mercredi 26 juin 2024

Suzie YANG – Ivy – Livre de Poche - 2023

 


L'histoire

Ivy, chinoise confiée à sa grand-mère arrive aux USA, près de Boston où sont déjà installés son père, Nan sa mère et le petit dernier Austin. Le changement est rude pour cette petite fille à qui la grand-mère qui se méfie des américains a appris toutes les astuces pour voler, surtout des babioles sans intérêt. En conflit permanent avec sa mère qui exige des bonnes notes car elle veut voir sa fille rentrer dans une université, Ivy, égocentrique, inquiète du regard des autres abandonne ses études pour devenir institutrice, et décide coûte que coûte d'épouser un ami d'enfance Gideon, fils de sénateur et bel homme en plus. Mais on ne gagne rien sans un petit effort...



Mon avis

Pour son premier roman Suzie Yang a choisi de nous présenter une héroïne totalement dénuée de scrupules et de morale. Ivy est une voleuse, une menteuse, en conflit perpétuel avec sa mère. A la suite d'une bêtise, elle est envoyée en Chine, chez sa tante riche qui la couvre de cadeaux, la jeune fille qui entre temps est devenue très jolie, fait un rejet total de ses origines chinoises, et surtout est bien décidée à conquérir le cœur de Gideon, fils d »un sénateur, qui est un gros bosseur. Sa famille est riche mais on ne montre pas l'argent. La maison de vacances, restée un peu dans son jus, la simplicité avec laquelle Ivy est acceptée, la complicité immédiate avec Poppy, la mère de Gideon sont des atouts un peu trop faciles. Ivy veut le mariage et rien d'autres. Elle décide de reprendre des études d'avocate, mais l'idée de devoir travailler dur la fait renoncer. Surtout, elle renoue avec Roux, un type devenu riche grâce à la mafia locale. Mais Roux, personnage peu sympathique est fou amoureux d'Ivy, et promet de rompre son mariage en avouant aux fiancés leur liaison et le passé de voleuse et menteuse de cette fille dont il pense qu'elle lui ressemble.

Ici avec son héroïne atypique, la morale en prend pour son grade. Mais Ivy n'est pas non plus une personne qui sait maîtriser son sang-froid, pas toujours du moins. Elle vit dans l'angoisse que Gideon ne l'aime pas vraiment, et continue d'avoir des rapports difficiles avec sa famille, qui pourtant veut financer le mariage. Ivy n'a pas compris qu'à force de travail, les siens sont devenus riches et respectés. Et sont bien plus gentils avec elle qu'elle ne le pense.

Émigration, famille, rêve américain sont au cœur de ce livre, qui alterne entre humour noir, et ambiance angoissante. Ivy se rend malade physiquement, et surtout, n'a pas d'ambitions : à part devenir une parfaite maîtresse de maison, elle n'étudie pas, pique de l'argent à Roux qui laisse faire pour s'acheter fringues de luxe et maquillage. Elle est peu empathique Ivy, parfois elle nous agace à ne faire aucun choix, et pourtant elle reste aussi attachante par ses émotions.

Écriture simple, psychologie approfondie des personnages, y compris les secondaires, ce premier roman, même si il comporte un peu de longueurs et redites est amusant à lire. Parce qu'on ne croise pas tous les jours une héroïne qui joue sa vie sur un fil, qui ne comprend pas l'éducation stricte chinoise donnée par sa mère, qui veut voir ses enfants réussir et qui renie ses origines. Le titre original est « White Ivy », ce qui est assez approprié.

Bref une lecture détente, pas mal de rebondissements et une idée assez drôle du poids de la femme ballottée entre deux cultures.


Extraits

  • Elle remarqua la fossette sur sa joue droite, pareille à une virgule sur une page vierge, et se demanda pourquoi il ne cherchait pas à soigner son apparence. Il serait sans doute mignon s’il y mettait un tant soit peu du sien. S’il portait les bons habits, se faisait couper les cheveux, souriait à quelques filles, alors bim ! – transformation. Lui qui pourrait si facilement passer pour le jeune Américain-type ne faisait aucun effort dans ce sens ; alors qu’elle, qui se donnait tant de mal à parfaire ses tenues et ses manières, aurait toujours la peau jaune, les cheveux noirs et le nez épaté, son moi extérieur dissimulant le fait qu’elle était américaine ! Américaine ! Américaine ! Une telle injustice la blessait profondément.

  • Elle se sentait seule, pourtant ce n’était pas d’amitié dont elle avait envie. Filles et garçons « traînaient » à l’école, mais les choses passaient à la vitesse supérieure en dehors du collège, aux fêtes ; or Ivy n’était jamais invitée à aucune fête. Elle avait appris (en théorie) le mécanisme des jeux populaires tels que celui de la carte, de la bouteille, des sept minutes au paradis, de la pomme, du clin d’œil, ou d’action ou vérité – un grand classique – ainsi que d’autres actes qui ne relevaient pas de jeux mais de la vraie vie. Dans le vestiaire des filles, elle entendit Liza Johnson raconter que Tom Cross avait défait sa braguette et guidé la main de la jeune fille vers son entrejambe – « pendant que mon père était en train de conduire ! »

  • Même si l'une parlait roumain et l'autre chinois, Ivy remarqua l'étrange similitude entre les cris de Mme Roman et ceux de Nan, pareils à une nuée de corbeaux furieux, les consonnes abrégées et durcies par la colère. Peut-être la colère était-elle l'unique langage universel.

  • Comment donc cette modeste fille aux grands yeux en était-elle venue à voler, exactement ? De la même manière que l'eau s'infiltre dans les plus minuscules interstices entre les rochers, sa personnalité s'était façonnée en formes biscornues autour de la structure rigide de son éducation chinoise.

  • Jamais elle ne pourrait faire comprendre à cet homme simple et droit que chez une femme, les morceaux les plus fragiles étaient composés de millions de coups d'œil furtifs et de commentaires insoucieux lancés par autrui ; c'était ça l'identité.

  • C'était là le problème quand on recevait trop de bonheur à la fois. Si on n'avait pas le temps pour s'adapter, la douleur de son absence soudaine devenait insupportable.

  • Donner d’une main et prendre de l’autre. Mais pour l’instant, elle préférait taire les humeurs de sa mère, les coutumes chinoises de sa famille, ses propres larcins. Que ce soit des informations ou de l’argent, il était imprudent de donner sans rien exiger en retour. Jamais on ne pouvait les récupérer.

  • Jamais elle ne se montra trop cupide. Jamais elle ne se montra imprudente. Surtout, jamais elle ne se fit prendre. Même si on l’accusait un jour de quelque méfait, ce serait sa parole contre celle de l’accusateur. Cette idée la rassurait – et s’il y avait bien une chose dont elle s’enorgueillissait, en dehors d’être une voleuse, c’était d’être une menteuse hors pair.

  • Toutes ces héroïnes avaient une chose en commun : leur beauté. Ivy en conclut que la beauté extérieure était la fontaine d’où jaillissaient toutes les autres caractéristiques désirables – l’intelligence, le courage, la volonté, la pureté de cœur.

  • Elle apprit facilement l’anglais – elle ne se souvenait en effet pas de l’époque où elle ne comprenait pas cette langue – et devint une lectrice précoce. La minuscule bibliothèque mal entretenue de West Maplebury, administrée par une bibliothécaire à moitié sourde, servait à Nan de baby-sitter gratuite.

  • Comme nombre de parents immigrés, Nan et Shen ne voulaient qu’une chose pour leur fille : que celle-ci devienne médecin. Ivy n’avait qu’à s’écrier : « Je veux être docteur ! » pour voir le visage de ses parents s’illuminer de satisfaction, ce qui chez eux se rapprochait le plus de l’amour et qui était Tout aussi rare.

  • À cause de ces joues, on la prenait souvent pour une élève d’école primaire quand elle avait quatorze ans – inconvénient fâcheux dans tous les domaines sauf dans celui du vol, où son apparence enfantine s’avérait un camouflage fort utile.

 

 

Biographie

Susie Yang est une romancière.
Elle a émigré enfant aux États-Unis. Après un doctorat en pharmacie de l'Université Rutgers puis une carrière dans le codage informatique à San Francisco, elle a repris des études de création littéraire à Tin House et à Sackett Street.
"Ivy" ("White Ivy", 2020), son premier roman, est l’une des dernières sensations de la scène littéraire américaine. Elle réside au Royaume-Uni.

Son site : https://www.susiebooks.com/



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