L'histoire
3 jeunes cohabitent dans un immeuble parisien. Souleyman, ostéopathe cool, préoccupé par la condition animale, le narrateur Houmam qui rêve de devenir un grand écrivain et la sulfureuse Warda, une journaliste grand-reporter passionnée de vérité.
Un trio de trentenaire, dont les caractères et les intérêts vont diverger lors d'un projet de Warda. Une analyse très fine de la jeunesse arabe en France loin des clichés.
Mon avis
Pour son troisième livre, le jeune auteur Jadd Hilal a choisi de s'intéresser aux relations de trois jeunes trentenaires d’origines musulmanes diverses.
Il a Souleyman, jeune homme cool, qui est ostéopathe de métier mais se passionne pour la cause animale et couche avec Warda sans se poser trop de questions sur l'avenir. Houmam lui rêve de devenir écrivain, erre dans le Paris cosmopolite et branché et est secrètement très amoureux de la seule fille du trio. Warda, une sacrée jolie fille, a un caractère bien tranché, et règne sur les 2 garçons avec une alternance de tendresse ou de cruauté. Car Warda s'est donné une mission : prouver que son grand-père a été parmi ceux qui ont été responsables des massacres de Juifs en Irak au début des années 40 . Elle s'indigne parce que les deux garçons ne la soutiennent pas dans son projet. Cette jeune femme, intelligente, éprise de vérité, féministe qui a rejeté tous les symboles de son éducation est le personnage central de ce livre. Elle passe son temps à se heurter avec Houmam qu'elle traite de tous les noms, parce qu'il ne la suit pas dans son projet. En fait le jeune homme qui a du mal à trouver sa voix d'écrivain est aussi tiraillé par sa vie parisienne et à son histoire familiale, à ce sentiment de culpabilité qui habite Houmam qui a choisi de ne pas suivre les siens en Palestine. Alors chaque fois qu'on s'en prend aux arabes, il se révolte, s'imagine que ce sujet est tabou car il ne fait que renforcer les préjugés, souligner leur sauvagerie. Ce a quoi Warda, affranchie de tous les tabous répond en le virant de leur colocation.
Le jeune auteur raconte avec beaucoup de justesse cette relation d'amour-haine, faite d'élans amoureux suivie de rejets tout aussi intenses. Cette version actuelle de Jules et Jim, d'une femme entre deux hommes, montre aussi combien il est difficile d'aimer tant que l'on n'a pas résolu sa propre quête d'identité. Un mal-être que le sexe et l'humour ne peuvent que dissimuler quelques instants. Drôle, pertinent, il nous montre la jeunesse actuelle, loin des clichés. Ce sont des jeunes bien intégrés dans la société française, malgré les questionnements internes d'Houmam, Lequel aime flâner dans Paris, et se prendre une sérieuse cuite quand tout devient ingérable. Et confond un peu ce qu'il prend pour de l'amour pour la trop flamboyante Warda avec le désir pour cette femme fascinante.
Ici pas de prêche pour ou contre une religion, on voit bien que ces jeunes s'en foutent totalement, ce qui leur importe c'est réussir dans leur métier ou leur quête (protection des animaux, recherche de vérité, quoi écrire), dans un style vif, non dénué d'humour ni de quelques noms d'oiseaux ! Finalement ces trois jeunes sont bien plus la représentation de la jeunesse d'aujourd'hui, quelque soit son origine. Et cela fait un bien fou !
Extraits
La Rose des sables Cette histoire commence avec la découverte que fit Warda Shahid. Je me souviens du jour, de l’heure, de l'instant où tout débuta. Où nous prîmes chacun ce chemin sans retour. C'était en 2017, un soir de juillet. Je quittais les locaux de Champenel à Paris, où je venais de discuter avec mon éditeur Tristan Phoriche de mon dernier manuscrit Hors-sol, et m'engageais rue Clovis. J'étais comme après chaque refus malheureux comme les pierres.
Demeurait toujours, à trente-quatre ans, cette maudite sensation que l'écriture me faisait perdre mon temps. Plus nombreux étaient les mois que je consacrais à tel ou tel texte, plus pénible était l'amertume devant le «non». Même lorsque c'était «oui» d’ailleurs, le bonheur restait en demi-teinte. J'avais publié quelques années plus tôt mon premier roman, Jamais la nuit, qui eut un succès pour le moins discret. C'était une histoire compliquée, démonstrative, qui s'était vendue à une centaine d'exemplaires. J'avais été invité à la RCF, où un journaliste me demanda si j'avais écrit «un livre arabe ou un livre sur les Arabes» et cela fut le coup de grâce, s’il en fallait, à mes velléités littéraires.Warda, Souleymane et moi prenions. Il me fallait trouver Rome. Notre Rome, à tous les trois. Je me mis à écrire. Je me mis à cette histoire que je raconte ici. Celle de notre trio d'amour et d'amitié, qui se séparait petit à petit et que je décidai de réunir tant bien que mal par mes mots. C’était surtout l’éloignement de Warda que j'essayais de conjurer, l'éloignement de ma rose des sables que j'aimais à en crever la bouche ouverte et pour laquelle je craignais de devenir un étranger. Je ne pouvais en vouloir qu'à moi-même. J'avais été un odieux paternaliste, pas vrai, à la juger, elle et ses recherches. Aussi paternaliste que tous ces types qui avaient passé leur temps à lui donner des leçons. Au cours de notre première année à Louis-le-Grand, il y eut déjà ce Brice qu’elle fréquenta et qui consacra des heures entières au Troquet des cœurs à ergoter sur l'importance de l'amour, du couple, de l’horizon à deux pour s'envoyer en l'air. Warda en vint un soir à lui hurler qu'elle ne désirait rien de plus que sa «bite», et l’homélie reprit de plus belle. Sa «bite», ne le saisissait-elle pas, n'était que «l'aboutissement».
Il y a de quoi être emmerdé de ce que cette affaire sur mon grand-père montrerait du Moyen-Orient, d’accord. Mais fermer sa gueule comme tu le fais ? Tu ne vois pas à quel point c’est lâche que tu n’écrives pas sur des cruautés de ce genre, plutôt que sur notre trio dont tout le monde s’en fout.
- La mort, la mort... Il n'y a pas que la mort dans la vie.Elle rit à sa tautologie.
Je me repris, curieusement, à rêver de la vie d'écrivain. C'était idiot, et on ne manqua pas de me le répéter. On me disait «tu es fou», on me disait «tu es irresponsable», on me disait «cinq pour cent! Cinq pour cent des auteurs vivent de leur plume, Houmam Basara! Et toi? Petit étranger né d’ailleurs tu crois en faire partie?» Que répondre? Comment signifier que ce n'était pas un choix? Que je ne souhaitais pas un nouveau travail, une maison à la campagne? Que je voulais seulement faire ce vers quoi tout m'arrachait aussitôt que je ne le faisais pas? Chaque film vu, chaque musique entendue, chaque livre lu. Comment dire que j'étais configuré à présent, comme un chien courant après une balle? Que c'était en somme écrire ou mourir? «Ne savez-vous pas qu'il y a le mot “vain” dans “écrivain”? Croyez-vous que je me fasse des illusions? Croyez-vous que je puisse faire autrement? Ne voyez-vous pas qu'il y a aussi le mot “cri”? Que le cri, on ne le retient pas?» C'est ce que j'aurais dû rétorquer. Mais je le dis, je suis de ceux qui échouent dans la vie. Qui s'en consolent par les mots.
Pendant que je bifurquais, désenchanté, dans la rue Descartes, je reçus un appel de Warda, Warda la «rose des sables» comme je la surnommai un jour en discutant avec Souleymane, le troisième et dernier membre de notre colocation de la rue Monge.
— Ya Allah, mais combien de fois il faut que je t'appelle pour que tu décroches, Houmam? C'était un ton auquel elle m'avait habitué. Elle téléphonait à toute heure, en tout lieu et s’indignait quand nous ne lui répondions pas. Ce jour-là, notre conversation dura peu. J'eus seulement le temps de comprendre que son avion depuis Bagdad venait d’atterrir à Charles-de-Gaulle et que Souleymane et moi avions «intérêt à être là», que nous n’allions «pas en revenir». Je ne mesurais pas, ce soir de juillet, à quel point cela serait juste, à quel point nous ne reviendrions en effet jamais, à ce que nous étions. À quel point les trois bateaux de nos vies prendraient le cap vers une terre nouvelle, d'où ils ne feraient marche arrière.La fameuse circonstance baudelairienne. J'y croyais dur comme fer. Je quêtais, depuis des mois, chaque occasion qui me poussait à prendre telle rue, tel métro. Pourquoi? Pour y trouver de l'inspiration pour écrire, un peu ; pour combler l'ennui, beaucoup. Cette fois-ci, le lapin blanc fut justement un livre de Baudelaire, les Tableaux parisiens, que tenait un homme s'engageant dans le club. Je le suivis et descendis des marches éclairées de rose. La moquette rouge au sol atténuait le bruit de nos pas et le tumulte de la rue extérieure se tut, pendant que nous processions l’un derrière l’autre. Arrivé en bas, je me réfugiai immédiatement sur un tabouret du côté du bar, d’où je fixai mes chaussettes. Quelle idée. Moi Houmam, dans un club de strip-tease? Moi, dont le cœur et les couilles sont prises par celle à qui je ne pus jamais rien dire d'autre que mon silence ?
Biographie
Jadd Hilal, né en 1987,
est un écrivain français, lauréat du Grand prix du roman métis de
la ville de Saint-Denis de La Réunion, du Prix du roman métis des
lycéens et du Prix de la première œuvre littéraire francophone
pour son premier roman Des ailes au loin.
Après des études de
littérature anglophone, Jadd Hilal a vécu un an en Écosse, puis a
été journaliste pour la presse romande en Suisse. Actuellement, il
est chargé d'enseignement à l'université Sorbonne-Nouvelle,
doctorant à l'université Paris-Sorbonne, professeur de lettres et
chroniqueur de philosophie sur Radio Nova.
Il publie son
premier roman en 2018, Des ailes au loin, aux éditions Elyzad.
D'origine libano-palestinienne, il s'est inspiré de son histoire
familiale pour ce roman choral dans lequel se racontent quatre
générations de femmes, de mère en fille, fuyant les guerres du
Moyen-Orient, de 1930 aux années 2000, de Haïfa (Palestine) à
Beyrouth (Liban), en passant par Bagdad (Irak) et Genève (Suisse).
La condition féminine, l'exil sont les thèmes centraux de cette
œuvre. Récompensé en 2018 à La Réunion par le Grand prix du
roman métis et le Prix du roman métis des lycéens, le titre a
figuré sur plusieurs sélections de prix littéraires.
En 2019,
Jadd Hilal est lauréat du Prix de la première œuvre littéraire
francophone et du Festival du premier roman de Chambéry. Il vit
aujourd’hui à Lyon, où il est chroniqueur de philosophie pour
radio Nova et professeur de lettres modernes à l’université
Paris-Sorbonne.