mardi 7 mai 2024

Pierre TIERZAN – Cela fait longtemps qu'on ne s'est jamais connu – Editions Quidam 2021 -

 

 

L'histoire

Pierre Tierzan nous raconte son année à Montréal, ou il fut animateur intérimaire pour les enfants dans les nombreuses garderies du Québec.


Mon avis

Voilà un livre charmant et tout mignon, qui laisse la parole aux enfants (entre 2 et 7 ans). Pierre Tierzan part vivre un an avec sa femme québécoise à Montréal. Jeune auteur, il lui fait quand même un job pour vivre. Il s'inscrit alors dans une agence d'intérim chargé des trouvés des remplaçants aux animatrices ou animateurs des nombreuses garderies de Montréal, qui accueillent des enfants de 2 à 7 ans, que ce soit sous forme de crèche ou d'endroit où les parents qui travaillent peuvent laisser leurs enfants les jours sans école.

Hors souvent, il s'agit d'enfants des quartiers pauvres, dont les parents sont soit en difficulté sociale, soit dans des métiers aux horaires décalés ou des métiers difficiles.

Le récit est entrecoupé par les bons mots des enfants, et Pierre en a vu défiler. Entre les chamailleries, les activités de plein air, le parler canadien, et aussi l'impression que les canadiens n'apprécient pas tant que cela les français d'origine (un peu trop donneurs de leçons), Pierre noue des liens attachants avec tous ces gosses, dont certains ont déjà un sacré caractère.

Le texte est entrecoupé entre chaque petit chapitre des citations des enfants, vous savez les bons mots que sortent les petits et qu'on raconte dans chaque famille, devant le génie de sa progéniture !

Mais il pointe aussi du doigt des adultes dépassés, le manque chronique de personnel, les tâches ingrates. Mais le tout est sous le joug de la bonne humeur, de la joie que l'on a devant ces petits impertinents ou timides, joueurs, bagarreurs, philosophes à leurs heures. On rit beaucoup, sans oublier l'immense tendresse de l'auteur, face à ces petits, qu'il apprend à connaître et à aimer, et c'est bien réciproque. Les portraits de nos chères têtes blondes, brunes, rousses, métissées en tout cas sont particulièrement réussis, les bons mots et « l'imitation » des adultes très bien restitué. Voilà un livre qui nous rappelle notre enfance mais aussi notre part d'enfants en nous.

Une lecture facile, des plus réjouissantes. On en redemanderait encore !


Extraits

  • J’aime quand tu m’appelles Pierre, Gaëtan. Et j’aime quand tu me dis « bon matin ». On n’a pas ça chez nous, « bon matin ». C’est pour ça qu’on a des matins de merde. La bonne humeur québecoise, c’est quelque chose. C’est bien plus qu’une curiosité touristique. C’est un impératif moral, quasi religieux, un truc de pionnier. « Le cœur vaillant et débonnaire de notre peuple » m’a dit le daron de ma blonde, la première fois que je l’ai rencontré. Ça fout la pression. Tu te sens tout petit tout laid avec ta grosse massue plaintive. Souvent je me paie le soupir-massue, celui qui me caresse le plexus, qui m’aide à me sentir en vie. Quand y a plus de beurre, quand le recyclage déborde. Raaaa. Je jette mon grand vent froid sur la cuisine et ses habitants. Ma femme, ça la révolte. Elle me demande si je viens d’apprendre que j’ai le cancer. Elle veut me faire mal, la bitch. Elle trouve ça laid. Elle a pas tort. Faut tenir debout, question de culture. Avec leur « Bon matin », c’est radical, t’as l’impression de mettre le pied dans une comédie musicale. Tout devient rose et vert pastel et les décors se mettent à bouger. histoire était meilleure.

  • Nous avons été coupés par la Ministère. Nous n’avons plus de accounting pour le moment. – Comptable. – Oui… Dézoulé, it’s absolute chaos right now. –
    C’est pas grave. – Mais tu seras payé, don’t worry. Est-ce que tu es prévenu pour le bilingual daycare, Pierre ?– Ah ? C’est bilingue ?– Yes, of course. Do you… speak english ?– A litteul…– A little ?– Bit. A litteul bit. Un silence. Rebecca hausse les sourcils, découragée. – Tu peux parler le français si tu incommodes, les enfants peuvent switcher. Ça fait longue temps que tu travailles comme un remplaçant, Pierre ?– Non. Pas du tout. C’est mon premier jour.Nouveau silence. Rebecca écarquille les yeux, et se fige.– Ta première jour ? Ever ? And they send you here ? – Oui, pourquoi ? – Because… it’s fucking hell ! Elle rit à gorge déployée. Un rire de Nord-Américaine. Une explosion dans le couloir. La chevelure rousse qui frissonne et tout et tout.– My gosh, j’ai la pression qu’ils envoient ici toutes leurs nouveaux pour voir s’ils sont queupables. You know… « If you can make it here, you can make it anywhere… » Des années de rires frénétiques et d’emmerdements. Rebecca a la quarantaine, une voix nasillarde de chanteuse country, petite, avec une grosse tête à tignasse, une taille de guêpe et des fesses très larges. On dirait qu’elle a été assemblée au hasard, par un enfant de la garderie, comme une Madame Patate. Elle ramasse une botte rouge qui traîne et la met dans le casier de « JULIETTE ». Ça sent le pâté chinois, le hachis parmentier québecois, avec du maïs dedans. Le détergent, aussi. Le café filtre. Moi je me sens grand et mou, à la suivre dans le couloir comme Averell. Intrus. Naïf. Nouveau. C’est ça, la réalité du remplaçant : tu seras toujours nouveau, tout le temps, partout. Ce sera toujours ta première journée, à ta nouvelle job, comme ils disent.
    Soudain, Rebecca s’arrête devant une grande vitre. Un tableau animé. Ultra coloré. Lumineux. Le voici : le local. Mon bocal. Des plantes, du sable, de l’eau, des livres, des maracas, des matelas bleus, de la pâte à modeler, des costumes brillants, des blocs de bois, des petites chaises, des petites maisons, des petits ustensiles et, propulsés par une force surnaturelle, des petits corps, aléatoires, exponentiels, une houle de cheveux, de doigts, de morve, DES ENFANTS PARTOUT.

  • Lauren est forte. Elle s’en bat les couilles. Comme on dit. Elle me fascine. J’essaie de ne pas trop le montrer, mais je bois ses paroles comme un petit chevreuil au ruisseau. Elle parle sans chuchoter. Sans craindre que les enfants se réveillent. Elle m’explique que leur programme mise sur la fierté et la créativité engendrées par la connaissance des croyances collectives traditionnelles autochtones. La personnalité de l’enfant est conçue comme partie d’un tout (conception holistique), et non une fin en soi. (…) Les enfants ronflent. Ils sont en sécurité. Lauren les protège. Lauren a confiance en l’avenir. Moi aussi. D’un coup. J’ai confiance en Lauren.

  • C'est pas si pire, finalement. C'est même le fun, parfois. J'aime les enfants. L'enfer, c'est les adultes. Les enfants, d'où qu'ils viennent, sont des enfants. Les adultes, d'où qu'ils viennent, sont comme moi. Consommateurs moroses, citoyens désespérés.

  • Zoé, est-ce qu’on a le droit de crier à la garderie? -C’est pas moi qui a crié. C’est ma tête.

  • Personne n’ose le dire, mais les enfants, en vrai, c’est une bande skins dans une ruelle. Tu te fais marave.

  • Je m’acclimate. Par exemple, je m’habitue petit à petit aux prénoms à la con. Olivia-Juliette ? Brandon Junior ? Jean-Léon ? Logan ? Je croyais que c’était un nom de bagnole ? Ici les gens décident tout à coup de réinventer l’orthographe d’un prénom : Aimyle. Ah ? Ok. Enchanté. Moi c’est Pillaire.

  • A Saint-Michel, les enfants circonspects regardent leur assiette. - C'est du poulet? - On dirait du vomi. - Dans notre ventre, il fait noir. - Rouge et noir.- Dans notre ventre, y a des petits bébés.- Y'a des petits bébés et du vomi. - Mon grand-papa il a mangé trop de médicaments alors il a vomi du caca.


Biographie

Né en 1979, Dramaturge et metteur en scène, Pierre Terzian signe avec Crevasse son premier roman, il vit entre la France et le Québec.
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Terzian

Son site : https://www.pierreterzian.com/


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