L'histoire
En 1979 à Londres, la diaspora antillaise vit de petits boulots mais le vendredi soir s'amuse en dansant sur du dub reggae, toute la nuit. Des rencontres amoureuses se font, et on vibre aux sons si entêtant du reggae. Yamaye, la narratrice, et ses deux copines ne renonceraient jamais à ce rituel. Et la jeune femme rencontre Moose, un jeune homme charmant qui pourrait bien être l'homme de sa vie. Mais le destin en a décidé autrement.
Mon avis
Voici le premier roman passionnant de Jeanne Crooks qui revient sur ce début des années 1980 en Angleterre.
Elles sont trois copines inséparables : Yamaye qui vit avec un père mutique et alcoolique dans une cité de Norwood en banlieue londonienne. Asase, la belle fille du groupe trouve on ne sait comment assez d'argent pour s’offrir des fringues de luxe, des bijoux et du maquillage. Et puis Rumer, la petite irlandaise, qui suit toujours la fière Asase, un peu la cheffe de la bande. Yamaye travaille de nuit dans une usine et n'attend que le vendredi soir pour aller danser à la « crypte », un reggae club underground situé dans la crypte d'une église dont le prêtre est plutôt un homme sympa. On boit des bières, on fume un peu de ganja. C'est là que Yamaye rencontre Moose, un jeune jamaïcain qui travaille dans un garage, et qui est sérieux. Une vraie idylle se noue, et tout semble bien se passer pour les amoureux. Mais voilà, le gentil Moose est pris à parti dans une rixe et tué par la police. Il faut dire que nous sommes sous le régime de M. Thatcher et le racisme contre ces migrants venus des îles est fort. Au point que des émeutes éclatent, durement réprimées par la police.
Yamaye, noyée de chagrin, reste totalement prostrée. Elle perd son travail, et on l'informe que la police la suit. Finalement, elle est récupérée par un truand notoire, Monassa, un homme cruel qui la viole et en fait sa chose. Elle réussira à lui échapper, et finalement rejoindre son pays d'origine, la Jamaïque. Hors Yamaye, dont on dit que la mère aurait abandonné le foyer lorsqu'elle avait 4 ans (en fait elle s'est noyée), communique avec sa mère dans ce que les antillais nomment l'obeah.
On côtoie dans ce livre l'histoire du racisme anti-noir Outre-Manche, ces femmes qui sortent de l'esclavage pour en subir un autre : la ségrégation et le pouvoir des hommes. Traversé par la voix d'une mère rêvée qui apporte un peu de magie, le livre est rythmé par ce qu'on appelle le dub-reggae, le reggae électronique et toutes ses déclinaisons que les jamaïcaines connaissent par cœur. Yamaye rêve de devenir une DJ, et s’entraîne sans réussir à percer sous la surveillance du gang de malfrats dont elle réussit à s'échapper.
Livre d'apprentissage pour une jeune femme ivre de musique et de liberté, traditions occultes des pays antillais, générosité des femmes qui s'entraident, tout cela forme un combo magnifiquement réussit.
Et peu importe si on en connaît pas toutes les subtilités du dub-reggae, ce sont les émotions renvoyées par les personnages qui nous font comprendre l'importance de la musique dans ces cultures que nous ne connaissons pas vraiment. Et d'ailleurs qui n'a pas vibré aux sons de certaines musiques occidentales ? Le tout est brillamment orchestré par cette autrice venue elle aussi de Jamaïque. Un livre brillant, entre pauses tendresses, humour décalé et rythmes d'enfer, je vous conseille ce roman qui une fois de plus s'inspire de faits réels.
Extraits
Les politiques disent que le pays est submergé par les migrants. Là où habite Moose , un homme du Bangladesh est assassiné à cause de sa couleur de peau .
Guerre à Babylone! (Babylone est le nom donné par les jamaïcains à la police et à l'Etat)Parce qu'aucun endroit n'est sûr - pas les rues, où les flics-veinens-barbelés font la loi ; pas chez soi, où les hommes règnent à la force de leurs poings, aussi déformés que leurs propres blessures. Le seul endroit où vivre et se déchaîner, c'est dans nos coeurs.
Je me dirige vers ma tour, où les rideaux gris-blanc tourbillonnent comme des esprits contre des vitres obscures, où l'ascenseur métallique est un cercueil suspendu entre enfer et paradis.
Je comprends maintenant qu'Asase était mon amie parce que je ne voulais pas d'elle comme ennemie. Je m'étais enfermée dans une prison que j'avais bâtie moi-même.
Il me faut toujours du temps pour comprendre que quelqu’un me fait du mal. Une bonne minute, un jour, un an. Vingt quatre ans. Quatre cents ans.
Elles ne se fient qu’à mon apparence, alors que c’est mon corps qu’elles devraient écouter.
C'est les gens qui sont difficiles à comprendre. La musique, elle, ne ment pas.
Je comprends que c’est ça que je recherche chez lui, quand je le rejoins le dimanche soir. Pas son corps. Mais sa paix.
Biographie
J.Crooks est née en
Jamaïque et a grandi à Londres.Fire Rush est son premier roman.
En
2023, elle a été présélectionnée pour le Women's Prize for
Fiction et le Waterstones Debut Fiction Prize .
Elle est titulaire
d'une maîtrise en écriture créative et de la vie de l'Université
Goldsmiths et propose des ateliers d'écriture à des communautés
socialement exclues, principalement des personnes âgées, des
réfugiés et des demandeurs d'asile, des enfants et des jeunes
défavorisés. La migration des glaces est son premier livre.
Voir ici : https://vimeo.com/832297977
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