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vendredi 31 janvier 2025

Grégoire BOUILLIER – Le syndrome de l'Orangerie – Flammarion – 2024

 

 

L'histoire

Le détective Bmore refuse les affaires que lui soumet sa fidèle assistante Penny. Pour lui changer les idées, elle l'emmène voir les Nymphéas de Monet, à l'Orangerie. Mais au lieu de l'effet apaisant recherché, le détective sent sourdre en lui une sombre angoisse. Il lui faut alors remonter la vie du plus célèbre peintre impressionnistes pour comprendre. Une enquête hors-norme et complexe s'annonce.


Mon avis

Ce roman n'est nullement une biographie de Claude Monet, mais une enquête (ou une quête) personnelle du détective Bmore (le double de l'auteur). Vous allez visiter les nymphéas, 8 grands panneaux monumentaux peints entre 1914 et 1918 par le grand peintre. Souvent le ressenti est pacifique, même spirituel. Pour les avoirs souvent vus, j'en ai tiré une source de méditation profonde comme si j'étais dans une chapelle laïque.

Mais pas pour Bmore, qui ressort angoissé de cette visite où il identifie la mort. Il ne va alors chercher qu'une seule chose : comprendre le pourquoi de cette angoisse, donc comprendre la période où Monet a peint ses fameux panneaux. Le maître de l'impressionnisme voulait en faire don à l’état, aussi pour faire plaisir à son ami Clémenceau. Alors que l'art évolue avec les fauvistes, puis les cubistes, puis le début de l'abstraction, Monet reste fidèle à sa peinture, dans son jardin de Giverny. Enfin pas vraiment, le peintre perd la vue, atteint d'une cataracte dont il refuse l'opération douloureuse et sans résultats probants pour l'époque. C'est de mémoire, dans l'immense atelier de 300m2 qu'il fait construire ses tableaux. Monet a perdu un fils Jean en 1914, et le second Michel est envoyé sur le front de la Guerre 14-18, mais il revient heureusement sain et sauf.

Au fil de ses recherches, le détective se persuade que derrière les grands panneaux des Nymphéas se trouve la mort. La mort des proches, mais surtout les morts de la première guerre mondiale. Pour cela il réunit des éléments de la vie de Monet qui semblent coïncider avec les tableaux.

Avec ce livre étrange, qui nous fait passer des camps de concentrations à une correspondance avec une détenue, l'auteur prend comme prétexte les Nymphéas pour d'une part critiquer notre système actuel qui prive de libertés plus qu'il n'en donne, et d'autre part reprend la thèse émise par Duchamp : entre l'intention du peintre, la réalisation de l’œuvre, il y a le regard du spectateur, autrement dit son ressenti. Ici le ressenti négatif est une mise en abîme des maux qui accablent le monde, et les « preuves », lettres et biographies de Monet sont des témoins à charge,

Si l'idée est séduisante, le roman souffre de redites et de longueurs et d'éléments qui n'ont rien à voir avec la peinture et l’œuvre du peintre. C'est justement ce manque de recul qui, bien que le livre soit passionnant, qui fait basculer le livre dans un amalgame un peu cliché. Déconstruire une peinture ne peut être faite que par un autre artiste, toute l'histoire de l'Art en témoigne. Même si le parti-pris et l'éclairage sur les moments difficiles qu'a vécu Claude Monet sont très bien retracés, il n'y a pas de place à la poésie. Que sait-on exactement de la mentalité du peintre lorsqu'il peint les grands Nymphéas ? Seul lui pourrait nous répondre. Alors à nous de nous plonger si nous le pouvons dans les deux salles de l'Orangerie et y voir ce que nous nous avons envie d'y voir, car nous sommes des êtres subjectifs.

De plus l'écriture, avec ses longues phrases, et quelques clins d’œil aux lecteurs deviennent un peu envahissante, et le procédé est sans finesse.

Un avis mitigé donc, et finalement je conseille aux lecteurs de se plonger dans une très bonne biographie de Claude Monet, qui ne verra jamais les Nymphéas installés à l'Orangerie, il décède un an avant.


Extraits

  • Que voit-on d’un tableau ? On ne sait pas. On ne sait jamais. On ne nous a jamais appris à voir avec nos yeux. Raison pour laquelle, devant une peinture, nous nous dépêchons de lire le cartel qui indique le nom du peintre, le titre de l'œuvre, la date, etc. Nous nous empressons de prendre des informations afin d'avoir des mots. C'est important les mots. (J'en sais quelque chose.) Car nous voici sauvés ! Nous savons tout à coup le nom du peintre, le titre de l'œuvre, la date, etc. Voici que nous avons quelque chose à dire. Voici que nous avons l'impression de savoir et, donc, de voir. (Youpi !) À partir de là, nous ne voyons plus avec les yeux mais avec les mots. Nous voyons la peinture à travers les lunettes que les mots nous chaussent, comme si les mots permettaient de mieux voir et que c'étaient eux qui donnaient à voir, eux qui étaient nos yeux, tout à coup. (Grave erreur !) Car il s'agit d'un tour de passe-passe.
    Dans ce passage des yeux qui regardent le tableau aux yeux qui lisent ce qui est écrit dessous, il y a le passage de l'image à la parole, des sens à l'intellect, de l'individu à la société. Il y a que nous perdons de vue la peinture et que nous perdons la vue tout court. Loin de nous ouvrir les yeux, les mots ne font que mettre des mots sur notre cécité. Ils nous forcent à regarder ailleurs en socialisant notre regard et en nous empêchant de tomber dans le vide de notre rétine. Car l'œil ne sait pas ce qu'il voit. De même que les cartes ne savent pas qu’elles jouent au poker et, de ce fait, qu'elles se fichent du gagnant comme du perdant, les yeux ne savent pas ce qu'ils voient. Ils ne savent même pas qu'ils voient ! Comme aux animaux, il manque aux yeux la parole et ainsi ne peuvent-ils pas dire ce qu'ils voient. S'ils le pouvaient, ils auraient d'autres mots que ceux que nous plaquons sur la peinture.

  • Quittant l'embarcadère, j'avais repris la sente qui cheminait le long du bassin aux nymphéas, marchant au fil de l'eau et admirant autour de moi l'espace fait beauté, la nature faite culture (en accord avec elle). Rien ne troublait l'eau. Pas une ride. Si bien que le ciel s'y réfléchissait avec une netteté incroyable. On regardait le bassin et on ne voyait plus l’eau, non, on voyait le bleu du ciel, on voyait les nuages qui couraient et floconnaient, on voyait les arbres qui, de la berge, s'élançaient vers le haut en même temps que vers le bas de part et d'autre d'une ligne, traçant un nouvel horizon. Toute la réalité se trouvait incroyablement inversée. Absolument dédoublée. C'était fascinant. Il fallait venir ici pour se rendre compte que le bassin aux nymphéas était un miroir, à la fois immense et parfait. À l'eau, il substituait l'air. Il transformait, en le retournant comme un gant, l'incommensurable en commensurable. Il faisait descendre le ciel sur la Terre, jusqu'à devenir lui-même le ciel, le Très-Haut. Si, pour les catholiques, les âmes montaient au ciel, elles descendaient ici tout en bas, dans le Très-Haut. Façon pour le républicain convaincu qu'était Monet d'imaginer une solution laïque à d'épineux problème de la vie après la mort ? (Mon syndrome de l'Orangerie fait oui de la tête !)

  • C'est en 1920 qu’Aragon publia son poème « Persiennes » (au pluriel) dans lequel il répète vingt fois de suite le mot « persienne » (au singulier), comme si répéter vingt fois un seul et même mot suffisait à faire un poème. Et, de fait, cela peut suffire. Car dans ces vingt répétitions du mot « persienne », le mot « persienne » devient autre chose que le mot « persienne ». De l'un à l'autre, il ne cesse de changer de sens et même de sonorité, jusqu'à devenir un mot-valise, un mot dépourvu de sa signification propre et même de toute signification. Voici que le mot « persienne » devient un mot inconnu, un mot nouveau, un mot étranger, un mot vidé de tout contenu. Il peut aussi bien signifier « persienne » que son contraire. Signifier « jalousie ». Signifier « les horreurs de la guerre de 14 ». Ou « Tartempion ». Ou « Mèretien » si « Pèresienne ». Tout ce qu'on veut. Il suffit de répéter vingt fois le même mot pour, avec une économie de moyens formidable (la simple itération d'un mot), faire vaciller tout l’édifice du langage et, dans le cas de Monet, ce fut l'édifice de la peinture.

  • Les Nymphéas ne seront ouverts au public qu’en 1927, un peu moins d’un an après la mort de Monet. Mais au moins ses volontés furent-elles respectées en tous points. À savoir : deux salles aux murs arrondis formant une lente ellipse et reproduisant la forme ovoïde du bassin aux nymphéas qui, à Giverny, était divisé en deux parties avec le fameux pont japonais les enjambant. À propos de ces deux salles, on a parlé d’une espèce de ruban de Moebius, de signe mathématique de l’infini s’accordant symboliquement avec cette œuvre sans bornes ni horizon. Monet, lui, parlait de « deux anneaux ingénieusement enchaînés l’un à l’autre », pour une « immersion contemplative » quasiment au fil de l’eau.

  • Une bibliothèque dit beaucoup de son propriétaire. On voit ce qu’il aime, ce qui l’intéresse, à quoi il rêve, ses goûts et ses secrets, sa quête. On voit son intériorité. (Ce pourquoi les maisons sans livres n’ont pas d’âme.)

  • Que disait déjà Edgar Poe : « L’art consiste à exagérer des choses fausses afin d’en dissimuler de vraies. »

  • C’est lorsque le bien comprend qu’il ne viendra pas à bout du mal qu’il devient lui-même le mal absolu.


Biographie

Né à Tizi-Ouzou, Algérie , le 22/06/1960, Grégoire Bouillier est né en Algérie française parce que son père y effectue alors son service militaire, il regagne avec ses parents la métropole dès l'âge de trois semaines et ne quittera plus Paris.
Il passe son enfance dans le quartier des Champs Élysées et publie son premier roman à 40 ans.
Sur ce qui s'est passé entre-temps, on pourrait évoquer ses attributions successives de peintre, d'homme à la rue, puis d'employé de bureau et enfin de journaliste. Il a été rédacteur en chef adjoint pour la revue "Science et Vie". Il écrit aussi pour les revues littéraires "L'Infini" et "NRF".
Le premier roman de Grégoire Bouillier, "Rapport sur moi", reçut le Prix de Flore en 2002. L'auteur publie deux ans plus tard "L'invité mystère" (2004), qui confirme son talent. Il est également l'auteur du "Cap Canaveral" (Allia, 2004, 2008) et du "Dossier M", Livres 1 et 2 (Flammarion, 2017 et 2018, prix Décembre), tous très remarqués par la critique. Ses récits autobiographiques, qui peuvent le classer comme un auteur de l'école de l'autofiction, ont été bien accueillis.

lundi 20 janvier 2025

Tracy CHEVALIER – La fileuse de verre – Editions de la Table Ronde – 2024 -

 

 

L'histoire

En 1496, Orsola a 9 ans. Elle est la cadette de maître verrier Rosso, installés à Murano. Dans leur atelier, avec les apprentis et les compagnons, ils ne font pas dans l'inventivité. Ils fabriquent verres, pichets, assiettes de très bonne qualité. Les affaires sont bonnes grâce à leur marchand allemand qui exporte leurs produits à travers l'Europe.

Orsola n'a rien à faire dans l'atelier, le travail du verre est réservé aux hommes. Elle est juste bonne à nettoyer et faire la lessive abondante, car l'on transpire beaucoup près du four. Prise en charge par Maria Barovier (qui a vraiment existé) et formée par la tante de celle-ci, Orsola file le verre pour faire des perles. Un travail minutieux car il faut coordonner 3 actions : maintenir une tige de fer, enrouler le verre chauffer par un système de lampe et de soufflet pour réguler la chaleur du feu. Un travail long, méticuleux.

Mais Orsola qui vit à « l'heure vénitienne » va voir au cours de sa longue vie des joies et des désastres, tout en améliorant son art.


Mon avis

Dès la préface, Tracy Chevalier nous prévient que nous allons vivre dans un roman où le temps ne s'écoule pas comme prévu. Autrement dit nous allons suivre Orsola de ses 9 ans à aujourd'hui, comme le symbole de toutes ces femmes qui ont bravé les interdits pour devenir aussi des verrières reconnues et mêmes maestria dans leur art.

Ainsi Orsola va connaître un premier chagrin d'amour avec le bel Antonio qui n'est pas muranais mais vénitien, et qui partira sur le continent (la terra ferma), puis l'épidémie de peste qui emportera sa nonna (grand-mère), le mariage de ses frères aux caractères opposés, puis le sien avec Stefano Barovier, issu de cette grande famille de verriers, les occupations françaises puis autrichiennes, les revers de fortune mais aussi les moments de richesse. Grâce à son art de perles, elle sauve plusieurs fois la mise à sa famille. A part de rendre à Venise et une excursion sur la terre ferme qui la dégoûte par ses mauvaises odeurs, elle ne quittera jamais Murano.

Si ce roman s'inspire en effet de Maria Barovier, la première femme a avoir créé des perles de verres richement ornées, puis les fameux « milleflori », Orsola symbolise le combat des toutes ces femmes, qui n'avaient pour objectif de faire un beau mariage, un enfant (un fils surtout pour reprendre l'atelier), faire le ménage et la cuisine, dans une petite île où tout le monde se connaît, et où les secrets ne sont pas gardés très longtemps. Mais il y a aussi la solidarité des muranais dans l'adversité, les amitiés fortes, même si Orsola est indépendante et sait très bien jouer avec les conventions pour ne pas se mettre en porte à faux vis à vis de la famille, encore plus sacrée que la première église venue.

C'est aussi l'histoire de Venise, la sérénissime, la ville sur l'eau et aussi celle de Murano, toujours reconnue aujourd'hui pour son savoir faire, et qui est devenu le passage obligé des touristes. Certes on n'y produit plus des pièces énormes, sauf sur commande d'état ou de riches vénitiens, mais on imagine la vie à la fois dure, derrière les fours et tendres aussi quand la famille se retrouve pour souhaiter un joyeux événement.

Un roman très agréable à lire, et particulièrement instructif car l'autrice n'oublie pas d'expliquer le travail du verre, non seulement des perles mais aussi de pièces monumentales comme des lustres qui demandent parfois des mois de travail assidu.

A son habitude Tracy Chevalier a fait énormément de recherches autour du verre de Murano et de la vie sur l'île. La structure narrative, une fois que l'on a compris le point de vue adopté n'est pas du tout un frein à la lecture. Au contraire, il nous donne une envie irrépressible d'aller à Venise et de prendre la première gondole pour flâner dans l’île des trésors.



Extraits

  • Si vous faites ricochet habilement une pierre plate sur la surface de l'eau ,elle rebondira de nombreuses fois,à intervalles plus ou moins grands. En gardant cette image en tête, remplacez maintenant l'idée de l'eau par celle du temps.

  • Les gens qui créent des choses ont un rapport ambigu au temps. Les peintres, les écrivains, les sculpteurs sur bois, les tricoteurs, les tisserands et, bien sûr, les verriers : les créateurs sont souvent plongés dans cet état de concentration maximale que les psychologues appellent le flow, et où les heures défilent sans qu'ils s'en aperçoivent. Les lecteurs aussi connaissent cet état.

  • Elle était restée muette, mais son indignation avait dû transparaître. Klinsberg se carra dans son fauteuil. " Signora Orsola, vous avez passé toute votre vie à Murano, je me trompe ? Vous et votre famille n'êtes jamais allées sur la " terraferma" où les choses fonctionnent différemment. " - " Vous savez très peu de choses sur la façon dont marchent les affaires.Je suis au regret de vous dire que le monde du commerce tourne grâce à la sueur des hommes, le plus souvent non rétribuée.Prenez les colonies américaines dont on parle tant, si prospères avec leurs manufactures de textile et leur sucre: leur matière première- le coton et la canne à sucre- y est produite par des Africains. L' Angleterre tire sa richesse de la traite des esclaves.Même chose pour les Pays-Bas, l'Espagne, la France, le Portugal.Vos perles aussi participent à ce trafic.L'esclavage mène le monde.

  • L'épidémie a fini par s'essouffler, comme toujours avec la peste, après avoir tué presque un tiers de la population de Venise.Ce ne sera pas la dernière fois Heureusement, il se passe d'autres choses dans le monde.Shaspeare, par exemple.Le barde situe même deux de ses pièces à Venise; est- il jamais venu et aurait- il, par hasard, acheté une jolie boule de verre ? Galilée explique aux hommes qu'ils ne sont pas le centre de l'univers.( cette annonce passe mal).
    Le Caravage maîtrise le clair-oscur et commet un meurtre.En Europe, c'est le début de la guerre de Trente ans.De l'autre côté de l'Atlantique, des terres commencent à être colonisées.

  • Les Vénitiens déploraient que leur ville soit en train de devenir un parc à thème, mais Orsola savait que tant que les canaux de Venise sentiraient les égouts, que ses logements seraient sombres et humides, ses habitants mélancoliques et sardoniques, la ville conserverait son authenticité et son pouvoir de séduction. Une perle a besoin d'un grain de sable pour être belle ; la beauté vient de la cicatrice sur la lèvre, de l'espace entre les dents, du sourcil de travers.

  • Une perle a besoin d'un grain de sable pour être belle ; la beauté vient de la cicatrice sur la lèvre, de l'espace entre les dents, du sourcil de travers.

  • Peut-être était-ce la meilleure façon de circuler dans Venise : laisser la ville se dérouler devant vous et vous guider, plutôt que d'essayer d'en mémoriser le plan exact.

  • Travaille tes formes.Travaille tes techniques. L'art viendra plus tard.

  • Les gens sur " la terraferma" sont...plus pressés, reprit-il.Nous- Vénitiens et Muranais-, nous vivons isolés du reste du monde.Les choses évoluent plus lentement pour
    nous.
    - Oui.Mais ça ne me déplaît pas.Je ne voudrais pas changer. - Tu ne penses jamais aux endroits où atterrissent les objets qu'on fabrique ? Amsterdam. Paris. Séville.Londres. Tu ne te demandes pas à quoi ressemblent ces villes ? Je m'imagine que nos verres embellissent une table parisienne, sous un lustre muranais....Tu crois que les gens admirent les verres dans lesquels ils boivent, se demandent qui les a fabriqués ?" Orsola était stupéfaite qu'ils aient les mêmes fantasmes.

  • Quelquefois, quand il n'était pas occupé par la famille Klingenberg ou par des clients, il l'emmenait sur le Grand Canal.Même après des années de ce délice, Orsola trouvait toujours excitant de zigzaguer entre les gondoles, d'admirer les luxueux " palazzi" qui bordaient le cours d'eau et de regarder les autres passagers se jauger mutuellement. Certains la jaugeaient elle, intrigués de voir cette femme du peuple dans une embarcation grandiose dirigée par un Africain.

  • Orsola avait redouté l'inverse: que personne ne veuille de ses perles parce qu'elles avaient été fabriquées dans une maison frappée de quarantaine. Or voilà qu'on leur attribuait des vertus magiques.Qu'on lui attribuait des vertus magiques. - " Tu pourrais faire ça, reprit Antonio.Des perles censées repousser la peste.Un modèle spécial, qu'on pourrait vendre.- Mais...je ne suis pas sûre qu'elles éloignent vraiment la peste.La thériaque, d'accord: elle contient des ingrédients qui sont peut-être efficaces. - Mais le verre reste du verre.C'est beau, mais ce n'est pas un remède - Le réconfort est un genre de remède, non ?"

  • Ces minuscules boules de matière dure avaient quelque chose d'inestimable. Elles subsistaient, conservant en mémoire l'histoire de qui les possédait, et de qui les créait.

  • Orsola se mit à actionner le soufflet avec son pied. Lorsqu'elle s'empara d'une baguette au hasard et l'enfonça dans la flamme de plus en plus vive, elle sentit en elle un déclic : le verre qu'on fait fondre, qu'on fait tourner, qu'on façonne. Cet enchaînement familier. Si des choses allaient mal dans sa vie, le processus de création s'enclenchait encore dans ses mains et ses yeux, toujours satisfaisant, toujours réconfortant.

  • Le temps pouvait filer ou se figer, se dilater ou se contracter, la réception des dauphins d’Antonio, la certitude qu’il ne l’avait pas oubliée après si longtemps constituaient les solides fondations sur lesquelles s’était construite sa vie, à l’image de ces troncs d’arbre enfoncés par millions dans le lit de la lagune pour former la base qui soutenait Venise. Elle ne pouvait se l’expliquer, mais il lui semblait que sans ce socle, le sol se déroberait sous ses pieds. 

  • Maria Barovier était à sa connaissance la seule femme à exercer le métier de verrier, et elle ignorait comment ce miracle avait pu se produire.Maria ne s'était jamais mariée : était- ce parce qu'elle travaillait le verre, ou bien travaillait-elle le verre parce qu'elle n'était pas mariée ?

  • Le verre est la plus belle chose qui existe, déclara Marco en se hissant contre le mur, chancelant légèrement et manquant retomber dans le tas de déchets. Chaque couleur, chaque forme. Fragile et robuste. On peut faire ce qu'on veut avec le verre.



Biographie

Née à Washington , le 19/10/1962, Tracy Chevalier est une écrivaine ayant la double nationalité : américaine et anglaise. Elle s'est spécialisée dans les romans historiques.
Elle est née et élevée à Washington, DC, et son père est photographe pour le The Washington Post. Elle étudie à la Bethesda-Chevy Chase High School de Bethesda, dans le Maryland. Après avoir reçu son B.A. d'Anglais au Oberlin College en Ohio, elle déménage en Angleterre en 1984.

Elle y trouve un emploi de spécialiste d'ouvrages de référence, travaillant pour plusieurs encyclopédies en rédigeant des articles sur des auteurs. Quittant cet emploi en 1993, elle commence une année de Master of Arts en création littéraire à l'Université d'East Anglia. Ses tuteurs lors de son parcours sont les romanciers Malcolm Bradbury et Rose Tremain.
Sa carrière d'écrivaine débute en 1997 avec "La vierge en bleu" (The Virgin Blue), mais elle connait le succès avec "La jeune fille à la perle" (Girl with a Pearl Earring, 1999), un livre inspiré par le célèbre tableau de Vermeer. Un film est tiré de ce livre, qui obtient trois nominations aux Oscars de 2004. Il est réalisé par Peter Webber avec Scarlett Johansson et Colin Firth.
Elle publie "La Fileuse de verre", aux éditions de La Table ronde en 2024.
Tracy Chevalier est également Chairman pour l'Angleterre à la Society of Authors. Elle habite normalement Londres mais réside actuellement dans le Dorset (sud ouest de l'Angleterre) avec son mari et son fils.

samedi 28 décembre 2024

Audrey MARTY – le voyage de Lady Liberty – Les Presses Littéraires – 2024 -

 

 

L'histoire

Gabrielle de Saint-Geniez, issue d'une famille bourgeoise toulousaine, aurait du épouser un mari bien loti et bien plus âgé qu'elle. Mais sa bonne fée, une archéologue qui connaît aussi bien le tout Paris et le tout Toulouse de la Belle Époque, en a décidé autrement. Très influente au sein de la famille Saint-Geniez, elle lui trouve un poste de journaliste à la Dépêche (future Dépêche du Midi). En fait de journalisme, en tant que femme, on lui refile les « chiens écrasés » ou la rédaction des annonces publicitaires. Irréprochable, Gabrielle s'exécute. Mais une fois de plus, Jane Dieulafoy, sa bonne marraine, intercède auprès des autorités et du journal et l'on confie à Gabrielle la chance de sa vie : accompagner en tant que reporter pour la Dépêche (et d'ailleurs comme seule journaliste à bord) le transfert de la France vers l'Amérique de la Statue de la Liberté, pièce monumentale que la France offre aux États-Unis construite par le sculpteur Bartholdi. Une épopée historique d'où naît l'émancipation d'une femme.


Mon avis

Le deuxième roman d'Audrey Marty, historienne d'art, qui mêle fiction et réalité historique.

Gabrielle, une jeune femme ambitieuse, très bien élevée a surtout la chance d'avoir pour marraine Jane, un archéologue qui travaille avec son mari, mais qui est connue dans le Paris mondain de cette « Belle Époque » où Haussmann reconfigure la capitale, et où commence l'ère de l’industrialisation.

Tout d'abord journaliste à la Dépêche, Gabrielle, au prix d'un petit mensonge, va se rendre en Grande Bretagne où elle est accueillie chaleureusement pour un congrès de celles qu'on surnomme les suffragettes. Elle y fait la connaissance de la première femme chirurgienne d'Angleterre Elizabeth Garrett Anderson. Elle écoute les discours de ces femmes qui veulent faire reconnaître leurs droits civiques et est convaincue par leurs idées, leurs conseils et leurs gentillesses à son égard.

De retour en France, toujours avec l'appui de sa marraine, une femme aussi indépendante, elle est envoyée sur l'Isère, la frégate de renom de l'époque qui doit transporter les 210 caisses qui composent la statue monumentale dite Lady Liberty et qui doit être acheminée vers la Baie d'Hudson. Départ le 21 mai 1885. Et voilà la jeune femme, la seule femme sur le navire, qui commence un périple non sans difficulté. La pluie et les orages se succèdent. Elle succombe au mal de mer, mais finalement s'y habitue et se lie d'amitiés avec les officiers, dont un est chargé de sa sécurité ? Dès qu'elle le peut, elle envoie le compte-rendu de la traversée au journal, où elle fait la Une. On se passionne pour ce nouveau monde, que l'on trouve très moderne. Malgré des avaries et une pose aux Açores, le navire est accueilli dans la liesse par la population. Puis il faut remonter la statue. Gabrielle profite de son séjour à New-York, ville qui l'éblouit par ces gratte-ciels pour rencontrer Mary-Louise Booth, la rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, Joseph Pulitzer, le patron de presse à l’origine du Prix du même nom, Calamity Jane, l’héroïne du Far West et bien d’autres…

Sous forme de road-movie, facile à lire, car l'écriture ne cherche pas à imiter le style un peu « redondante» du 19ème siècle, on lit avec plaisir ce livre qui mélange histoire et fiction. La première femme journaliste à la Dépêche ne sera embauchée qu'en 1913. On suit avec joie les aventures de cette jeune femme qui reviendra en France auréolée de gloire. Un livre passionnant qui nous éclaire à la fois sur la vie des femmes bourgeoises (dévouées à leurs familles et époux) et sur les velléités d'une indépendance féminine qui ira crescendo.

Extraits

  • Dans cette partie du pays, le réseau ferroviaire s’étendait sur près de cinq cents kilomètres. De nombreuses compagnies de chemin de fer se disputaient le monopole de son exploitation. En quelques années, les ingénieurs avaient su développer sur tout le territoire un maillage tentaculaire de voies ferrées, accomplissant de mon point de vue, un travail de Titans. Mary-Louise tempéra mon enthousiasme vis-à-vis de ces constructeurs de l’extrême. Le déploiement des axes de circulation s’était fait au détriment des populations indiennes que l’on avait expropriées de leurs terres, sans parler de la déviation des cours d’eau et du dynamitage des montagnes, qui avaient engendré des dégâts irrémédiables. C’était la rançon du progrès, songeai-je tristement.


    Biographie

Historienne de l'art et archiviste, Audrey Marty se passionne pour les personnalités féminines oubliées. Son premier livre, une biographie, est paru en 2020 chez Le Papillon rouge éditeur. "Le destin fabuleux de Jane Dieulafoy, de Toulouse à Persépolis, l'aventure au féminin" retrace le parcours de vie atypique de cette Toulousaine, qui fut la première archéologue française. Cette pionnière de l'archéologie portait les cheveux courts et un pantalon et fut l'une des première françaises à recevoir la Légion d'Honneur. Ce livre a reçu le Prix du Lions club du Sud 2021.
Après avoir réalisé deux ouvrages de commande pour son éditeur Le Papillon rouge, "Le grand Toulouse et ses peintres" et "Peintres et couleurs d'Occitanie", elle a publié une nouvelle biographie.
"Nouma Hawa, reine des fauves, la véritable histoire de la première dompteuse du monde" est paru en 2023 aux Editions Métropolis.
Cet ouvrage dresse le portrait d'une lingère ardéchoise, qui deviendra la dompteuse de lions la plus populaire de la Belle Epoque. Elle fut l'une des rares femmes à posséder sa propre ménagerie. Plus qu'une biographie, ce livre nous plonge dans l'univers forain et nous permet de découvrir les premiers pas du cirque moderne et du cinématographe, les seuls grands divertissements que les classes populaires étaient en mesure de s'offrir à la toute fin du XIXème siècle.
Son site : https://www.audrey-marty.com/




lundi 9 décembre 2024

Ian MANNOK – Le pouilleux Massacreur – La manufacture des livres – 2024-

 

 

L'histoire

L'adolescence de Sorb, un jeune d'origine arménienne, qui vit avec sa bande ? Nous sommes en 1962. Les gamins ne sont pas des gros voyous, ils ne dealent pas, juste quelques vols de voitures ou petits larcins, surtout du à l'ennui. Sorb lui veut être journaliste, et se fait embaucher par un journaliste indépendant un peu tordu. Puis, à la suite d'un meurtre qu'il n'a pas commis, il part en Afrique Noire quelques temps. Revenu en France, protégé par un commissaire de police, il se met à travailler pour e Figaro. Alors que la guerre d'Algérie bat son plein, les soucis de la petite bande sont bien éloignés d'une guerre qu'ils ne comprennent pas.


Mon avis

J'adore Ian Manook dans ses polars ethniques et j'avais adoré la série des Yeruldegger, en Mongolie, puis Askja dans les steppes de Mongolie, entre grands espaces et jolie intrigues.

Là, il signe un roman aux tendance autobiographiques. Bien sur en bon auteur, il adopte un langage un peu « titi parisien » voir argotique pour une histoire de petits voyous qui pourtant vont commettre des grosses bêtises. Bien sur il y a une visite des lieux oubliés de Paris, qui n'existent plus aujourd'hui, les boites échangistes où se fait la politique et cette mystérieuse guerre d'Algérie à laquelle la petite bande ne comprend pas grand chose et qui a d'autres soucis en tête. Des histoires d'amour et de vengeance, des rivalités avec des bandes de jeunes des cités voisines. Mais c'est surtout l'ennui de ces jeunes, dans ces tous nouveaux HLM, sans verdure, sans commerce, ni activités sportives qui pousse les jeunes à faire des «conneries ». Pourtant Sorb est un garçon intelligent qui suit tant bien que mal des études supérieures ce qui en fera le premier diplôme de sa famille qui s'en réjouit.

C'est l'histoire d'un homme en devenir qui se cherche, qui se perd. Un roman d'initiation, à la vie, à l'amour, aux valeurs. Écrit à la première personne, cette quête de sens fait vibrer ce passé, dans un texte où l'écrivain a sûrement mis beaucoup de lui pour retrouver cette France d'avant 68. Beaucoup de souvenirs, à n'en pas douter, pour ce premier texte en terre française d'un auteur voyageur.

Sorb, surnom pour Sorbonne parce qu'il est celui qui fait des études dans cette bande, avait pourtant tout pour construire une existence toute tracée. Des parents aimants qui l'aident à se lancer, une belle intelligence, une relation torride avec sa petite amie. Mais il ne voit pas les signes, ne se rend pas compte de l'importance de ce qu'il reçoit ni de ce qu'il peut en faire. Phénomène de groupe, le clan va de dérapage en dérapage, jusqu'à se morceler quand tout ira trop loin.

Pourtant, ce ne sont pas vraiment de sales gars, mais de ceux qui ne trouvent pas leurs places dans la société, dans une France qui se débat avec les soubresauts de la guerre d'Algérie. Avec Sorb, en pleine désillusion, qui côtoie deux mondes, entre sa copine friquée et le monde ouvrier dans lequel il grandit. Mais à mon avis, il manque de la hauteur à ce roman, avec des personnages un peu cliché comme cet inspecteur à la Audiard, ou la fiancée riche mais contestataire en rébellion contre sa famille friquée. On a bien sur de l'humour assez corrosif, des passages tristes mais des belles échappées dans un Paris qui n'existe plus. Pas assez pour en faire un chef d’œuvre à mon avis, on n'y retrouve pas le souffle dynamique des romans voyageurs. Mais un retour sur un passé qui trouve des échos aujourd'hui dans ce qu'on appelle les « quartiers ».


Extraits

  • M’man, la plupart de ces hommes ont un travail et gagnent leur vie. Ils ont un salaire. Une voiture même, souvent. – Mais alors pourquoi vivent-ils dans de telles conditions ? – Parce que, malgré leur salaire, on ne leur donne pas de logement. – Mais pourquoi, Mathieu, pourquoi ? – Parce qu’ils sont Arabes, m’man.

  • Les crimes ne résultent pas que de la confrontation des individus. Ils sont la conséquence de ce que la société fait de nous tous. Assassins ou victimes, ils le doivent aussi à leur éducation, à la morale ambiante, à leur situation sociale et économique, au regard de la société sur ce qu’ils sont, et au hasard. L’imparable faute à pas de chance. Le célèbre mauvais endroit au mauvais moment. Sans sa morne vie de prolo qui l’échoue chaque soir dans sa solitude, abruti de fatigue et de solitude, Laurent n’aurait pas eu besoin de se trouver une bande, il ne t’aurait pas connu, il ne t’aurait pas rejoint au Baltimore, et il ne serait pas devenu le poing du destin pour cette pauvre femme.

  • Le sexe est l’expression ultime du pouvoir. Les partouzes, les ballets roses, la pédophilie, c’est l’ultime arrogance de ceux qui croient tout avoir et en veulent plus encore. Et tu sais pourquoi ? – C’est vous le professeur en saloperies…– Parce que c’est l’avilissement de l’autre, l’affirmation de sa victoire contre la morale, contre l’humanité, l’accession au parterre des dieux, pour disposer comme eux des pauvres humains qui ne peuvent que subir. Baiser dans ces conditions, c’est tuer. C’est poignarder avec son sexe. Il n’y a pas de pouvoir sans sexe. Jamais !

  • Je fréquente la bande parce qu'en dehors de la fac, je n'ai rien d'autre à faire et que je m'ennuie dans le HLM blême de mes parents au milieu de ma cité dortoir... Le petit bourge futé d'urbaniste qui a imaginé la cité où nous vivons n'a prévu aucun bar. Zéro troquet. Dix mille nouveaux habitants et pas un rade ! Cité prolo, qu'ils ont dit. Métro, boulot, dodo. Pas bistro.

  • Le ciel bas est laineux. De chaque côté de la rue, des champs de boue le brisent en reflets mats dans des flaques et des ornières. Tout est sinistre et miséreux soudain. C’est une morne plaine qui s’étend jusqu’à l’horizon, jonchée d’immeubles tristes et géométriques au milieu de terrains vagues morcelés de chantiers et de cabanons. Et pour seuls arbres, des grues squelettiques qui construisent d’autres clapiers démesurés.

  • Écrire, s'évoquer des sentiments universel à travers des destins individuels.

  • L’enfance ne fait pas de nous ce que nous devenons, mais c’est ce que nous devenons qui tue notre enfance. Après, il ne reste plus que l’idée que nous nous en faisons.

  • Ce type ne sait pas mentir. Même sans rien dire, il a l'air coupable de ce qu'il cache. Martineau le salue de la tête. Les rares habitués sont partis. Il ne reste que la bande autour de la table. Ceux qui jouent et ceux qui regardent en attendant le massacre. Seule Annie navigue ailleurs, toute seule devant le juke-box, les yeux au plafond, et rêve qu'elle s'appelle Daniela et que l'amour d'Eddy Mitchell n'est qu'un jeu pour elle.

  • Quoi que tu écrives, souviens-toi bien de ça, quelqu'un se sert de toi, un autre te ment, un troisième t'édulcore, et un dernier te lit en ne comprenant que ce qu'il veut bien comprendre.

  • S’aimer, vivre ensemble, se marier… – Ah, ce genre de choses. – Oui, ce genre de choses. Je savais bien que nous en arriverions là un jour. Je ne pensais pas que cela arriverait alors que nous serions nus dans la paille de la galerie abandonnée de l’orangerie du château de Meudon.

  • Je m’appelle Sorb. Je n’ai pas choisi. C’est le diminutif de Sorbonne. Ceux de la bande m’ont donné ce surnom parce qu’ils me trouvent plus instruit qu’eux.

  • Il y a encore plus malheureux que le prolétariat relogé des cités. Il y a le populo abandonné de tous, celui des quartiers insalubres. Les moins que rien. Les sans nom. Les sans dents. Les miséreux. Ceux dont on attend qu'ils s'éteignent d'eux- mêmes, comme un feu qui couve et qu'on ne daigne même pas noyer, attendant qu'il s'étouffe...

  • Dehors, sous le grand cèdre. Nous regardons le trafic basculer dans la cuvette d'Anthony. C'est un déversoir. Un flot ininterrompu de feux arrière qui disparaissent dans le trou béant de la nuit en ensanglantant le paysage. Un fleuve de sang lumineux. Plus loin c'est Fresnes, et la bifurcation vers Paris, ce halo orangé et hypnotique là-bas, dans le fond. Comme une cloche en verre qui nous l'interdit et nous tente à la fois.

  • Des mecs de Meudon-la-Forêt, c’est tout. On zone, on fout la pagaille dans les Prisus, on choure deux ou trois trucs dans les Félix Potin, des quarante-cinq tours chez les disquaires, rien de méchant. On siffle les filles et on se tire en ricanant. Rien de grave. Quelques caisses aussi, bien sûr.

  • On écoute du rock américain. Dick Rivers et Richard Anthony aussi. Moi j’écoute Charles Aznavour en douce, parce que mon père est Arménien.

     

    Biographie

Né à Meudon, le 13/08/1949, Journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian. Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.

Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.

De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016).
Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion.


Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Manoukian



mardi 29 octobre 2024

Mo MALO – L'inuite – Éditons de la Martinière – 2024


 

L'histoire

Panniguag Madsen est une sanaji, une sage-femme itinérante qui parcourt le Groenland pour intervenir dans des villages isolés. Elle se trouve justement à Kullorsuaq pour accoucher d'une jeune femme qui est retrouvée assassinée peu après l'accouchement. Peu avant le corps de son grand-père est retrouvé étranglé. De là à faire de Panik la suspecte idéale il n'y a qu'un pas. Cette inuite de 37 ans, qui porte un tatouage « barbe de morse » selon une coutume locale peut la rendre facilement identifiable. Au Danemark (le Groenland est une ancienne colonie danoise qui n'est pas autonome dans les domaines de la Défense, de la Justice), un inspecteur qu'on aimerait bien mettre sur la touche se voit confier un « cold case », le meurtre en 2011 d'un psychiatre qui avait organisé la déportation de 22 enfants inuites au Danemark pour « devenir l'élite du Groenland ». Seuls 6 d'entre eux ont été adoptés par une famille danoise, avec plus ou moins des bons traitements. Les autres ont été renvoyés au Groenland, où les familles, souvent pauvres, n'ont pas voulu les reprendre. Enfermés dans un orphelinat, ne connaissant plus leur langue maternelle, beaucoup finir dans la précarité, ou se suicidèrent.

Et si ces deux affaires étaient liées ?


Mon avis

Un polar envoûtant, voilà ce que l'on peut dire de l’Inuit où l'auteur s'inspire de « l'affaire des 22 » qui affola l'opinion danoise lorsqu'elle fut révélée par la journaliste d'investigation Mile Bers et du film « Eksperimentet ». De fait des années 50 à 1960 ce furent plus de 1600 jeunes groenlandais qui furent envoyé au Danemark mais dans de meilleures conditions, ils ont pu revenir dans leurs familles groenlandaises, avec des diplômes et revendiquer leur identité groenlandaise. Ce n'est qu'en 2020 que la Présidente Mette Frédericksen a présenté les excuses officielle du Danemark, ainsi qu'une indemnisation largement inférieure aux préjudices subis pour les victimes ou leurs descendants.

De cette terrible histoire où il s'agissait pour le Danemark de « dégroenlandaliser » les inuits, on estime que seul 1 danois sur 5 est au courant.

Mo Malo s'est emparé de cette histoire, en modifiant les noms des réels protagonistes, pour en tirer un polar magnifique de rebondissements et de suspens.

On navigue entre les rites traditionnels inuits, les paysages glacés du pays le moins peuplé du monde, grandioses et terribles, avec des vents glacés, et des températures dans le négatif (-35°) car la moitié du pays fait partie de la calotte glaciaire, avec des hivers neigeux puis la dangereuse période des fontes où la circulation est particulièrement instable. Seuls les mushers (maîtres chiens de traîneaux) sont autorisés à circuler au delà de la calotte glaciaire, les transports se faisant par avions, hélicoptères, moto-neige ou trains/bus. Même si le réchauffement climatique a pour effet de rendre les températures un peu moins glaciales.

Si la population groenlandaise est en général protestantes, le chamanisme reste toute fois très présent notamment dans les petits villages côtiers et isolés. Ainsi la tradition de l’apex « âme - nom » correspond à l'identité d'un(e) inuit(e). Celle-ci se transmet de corps en corps à travers les générations successives d'une même famille. A la mort d'une personne, son nom est donné au premier né de sa descendance, quelque soit le sexe. Ainsi une fille peut se nommer ViKtor ou un garçon Kristine. C'est à travers ce biais que le roman s'intensifie. De plus chez certains individus, le fait de recevoir un prénom qui n'est pas son genre de naissance peut provoquer des problèmes psychiques et un manque de repère au genre.

L'écriture est simple, parsemée de mots inuits (tout de suite traduits), et en fin de livre un index nous rappelle les noms de personnages, ainsi que des tableaux généalogiques qui se complètent au fur et à mesure que l'intrigue avance. Sont insérés dans les chapitres, en italique le journal tenu par la mère de Panik, et en caractère d'imprimerie différent, les réflexions de « l'Inuite ».

A noter qu'une des victimes, une femme nommée Viktor, a cherché à faire publier son récit, étant l'une des rescapées des 22. sans succès.

Ce polar qui même fiction et réalité est totalement addictif. Il nous montre une facette d'un grand pays que nous ne connaissons pas ou peu (remis au jour par l'affaire Paul Watson toujours détenu à Nuuk à l'heure où j'écris cette chronique). Nous sommes hypnotisés par cette histoire qui se déroule sur 400 pages, par ces rebondissements, la culture inuite peu connue, la pauvreté aussi pour beaucoup de gens, et la poésie fragile des immensités de glace.


Extraits

  • Rien ne s'effaçait, bien sûr. Rien ne s'oubliait. Et pourtant, à chaque étape de la vie, il était possible de dépasser ses blessures. De ne pas ressasser les situations qui les avaient vues naître. Recouvrir le mur d'hier de la peinture fraîche d'aujourd'hui, la seule couche qui comptait vraiment.

  • Ilulissat – 3 mars 2021. Panik ne paniquait jamais.C’était sa réputation, pour ainsi dire sa marque de fabrique. La sûreté de ses gestes, son expertise douce et appliquée, son calme affiché quelles que fussent les complications rencontrées au cours du travail, tout dans sa pratique dénotait un sang-froid hors du commun. Cela lui valait non seulement la confiance des femmes qu’elle accompagnait, mais aussi celle de leur entourage. La preuve, on la sollicitait y compris dans des cas et des lieux où le service médical local aurait très bien pu prendre l’accouchement en charge. On l’avait choisie. Elle. La sanaji itinérante venue d’on ne sait où. Car derrière la formule facile, « Panik ne panique pas », derrière ce masque tatoué et impavide, chacun le sentait, sommeillait une compassion, une tendresse qui, le moment venu, ne demandait qu’à sourdre. Sans enfants elle-même, Paninguaq était riche de cet amour à prodiguer. Et, faute de pouvoir le répandre sur sa propre progéniture, elle en distillait à chacun et chacune d’infimes cristaux, aussi légers et purs que la neige.

  • De l’avis des Groenlandais eux-mêmes, l’île avait la réputation d’offrir les plus beaux panoramas de tout le pays, été comme hiver. À l’oreille de Panninguaq, son nom sonnait avant tout comme une promesse de paix. Uummannaq était son havre. Son refuge lorsqu’elle ne parcourait pas les villages du littoral ouest pour ses diverses missions.

  • Rien ne s'ouvrait. Et pourtant, à chaque étape de la vie, il était possible de dépasser ses blessures. De ne pas ressasser les situations qui les avaient vu naître. Recouvrir le mur d'hier, de la peinture fraîche d'aujourd'hui, la seule couche qui comptait vraiment.

  • Cette fois, un filet de voix, chaud et grave, avait filtré de sa bouche. et par le seul pouvoir de celui-ci, elle lui apparut enfin pour ce qu'elle était, au-delà de sa fonction de couffin vivant : une trentenaire brune, Inuite métissée, sensiblement plus grande que la plupart des femmes de la région. Sa tenue mêlait des pièces sportswear fonctionnelles et d'autres plus authentiques, comme son gilet en peau de phoque qui relevait assurément d'une confection artisanale, peut-être de ses propres mains. — Mais tout le monde m'appelle Panik ajouta-t-elle. Elle sourit.— Parce que quand on fait appel à moi, en règle générale, c'est plutôt en urgence. Bjorn sourit à son tour, de ce sourire sans malice qui lui ouvrait bien des portes. Paningaq Madsen, un prénom purement Inuit, un nom de famille danois comme la plupart des habitants du pays. Et pourtant, un hiatus frappait Bjorn : marqué de trois lignes verticales sur le menton, un tatouage traditionnel connu sous le nom de « barbe morse », Son visage était bien celui d'une autochtone, mais quelque chose dans son accent et son kalaallisut un peu hésitant trahissait une autre origine. Étrange mélange.

  • Chacun son iceberg, et les phoques seraient bien gardés.

  • Westen s'étonnait toujours d'entendre des Inuits de souche employer ce verbe, éplucher, dans un pays où l'on ne voyait pas la couleur d'un légume frais de toute l'année. Sans doute une influence linguistique du danois.

  • Il en va de certaines révélations comme des cadeaux que nous offre la vie : on ne les perçoit vraiment qu’après coup. Quand nous sommes sous leur emprise depuis déjà longtemps.

  • Certains hommes avaient ce don : instiller le poison de mots qui, une fois entrés dans vos pensées, colonisaient tout votre organisme.

  • Aussi tentant que ce soit, on ne réécrit pas un passé douloureux en massacrant le présent.

  • À mi-parcours, les nuages s’étaient dispersés, cédant le ciel à une lune presque pleine. Les mastodontes de glace qui les entouraient n’en prenaient que plus de relief, découpés par l’astre comme sous un projecteur de poursuite dans un théâtre à ciel ouvert. Certains devenaient sauvages, menaçants, d’autres se paraient au contraire de rondeurs ou de sourires, pareils à des guides bienveillants postés sur leur route.

  • Il lui arrivait juste de regretter un peu les trois lignes sur son menton. Non pas en tant que telles, mais pour leur faculté à attirer les regards. Pourtant, sur le coup, elle s’était félicitée de la vertu transformatrice d’un tel marquage. Trois traits seulement avaient suffi à faire d’elle la Groenlandaise qu’elle était aujourd’hui – prénom compris.

  • Tradition des peuples de l’Arctique depuis des millénaires, les tatouages cousus entretenaient le lien aux clans autant qu’à leur spiritualité. La barbe de morse, elle, le plus souvent apposée au moment de la puberté, restait l’apanage des femmes. Las, depuis trois siècles, les missionnaires chrétiens avaient largement contribué à la disparition cette pratique, considérée par eux comme « porteuse de péché ».

  • Une neige de fin d'hiver, molle et alanguie, tombait sur le cimetière de Kullorsuaq avec la constance du ressac. Les croix blanches recevaient cette pellicule assortie sans broncher, louable indifférence des morts. Au loin, des icebergs pétrifiés par la ban- quise méditaient sur le caractère éphémère de toute existence. D'ici quelques semaines, à leur tour, ils ne seraient plus.

  • Mais mon sentiment, c’est qu’on n’est pas obligé de tout savoir sur tout, a fortiori sur ceux qu’on aime. Je pense que le plus beau cadeau qu’on peut leur faire, c’est justement de leur laisser leur part de secret.

  • Rien n’a changé dans les rapports entre le Danemark et le Groenland. Nous nous comportons encore et toujours comme des colons avec nos territoires d’outre mer. Et surtout, on fait l’impossible, y compris aujourd’hui, pour museler les victimes de nos mauvais comportements.

  • Ecrire n'est rien d'autre que cela, me semble-t-il : s'offrir à soi-même une seconde naissance, dans un espace-temps où tout devient enfin possible. Re-vivre, comme si la faculté miraculeuse nous était donnée, par l'acte créateur, d'exister une nouvelle fois.

  • Echappait-on jamais au territoire dont on était le fruit ? Loin de l'arbre qui nous avait porté - quand bien même nous étions issus d'un pays sans arbre-, ne devenions-nous pas l'ombre de nous-mêmes ?

  • Croyez-moi, il n'y a pas meilleure "page blanche" que ce pays. Il vous donne beaucoup mais il exige aussi tellement qu'il ne laisse pas beaucoup de place au ressassement.


    Biographie

Mo Malø est le pseudonyme de l'écrivain Frédéric Mars, de son vrai nom Frédéric Ploton. Diplômé du Celsa (1988-1991), après plusieurs années passées dans la presse magazine et diverses rédactions online, il a quitté le journalisme et la photo pour ne se consacrer qu'à son travail d'auteur de livres. Outre ses romans, il a publié plus d'une quarantaine d'essais, documents et livres illustrés, sous diverses identités, y compris en qualité de "nègre".
Il est connu principalement pour ses ouvrages consacrés au couple, à la sexualité et aux nouveaux modes de rencontre. De sa collaboration avec l'illustratrice Pénélope Bagieu, sont également nés trois ouvrages, dont le Chamasutra et le Cahier d'exercices pour les adultes qui ont séché les cours d'éducation sexuelle. Il est le traducteur français de la collection de comédies érotiques Sex&Cie, d'Ania Oz.

Il a également publié plusieurs livres sur l'art délicat de la sieste. Il a dirigé plusieurs collections, en particulier pour le compte des éditions Tana et des éditions de l'Hèbe (Suisse). Il a animé pendant deux ans (2005-2006) une chronique dans l'émission "Lahaie, l'amour et vous" sur RMC Info.

Sous le pseudonyme de Frédéric Mars, il a publié des thrillers romantiques et des thrillers historiques et contemporains. Il a également publié plusieurs romans érotiques sous divers pseudonymes dont Emma Mars et est auteur d'un essai humoristique, "Le cat code" (2017), écrit sous le nom de plume de Chat Malo.

Sous le pseudonyme de Mo Malø, il publie une série de polars se situant au Groenland : "Qaanaaq" (2018), "Diskø" (2019), "Nuuk" (2020), "Summit" (2022).
Sa série des enquêtes de Qaanaaq Adriensen a été traduite dans de nombreux pays et repérée par plusieurs prix littéraires : finaliste des Prix du meilleur polar des lecteurs de Points, du Prix Michel Lebrun et du grand prix de l’Iris Noir, lauréat du Prix Découverte des Mines Noires et du Coquelicot noir. La série "La Breizh Brigade" (2023), met en scéne une équipe d’enquêtrices hors du commun.

lundi 16 septembre 2024

Henriette CHARDAK – L'oubliée de Salerne, le roman de Trotula – Editions Le Passeur - 2023 -

 

 

L'histoire

Qui connaît aujourd'hui Trotula Ruggério, fille d'un médecin dit « El médico » et d'une femme sage-femme ? Pas grand monde, alors que cette dame hors du commun fut officiellement la première femme médecin d'Italie, dont les découvertes sont aujourd’hui parmi les bases de la médecine. C'est ce destin incroyable que nous raconte H. Chardak qui s'est longuement documentée avant d'écrire ce livre passionnant.


Mon avis

L’Histoire, influencée par les religions, a souvent omis ou oublié certaines femmes de grands talents. Et parmi elles, on trouve une certaine Trotula (petite truite en italien) née en 1050 à Salerne (actuellement en Campanie). A cette époque où l »Italie n'était pas un pays unifié, mais divisé en une dizaine d'états, qui étaient en guerre les uns contre les autres, sans parler de la main-mise voulue par le « Norrois Robert, Salerne jouissait d'un statut particulier. C'était une capitale intellectuelle, mais surtout renommée pour son école de médecine où l'on coutoyait des experts venus des pays méditerranéens, des philosophes, et l'on parlait plusieurs langues, le latin, mais aussi le persan, l'hébreu et autres langues.

Très jeune Trotula se décida à devenir médecin. L'école de médecine n'acceptait pas de femmes, à moins qu'elles ne soient mariées et de bonne famille. La jeune femme épousa un jeune homme lui même médecin-urologue qui l'encouragea dans ses études. On ne délivrait pas de diplômes mais juste le droit d’exercer.

Très vite Trotula s'intéressa à la gynécologie. A cette époque, l'accouchement n'était pas une partie de plaisir, et de plus beaucoup de femmes mettaient au monde des morts-nés ou des enfants difformes qui ne survivaient pas longtemps. Trotula comprit assez vite que ces naissances mauvaises étaient dues à la mauvaise hygiène de vie des patientes, à l'abus d'alcool et de nourritures trop riches et grasses. Elle mis au point des onguents pour facilité l'accouchement et des anesthésiants issus de plantes, dont elle avait compris les pouvoirs et qui font aujourd’hui partie de nos pharmacies (où imitées par la chimie plus rentable). On sait que le thym est un anti-biotique naturel, associé au citron et au miel. Comme la sauge est une plante qui aide les femmes dans les douleurs des menstrues, ou la reine des prés favorise l'élimination. Tout est bien sur une notion de posologie que la jeune médecin appris à doser. On dit aussi qu'elle mis fin à des grossesses non désirées par injection de plantes (comme l'armoise) sans triturer le corps.

Avant tout, elle prônait une hygiène de vie comme la propreté aussi bien au foyer que pour les individus. Elle préparait des savons, des onguents pour assouplir la peau et la rendre plus belle, diminuer l'acné ou les varices.

Féministe avant l'heure, elle revendiqua toute sa vie son statut de médecin, faisant fi des commérages et ne fut jamais inquiétée, là où quelques siècles plus tard on brûlait vive les « sorcières ». D'ailleurs elle refusait le patriarcat et ne se maria qu'avec un homme qui la traitait en égale mais l'aidait dans ses recherches.

Présenté sous forme de mémoires à ses futures élèves, l'histoire personnelle de Troubla se mêle aussi avec la grande histoire. Heureusement Falerne fut épargnée par les conflits tant sa renommée dans le monde était respectée. Ce qui ne l'empêchait pas de soigner tous les blessés de guerre, les pauvres comme les riches, en ne faisant pas payer les plus pauvres, tous étant égaux. Des encarts insérés par l'autrice nous donnent les preuves scientifiques de certaines plantes utilisées par Troubla. Jamais elle ne pratiqua de césarienne « à vif » mais toujours à l'aide de plantes anesthésiantes savamment dosées, ni aucun acte nécessitant le scalpel sans tout faire pour atténuer les douleurs. Sa renommée grandit et des femmes venues des autres états italiens mais aussi de pays plus lointains la consultèrent, et furent soignées ou soulagées. Déjà à l'époque on avait identifier certains cancers (on ôtait les tumeurs) mais il n'y avait pas de traitement de fond comme les chimiothérapies. Troubla trouva quand même de remèdes pour soulager la douleur, et parfois soigner à base de cataplasmes les tumeurs les moins avancées.

Troubla écrivit aussi des traités (traduits du latin à l'italien).

En France, il fallut attendre 1759 pour qu'Angélique de Coudrai fasse paraître un ouvrage « l'abrégé des accouchements », puis que Marie-Louis Dugès-Lachapelle ouvrit dans la foulée la première école de sages-femmes où elle forma près de 20 000 femmes, soit plus que les médecins à la même époque. Il fallut encore attendre la fin du 19ème siècle pour que les femmes soient admises à l'école de médecine.

Le livre donne une liste impressionnantes des documents consultés par l'autrice, ainsi que les noms français et latins des ingrédients utilisés dans la pharmacopée de l'époque.

Notons aussi que la philosophie de Trotula De Ruggério a toujours plaidé pour une vie saine : hygiène rigoureuse, nourritures saines et sans abondance (elle limitait l'usage de la viande rouge à une fois par semaine . Étrangement, l'OMS a récemment publié une recommandation estimant que la consommation de viande rouge 2 à 3 fois par semaine. Elle prônait aussi des promenades quotidiennes au bon air.

Ce gros ouvrage de 524 pages, hors les notes de l'autrice est captivant. Il ne nous donne pas de recettes pour nous soigner, laissons faire les spécialistes, mais retrace une époque où les femmes aussi avaient du talent.

Il nous permet surtout de comprendre comment notre corps de femme réagit de façon globale et nous propose une immersion dans un monde lointain et pourtant proche, tant les découvertes de Trotula font écho à notre contemporain.


Extraits

je vous propose cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=4inI6ShdsTI&t=6s


Biographie

Diplômée du conservatoire de musique de Besançon et de l'école de journalisme de Strasbourg, Henriette Chardak est journaliste, réalisatrice de documentaire et auteur. Elle est également licenciée en journalisme, presse écrite et audiovisuelle, techniques de l’information et anglais de l'université de Strasbourg.
Elle débute aux Dernières Nouvelles d'Alsace comme journaliste et dessinatrice. Elle publie également dans Le Point et Ciel et Espace.
Elle participe aux débuts de Radio Nova, et chronique également sur Ici et Maintenant !.
Elle rencontre ensuite le réalisateur Ken Russell, qu'elle suit en Angleterre. Elle fait également la connaissance de Roger Daltrey, de The Who.
Voulant devenir assistante à la réalisation, elle est finalement embauchée à Antenne 2 par Armand Jammot. Elle devient également scénariste pour la chaîne et réalise de nombreuses productions.
Henriette Chardak diversifie son parcours et devient aussi peintre, auteur-compositeur, metteur en scène, photographe et scénariste.
En tant qu'écrivain, elle a publié Élisée Reclus, l’homme qui aimait la Terre (Stock, 1997) et de Tycho Brahé, l'homme au nez d'or et Johannes Kepler, le visionnaire de Prague, les deux premiers volets de la collection "Les rêveurs du ciel " (Presses de la Renaissance, 2004).

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henriette_Chardak


mercredi 10 juillet 2024

Ian MANOOK – Aysuun – Editions Albin-Michel – déc 2023

 

L'histoire

1930, quelque part en Mongolie entre les premières cimes de l'Altaï et la steppe, Asyuun vit tranquille avec sa famille qui vit de la vente du lait de chèvres. Mais c'est sans compter sur la volonté de Staline d'unifier la Mongolie et de chasser les nomades. Ainsi un régiment de soldats russes dirigés par le sadique colonel Kariakine, qui tue le mari et les deux plus jeunes enfants et viole durement la petite Aysunn 12 ans et sa mère Tsyann. 25 plus tard, la jeune femme reconnaît son bourreau et décide de se venger de lui, nous entraînant aussi bien dans les recoins de l'histoire que dans un western de la taïga passionnant.


Mon avis

Après le succès de sa trilogie Yeruldelgger, l'auteur revient sur un épisode de l'histoire difficiles des Mongols, Touvans (ethnie proche nomade) peu connu. Celui de l'assimilation voulue par Staline, et les dirigeants suivants. Il s'agit de sédentariser les peuples nomades et de leur imposer la culture communiste.

En 2023, une très vieille dame de 106 ans (Aysuun) raconte sa vie à un jeune étudiant « Petit frère » comme elle l'appelle. A 12 ans, Aysunn et sa mère sont violées et laissées pour morte par le régiment du cruel colonel Kariakine. La jeune fille accouche d'un garçon dont elle ne veut pas et qui sera adopté par ce colonel viscéralement attaché aux lois communistes, même si dans les faits, il ne le respecte pas, pillant, tuant, volant les biens de nomades. Sous la protection de son chamane, un homme qui est là pour soigner grâce à sa connaissance des plantes et pour faire régner l’harmonie entre la terre-mère et le ciel-père, Aysuun vit protégée, cavalant dans la steppe ou explorant les recoins des contreforts des monts Altaï. Elle fait aussi de discrètes incursions autour du fort guerrier russe, entourée de yourtes et d'un véritable petit village touvan. Mais quand un nouveau colonel est nommé, elle reconnaît de suite son bourreau. Et n'a qu'une idée en tête : se venger pour la mort de son père, son petit frère, sa petite sœur et de son viol et celui de sa mère devenue muette et quasiment morte-vivante.

Pour cela, elle va élaborer un piège ingénieux, aidée de son petit ami Tumur, du chamane et d'une petite communauté. Mais aussi par les chevaux, ces indispensables compagnons seuls capables de parcourir la steppe et de résister aux grands froids. Mais aussi aidée par les Ours, les pires prédateurs de l'homme, sauf si on les respecte, et les loups amis des Touvans qui ne leur ont jamais fait de mal. Si on tue des yacks pour manger, on ne prélève que le nécessaire et on respecte leurs esprits. Une bien jolie philosophie de vie, aujourd'hui disparue au nom de la mondialisation et du progrès.

Parsemé des légendes et des croyances touvannes, entre poésie de cette nature complexe, faux amis et trahisons, c'est un grand roman épique que nous livre Ian Manook. Aysuun, rebelle, farouche, déterminée, et ingénieuse est de ces héroïnes que l'on ne croise pas souvent. Elle est la mère de Yeruldelgger.

Page turner à souhait, le roman mêle une réalité historique méconnue à la philosophie de vie simple et empathique d'un peuple de nomades qui se contente de l'essentiel. Certains lieux cités dans le roman existent réellement.


Extraits

  • Ne fais pas semblant, petit frère, ne retiens pas ta surprise, je sais l’âge que j’ai et le visage qui va avec. Cent six ans et la peau ridée comme une risée sur la rivière. Pas de quoi jouer au bâton blanc dans la nuit, je te l’accorde. Mais j’ai encore tout mon entendement pour te raconter chaque partie que j’ai disputée dans ma vie. Parce que la vie, petit frère, ce n’est que ça. On jette le bâton blanc dans la nuit et tout le monde court après, à l’aveugle. Quelques-uns ne cherchent qu’à le gagner aux dépens des autres, et d’autres juste à s’amuser. Certains se battent à mort pour ce bout de bois, ou s’en moquent et en profitent pour frôler l’amour. Se voler un baiser. Disparaître un instant, main dans la main, le souffle court et les joues pourpres. Ce n’est rien d’autre que ça, la vie, petit frère.

  • Il paraît qu’en Europe, en France je crois, boire son café debout est signe d’une dispute à venir, dit-il en savourant le reste de son beignet frit à la graisse de mouton. - Les hommes savent inventer tant de raisons de se quereller, répond Tsuyann sans se retourner, crois-tu vraiment qu’ils aient besoin de l’excuse d’un café debout ? - C’est une croyance. Elle doit bien avoir un sens, comme toutes celles qui régissent l’ordonnancement de nos yourtes. Peut-être pour forcer les gens à prendre le temps de partager leur café.

  • Mongols et Touvans se volent les chevaux depuis toujours. Personne ne saura jamais qui a commencé. Les deux peuples en mangent pour survivre, même si les Mongols n’en font pas commerce comme les Touvans. Les Soviétiques font la même chose. Chaque nomade doit au kolkhoze un pourcentage de son troupeau. Les chevaux qu’ils ne peuvent pas monter, ils les abattent. Sauf qu’eux le font sans aucun respect, ni de la bête, ni se son esprit, ni de son âme.

  • Son cœur n’est qu’un cheval immobile. Je prends son visage entre mes mains et pose mon nez contre sa tempe, pour la saluer à la façon des Touvans.

  • Cette tente ronde, reliant la terre mère au ciel père par la colonne sacrée du feu central, symbole de l’univers, redevient le monde tout entier à elle seule.

  • Alors agissons comme l’ont fait les Américains : débarrassons-nous de ces nomades comme ils ont exterminé leurs Indiens. Les plaines libérées de ces parasites, nous pourrons y construire et y développer de grandes métropoles comme ils l’ont fait. C’est le sens de la révolution. Urbaniser et prolétariser la steppe.

  • L’amour de Tumur est un doux et puissant tumulte. Une longue rivière aux remous profonds, une chevauchée dans le vent, des montagnes et des vallées. Il est l’ours bienheureux et chaleureux, le loup aimant et caressant, l’aigle protecteur qui t’emporte au-dessus du monde. Il est tout à la fois, autour de toi et en toi.

  • Petit frère, il n’y a rien de plus beau que des chevaux s’enivrant de leur liberté. Surtout dans une steppe sans fin et sous l’immensité du ciel nocturne. C’est autre chose que de faire des roues arrière sur son scooter dans une artère d’Oulan-Bator, non ? J’ai appris que des petits-fils de nomades faisaient ça, maintenant.

  • Ce n'est qu'un bivouac, pas un aal. Pas de yourte. Des peaux autour d'un feu. Notre terre mère comme lit immense et tout le ciel comme couverture. L'amour de Tumur est un doux et puissant tumulte. Une longue rivière aux remous profonds, une chevauchée dans le vent, des montagnes et des vallées. Il est l'ours bienheureux et chaleureux, le loup aimant et caressant, l'aigle protecteur qui t'emporte au-dessus-du monde. Il est tout à la fois, autour de toi et en toi. Il est le monde réenfanté. Je ne sais pas si les hommes peuvent ressentir ça, petit frère, cette sensation, après l'amour, d'être pleine d'une autre vie.Pas comblée au sens de savoir ses plaisirs assouvis, mais au sens d'être habitée par l'être aimé au point de vouloir le garder en soi, et le chérir dans ton ventre comme l'enfant à naître que tu voudrais qu'il devienne...

  • Du temps de nos grands empires, petit frère, du temps où nos Khans conquéraient les deux tiers du monde connu, leurs arcs et leurs flèches étaient l’instrument de leur terreur. Va savoir pourquoi, de nos jours, dans les jeux sportifs de nos naadym, la lutte et les chevaux sont l’apanage des hommes alors que le tir à l’arc est abandonné aux femmes.

  • Quel que soit le conflit, l’Union soviétique n’a jamais voulu admettre ses pertes. Regarde, c’est toujours et encore la même chose avec les Russes d’aujourd’hui. 
— L’incident de Damanski a fait plus de soixante morts ?
 — Un incident ? Les chiffres communément admis aujourd’hui sont de vingt à vingt-cinq mille morts, petit frère.

  • Les bivouacs sont des instants privilégiés, petit frère, je te l’ai déjà dit et je te le redis, parce qu’ils sont l’essence de notre vie de nomade. Des moments suspendus où tu n’es plus qu’un caillou dans l’univers. Une pierre immobile et millénaire. Sur le dos, ton corps finit par appartenir à cette terre qui te porte. Au-dessus de toi, la contemplation vertigineuse du ciel constellé d’étoiles t’aspire au-delà de toute limite. Et tu te sens appartenir à tout ça. À ce vertige. Et si tu aperçois une étoile filante, dis-toi que nos existences sont comme ça. Des petits bouts d’univers qui filent et se consument. Et disparaissent.

  • Olygbay est une fille des steppes, comme je le suis moi-même. Mais sais-tu au moins ce que cela veut dire, petit frère ? En ce temps-là, les Soviétiques avaient interdit les noms de clan et les noms de famille. Nous ne nous nommions plus que par nos prénoms. Mais la tradition voulait, malgré tout, que nous appelions grande sœur ou grand-mère toute femme plus âgée, ne serait-ce que d’un seul jour. Selon cet usage, Olygbay était ma petite sœur, même si nous n’avions jamais appartenu à la même famille ni au même clan. Seuls le destin et ses chemins sombres ont fait que nos vies se sont croisées et que nous avons partagé la même yourte, loin du kolkhoze, de la garnison et des autres nomades. Triste destin puisque Olygbay est bien plus qu’une petite sœur. Ce qui a fait d’elle une fille des steppes, c’est-à-dire une fille-mère, a emporté à jamais son désir de grandir. Son âme a dû se protéger en redevenant celle d’une enfant. Un peu trop naïve. Un peu trop innocente. Un peu trop joyeuse. Je te raconterai comment plus tard.

  • L’officier assume. Lui aussi obéit à un ordre supérieur. Il est russe, et l’armée russe a toujours usé du viol comme d’une arme de guerre. Une arme de vengeance contre tout ce qui n’est pas russe. Contre tout ce qui ose se dresser contre la Russie, impériale ou soviétique, peu importe. Contre tous ces peuples mineurs qui n’ont rien compris à la grandeur héréditaire de la Russie. Lui, il est d’un peuple élu, par Dieu ou par Staline, peu importe, mais élu. Supérieur. Il est russe, et que ces petits peuples merdiques qui refusent de l’admettre en crèvent, dans le sang du ventre de leurs femmes et de leurs filles.

  • Aucun de ces misérables culs-terreux de nomades, Mongols, Touvans, Kazakhs ou n’importe quoi, ne doit se mettre en travers des jours glorieux qu’ont décidés pour eux les pères de la révolution. Lui, il est fier et sans honte aucune de participer à la campagne de pacification ordonnée par le camarade Staline contre ces peuplades sauvages. Contre tous ceux qui se refusent à vivre en kolkhoze ou en sovkhoze selon la loi soviétique, tous ceux qui prétendent à une liberté autre que celle décrétée par l’État au nom du Peuple. Tous ceux qui croient en des dieux, des esprits ou en n’importe quelle autre « supercherie » au lieu de ne croire qu’au Parti et aux lendemains glorieux de la révolution. Ceux-là doivent être éliminés. Eux et leur passé lamentable, leur culture de breloques et de chimères. Et toute leur descendance avec.

  • Dans la steppe. Un soleil de braise empourpre déjà les sommets lointains. Des ombres bleues creusent les montagnes. Le ciel universel s'éteint et je m'allonge sur le dos pour ne plus voir que lui, dans la démesure de son immensité. Je le sens tout autour de moi, plus haut que moi, plus loin que moi, envelopper le monde tout entier jusqu'à des contrées lointaines que je ne connaîtrai jamais.

  • Bien que je n’aie fait que le penser, Gombo me répond. - Petite sœur, ce sont peut-être eux qui, par remords, t’offrent aujourd’hui cette occasion. Ou peut-être que les esprits ne sont pour rien ni dans le crime qui t’a frappée, ni dans la vengeance avec laquelle tu vas frapper en retour. Les esprits veillent essentiellement à l’harmonie entre les hommes et la nature. Je ne suis pas certain qu’ils s’intéressent à celle des hommes entre eux. Ceux-là, pauvres mortels, peuvent bien se jalouser, se combattre et se massacrer, comment compteraient-ils pour les esprits, face à l’univers qui nous survivra ?



Biographie

Né à :Meudon, le 13/08/1949, journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian. Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.
Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.
De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…). De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016). Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion.