse est plus grande que celle des hommes. C'est pour ça qu'ils l'ont brûlée. Ils ont voulu se débarrasser de son pouvoir par le feu, parce qu'une femme qui dit plus que ce qu'elle est censée dire, et qui fait plus que ce qu'elle est censée faire, est une femme qu'ils essaient de réduire au silence et de détruire. Mais il y a des choses que même le feu ne peut détruire. L'une de ces choses, c'est la force qu'une femme peut avoir.

  •  Où serions-nous si personne n’avait jamais prononcé le mot Dieu ? N’avait jamais prononcé le mot paradis ? Enfer ? Toutes ces choses qui rendent plus profonde la couleur du fruit mûr. Où serions-nous sans un récit de la création ? Sans la puissance du péché ? Où serions-nous si nous pouvions simplement vivre sans avoir à craindre que la vie que nous avons menée n’ait pas été assez vertueuse pour passer l’éternité en compagnie des harpes ? Libres de tout sentiment de honte, ou de culpabilité, ou de faire ce qu’il ne faut pas. Qui a été le premier idiot à dire “Nous sommes plus que le résultat d’une évolution. Nous sommes la morale, l’éthique, et la création. Nous sommes le ressenti, le fabriqué, ce qui provient de la hanche d’un Dieu dans les cieux.” La vérité, c’est que nous ne sommes tous que des morceaux de merde que l’univers a fait sortir de son cul. Ça c’est une philosophie à laquelle j’adhère. 

  • Parfois, dit-elle, il faut s'accrocher à une chose en particulier pour ne pas oublier qu'elle existe. Si tu n'oublies pas qu'elle existe, tu n'oublies pas de la protéger.

  • Les gens du coin appelaient la rivière, en automne, l’œil de Dieu. A cause de la façon dont les feuilles jaunes, bordeaux et pourpres, tombées des branches la surplombant, tapissaient la surface, ne laissant apparaitre qu'un petit cercle d'eau boueuse. A en croire la légende, si vous observiez attentivement ce rond, c'était dans la pupille de Dieu que vous plongiez le regard, et alors vous y découvrirez votre avenir. Mais la rivière, elle, savait ce qu'elle était. Et même si ce mythe la flattait, elle ne se considérait pas autrement que comme une femme, semblable à celles qui venaient s'attarder sur ses rives, ou plonger dans ses eaux.

  • Depuis qu'il y a des soldats, il y a toujours eu des moyens de faire d'eux des machines à tuer plus efficaces. Si on remonte au temps où le pays était plus couvert de forêts que d'usines, les guerriers des tribus prenaient des substances hallucinogènes. Cela leur donnait le courage de se précipiter vers les lances ennemies au lieu de s'enfuir devant elles. Bien des batailles ont été conduites avec des soldats shootés aux champignons et il est certain que l'alcool a toujours joué un rôle. Vin, vodka ou whisky, ils buvaient afin de survivre à la guerre elle-même. Hitler avait ses propres comprimés, qu'il distribuait à ses troupes nazies. de la pervitine. Un comprimé qui faisait d'eux de meilleurs combattants. Ces soldats nazis étaient loin de se douter que ce qu'ils prenaient n'était autre que de la crystal meth. Amphétamines, cocaïne, héroïne. Nos guerres ont été menées n'ont pas avec la sobriété que la tradition admire tant, mais avec l'usage et avec l'aide de suffisamment de stupéfiants pour faire de nos valeureux soldats des supers-héros.

  • La douleur prit tout et en voulut encore plus. C'est à ce moment-là que je m'aperçus qu'une femme garde la plupart des choses dans le fond de sa gorge. Et que ces choses ressortent sous forme de vomi, de hurlements et de pleurs.

  • Tante Clover avait commencé à puer de plus en plus. Maman aussi. La transpiration corporelle, l'odeur des cheveux, qui n'avaient pas connu le shampooing une seule fois en un millier de matinées. Et puis il y avait l'odeur de quelque chose d'humide qui tapissait les cloisons nasales. Cela me faisait penser à des mares produites par des femmes en train de fondre, trop brûlantes pour s'apercevoir que les flammes les dévoraient vivantes.

  • Il y a quatre éléments dans l'univers, nous dit un jour mamie Milkweed, à Daffy et moi. La terre, l'air, le feu et l'eau. Vous avez le feu dans vos cheveux. Vous avez l'air dans vos poumons. Et vous avez la terre dans votre oeil vert et l'eau dans votre oeil bleu.

  • Nous autres, les êtres humains, avons toujours connu la douleur. L’histoire nous le dit dans les vestiges que les différentes civilisations ont laissés derrière elles. La douleur est là, dans les vases brisés dans les fractures de la poésie, dans la musique sublime que nous jouons depuis des siècles. Nous appartenons au chagrin jusqu’à ce que la machine s’arrête. Ensuite, nous appartenons à la terre, nos corps ne se distinguant plus des autres choses mortes.

  • La création finit de la même façon qu’elle commence. Avec la faim.
    À présent, il est difficile d’imaginer que ces restes humains aient pu être un jour une personne. Qu’ils aient pu être quelqu’un qui riait aux plaisanteries de son père. Qui souriait à la caresse de sa mère. Qui dansait pieds nus avec son amant sur le linoléum froid de la cuisine. Ses doigts avaient une identité qui n’était qu’à elle. Elle était le romarin, elle était le blé d’hiver rouge, elle était la joubarbe, elle était la spigélie. Désormais, on ne voit plus de cette femme la couleur de ses yeux, la largeur de son sourire, les vagues de sa chevelure. On ne voit d’elle que le gras qui la recouvre. La pourriture dans sa bouche. La boursouflure de ses seins. On n’entend pas d’elle son chant, sa voix, ses paroles. Il n’y a plus que le silence, quand cesse ce léger grignotement sur ce qui a autrefois été une femme qui allait et venait sur cette terre, loin de se douter que sa mort éclipserait sa vie. 

  • Il n'y avait que les marches que j'escaladais sur le ciel de la nuit bleue, avec les étoiles si proches que je pouvais les ancrer au creux de mes mains.

  • Je ne veux pas me trouver d'excuse. J'ai choisi de prendre la seringue, mais je veux dire qu'une droguée a aussi été une enfant. Nous avions l'espoir et nous faisions le rêve de devenir autre chose. Notre rêve n'était pas de nous supprimer. Ça au moins c'est vrai.

  • LA dépendance est une voleuse. Elle vous vole les minutes du jour. La couleur du ciel. Elle vole le héros de l'histoire, Les feuilles sur les arbres, la réponse à la question Qui suis-je ? La voleuse ne disparaît pas complètement parce que vous avez cessé de vous planter une aiguille dans le bras. L'abstinence est juste une meilleure cachette pour les minutes du jour, la couleur du ciel, la réponse à la question Qui suis-je ?

  • ils disent que les femmes comme nous se dirigent elles-mêmes vers leur propre mort. Moi je dis que c'est eux qui nous chassent dans cette direction. Mais ils ne nous ont pas toutes.

  • Tu ne veux pratiquement plus m'emmener avec toi nulle part. Si tu n'y prends pas garde, Arc, je vais replier ma poésie.
    - Ne fais pas ça, Daffy. Tu vas juste y faire des marques de pliures.
    - Je suis sérieuse, Arc, dit-elle, non pas en me regardant, mais en levant les yeux vers le ciel au-dessus de nous.
    Jai peur que les vagues du temps nous éloignent l'une de l'autre peu à peu. Un jour, j'ouvrirai les yeux et tu seras sur lautre rive, tandis que moi, je serai toujours dans l'eau, laissée seule avec mon reflet dans le courant.

  • Quand tu as l'impression d'être en feu, avait-elle dit, dessines-en un sur le mur entre les fenêtres orientées à l'est. Dessine des flammes hautes, et ouvre les fenêtres pour évacuer la fumée. Ta maison sera en feu, mais elle ne brûlera pas. L'incendie fera rage, mais pas toi. Ce qui aura essayé de te consumer, n'aura fait que te fortifier et te dresser sur tes jambes. Et une femme campée sur ses deux pieds à hérité de l'antique espoir que tout ira bien.

  • Nous dessinâmes aussi les cadeaux que nous aurions souhaité recevoir. Un globe terrestre, afin de voir tous les endroits de la terre où nous étions certaines d'aller un jour, quand nous serions assez grandes pour ne plus être obligées de traîner un tabouret chaque fois que nous voulions nous regarder dans le miroir au mur.

  • Je suis sérieuse, Arc. Parfois, je pense que la terre a une inclinaison spécialement pour nous et qu'on est toutes condamnées à descendre la pente. Nous sommes comme les femmes qui nous précédées, Arc. Nous portons de grandes terreurs sur notre dos. Nous les emportons au lit avec nous et nous nous levons le matin avec les mêmes démons.


Biographie

Née en Ohio , en 1985 Tiffany McDaniel est une romancière, poétesse et artiste visuelle américaine.
Autrice autodidacte sans formation artistique universitaire particulière, elle écrit de nombreux textes non publiés avant que son premier roman, "L'Été où tout a fondu" ("The Summer That Melted Everything", 2016), soit finalement accepté par un éditeur.
Son deuxième roman "Betty" (2020), particulièrement remarqué par la critique lors de sa parution en français, reçoit le prix du roman Fnac 2020 et le Prix America du meilleur roman 2020. Tiffany McDaniel s’inspire de la vie de sa mère, une métisse cherokee, pour livrer un roman enchanteur et tragique.
Elle vit à Circleville dans l'Ohio.

Son site : https://www.tiffanymcdaniel.com/