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dimanche 10 novembre 2024

MO MALO – Nuuk – Editions de la Martinière 2019 ou Point Poche 2020

 

 

L'histoire

Nous retrouvons ici le commissaire Qaanaaq Adriensen, mis à mal par sa hiérarchie, obligé de consulter la psychologue du service tous les jours, une vraie garce. Mais alors qu'il a l’ordre de faire la tournée des postes de police du Groenland, deux événements surviennent. D'abord le suicide d'une adolescente Maja qui se trouvait être enceinte, puis le meurtre d'une autre, et enfin le commissaire reçoit un colis dans lequel se trouve une main tranchée recouverte d'un tatouage cousu (une coutume chamanique). Puis un bras. Malgré son mariage imminent et sa quasi interdiction de mener une enquête, Qaanaaq n'est pas le genre à se défiler. Il peut compter sur les fidèles de sa brigade et dénouer une affaire complexe.



Mon avis

Retrouver l'univers groenlandais de Mo Malo est un vrai plaisir pour un polar aussi réjouissant par son intrigue, que pour les coutumes traditionnelles des inuits.

Ici il est question de « tatouages cousus », autrement dit, on passe un fil avec une aiguille à travers la peau, et dont la signification est rituelle. La pratique est de plus en plus rare au Groenland, d'une part parce que la législation interdit de se tatouer le visage, et parce que cette coutume est particulièrement douloureuse. Hors, la main tatouée comporte un tatouage dont il faut comprendre la signification, ce que l'équipe de la police centrale de Nuuk ne sait pas faire. De plus, la jeune adolescente qui s'est suicidée était enceinte mais pas de son petit ami, qui s'est donné la mort alors qu'il travaillait comme chalutier.

Une enquête complexe à souhait, dans ce vaste pays, le moins peuplé du monde, tant les conditions de vie y sont difficiles : entre froid polaire, vents violents et glacés, sans parler de l'épais brouillard qui empêche de voir à 2 m de distance à Nuuk, la capitale. Les avions ou hélicoptères, seuls moyens de liaisons avec les moto-neige pour de courtes distances permettent de relier les villes entre elles, doivent parfois rester immobilisés au sol en cas de fortes tempêtes neigeuses.

Mais il y a aussi la beauté de ces immensités de blanc, le charme infini des fjords, et une culture inuite chamanique, encore très présente dans les villages reculés.

Ainsi selon la légende, Siqiniq le soleil est est féminin est violée par son frère Taqiq la lune qui est masculin. Pour se venger, elle se coupe un sein et le donne à manger à son frère. Celui-ci toujours amoureux de sa sœur la poursuit, mais toujours elle lui échappe, dans la ronde des jours et des nuits. La légende précise que c'est lors d'un tivajuut que Siqiniq fut violée pour la première fois par son frère incestueux. Le tivajuut était une fête qui avait lieu lors du solstice d'hiver. Avec des festivités alimentaires, des chants et des danses, les jeunes femmes majeures et consentantes trouvaient un mari venu d'une autre tribu pour éviter la consanguinité. Cette pratique n’existe plus maintenant au Groenland. De même un chamane ne doit jamais donner l'ordre à une personne de se suicider, c'est même totalement interdit. Grâce à ces éléments précieux, Qaanaaq va pouvoir résoudre cette affaire mystérieuse.

Un autre point est aussi abordé dans le livre. Les foyers pour enfants orphelins ou abandonnés par leurs parents ou des mères qui veulent oublier un enfant non désiré. Si certains foyers sont chaleureux, d'autres sont des bâtisses sales et mal entretenues, avec un manque de personnel et d'activités pour des jeunes, qui souvent se mettent à boire ou consommer des drogues ou errer sans but précis, et sans avenirs certains.

L'univers que crée Mo Malo, à partir de recherches, de voyages au Groenland, et de contacts sur place est étonnant. A la fois cruel, dans une intrigue bien ficelée, mais aussi beau dans son immensité blanche.

Je dirais qu'il faut au moins lire un livre de Mo Malo pour un voyage déroutant, dans une écriture simple, avec des petits moments d’humour ou de poésie.


 

 

 

Extraits

  • Qui pouvait le surveiller d’assez près pour le traquer de la sorte ?
    Le survol de l’île d’Uummannaq, balayée par les filaments vert absinthe d’une aurore boréale, était un enchantement. Dominé par ses deux pics de granit rose, le village du même nom se présentait comme un port de pêche au charme indéniable. À l’office de tourisme de Nuuk, Visit Greenland, on prétendait qu’Uummannaq était la destination la plus courue par les Groenlandais eux-mêmes, loin de cette autoroute à touristes étrangers qu’était devenue la baie de Diskø. Isolée. Sauvage. Authentique. Qaanaaq imaginait d’ici les arguments des dépliants.

  • Une décharge le traversa. L’excitation. Il se sentait à nouveau si vivant. Être flic : cette névrose dont on ne se débarrassait jamais tout à fait. Ce poison si doux qu’on en oubliait les interdits comme les injonctions. Finalement, cette satanée tournée ne serait peut-être pas si inutile.

  • Mais sans doute était-ce aussi cela, grandir : accepter de n'être qu'un rouage dans un travail d'équipe. Ne plus prétendre être celui qui résoudra tout, tout seul. Reconnaître la primauté du groupe sur l'individu, gage de survie pour chacun, comme les Inuits d'antan l'avaient si bien compris.

  • Le lieu offrait une vue agréable sur le rivage et sur la mer, où un petit troupeau d'icebergs indolents broutait l'écume.

  • Dans la culture inuite, ne plus se sentir aimé revenait en quelque sorte à cesser d'être humain. A cesser d'exister.

  • La prochaine fois que tu vas te baigner avec des requins, tu penses à leur donner à manger avant de te jeter à l'eau. OK ?

  • Le chasseur inuit le sait bien : on ne traque pas sa proie en dépit des éléments imposés par la nature, encore moins contre eux. On doit en faire ses alliés.

  • La balance qui juge nos âmes prend-elle le poids de notre corps en compte ?

  • Le vide lui parle. Il se dit son ami. Si elle vient à lui, c'est promis, il abolira toute douleur. Dans ce Grand Nord hostile, il sera son ultime réconfort. Il l'enveloppera, comme les vêtements qu'elle porte, de trois épaisseurs. Mieux encore : une couche d'air, une couche de glace, une couche de pierre. Les seules matières que sont faites pour durer dans un tel univers.

  • Qaanaaq aborda cette ascension avec respect. Il n'était pas question de conquérir la montagne comme l'aurait fait un quelconque trekkeur du dimanche mais plutôt de solliciter d'elle un accueil bienveillant. Il tâchait ainsi de peser chacun de ses pas. De retenir tout geste brusque, de ne rien profaner du domaine dans lequel il pénétrait.

  • La glace, et elle seule, avait repris son empire et ses droits. L'homme chassait peut-être sur son royaume, mais à la fin elle parvenait toujours à l'en chasser.

  • Une culture vous possédait en premier lieu par sa langue ; les rudiments de kalaallisut assimilés au fil des mois avaient largement contribué à réveiller l’Inuit tapi en lui.

  • Depuis quelques heures déjà, la mer de Baffin menait la vie dure au Saviq. La zone de pêche habituelle rendue impraticable par la concentration d'icebergs descendus du nord, le bateau ne cherchait plus qu'à se maintenir à distance raisonnable des blocs les plus dangereux, là-bas, plus au large, là où leurs pics ne hérissaient pas les flots démontés.

  • A Noël, la plupart des responsables officiels recevaient des boites de chocolat ou des bouteilles d'alcool millésimées. Adriensen, lui, se voyait offrir un corps humain en kit. Où allait se placer la générosité, de nos jours !

  • Appu le corrigea aussi sec. – C’est pas des runes. Ce sont des lettres du syllabaire inuktitut. Nootaïkok hochait la tête. – Le quoi ? demanda Erik.
    Les deux Inuits se désolèrent. Ils avaient beau savoir que l’éducation danoise occultait très largement leur île et leur culture, ce genre de rappel se révélait toujours une blessure. Une injure à leur peuple.

  • Une seule est demeurée sans partenaire. Mais de ce répit elle ne semble tirer aucun soulagement. Elle sait que pire, bien pire, l’attend. Car, qu’elle le veuille ou non, elle sera sienne. Il anticipe déjà ses cris et ses griffures, ses « non » qu’il prendra pour des « oui », ce tabou qu’elle invoquera et qu’il lui sera si doux de briser. Elle se débattra, c’est certain. Et pourtant il l’aura, c’est tout aussi sûr. L’œil de la caméra, tapie dans un angle, pourra en témoigner. Rien, pas même la honte ou les plaintes, ne pourra empêcher hier de posséder aujourd’hui.



    Biographie

Né à :Rueil-Malmaison , le 18/05/1968, Mo Malø est le pseudonyme de l'écrivain Frédéric Mars, de son vrai nom Frédéric Ploton.
Diplômé du Celsa (1988-1991), après plusieurs années passées dans la presse magazine et diverses rédactions online, il a quitté le journalisme et la photo pour ne se consacrer qu'à son travail d'auteur de livres. Outre ses romans, il a publié plus d'une quarantaine d'essais, documents et livres illustrés, sous diverses identités, y compris en qualité de "nègre".

Il est connu principalement pour ses ouvrages consacrés au couple, à la sexualité et aux nouveaux modes de rencontre. De sa collaboration avec l'illustratrice Pénélope Bagieu, sont également nés trois ouvrages, dont le Chamasutra et le Cahier d'exercices pour les adultes qui ont séché les cours d'éducation sexuelle. Il est le traducteur français de la collection de comédies érotiques Sex&Cie, d'Ania Oz.

Il a également publié plusieurs livres sur l'art délicat de la sieste. Il a dirigé plusieurs collections, en particulier pour le compte des éditions Tana et des éditions de l'Hèbe (Suisse). Il a animé pendant deux ans (2005-2006) une chronique dans l'émission "Lahaie, l'amour et vous" sur RMC Info.

Sous le pseudonyme de Frédéric Mars, il a publié des thrillers romantiques et des thrillers historiques et contemporains. Il a également publié plusieurs romans érotiques sous divers pseudonymes dont Emma Mars et est auteur d'un essai humoristique, "Le cat code" (2017), écrit sous le nom de plume de Chat Malo.

Sous le pseudonyme de Mo Malø, il publie une série de polars se situant au Groenland : "Qaanaaq" (2018), "Diskø" (2019), "Nuuk" (2020), "Summit" (2022). Sa série des enquêtes de Qaanaaq Adriensen a été traduite dans de nombreux pays et repérée par plusieurs prix littéraires : finaliste des Prix du meilleur polar des lecteurs de Points, du Prix Michel Lebrun et du grand prix de l’Iris Noir, lauréat du Prix Découverte des Mines Noires et du Coquelicot noir.
La série "La Breizh Brigade" (2023), met en scéne une équipe d’enquêtrices hors du commun.

 

En savoir plus

 

mardi 5 novembre 2024

Emily ST JOHN MANDEL – Station Eleven – Rivages 2016 -

 

L'histoire

Un acteur jouant le Roi Lear de Shakespeare meurt tout d'un coup sur scène. Jeevan, un jeune homme qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie, tente de le réanimer. Encore sous le choc, il erre dans Toronto sous la neige et reçoit plusieurs appels de son meilleur ami Hua, médecin. Celui-ci lui conseille de fuir : une terrible épidémie de grippe violente et mortelle est en train de se propager à la vitesse de l'éclair.

Survivant dans un monde désolé où il n'y a presque plus de vie, ni de ce qui rend la vie vivable (électricité, eau potable, sécurité, santé), Jeevan réussit avec quelques autres rescapés à faire revivre le monde d'avant en montant une petite troupe de comédiens et musiciens qui sillonne le Michigan pour jouer des pièces et de la musique. Y aura-t-il un espoir de revivre dans un monde « normal » ?


Mon avis

Best-seller et vainqueur des plusieurs prix littéraires, ce livre d'anticipation a été écrit avant la crise du covid, presque comme précurseur de la catastrophe de la plus grave crise humanitaire du 21ème siècle.

Une pandémie de grippe fulgurante anéantit 99% de la population mondiale: en quelques jours, la société telle que nous la connaissons disparaît, laissant des individus perdus sans le tout-technologique.
Peu à peu, l'image d'un nouveau monde plausible se dessine en miroir de la civilisation disparue: des rescapés en petites communautés, capables du pire en violences et faux prophètes, mais aussi du meilleur par l'entraide, l'empathie, le désir de transmettre. Au-delà du sens pratique pour résister, c'est une réflexion sur le deuil, la capacité de résilience et le refus d'abdiquer sa part d'humanité pour la barbarie.
Avec une belle profondeur émotionnelle, des images fortes et une construction narrative intelligente qui brouille les pièces du puzzle, l'autrice
nous fait mourir, renaître et survivre avec ses personnages, établissant des liens entre eux, entre l'avant et l'après.

Un livre fort, parfois difficile à lire, même si l'écriture est belle, qui démonte les mécanismes d'une société obsédée par le progrès technologique, l'individualisme, ou plus rien ne fait sens profond. Et si la crise du covid semble dernière nous, d'autres dangers menacent l'humanité : le dérèglement climatique qui entraîne catastrophes sur catastrophes, des guerres qui n'en finissent pas, un monde qui semble se replier su lui-même.

Mais s'il reste un message fort, c'est de nous faire ouvrir les yeux sur notre société de privilégiés, sur la beauté de la nature (qui reprend ses droits), le confort fragile de notre civilisation qui paraît si évident, et l'importance de l'art, de l'amitié et de l'amour. Un roman magistral, orchestrée par la plume tantôt poétique, tantôt acerbe de cette jeune autrice, dont c'est le 4ème roman.

Adapté en mini-série pour la télévision américaine, elle n'a pas encore été diffusée en France.


Extraits

  • Liste non exhaustive :
    Plus de plongeons dans des piscines d'eau chlorée éclairées en vert par en dessous. Plus de matchs de base-ball disputés à la lumière des projecteurs. Plus de luminaires extérieurs, sur les vérandas, attirant les papillons de nuit les soirs d'été. Plus de trains filant à toute allure sous la surface des métropoles, mus par la puissance impressionnante du troisième rail. Plus de villes. Plus de films, sauf rarement, sauf avec un générateur noyant la moitié des dialogues - et encore, seulement les tout premiers temps, jusqu'à ce que le fuel pour les générateurs s'épuise, parce que l'essence pour voitures s'évente au bout de deux ou trois ans. Le carburant d'aviation dure plus longtemps, mais c'était difficile de s'en procurer.
    Plus d'écrans qui brillent dans la semi-obscurité lorsque des spectateurs lèvent leurs portables au-dessus de la foule pour photographier des groupes en concert. Plus de scènes éclairées par des halogènes couleur bonbon, plus d'électro, de punk, de guitares électriques.
    Plus de produits pharmaceutiques. Plus aucune garantie de survivre à une égratignure à la main, à une morsure de chien, à une coupure qu'on s'est faite au doigt en éminçant des légumes pour le dîner.
    Plus de transports aériens. Plus de villes entrevues du ciel à travers les hublots, scintillement de lumières ; plus moyen d'imaginer, neuf mille mètres plus bas, les vies éclairées en cet instant par lesdites lumières. Plus d'avions....
    Plus de pays, les frontières n'étant pas gardées....
    Plus d'internet. Plus de réseaux sociaux, plus moyen de faire défiler sur l'écran les litanies de rêves, d'espoirs fiévreux, des photos de déjeuners, des appels à l'aide, des expressions de satisfaction, des mises à jour sur le statut des relations amoureuses grâce à des icônes en forme de cœur - brisé ou intact -, des projets de rendez-vous, des supplications, des plaintes, des désirs, des photos de bébés déguisés en ours ou en poivrons pour Halloween. Plus moyen de lire ni de commenter les récits de la vie d'autrui et de se sentir ainsi un peu moins seul chez soi. Plus d'avatars.

  • Il y eut la grippe qui explosa à la surface de la terre, telle une bombe à neutrons, et le stupéfiant cataclysme qui en résultat, les premières années indescriptibles où les gens partirent sur les routes pour finalement se rendre compte qu’il n’existait aucun endroit, accessible à pied, où la vie continuait telle qu’ils l’avaient connue auparavant ; ils s’installèrent alors où ils pouvaient - dans les relais routiers, d’anciens restaurants, des motels délabrés -, en restant groupés par mesure de sécurité.

  • Je parle de ces gens qui se sont retrouvés dans une vie au lieu d'une autre et qui en sont infiniment déçus. Vous voyez ce que je veux dire? Ils ont fait ce qu'on attendait d'eux. ils voudraient faire autre chose, mais c'est devenu impossible avec les gosses, les hypothèques et tout le reste, ils sont pris au piège. C'est le cas de Dan.- Donc, selon vous, il n'aime pas son job. - Exact, mais à mon avis, il ne s'en rend même pas compte. J'imagine que vous rencontrez tout le temps des gens comme lui. Des somnambules de haut niveau, essentiellement.

  • La civilisation, en l'An vingt, était un archipel de petites localités. Ces colonies avaient combattu les bêtes sauvages, enterré leurs voisins, vécu, péri et souffert ensemble pendant les années sanglantes qui avaient suivi le cataclysme, avaient survécu dans des conditions épouvantables, et ce seulement en se serrant les coudes dans les périodes d'accalmie : autant dire qu'elles ne se mettaient pas en quatre pour accueillir les étrangers.

  • Les citoyens de l'aéroport avaient pris l'habitude de se retrouver tous les soirs autour du feu, tradition tacite que Clark aimait et détestait à la fois. Ce qu'il aimait, c'était la conversation, les moments de légèreté ou même de silence, le fait de ne pas être seul. Mais parfois, le petit cercle d'individus et la lueur du feu ne faisaient qu'accentuer le vide et la solitude du continent, telle la flamme vacillante d'une bougie dans un océan de ténèbres. Il est surprenant de voir la rapidité avec laquelle on en vient à trouver normal de vivre sur un banc, avec une simple valise, près d'une porte d'embarquement.

  • L’enfer, c’est l’absence de ceux qu’on voudrait tant avoir auprès de soi.

  • Kirsten et August cheminaient en silence. Un cerf traversa la route, devant eux, et s'immobilisa un instant pour les regarder avant de se fondre sous les arbres. La beauté de ce monde quasiment dépeuplé. Si l'enfer c'est les autres, que dire d'un monde où il n'y a presque plus personne? Peut-être l'humanité s'éteindrait-elle bientôt, mais Kirsten trouvait cette pensée plus apaisante que triste. Tant d'espèces étaient apparues sur la Terre et avaient disparu par la suite; quelle importante, une de plus? D'ailleurs, combien d'humains restait-il aujourd'hui?

  • Ça ne tient pas debout, insista Elizabeth. Sommes-nous censés croire que la civilisation a pris fin d'un seul coup ?
    -Ma foi, avança Clark, elle a toujours été un peu fragile, vous ne trouvez pas ? » Ils étaient assis côte à côte dans le salon Skymiles, où Elizabeth et tyler avaient établi leurs quartiers. «Je ne sais pas, murmura Elizabeth d'une voix lente en observant le tarmac. J'ai suivi des cours d'histoire de l'art pendant des années, par intermittence, entre deux projets. Et naturellement, l'histoire de l'art est indissociable de l'histoire tout court : on voit que les catastrophes se sont succédé, qu'il y a eu des évènements terribles, des moments où les humains ont dû s'imaginer que c'était la fin du monde. Mais tous ces moments-là ont été transitoires. Ils passent toujours.

  • La forêt s’était furtivement rapprochée du parking de l’école, dépêchant en avant-garde des arbustes qui poussaient dans les crevasses béantes du macadam.

  • Il savait, depuis longtemps déjà, que les changements intervenus dans le monde étaient irréversibles, mais cette prise de conscience n'en jetait pas moins une lumière plus crue sur ses souvenirs. La dernière fois que j'ai mangé un cornet de glace dans un parc ensoleillé. La dernière fois que j'ai dansé dans une boîte de nuit. La dernière fois que j'ai vu un bus circuler. La dernière fois que je suis monté dans un avion qui n'avait pas été converti en habitation, un avion qui décollait vraiment. La dernière fois que j'ai mangé une orange.

  • August déclarait que, sur une infinité d'univers parallèles, il en existait forcément un où il n'y avait pas eu de pandémie et où il aurait pu devenir physicien comme prévu, ou alors un autre où il y avait eu une pandémie mais avec un virus ayant une structure génétique subtilement différente, une minuscule variante qui le rendait moins destructeur - en tout cas, un univers où la civilisation n'avait pas pris fin de manière aussi radicale.

  • Une vie mentalement revécue est une série de photographies et de courts-métrages décousus : la pièce de théâtre à l'école quand il avait neuf ans, avec son père radieux assis au premier rang; les sorties en boîte avec Arthur, à Toronto, sous les lumières tournoyantes; un amphi à l'université de New-York. Un cadre supérieur - un client - se passant les mains dans les cheveux pendant qu'il parlait de son effroyable patron. Un procession d'amants dont il gardait en mémoire certains détails : les draps bleu marine, une divine tasse de thé, des lunettes de soleil, un sourire. Le poivrier du Brésil dans le jardin d'un ami, à Silver Lake. Un bouquet de lis tigrés sur un bureau. Le sourire de Robert. Les mains de sa mère occupée à tricoter en écoutant la BBC. *

  • Le lendemain, le premier étranger arriva. Ils avaient pris l'habitude de poster des gardes munis de sifflets afin d'être alertés de l'approche d'un inconnu. Ils avaient tous vu ces films post-apocalyptiques où de dangereux retardataires venaient en découdre pour s'emparer des dernières miettes. Néanmoins, observa Annette après réflexion, tous les films de ce genre-là qu'elle avait vus mettaient en scène des zombies. "Tout ça pour dire que la situation pourrait être bien pire", conclut-elle.

  • Depuis quelque temps, elle songeait à écrire sa propre pièce... Elle voulait écrire quelque chose de moderne, un texte qui s'adresserait à cette nouvelle ère dans laquelle ils avaient atterri. Survivre ne suffit peut être pas, avait elle dit à Dieter lors de l'une de leurs discussions nocturnes, mais d'un autre côté, Shakespeare non plus. Il avait alors ressorti ces éternels arguments, comme quoi Shakespeare avait vécu dans une société ravagé par la peste, et que la Symphonie Itinérante se trouvait dans une situation analogue.


    Biographie

Née Merville, Colombie-Britannique, en 1979, Emily St. John Mandel est une romancière canadienne anglophone. Elle est née à Merville, un territoire non organisé de la Colombie-Britannique situé sur l'île de Vancouver. Elle a sept ans lorsque sa famille déménage à Comox. Trois ans plus tard, alors qu'elle a dix ans, sa famille emménage sur l'île Denman où elle passe son enfance.
Elle s'inscrit à une école de danse de Toronto, The School of Toronto Dance Theatre, puis vit un temps à Montréal, avant de s'installer à New York où elle épouse le dramaturge Kevin Mandel avec qui elle a une fille. Le couple divorce en novembre 2022.

Son premier roman, "Dernière nuit à Montréal" ("Last Night in Montreal"), a été finaliste au prix du livre de l'année 2009 du ForeWord Magazine. "On ne joue pas avec la mort" ("The Singer's Gun", 2010), son deuxième titre traduit en France, remporte le Prix Mystère de la critique en 2014. Son troisième roman, le premier publié au Canada, est "Les Variations Sebastian" ("The Lola Quartet", 2012). Elle publie en 2014 "Station Eleven", un roman dystopique se déroulant dans un monde post-apocalyptique après qu'un virus a ravagé la Terre. Traduit dans plus d’une trentaine de pays, il a remporté le prix Arthur C. Clarke en 2015 et l’a imposée comme l’une des plumes les plus reconnues d’Amérique du Nord.
Son cinquième roman, "L'Hôtel de verre" ("The Glass Hotel"), est publié en 2020. Il raconte l'histoire d'une crise financière et la disparition d'une femme. En 2022, Emily St. John Mandel publie un sixième roman, "La Mer de la tranquillité" ("Sea of Tranquility"), qui mélange la science-fiction avec des enjeux contemporains tel que la misogynie, le colonialisme et l'écologie.
Depuis 2022, Mandel vit à Brooklyn et a une petite amie.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Emily_St._John_Mandel

Son site : https://www.emilymandel.com/



mercredi 16 octobre 2024

Nathalie PIEGAY - 3 nanas, Saint-Phalle, Bougeois, Messager - Seuil 2024 -

 

L'histoire

Nathalie Piegay nous raconte en 3 parties l'histoire et la vie fascinante des ces trois femmes qui ont révolutionné l'art moderne pour le faire passer dans l'art contemporain. Qu'ont-elles en commun ? Se connaissaient elles ? Pourquoi chacune à sa manière a utilisé les arts mineurs ou artisanat (couture, tricot, collage) puis les matériaux de récupération, puis les nouveaux médiums comme la résine, le polystyrène, l'acier pour des œuvres provocantes, féministes et engagées ?



Mon avis

Si vous êtes amateurs d'art ou simplement curieux ou surtout ceux qui ne comprennent pas l'art contemporain et les installations, ce livre est pour vous.

Il retrace le parcours de trois femmes devenues célèbres de leur vivant grâce à leurs sculptures. Ou leurs installations gigantesques.

Elles ne se connaissaient pas intimement dans la vie, avaient sûrement vu le travail des autres, mais ne sont pas copiées, mais ont créés des univers biens à elles, loin des convenances, loin du travail au masculin, sans rejeter les hommes de leurs vies d'ailleurs. Elles ont donné à réfléchir au rôle de la femme artiste, et de la femme tout court dans nos sociétés. Elles n'ont pas signés de pétitions mais ont brisés des tabous de façon magnifique, mais dont la plupart des gens n'ont pas les codes pour comprendre.

Il y tout d'abord le vécu : viols par son père dans l'enfance pour Niki. Pour Louise c'est traumatisme de voir sa mère humiliée par le père qui la trompe ouvertement avec Sadie, la gouvernante. Et pour Annette, qui reste d'une discrétion absolue sur sa vie privée, peut-être la vision des infirmes et blessés de guerre de Berk-sur-Plage, sa ville de naissance, où avant de devenir une belle plage touristique, était un port de pêche, avec les marins réparant leurs filets, criant d'un bateau à l'autre.

Et ces femmes qui hors de conventions, après des unions célèbres (Niki et Jean Tinguely, Louise et un riche marchand d'art, Annette femme de Boltanski) ont osé finir leur vie ou avoir des périodes amoureuses avec des hommes bien plus jeunes qu'elles : Jeremy, un galeriste new-yorkais de 30 ans son cadet, un certain Constantin qui supervise les tableaux du Jardins des Tarots (en Toscane). Niki fera construire dans la monumentale impérative un studio où l'on accède par le vagin. Seule Annette dont la vie intime est un château-fort imprenable semble avoir été restée toute sa vie avec Boltanski mort en 2021.

Le monumentalisme : alors que le mot sculptrice n'existait même pas du temps de Niki ou de Louise, voilà des femmes qui ont produit des œuvres monumentales. Que ce soient les nanas de Niki, ou les araignées géantes de Louise, même si elles ont été aidées par des artisans, il fallait avoir un sacré sens du génie pour concevoir des œuvres géantes 9 mètres de haut pour Maman la 1ère araignée avec son ventre contenant 10 œufs en marbres, dans une ossature légère faite de bonze cannelé. 15 mètres de haut pour certaines des Nanas de Niki. 5 m pour Annette qui préfère plutôt le format horizontal. Quand on sait que la sculpture est un art de l'équilibre, de répartition des masses (pour que l’œuvre tienne debout), on ne peut qu'admirer la prouesse. Les énormes nanas de Niki tiennent sur un pied, les araignées de Louise tient sur 8 pattes très fines. Comment ont-elles fait ??

Les matériaux innovants ou peu nobles : toutes ont travaillé avec des chutes de tissus, des tricots ou crochets qu'elles ont réalisé, des broderies. Autrement dit, elles ont récupérer « les ouvrages pour dames » pour en faire des œuvres d'art. Mais aussi des matériaux de récupération, comme Tinguely qui allait dans les casses récupérer de quoi monter ses machines, Niki ou Annette ont fait des des collages avec des matériaux de rebut, des tableaux en relief. Mais aussi l'utilisation de l'acier, plus léger que le bronze et moins onéreux, et les résines, le polystyrène, des matériaux issus du pétrole et dont les émanations très toxiques ont provoqué pour Niki de graves problèmes respiratoires. Les fabricants de l'époque ne mettaient pas en garde sur les dangers potentiels. Et pourtant, elles y ont découvert des possibilités techniques pour alléger les sculptures, et malléables pour imaginer des formes folles, plus souple que le plâtre qui fige trop vite et ne se taille pas vraiment.

En le plus important : l'engagement. Voilà 3 femmes qui ont milité contre le patriarcat (les nanas géantes de Niki, « la mort du père » de Louise, installation rouge sang, le Pinocchio au nez démesurément long d'Annette) De toutes Annette Messager va le plus loin : avec les photos « les yeux crevés » d'enfants, elle défend le sort des enfants privés de droits, ou massacrés. En enlevant le rembourrage des peluches, elle dématérialise la société de consommation, tout comme elle démembre des poupées. Toutes les trois ont travaillé sur le corps féminin pour le détourner de la plastique imposée par les médias, toutes ont eux comme symbole l'araignée qui tisse pour piéger ses proies dont elle va nourrir ses œufs.

Ces rapprochements, écrit dans la langue simple et parfois poétique de Nathalie Piegay, sont une excellente source d'information (elle nous donne une bibliographie en fin de livre). Elle-même raconte ses émotions, imagine des rencontres possibles mais reste toujours fidèle à la réalité.

Un seul regret : le manque d'illustrations pour éclairer son propos. Mais peut-être faut-il aller chercher nous-même sur Google les iconographies pour nous faire notre propre idée. Un livre passionnant et inspirant .


Extraits

  • J'étais alors en Suisse où je travaillais, et j'ai eu envie d'aller visiter les lieux où elle a habité, pour découvrir à la fois son œuvre et ce pays que je ne connaissais pas bien encore. Je n'avais pas la première idée de ce que j'allais découvrir ni de la force des obsessions qui allaient m'assiéger puis me conduire à vouloir tout connaître de la vie de cette femme. Pendant plus d'un an, de gare en gare, j'ai suivi Niki en Engadine, à Bâle où il y a le musée Tinguely, à Lutry, au bord du Léman, et à Fribourg, petite ville le long de la pauvre Sarine où se trouve l'espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle. [...]. C'est en allant à Fribourg depuis Genève que j'ai pensé à ce récit pour la première fois : j'allais raconter l'histoire de Niki de Saint Phalle. Je ne savais pas alors qu'elle n'en serait pas la seule héroïne et que s'ouvrait devant moi un monde de folies, de violence et de révolte.

  • Un jour elle dit à Gunther qu’elle est tombée amoureuse du glacier de Morteratsch, qu’elle veut y aller, non pas pour escala- der les sommets de la Bernina mais pour l’épouser. L’épouser? Elle va s’y engloutir, oui s’y engloutir, s’y brûler, car elle le sait à présent, la neige et le froid brûlent comme le feu. L’hiver à New York peut être glacial mais c’est un froid d’une nature différente. Il n’a pas le feu des Grisons. Il coupe, il tranche, mais il ne brûle pas. Elle ira jusqu’à la station de Morteratsch, elle montera dans la moraine, elle marchera dans la direction du Piz Palü, elle écoutera craquer la glace, elle se perdra dans les hurlements de la terre qui s’ouvre, elle remontera le cours du temps, car le glacier est très ancien, plus vieux que la montagne elle-même, et à la fin le Morteratsch l’avalera. Dans une des fentes grises elle sera engloutie et elle sera brûlée comme dans un brasier d’avant le temps. La montagne la mangera sans faire plus de bruit que d’ordinaire. Elle rejoindra encore une fois le Grand Tout. 

      

    Biographie

Nathalie Piégay-Gros est spécialiste de la littérature française du XXe siècle.
Ancienne élève de l'École normale supérieure, elle enseigne la littérature française moderne et contemporaine à l'Université de Genève depuis 2015.
Elle a été professeur de littérature française à l'Université Paris-VII-Denis-Diderot.
Nathalie Piégay est spécialiste de Louis Aragon (1897-1982), de Claude Simon (1913-2005) et de Robert Pinget (1919-1997), en l'honneur duquel elle a organisé un colloque en 2009.
Elle a publié de nombreux articles et ouvrages sur Aragon, notamment "L’Esthétique d’Aragon" (Sedes, 1997), et a participé aux travaux du groupe Aragon de l’Item (Institut des textes et manuscrits modernes).
Elle a établi l’édition de "La Semaine sainte" pour la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, Œuvres romanesques complètes, tome 4, 2008).
Une femme invisible" (2018), un roman historique consacré à Marguerite Toucas-Massillon, la mère de Louis Aragon, est son premier récit.


samedi 21 septembre 2024

Julie DELAFLOTTE-MEHDEVI – Trop humain – Editions Buchet-Castel – 2024 -

 

 

L'histoire

La vieille Suzie, âgée d'au -moins 90 ans, tient toujours tant bien que mal, le Café du Bal, héritage de sa mère dans le petit village de Tharcy. Celui sort de sa torpeur avec l'arrivée des « néo-ruraux- venus de la capitale ou d'ailleurs après la crise du Covid. Mais il y a aussi un vieil habitant du bourg, Monsieur Peck, homme qui a fait fortune dans la robotique et qui a racheté le presbytère. Lors d'un retour de ses nombreux voyages, le voici flanque de Tchap, un robot humanoïde qui sert d'assistant de vie technologique (AVE). Modelé sur l'image d'un bel homme, il a été programmé pour sélectionner des play-lists, a une encyclopédie universaliste dans la tête, peut mener une conversation, et surtout sait très bien danser. Alors que les avis sont mitigés parmi les habitués du café, Suzie se prend d'affection pour ce robot qui la fait danser (la salle de bal avait été fermée depuis la mort dans des circonstances infectes de la maman de Suzie). La vieille dame qui a toujours trimé seule se trouve ainsi un compagnon qui lui demande de lui raconter sa vie, pour faire des « corrélations ». Car le robot cherche aussi à apprendre des humains, parfois il ne comprend pas du tout, mais stocke dans sa mémoire la vie d'une femme presque jamais sortie de son village, qui a vécu 2 guerres, et qui mitonne tous les jours de petits plats traditionnels dans sa minuscule cuisine, son refuge, pour nourrir au départ les plus pauvres puis pour faire fructifier un peu ce que lui rapporte le seul café du village, où on boit plus de porto et de merlot que de café. Entre la vieille femme et le robot se crée une étrange amitié. Jusqu'au drame.


Mon avis

Voilà un roman très original puisqu'il mélange deux générations. Celle d'une dame très âgée qui vit chichement de son travail, qui a des plaisirs simples et celui d'un robot humanoïde, qui ressemble à s'y méprendre à une humain et qui est l’assistant technologique du riche Monsieur Neck qui l'a conçu pour ses propres besoins. Cet homme fortuné n'est pas non plus tout jeune, il ne fait pas grand chose pour le village, mais c'est un « Monsieur cultivé » qu'on respecte ou qu'on craint aussi un peu. Pourtant il n »y a rien de méchant chez Monsieur Neck qui aime les plaisirs intellectuels dans un village de paysans. Village qui renaît, ou plutôt le village voisin à 2 km « Les Buissons » où viennent s'installer des néo-ruraux, qui ne veulent plus subir le stress de la ville et qui redonnent du coup un peu d’activité économique dans ce petit coin de France.

On y retrouve le débat devenu presque un classique littéraire sur l'intelligence artificielle. Car dans le village il y a ceux qui sont pour, et ceux, surtout les plus âgés ou quelques jeunes familles arrivées là et se targuant d'écologie qui y sont fortement hostiles. Mais ici le dialogue se fait entre une vieille dame sans âge qui a toujours vécu dans le village et qui tient toujours tant bien que mal « le Café du Bal », hérité de ses parents avec ce petit bijou de technologie.

Elle en a des choses à dire la vieille dame, elle qui a vécu presque un siècle, connu deux guerres, des petites joies et des grands drames qu'elle confie à son copain Tchap, ce robot a l'écoute bienveillante, qui ne comprend pas toujours le passé et la mentalité des hommes. Malgré sa petite vie simple, qui consiste à tenir le café et cuisiner des spécialités comme les œufs sauce meurette, Suzie n'est pas une idiote : elle apprend, car à part le certificat d'études, elle n'a pas de diplômes, en regardant des documentaires sur son vieux poste de télé, mais aussi des films classiques du cinéma français des années 30/50 . Son autre petit plaisir est de cultiver son petit jardin et faire pousser des jolies fleurs, mais le corps ne suit plus, tout comme les balades à bicyclette dans les environs. Tchap enregistre, pose des questions, et patiemment Suzie explique sans se lasser. Le robot est son ami, le gardien de sa mémoire, toujours poli, même si Susie sait très bien qu'elle ne parle pas à un humain.

Et c'est toute la beauté de ce livre où on aime cette vieille dame, cette grand-mère universelle, qui ne s'émeut pas du progrès. Mais dans le village, des rumeurs se propagent. Le robot serait un espion, ou il inoculerait à votre insu quelque chose de malsain ou, ou... Et un jour le drame arrive.

Ici, il n'y a pas de jugement sur les bienfaits ou méfaits de l'IA. Tchap est gentil mais lui même est conscient que son espèce peut aussi être dangereuse. D'autant que le joli robot apprend et commence à faire des connexions. Alors que Suzie décline, il semble s'enrichir de savoirs. Mais il est programmé pour rester fidèle à ceux qui ont été désignés par son créateur comme ami(e)s, donc Suzie.

L'écriture fluide, mêlée de patois (on suppose que le village de Tharcy se situe en Bourgogne) ou du français populaire de ceux qui n'ont pas eu une éducation poussée. Mais c'est l'histoire de notre héroïne qui nous imprègne. Des blessures, des joies, le bonheur simple d'une valse, du chant des oiseaux, et la sagesse populaire.

Ce livre page-turner est parfaitement maîtrisé, ne pose pas de jugement mais délivre une histoire qui pourrait sembler totalement réelle.

J'ai adoré ce livre qui m'a renvoyé à la vie de mes deux grand-mères, et de ce qu'elles m'ont raconté de leurs mondes et de leur vie. Si depuis longtemps, elles sont au paradis des grand-mères, j'ai aussi beaucoup appris d'elles.


Extraits

  • Marius est seul.Il ricoche d'un copain à l'autre, des coups de main en petits boulots. Rien ne l'ancre jamais, ni l'apprentissage d'un nouveau geste- celui du maçon, du bûcheron- ni la découverte d'une maison, d'un pays.Huit ans, qu'il erre.Gens, lieux, expériences glissent sur lui comme l'eau sur le poil du Castor, un Castor qui descendrait le courant à la dérive, incapable de se décider à accoster là plutôt qu'ailleurs, incapable de se rappeler, si tant est qu'il l'ait jamais su, non seulement comment, mais avec qui, pour quoi construire son nid. L'idée d'être l'intime de quelqu'un, ne serait-ce que l'intime d'un lieu, lui semble inatteignable.Inatteignable, l'intimité de la vieille avec l'espace intégré de son comptoir. Il admire la façon dont elle fait corps avec lui, enchaîne les gestes, pose les verres à pied après les avoir essuyés sur l'étagère, à leur place exactement, sans regarder, comme un pianiste joue les yeux fermés.

  • Tchap m'a demandé un soir de lui parler de la solitude, au-delà de la définition du dictionnaire, comme il dit.Je me suis souvenue d'un endroit où elle était réduite à rien.C'était ici, dans cette salle de bal, avant la guerre.Au bal, tu prends du plaisir pour ton compte, mais en communion avec ceux autour de toi.C'est la musique qui fait ça, c'est un liant, comme l'œuf en cuisine.En " pense- bête", sur un banc, il y a quand même toujours celui où celle qui ne peut pas prendre son tour dans la ronde, qui vient précisément te rappeler la solitude à laquelle tu es en train d'échapper toi. Il faut qu'on réapprenne à danser ensemble, Marius.Il faut regarder danser les gens.Il y a quelque chose chez les méchants qui désarme, chez les gentils, qui aiguise. Il y a celui qu'on connaît pour être enjoué qui danse en serrant les dents, la mégère sévère que tu découvres d'un coup en train de dodeliner de la tête un sourire angélique aux lèvres. Le lendemain, tu pourras la croiser sur la place, elle fera peut-être sa mauvaise, mais tu ne la craindras plus pareil.

  • Monsieur Peck, je vais vous parler comme je parlerais à un robot, je veux dire : sans hypocrisie. Prêt ? Vous êtes en l’occurrence illogique, vos arguments – que nous reprendrons – sont faibles, au point que j’en suis perturbé pour mon compte, car c’est vous, mon créateur. Êtes-vous sûr de m’avoir bien programmé ? Autrement dit, m’avez-vous correctement armé pour penser droit ? Qui déraisonne ici, vous ou moi ? Dans les deux cas, je crois que ça y est, me voilà Homme. Car j’ai peur. 

  • Vous êtes sûr ? Regardez monsieur Peck, ses rapports avec les gens n' ont pas changé depuis qu'il vit au contact de Tchap. Quelqu'un d'autre ajoute : On dit qu'ils seront de plus en plus intelligents, qu'ils contrôleront bientôt tout, les centrales nucléaires, la température dans nos maisons, qu'ils corrigeront les devoirs des gamins à l'école, de tous les gamins, que ce serait même une mesure de justice et d'égalité. On dit qu'ils finiront par nous mener à la baguette, qu'ils seront comme une police de la pensée.

  • Les ragots sont une des distractions qu'on s'offre à la campagne, à défaut de théâtre.

  • L’imprévu pour une machine, c’est la panne. Pour nous le hasard, une coïncidence, l’imprévu c’est la vie.

  • Quand vous êtes vieux, renoncez une fois à un geste, et c'est fini, vos mains ne retrouvent plus le chemin des choses, alors je me coule dans l'habitude, en automatique, et allez, je vous resserre un petit Porto ? Et voilà ! Elle marche, le pas de plus en plus glissé, les hanches de plus en plus fixes. Elle va seule, rien devant, rien derrière.

  • Après l'euphorie des années "Dallas", Suzie raconte le long ralenti de ces années-là. Quelques personnes dévouées maintenaient le pays sous perfusion de kermesses, de foires aux graines, à l'occasion desquelles on se déguisait en ce paysan d'autrefois auquel on ne voulait surtout plus ressembler.

  • Suzie ne le sait pas, mais elle est gracieuse en cet instant, prise à rêver, le regard rivé au tableau qu'offre le cadre de la fenêtre sur le jardin.Une fenêtre qui n'est pas une fenêtre. Où plutôt qui est ça, et autre chose.Une fenêtre qui est porte, marche, vers un pays fantastique et intime.Depuis qu'elle est toute petite, cette vue, c'est " Noël". " Noël !" , comme on clamait au Moyen Âge, loin de décembre, sur le chemin pavoisé d'un roi.Dans ce jardin, au fil des années, des arbres sont morts, ont grandi, ont comblé le vide ou pas, mais l'un dans l'autre, chaque fois qu'elle pose ses yeux sur le paysage défini par le cadre strict de cette fenêtre , c'est le même dépaysement, le même ravissement qui la cueille.

  • tandis que Suzie raconte les années soixante-dix, quatre-vingt, les années Walkman. "Ça vibrait de partout, et c'était un nouveau mixeur ici, et une télé couleur là, et un aspirateur, et une mobylette pour la gamine, et une deuxième voiture.Ça les a changés, ces années là, les gens de la campagne. Ils avaient enfin le sentiment d'être dans le monde, à égalité ou presque avec la ville.

  • Nous, les Hommes, quand on se sent impuissant à résoudre un problème, à soigner une blessure, soit on se mange le poing, soit on trouve un coupable, soit on prie.On fait diversion, quoi. Tous les matins, quand j'ouvre cette porte (* de son café), j'ai un peu peur. Et tous les soirs, quand je la verrouille, je suis soulagée, d'avoir eu le courage de l'ouvrir au matin, et de la refermer sur moi.Les deux. Il fallait que cette porte reste ouverte, Tchapp.Sinon quoi, cela aurait voulu dire qu'il n"y avait rien à racheter, rien à sauver ? Qu'il n'y avait plus qu'à fuir ? Mais fuir ou? Je n'en serais pas moins prisonnière de ma peau, de mes souvenirs et ailleurs comme ici confrontée tout pareil à ceux de ma race.Il n'y a nulle part où se cacher, je te dis. Je ne sais pas répondre à ta question sur la vengeance et le pardon autrement que comme ça.

  • La télévision. Elle en aura bien profité de cet outil que l'homme à créé pour se regarder en face.C'est grâce aux documentaires qu'elle a gagné en vocabulaire. Autrement, regarder quoi? Ces dernières années, mettez les trente dernières, Suzie avait de plus en plus de mal à trouver des émissions qui lui convenaient.Elle ne s'en étonne pas, elle est si vieille, elle n'est déjà plus vraiment de ce monde, de " son" temps. Suzie se retrouve le plus souvent à zapper, à courir devant comme pour fuir, sauf donc à tomber sur un documentaire.Ça ne vieillit pas, le documentaire.

 

Biographie

Anne Delaflotte Mehdevi est une écrivaine française. Elle grandit près de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Elle suit des études en droit international et diplomatique et pratique le piano et le chant lyrique. De 1993 à 2011, elle vit à Prague où elle apprend et exerce le métier de relieur, parallèlement à son travail d’écrivaine, et où son compagnon (qui deviendrait son époux, le père de ses enfants) ouvre une librairie au début des années 90.
En 2008, elle publie "La relieuse du gué", son premier roman, dans lequel elle évoque le métier de relieur, à travers le personnage de Mathilde. Depuis, elle a publié "Fugue" (2010), puis "Sanderling" (2013) pour lequel elle a reçu le prix Thyde Monnier en 2013. Poursuite des thématiques de son premier roman, "Le portefeuille rouge", a été publié en 2015. “Le livre des heures” (2023), son cinquième roman, sélectionné pour le Prix des Libraires 2022, est suivi de "Trop humain", en 2024. Ses romans ont été traduits en allemand, italien, néerlandais, slovaque.
Elle vit aujourd’hui à Nice.

En savoir plus ici : https://www.youtube.com/watch?v=mBv8MdoEOMA&t=1s


vendredi 13 septembre 2024

Tsitsi DANGAREMBGA – Ce corps à pleurer – Editions Mémoire d'Encrier 2022

 


L'histoire

Tambuzdsai, une zimbabwaise d'un certain âge se retrouve au chômage après avoir démissionné d'une agence de publicité qui, pour attirer les touristes vantait les mérites de ce pays d'Afrique, coincé entre la Zambie, le Mozambique, et le Botswana, alors que c'est l'un des pays les plus pauvres (72% de la population vit sous le seuil de pauvreté). Elle se retrouve à devoir loger dans une auberge de jeunesse, puis dans une chambre petite et très sale, avec une propriétaire un peu folle sur les bords. De toutes sa famille (le clan), elle est la seule à avoir fait des études supérieures. Beaucoup de femmes se sont mobilisées pendant la guerre interne entre les Ndébélés et Shonas, deux ethnies éclatent et on reproche insidieusement à Tambu de ne pas avoir été sur le front.

Tambu décroche enfin un poste d'enseignante en biologie (qui n'est pas sa discipline) dans une école. Très vite, elle est désarçonnée par l'attitude laxiste des élèves qui s'habillent mini-mini, fument, se maquillent. Un incident la conduit à l'hôpital pour dépression. Puis elle trouve refuge auprès de sa cousine et retrouve un poste dans une société qui propose des voyages d'éco-tourisme, un peu le même piège que la première agence. Dépitée, celle qui voulait réussir dans la vie trouve finalement son « untu » auprès des femmes de sa famille.



Mon avis

Deuxième roman de la trilogie Tambudzsai (le premier est consacré à son enfance, et le dernier n'est pas encore traduit à ce jour), nous assistons au parcours difficile d'une femme qui veut tout tenter pour s'élever dans l'échelle sociale.

Le Zimvabwé est un pays qui a fait la une plusieurs fois avec la dictature de Robert Mugabe.

Mais l'héroïne ne se soucie pas de politique, elle se soucie surtout de son sort personnel, et ici l'utilisation du « tu » pour la décrire a comme quelque chose d'impitoyable. Car Tambudzsai va d'échecs en échecs. Trop centrée sur elle-même et sur la valeur qu'elle se donne pour avoir eu des diplômes d'excellence, elle pense qu'elle mérite une place au soleil. Mais, cette fille née dans un village pauvre, qui vit dans la capitale Harare semble avoir coupé les ponts avec sa famille. Mais c'est sans compter sur la solidarité de ces femmes, pauvres, démunies mais qui savent aussi prendre en main leur destin, même si cela implique de travailler dur.

Qui connaît la réalité du Zimbabwé ? Peu de monde. Hors dans ce pays, qui vit de l'agriculture mais aussi des ressources minières (diamants et autres métaux rares, dont l'exploitation se fait clandestinement pour le pouvoir en place), la discrimination entre noirs et blancs est flagrante. Les blancs dirigent le pays, font main basse sur les terres agricoles et minières.

Le statut des femmes n'est guère enviable. Sauf si elles sont aisée, indépendantes et souvent proches du pouvoir, les autres femmes sont mariées à des hommes qu'elles n'aiment pas, des hommes violents qui les tabassent, souvent ivres d'un alcool de mais frelaté. On note que 32% des femmes de moins de 18 ans sont mariées de force. Aussi beaucoup de femmes noires préfèrent ne pas se marier et vivre en communauté. De plus l'éducation est catastrophique, 88% de la population est analphabète.

Mais ces réalités là, Tambu, notre héroïne ne les découvre que petit à petit. Tellement paniquée par son avenir, se sentant seule, elle somatise au point de ne plus se nourrir. Pétrie de honte d'avoir menti à sa famille à laquelle elle dit que tout va bien, sans pouvoir les soutenir financièrement. Tambu erre de lieux d'hébergement miteux en emplois qui ne lui conviennent pas, car elle a été élevée dans des valeurs qui ne sont plus celles de la jeunesse d'aujourd'hui et qu'elle est incapable de comprendre.

Cela rappelle les déplacements de populations liées aux guerres.

Plusieurs ethnies cohabitent non sans mal au Zimbabwé. Les principales sont les N'débélés d'origine zoulous qui ont leur propre langues et les shonas qui sont d'origine bantou et ont aussi leur langues. La lange officielle est l'anglais, mais on recense au moins 8 langues dont l'Afrikaans, issu de l'allemand, surtout parlé par les blancs.

Avec de roman puissant, sans chichis, c'est toute la détresse d'un peuple sans repères.

Son personnage à la fois cruel, sans beaucoup d'empathie, mais aussi en dépression, Tambu incarne la pauvreté qui a atteint des milliers de Zimbabwéens dans les années 2000, Tsitsi Dandarembga saisit avec une ironie poignante le désastre économique qu’a subi son pays. Car Ce corps à pleurer est tout autant celui de son héroïne, Tambudzaï, que le corps social dans son ensemble, gagné par le serpent de la défaite et dont les charognards attendent, en riant, la défaite totale et définitive.

Un grand roman, fascinant par ses rebondissements, et par l'étude minutieuse non seulement d'une femme, mais des personnages secondaires très approfondie.


Extraits

  • Encore couchée, tu roules sur le dos et fixes le plafond. Tu t’aperçois que ton bras est engourdi et tu le secoues d’avant en arrière de ta main valide jusqu’à ce que la douleur jaillisse dans une fulgurance de picotements. C’est le jour de l’entretien. Tu devrais déjà être debout.

  • Lorsque tu étais jeune et combative, lorsque tu cultivais le maïs dans le champ familial et que tu vendais les épis pour pouvoir payer tes frais de scolarité, tu étais différente de celle que tu es devenue. Quand et comment tout a changé ?

  • Lors des premières convocations pour des entretiens, tu exultes, t’habillant à chaque fois avec apprêt, remettant tes Lady Di et ta tenue favorite dans laquelle – c’est encourageant – tu flottes désormais. (…) Tu as envie de soustraire 20 ans à ton âge et de crier : Hé, je suis là, toute neuve, reconstruite ; regarde-moi, je débute ! 

  • La hyène se rit de toi lorsque tu franchis le portail. Une fois encore, elle s’est insinuée au plus près de ta peau, prête à arracher les derniers lambeaux de certitude que tu as préservés au moment où tu chuteras

  • Tu veux voir la forme que prend la douleur, cartographier ses veines et ses artères, arracher du corps l’épiderme et tous ses motifs de vaisseaux sanguins.

  •  Il y a un poisson dans le miroir. Le miroir est au-dessus du lavabo, dans un coin de ta chambre. Le robinet (dans les chambres de la pension de jeunes femmes, eau froide uniquement) goutte. Encore couchée, tu roules sur le dos et fixes le plafond. Tu t’aperçois que ton bras est engourdi et tu te secoues d’avant en arrière de ta main valide jusqu’à ce que la douleur jaillisse dans une fulgurance de picotements. C’est le jour de l’entretien. Tu devrais déjà être debout. Tu redresses la tête et retombes sur l’oreiller. Pourtant, enfin, tu es devant le lavabo. Là, le poisson te renvoie ton regard, les yeux saillants d’orbites violacées, la gueule béante, les joues s’affaissant comme sous le poids d’écailles innombrables. Impossible de te regarder...

     

Biographie

Tsitsi Dangaremga, (Mutoko, 1959) est une écrivaine et cinéaste zimbabwéenne.
En 1987, elle débute avec une œuvre théâtrale, She no longer weeps, écrite dans sa langue maternelle, le shona. Cette pièce lui procura un grand succès et, quand elle publia en 1989 son premier roman, intitulé Nervous conditions (A fleur de peau, éd. française, Albin Michel, 1991), sa notoriété était déjà internationale. Avec ce roman elle gagne le Commonwealth Writers Prize, pour la section africaine.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tsitsi_Dangarembga et ici : https://memoiredencrier.com/auteurs/tsitsi-dangarembga/



Sur le Zimbabwé  : https://fr.wikipedia.org/wiki/Zimbabwe#Politique_et_organisation_sociale


Nota : ce roman a été érit en anglais et traduit par Nathalie Carré qui est une spécialiste du swahili. Avec l'accord de la romancière, la traductrice a préféré insérer en fin d'ouvrage un lexique des mots shonas utilisés dans le texte original.

vendredi 16 août 2024

Patricia GRACE – Potiki – Editions « Au vent des Iles » - 2021

 

 

L'histoire

Nouvelle-Zélande, de nos jours, un petit village maori est implanté entre une plage et des collines. Y vivent notamment Roimata et son mari Hemi, leurs 3 enfants James, Tangimaana leur fille, le petit dernier Manu et l'enfant probablement née d'un viol commis sur Mary, la sœur de Hemi, handicapée mentale mais au grand-coeur, le petit Tokowaru qui en plus est difforme. Mais toute la famille et le clan qu habite ce bord de mer tranquille est soudée. L'entraide, la croyance à l'âme des esprits, la langue et les coutumes maories sont respectées et notamment la maison communale où on prend parfois les repas ensemble tout comme les décisions.

Mais cet endroit idéal attire très vite un promoteur près à tout pour expulser ces « gens-là » et construire un palace et un endroit de rêve pour touristes.


Mon avis

Les Éditions « Au vent des îles » proposent un catalogue d'auteurs et d'autrices vivant sur des îles. Que ce soit en Polynésie, en Océanie, dans les îles atlantiques, le choix est vaste et leur catalogue s'enrichit toujours. Je n'ai jamais été déçue par un de leur livre. Comme Celestine Hitiura Vaite et ses chroniques de Tahiti.


Ici, nous passons en Nouvelle-Zélande, dans un village maori, une petite communauté qui vit en harmonie avec ses croyances et sa culture. Y viennent aussi des pêcheurs amicaux ou quelques rares touristes qui sont bien accueillis. Des 4 enfants du couple, seule Tangi la fille est destinée à faire des études supérieures, elle veut devenir avocate. Hemi trouve des emplois en ville, James s'occupe du jardin. Le petit Manu, pourtant très intelligent ne va pas à l'école où son statut de maori lui fait subir des discriminations. Roimata, qui a un diplôme d'institutrice, instruit les enfants du village. On vit de peu, mais on vit dans l'amour, dans le respect que l'on doit aux ancêtres et à la Terre nourricière dont personne n'abuse des ressources.

Mais voilà, l'endroit est charmant et un groupe de promoteurs s'intéresse à ce lieu peu connu. Déjà par le passé, pendant la 2ème guerre mondiale, un village maori avait été rasé (et les habitants relogés dans des hlm) pour construire une piste d'atterrissage pour les avions, puis un terrain de sport. La lutte pour récupérer les terres n'avait pas abouti à la restitution totale.

Les promoteurs font des offres alléchantes qui sont toutes déclinées par le village. Il y ont leur maison commune très importante pour la communauté, le cimetière qui est une terre sacrée et ils vivent là depuis toujours.

Les menaces arrivent alors : un incendie qui se déclare dans un champs, puis le mari de Roimata est tué lors d'insurrections entre les partisans pour le maintien du village, soutenus par les écologistes et une large partie de l'opinion publique et les forces de l'ordre, alors qu'une route commence à être construite contre l'avis des villageois. L'histoire pourrait apparaître simple : ethnie maorie ostracisée contre le pouvoir des blancs, mais c'est sans oublier le talent de conteuse et la poésie qui émane de ce livre hors-normes, parce qu'une pincée de magie vient illuminer le tout. Celle d'une bonne étoile qui brille et qui permet à un peuple de ne pas se perdre, de ne pas oublier ses racines, sa langue, ses coutumes et ses valeurs simples mais belles.

Il aura fallu deux traductrices pour restituer le texte de Patricia Grace qui utilise le maori et l'anglais, mais qui livre ici un roman choral. Car dans la grande ligne du roman s'insèrent les récits individuels des principaux protagonistes, des chants traditionnels, des légendes et contes. D'ailleurs le livre en lui-même est un conte philosophique, donc plusieurs phrases sont des méditations, des « mantras » je dirais pour nous faire réfléchir à nos vraies valeurs, le poids de notre vie, notre destin, et surtout retrouver une connexion qui ne soit pas d'opportunité avec notre mère nourricière, notre planète Terre qui si on sait y accorder un regard bienveillant nous offre tant et tant de beauté.

Un livre philosophique et une très belle couverture signée d'un artiste local qui en fait un très bel ouvrage. Un glossaire en fin de livre nous aide à comprendre les termes maoris utilisés. A noter que le livre était déjà paru en 1986, mais les éditions « Au vent des Iles » ont demandé une traduction plus juste pour nous permettre de mieux entrer dans l'univers de l'autrice.


Extraits

  • Au fil des ans, ils avaient dû faire attention et être prudents. La famille avait reçu des demandes de vente de terrains à l'arrière, et on avait fait pression sur eux pour qu'ils ouvrent la route le long de la plage. Mais ils avaient tous résisté de pied ferme pendant pendant plusieurs années. Tant mieux.
    Désormais les gens se tournaient davantage vers leurs terres. Pas seulement leurs terres, mais aussi ce qui leur était propre. Ils devaient le faire s'ils ne voulaient pas être effacés de la surface du globe. Il y avait plus de détermination, maintenant, une détermination qui avait créé l'espoir, et l'espoir à son tour avait créé la confiance et l'énergie. Les choses bougeaient, à tel point que des gens se battaient pour conserver une langue qui risquait de se perdre, et que d'autres luttaient pour récupérer des terres qui leur avaient été retirées des années auparavant. Les gens de Te Ope en étaient un exemple et cela se présentait bien pour eux dorénavant.

  • C'était une vieille histoire, une histoire ancienne, sauf que maintenant elle avait une nouvelle phase, une vieille histoire qui commence avec la graine qui est un arbre. Mais ce n'était pas là le véritable début. L'histoire venait, comme toutes les histoires, d'avant le temps du souvenir qui se trouve au temps où il n'y avait que l'obscurité généreuse et aimante. Rien ne s'y faisait voir ni entendre, et il n'y avait aucun mouvement. Il n'y avait rien de vivant, seulement le potentiel _ qui est devenu la conception. C'est une histoire qui s'est ouverte et qui a planté sa graine dans le temps du souvenir. Elle est devenue une histoire du peuple exprimée par le bois, peuple et bois ayant été engendrés par le ciel et la terre de sorte que bois et peuple ne font qu'un, le peuple étant le whãnau* de l'arbre.

  • Et pourtant, parce que c'est un vide, un espace neutre - ni terre ni mer -, la liberté est là, sur le rivage, et le repos. La liberté est là, de chercher dans le vide, dans le tas de mauvaises herbes, parmi les morceaux de vieux bois, le coquillage vide, le crâne de poisson, en quête de la particule du commencement - ou de la fin qui est le commencement. L'espoir et le désir peuvent s'y attarder, les pensées et les sentiments se déplacer avec les grains de sable tamisés par l'eau et le vent. Un soir, j'y ai posé mon sac et je me suis reposée, ouvrant la voie au vide, ce vide qui peut évoluer en étincelle, en petit mouvement. J'ai sorti de mon sac des vêtements chauds et j'ai attendu toute la nuit le matin qui allait devenir un recommencement.

  • Il y avait dans la maison de réunion un silence de bois.
    C'est le silence des arbres qui ont été apportés à l'intérieur, hors du vent, et dont les branches fraîchement révélées s'étendent, non pas vers le ciel, mais vers les gens. C'est l'altérité calme et immobile des arbres perçue par celui qui sculpte, qui façonne, qui fait. C'est un silence de veille, car les arbres aux nouvelles branches ont été dotés d'yeux pour voir. C'est un silence d'attente, de cette attente toujours patiente que possède le bois, une patience qui n'a pas changé depuis l'autre vie de l'arbre. Mais ce silence de l'arbre n'est qu'un silence extérieur, car dans cette altérité il y a une résonance, un tintement, un battement, un épanchement, plus grands que ce que l'arbre a jamais connu auparavant.

  • La chair de l'anguille était dorée et sentait la mer et les arbres. Nous voulions en manger tout de suite, mais Hemi était un peu en colère contre nous et nous a dit qu'on ne mangeait pas de nourriture avant qu'elle n'ai été partagée, surtout si elle venait de la mer. « Notre famille est nombreuse, a-t-il dit, il faut toujours se le rappeler. »

  • Je vous dis que si nous vous vendons, nous serons poussière. Dans le vent. Je dois dire que j'ai du mal à raisonner...(Nous l'avons remarqué). Un souffle de vent et c'est tout. Et qui est le premier à pointer du doigt notre peuple quand il est brisé et sans espoir ? Quand tout le monde est bouleversé...

  • Mary aussi nous racontait ses hstoires, qui n'étaient pas toujours exactement les mêmes si on écoutait très attentivement, des histoires d'homme-bavard, d'épouse-colère,, d'homme rusé et de fille chanteuse, d'homme-joli et de mère-battante, et personne pour l'homme-amour avec son grand, grand marteau.

  • Car bientôt il n'y aurait plus de poissons, seulement des poissons de compagnie que l'on allait voir dans des tunnels souterrains éclairés à l'heure du epas des requins, ou quand on le voulait. À condition de payer. Eh bien, nous voulions que les poissons soient dans la mer comme des poissons ordinaires, que les raies pastenagues errent le soir comme elles le font toujours. Nous voulions que nos yeux connaissent l'endroit où elles rencontreraient la marée, qu'elle soit basse ou haute.

  • Le jour se transformait en nuit, et la nuit était comme un papier de chocolat que tu as lissé avec l'ongle de ton pouce. Je ne me suis pas senti petit cette nuit-là, comme la mer peut parfois te faire sentir petit.

  • Du centre,
    Du vide,
    Du non-vu,
    Du non-entendu,

    Il vient
    Un geste,
    Un mouvement,
    Un rampement,

    Il vient
    Un déploiement,
    Un bondissement,
    Vers un cercle extérieur,

    Il vient
    Une inspiration
    Un souffle -
    Tihei Mauriora (Litt « éternue, âme vivante » ; expression utilisée pour célébrer la vie)



Biographie

Née en 1937 à Welligton, Patricia Grace est romancière et nouvelliste, elle est l’une des voix contemporaines les plus respectées de la Nouvelle-Zélande. Elle fut, dans les années 70, l’une des instigatrices du débat idéologique qui anima l’arène politique, artistique et littéraire de son pays. Accompagnée d’artistes et d’écrivains, elle revendiqua à cette époque le caractère légitime et nécessaire de l’empreinte créatrice maorie au sein d’une littérature nationale émergente. Elle signa « Waiariki » en 1975, ouvrage qui fit date puisqu’il marquait la toute première publication par une femme d’origine maorie d’un recueil de nouvelles. Sans nostalgie ni sentimentalisme, elle s’attache à brosser le portrait d’une grande variété de personnages fictifs issus d’une société qu’elle connaît de façon intime et dont la langue et la culture furent longtemps ignorées. Patricia Grace décroche le Prix Neustadt, que l’on surnomme le petit Nobel… Reconnaissance internationale pour cette écrivaine maorie, fer de lance des littératures du Pacifique.
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patricia_Grace


mardi 6 août 2024

Bernadine EVARISTO – Femme, fille, autre – Poche Pocket 2023

 

 

L'histoire

Elles sont 12 femmes, noires, qui vivent en Angleterre. De toutes les générations confondues, elles ont chacune une histoire personnelle à raconter. Elles sont reliées par des liens d'amitiés ou de famille, ou de rencontres. Elles sont en lutte pour leur liberté, pour trouver un but à leur vie. Elles sont très riches ou très pauvres, elles ont subi des violences racistes. Mais elles sont liées par un même lien : s'en sortir !


Mon avis

Voilà un roman original, sans ponctuation, mais tout à fait lisible, qui va vous entraîner dans la vie de 12 femmes noires, soit venues en Grande Bretagne (à Londres essentiellement) soit nées dans ce pays.

Elles revendiquent leur double liberté : celles d'être femmes, celles d'être noires. La plus âgée à 93 ans et la plus jeune 17, et les réalités sont différentes. Certaines sont nées sous la bonne fortune de l'argent, d'autres moins chanceuses ont subi des viols ou des brimades racistes. Autour d'Amma, autrice de pièce de théâtre, lesbienne assumée mais ayant quand même eu une fille avec un homme gay et ami, elle motive ses amies, pour toujours lutter contre leurs doubles libertés : féministe et exclusion raciales. Beaucoup sont lesbiennes, mais d'autres ont des petits amis. Certaines ont abandonné le foyer en raison d'un mari violent ou alcoolique et par un système d'entraide, elles sont hébergées chez les unes ou les autres. Car toutes ses femmes sont reliées par des liens amicaux ou familiaux ou de rencontres amicales ou amoureuses.

Ici, on dit les choses comme on le pense. Arrivés récemment au Royaume Uni ou pas. A l'intersection de cette caractéristique, ils sont majoritairement femmes. Et subissent les violences symboliques ou physiques qu’entraîne ce sexe. Ils sont quelques-uns à venir de quartiers populaires, à lutter pour récupérer le capital culturel qui leur faisait défaut en naissant là. Nés aux Antilles ou à la Barbade, en Écosse de parents noirs, expatriés en Amérique ou en venant tout juste. Mais ils sont aussi propriétaire terrier, entrepreneur, érudit, directeur de banque. Bref, ça foisonne et rien ne semble pouvoir contenir le flot puissant de ces volontés, de ces identités qui ne se réduisent jamais aux assignations que l'on plaque sur elles.

Sans la focale d'un personnage principal sagement identifié, sans le recours à des péripéties bien calibrées, sans unité spatio-temporelle, il fallait une sacrée armature à ce roman pour que, de force majestueuse, il ne se transforme pas en chaos illisible. Et l'armature, elle est là. le travail de fond est colossal. L'enchaînement des chapitres ne souffre quasi aucune longueur. Les personnages sont discrètement reliés les uns aux autres. Pas à tous, ç’aurait été détruire l'illusion d'une exhaustive représentation de ces voix multiples, mais selon deux ou trois nébuleuses qui cadrent l'attention du lecteur.

Et puis surtout, il y a une énergie, une dérision, un humour qui traversent le livre et l'unifient mieux que tout.Ce roman, c'est un rire, rauque et profond, c'est le triomphe des paroles qu'aucun barrage n'arrête, qui proclament sa propre puissance à être, magistralement. Un best-seller déjà en Grande Bretagne et aux États-Unis. Unique, superbe, un livre aussi émouvant que drôle, à lire absolument.


Extraits

  • Et n’allez pas croire que l’enfant qu’elle a élevée est du genre à s’affirmer féministe plus tard" Le féminisme c’est tellement grégaire, lui a dit Yazz, franchement, même être une femme c’est dépassé aujourd’hui, à la fac nous avions une activiste non-binaire, Morgan Malenga, qui m’a ouvert les yeux, je pense que nous serons tous non-binaires à l’avenir, ni males ni femelles, qui sont d’ailleurs des prestations sexo-spécifistes, ce qui signifie que ta politique « féminine », m’man, deviendra obsolète, et tant que j’y suis, que je te dise, je suis humanitaire, ce qui se situe à un niveau beaucoup plus élevé que le féminisme. As-tu une idée de ce que ça signifie ?

  • je dis toujours à Mum qu’elle a épousé un patriarche. regarde les choses autrement, Amma, me répond-elle, ton père est né homme au Ghana dans les années 1920 et toi femme à Londres dans les années 1960. et alors ? tu ne peux pas attendre de lui qu’il « te pige » comme tu dis. je lui répète qu’elle fait l’apologie du patriarcat et se rend complice d’un système qui oppresse les femmes.elle répond que les êtres humains sont complexes. je lui dis de ne pas le prendre de haut

  • quand elle quitteront l'université avec une énorme dette sur le dos et la perspective de la course délirante aux boulots, et le prix scandaleux des loyers qui signifie que leur génération devra retourner habiter chez ses parents pour l'éternité, ce qui les poussera à désespérer encore plus de l'avenir sans compter la merde de cette planète avec le Royaume-Uni qui va se séparer de l'Europe qui elle-même dévale la voie de la réaction et redonne du lustre au fascisme et tout ça est si cinglé que l'ignoble milliardaire éternellement bronzé a tellement abaissé le niveau intellectuel et moral en devenant président des Américains et fondamentalement tout ça veut dire que l'ancienne génération TOUT DETRUIT et que la nôtre est condamnée, à moins qu'on arrache aux aînés leur autorité intellectuelle. Le plus tôt sera le mieux.

  • Mum travaillait huit heures par jour comme salariée, a élevé quatre enfants, tenu son foyer, veillant à ce que le diner du patriarche soit sur la table tous les soirs et ses chemises repassées tous les matins. Pendant ce temps il était dehors en train de sauver le monde, et sa seule tâche ménagère consistant à acheter la viande du déjeuner du dimanche chez le boucher - variation banlieusarde du chasseur-cueilleur.

  • L'enfant qui quitta l'appartement en larmes ce matin-là, remerciant Mama de s'être remise à lui parler parce que, dit-elle, quand ta propre mère veut faire croire que tu n'existes plus, c'est comme si tu étais morte.

  • le feminisme a besoin de plaques tectoniques pour changer, pas d'un relooking branché

  • une fille blanche qui marche à côté d'une fille noire passe toujours pour aimer les hommes noirs

  • elle court pour vivre parce que rester plantée c’est commencer à glisser le long de la pente qui mène à l’échec, à l’inertie, à l’apitoiement sur soi, cet épisode de son existence qui s’immisce toujours dans sa mémoire quand elle s’y attend le moins

  • ces temps-ci elle est une joueuse d’orchestre enthousiaste au milieu de la cacophonie de la gare la plus animée de Londres, que foulent près de cent cinquante millions de paires de pieds chaque année, convergence de banlieusards génétiquement identiques à 99,9 %, peu importe l’emballage extérieur, peu importe leur câblage psychique – que les fils soient tordus, enchevêtrés, raccourcis. Tous ces gens si posés, si équilibrés et maîtres d’eux-mêmes, préparés à assumer publiquement leur rôle de membres raisonnables de la société en ce lundi matin où tous les drames sont intériorisés

  • Roxanne Gay, répondit Courtney, nous a mis en garde contre l’idée d’« une vie de privilèges » et a écrit dans Bad Feminist que les privilèges sont relatifs et contextuels, et je suis d’accord, Yazz, finalement à quoi ça rime ? Est-ce qu’Obama est moins privilégié qu’un péquenaud blanc élevé dans une caravane avec une mère junkie célibataire et un père taulard récidiviste ? Est-ce qu’une personne gravement handicapée est plus privilégiée qu’un demandeur d’asile syrien qui a été torturé ? Roxane affirme que nous devons trouver un nouveau discours pour définir l’inégalité. Yazz reste bouche bée, quand Courtney a-t-elle lu Roxane Gay – qui est ab-so-lu-ment stupéfiante ? Est-on en présence d’une étudiante plus maligne que le professeur ?  #filleblancheéclipsefillenoire

  • On a tous une âme soeur dans ce monde

  • she's the one who's made it, not her older brothers
    who didn't have to do any housework or even wash their own clothes, whereas she had to spend her Saturdays mornings doing both
    who were given first helpings at meals they never had to cook, and extra portions because they were growing lads, including mega-helpings of the most desirable desserts who weren't punished for speaking their mind, whereas she was sent to her room at the slightest sign of insurrection, keep your thoughts to yourself, Shirl

  • Gotcha, so here goes: women are designed to have babies, not to play with dolls, and why shouldn’t women sit with their legs wide open (if they’re wearing trousers, obv) and what does mannish or manly mean anyway? walking with long strides? being assertive? taking charge? wearing ‘male’ clothes? not wearing make-up? unshaved legs? shaved head (lol), drinking pints instead of wine? preferring football to online make-up tutorials (yawn), and traditionally men wear make-up and skirts in parts of the world so why not in ours without being accused of being ‘effeminate’? what does effeminate actually mean when you break it down?

  • it's easy to forget that England is made up of many Englands

  • Megan was part Ethiopian, part African-American, part Malawian, and part English which felt weird when you broke it down like that because essentially she was just a complete human being



Biographie

Professeur d'écriture créative à l'Université Brunel de Londres et écrivaine, née en 1989 à Londres, d'une mère anglaise et d'un père nigérian.
Quatrième de huit frères et soeurs, elle a été élevée à Woolwich, dans le sud de Londres, et a suivi une formation d'actrice. Elle a travaillé dans le théâtre. Elle est l'auteur de deux romans en vers appréciés par la critique: Lara (1997), qui retrace les racines d'une famille métisse anglo-nigériane-brésilienne-irlandaise de plus de 150 ans, trois continents et sept générations; et The Emperor's Babe (2001), l'histoire tragi-comique révolutionnaire de Zuleika, une fille de parents soudanais, qui a grandi à Londres il y a 1800 ans et qui entretient une liaison avec l'empereur romain Septimius Severus. Son roman, Soul Tourists (2005), parle d'un voyage en voiture en Europe mettant en vedette un couple mal assorti, Stanley et Jessie, avec des apparitions de fantômes de couleurs de l'histoire européenne, tels que Pushkin, Alessandro de Medici et Mary Seacole. Son roman Blonde Roots a été publié en 2008 et en 2010, elle a écrit le roman Quick Reads, Hello Mum. Son dernier roman, M. Loverman (2014), parle d'un homme londonien des Caraïbes âgé de 74 ans, homosexuel caché.
Bernardine a également écrit pour le théâtre, la radio, la presse écrite et pour une collaboration multimédia. Cityscapes avec le saxophoniste Andy Sheppard et la pianiste Joanna MacGregor pour le festival de la ville de Londres en 2003.

Depuis 1997, elle a effectué plus de 50 tournées internationales, allant de lectures d'une nuit à des séjours d'enseignement de trois mois. Elle a été professeur invité au Barnard College / Columbia University à New York, écrivain en résidence à l'université de Western Cape, au Cap, et écrivain associée à l'université d'East Anglia. Elle a également représenté la Grande-Bretagne auprès du romancier Glenn Patterson à Literaturexpress Europa 2000, qui a amené 105 écrivains européens dans 11 pays européens pendant six semaines en train, voyageant du Portugal à Berlin en passant par la Belgique, les pays baltes et la Russie. Elle est membre de la Royal Society of Literature et de la Royal Society of Arts et a reçu un MBE en 2009.