L'histoire
Claude, jeune femme volontaire est obligée de se déguiser en homme pour exercer son métier d'inspectrice du travail. Elle enquête sur la mort mystérieuse d'un ouvrier des glaces. Nous sommes dans l'Ain, en 1893. C'est l'heure des usines, de la Révolution Industrielle. De son coté Sœur Placide accueille des jeunes filles qui sont destinées à être formées à la florissante industrie de la soie. Un pensionnat où entre éducation religieuse et travail de 12 heures par jour, ces toutes jeunes filles sont mise à rude épreuve pour un salaire de misère. Sous ces airs de femme dure, Sœur Placide s'intéresse à une jeune fille qui ressemble à Léonie, sa petite protégée de jadis dont elle n'a plus jamais eu de nouvelles.
Deux enquêtrices aussi éloignées l'une de l'autre pour résoudre un mystère commun.
Mon avis
Pour son premier roman, Cécile Baudin, va explorer sa région natale au temps de la révolution industrielle. Fini le temps où le pays vivait de l'agriculture, et de petits commerces, l'heure est aux grandes usines qui emploient presque toute la population. Surtout les soieries Perrin, réputées pour l'excellence de leur travail. Les cocons sont importés de Chine et doivent subir plusieurs traitements avant d'être filés. Pour cela, un étrange partenariat a été passé avec les autorités religieuses. Un bâtiment de 10 étages accueille chaque année un lot de fillettes de 8 à 14 ans. Formées dans la plus pure tradition du catholicisme, elles sont ensuite affectées à des travaux pénibles, 12 heures par jour, sauf le dimanche. Mal payées, elles ne toucheront leur paye qu'à la fin de leurs travaux, de quoi se payer un trousseau car elles sont des épouses recherchées, pour savoir conduire le ménage et pourquoi pas ouvrir un petit atelier de couture.
Avec astuce, via un polar historique fascinant, l'autrice s'en donne à cœur joie pour dénoncer ce capitalisme qui pointe son nez, et le sort des femmes. Car l'argent ne profite qu'aux riches, aux propriétaires des usines et de leurs cadres. Ceux-ci se croient tout permis, y compris les violences faites à ces femmes pauvres, sans réelle instruction.
Pour inverser la tendance, l'écrivaine donne vie à deux sacrées femmes : Claude est une femme déterminée et bien décidée à démontrer que son statut de femme ne l'empêchera pas de mener à bien sa carrière. Certaines de ses missions sont interdites aux femmes ? Qu'à cela ne tienne, elle s'affublera d'une fausse moustache et d'une redingote. Après tout, Claude est un prénom épicène, non ? Cela nous permet de bien appréhender quelle était la place du sexe dit faible dans la société de l'époque. Edgar est passionné de photographie, là aussi les détails sont une vraie mine d'or pour le lecteur. Sœur Placide s'investit beaucoup pour ces fillettes dont elle a la responsabilité. Et elle ira jusqu'au bout pour savoir ce qui advenue de sa petite protégée de jadis, Léonie, qui n'a plus jamais donné de nouvelles depuis son mariage, en prenant des risques insensés dans ce pensionnat où tout le monde surveille tout le monde.
Alternant les récits et les enquêtes des deux femmes, l'intrigue semble complexe, les premiers chapitres étant un peu lents à mon goût, mais il faut bien restituer l'ambiance particulière de l'époque. Écriture fluide, suspens qui nous apprendre à jouer au détective, voilà un roman bien écrit, qui est le premier de l'autrice.
Extraits
Au-dessus d’eux, un peu plus loin devant, on reconnaît la forme d’un homme, pendu par le cou, bien qu’il paraisse également retenus par les bras, dans une posture grotesque d’oiseau en vol. Le visage n’est pas discernable, car la tête penche en avant, menton sur la poitrine, selon un angle biaisé et impossible. Claude comprend que les fils précieux avec lesquels l’homme s’est entravé ont entaillé près de la moitié du cou, comme du beurre, détachant partiellement la tête du corps.
Ce n’est rien de dire que le malheureux ne tient plus qu’à un fil…Ce qu’elles mangeront, l’heure de leur réveil, de leur toilette, de leur coucher, tout ce qu’elles feront entre les deux, le moment de la matinée où elles iront se soulager, le choix de leur activité récréative, tout respectera désormais le règlement à la lettre. Au moins pendant trois ans, et, pour la plupart d’entre elles, jusqu’au mariage. La plus vieille de ces filles n’a pas quatorze ans.
S'il n'y avait eu qu'elle, cette enquiquineuse, et eux, ces étranges sosies, Edgar serait retourné à ses développements photographiques et à ces procès-verbaux qu'il envoie pompeusement au procureur, prétextant les avoir rédigés lui-même. Mais il y a l'âcre douceur de la Saône, et la talentueuse cuisinière de Julien. Il sent déjà l'odeur salée de la petite friture qu'elle lui prépare, à peine farinée et citronnée, encore frémissante à la sortie du bain d'huile, comme si les poissons frétillaient encore.
Le lendemain, Claude est contrainte de se grimer à nouveau (...). A la fabrique, c'est ainsi qu'on la connait, avec ses cheveux plaqués sur son crâne et sa moustache élégante. Un gilet d'homme et une redingote sévère sur son torse plat. Si elle se présentait subitement en tant qu'elle-même, on ne se dirait pas qu'elle était auparavant déguisée en homme. On en déduirait plutôt que l'homme a rasé sa moustache et s'est travesti en femme. Il est curieux de constater que chez les gens, la première vision reste toujours la référence, comme un ancrage automatique de la raison. Ce réflexe doit jouer bien des tours à de nombreuses personnes.
Jacquet est enfin arrivé au plus près du bord. Il pose sa lampe sur la glace, à sa gauche. Il râle déjà à l'idée qu'il va lui falloir ouvrir son pantalon de velours, puis son caleçon, et offrir ce qu'il a de plus précieux à la morsure de l'hiver. D'expérience, il redoute le moment où il devra viser le plus loin possible, avec un sexe réduit à la taille d'un goujon, et pas beaucoup plus facile à attraper.
Le gendarme n'a jamais rencontré d'inspecteur du travail. Un instant, il se demande si cela existe vraiment. Peut-être, après tout. De nos jours, il y a des inspecteurs pour tout et n'importe quoi. Ça, et des commissions.
Cette hiérarchisation des taches permet de coller à l’ordre naturel, les hommes étant mieux payés que les femmes, et les enfants, moins que les adultes. La rentabilité est à ce prix : la concurrence grandit, avec la Grande-Bretagne notamment, et les cocons doivent désormais s’importer du Japon.
Biographie
Cécile Baudin est une
auteure française née à Lyon en 1972 , Après des études
scientifiques à l'Université Claude-Bernard-Lyon-1 (1990-1995),
elle a intégré une entreprise de transport de voyageurs.
Tout
au long de sa carrière dans le transport (1995-2007), puis dans le
BTP (2007-2011), et enfin à son compte, elle a également eu la
chance de découvrir la Lorraine, la Charente Maritime, et l'Ile de
France.
Son métier de DRH lui a permis de comprendre et de mettre
en valeur de nombreux métiers industriels, artisanaux, ou de
services. Tous essentiels, tous passionnants, tous constituant un
patrimoine précieux de la culture et de l'histoire françaises.
En
2019, elle a décidé de donner une chance à son rêve d'enfant,
l'écriture. "Marques de fabrique" a été publié en 2022
par France Loisirs.
Cécile Baudin réside en Seine-et-Marne.
Son site : https://www.cecilebaudin.fr/
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