samedi 3 août 2024

Victor GUILBERT – Terra Nullius – J'ai Lu - 2023

 

 

L'histoire

L'inspecteur Hugo Boloren n'a pas le moral. Sa mère, grande journaliste reporteur souffre de la maladie d'Alzheimer, et Hugo doit consulter un grand spécialiste à Lille. Le parisien est aussi mis à contribution pour aider la police locale sur le meurtre d'un petit garçon Jimcaage et d'un autre gravement blessé, dans ce qu'on appelle « Terra Nullius », une énorme décharge à ciel ouvert entre la France et la Belgique. A ces pieds, un campement de miséreux, de sdf, sans papiers et autres dont faisait parti le petit garçon. Aucun signalement aux services sociaux, et un « trésor » évoqué par l'enfant. Il est temps que la petite « bille » dans la tête de l'inspecteur face « ding ».


Mon avis

Deuxième tome sur 3 des enquêtes d'Hugo Boloren (après Douve déjà apprécié par la critique), nous nous retrouvons à Lille et ses environs.

Alors qu'il accompagne sa mère, qui fut autrefois une grande journaliste et qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer, consulter un spécialiste à Lille, Hugo est sollicité par la police locale pour résoudre une affaire étrange. Entre la France et la Belgique gît une décharge illégale montreuse comme des collines de déchets. Les deux pays se renvoient la balle sans solutions. Pas plus qu'ils ne s'intéressent au campement de fortune installés aux pieds des déchets : une communauté de sdf, de sans papiers, de migrants refoulés à Calais où semble régner en matrone une vieille femme du nom de Mani.

Hors un jeune garçon de 12 ans, Jimcaale, confié aux bons soins d'une vieille femme est dans un état de mort cérébrale suite à une agression, suivie de celle moins dangereuse de son ami, un petit garçon d'origine asiatique qui lui a une famille.

Il doit seconder les inspecteurs lillois qui lui font goûter aux spécialités locales et surtout à la bière. Tout en suçant des carrés de chocolat noir pour suivre son sevrage tabagique, la petite « bille », la petite étincelle qui permet le déclic pour trouver la solution à cette enquête trouble ne vient pas vraiment. Hugo se creuse la tête, pour mettre en place ce puzzle ou plutôt ces puzzles qui ne s'assemblent pas. Pour cela, il peut compter sur l'aide bien venue de Lulu, la stagiaire et d'un trimoin (le même témoin dans 3 affaires distinctes) qui n'a juste que 2 petits mensonges à son actif mais est ravi de trouver une vraie place dans une vraie enquête. Drogue, misère, abandon des services publiques, trahisons sont au rendez-vous de ce polar qui s’accélère au fil des pages. Atypique, angoissé chronique, le personnage central nous sort un peu des sentiers battus du héros mais sans en faire un total anti-héros, il est un peu « le monsieur tout le monde » avec ses doutes, ses petits plaisirs. Les personnages secondaires sont attachants aussi, avec l'humour nécessaire dans cette ambiance sombre.

L'auteur dénonce aussi, mine de rien, tous les laissés pour compte, qui subsistent de dons, de petits vols et de débrouilles et ces décharges immondes qui polluent le monde. Mais ici, la grande décharge renferme dans ses entrailles quelques drôles de secrets. Un bon polar bien mené dans un style fluide. Lecture estivale parfaite.



Extraits

  • Côme a déjà commandé une tournée de bières que la serveuse propulse sur notre table sans faire tomber la moindre goutte. Je suis sensible à cet art de la dextérité bistrotière. «  Bière de Snick, la lambic authentique qui tombe à pic » est inscrit en lettres rouges sur les verres. La serveuse zélée précise à mon intention qu’en vrai, c’est pas une lambic, c’est pour la rime. On lève nos pintes en attendant que l’un de nous lance une sentence à propos. Rien ne vient, alors on hoche la tête, on ferme les yeux et on savoure la première lampée de Snick. prendre le temps d'être là, dans la steppe, immobiles. Il suffit d'écouter et de regarder pour avoir l'air d'un sage.

  • Vais-je reprendre un carré de chocolat ou me décider à réduire ma consommation ? Je soupire. C’est un leurre de croire qu’on se libère du tabac. Ces carrés de chocolats noirs millésimés, je peux me convaincre que je les savoure, que je les suçote… La vérité, c’est que je les fume. J’apprécie bien plus le manque vaguement comblé que le goût amer du cacao d’exception.

  • J’allume la petite radio sur ma table de nuit, cadeau de mon père à l’adolescence. Les transistors des années quatre-vingt-dix tiennent plus longtemps que les portables sortis il y a trois ans.

  • Il n’aime pas l’idée que certains jours mériteraient de ne pas être vécus, la vie est trop courte pour en jeter des morceaux.

  • Et puis, il y a le problème du doute, cette goutte amère capable de vous ruiner toute une marmite de certitudes.

  • La chaleur donne soif et la bière lilloise donne chaud. Un cercle vicieux qui s’autoalimente sans que ce soit désagréable.

  • C'est l'avantage d’être un casanier qui ne tient pas en place. J'ai toujours envie de rester chez moi, mais je me sens chez moi partout où je vais. C'est peut-être la définition du voyageur, d’être un pantouflard ambulant.

  • Je sais pourquoi vous ne voulez pas voir de psy. Fouiller dans le subconscient d’un flic, ça revient à creuser un trou dans le sable à marée haute.

  • Le jeune inspecteur sous-entend la dépression sans la nommer, cette fois-ci. Ce qui ma fait prendre conscience que je prononce rarement le mot "Alzheimer" en évoquant ma mère. La pudeur linguistique, c'est le déni de la pensée.

  • D'habitude, ces bouledogues français dégagent une aura sympathique, mais celui-là a le museau méchant. Une petite dent poussée de travers pointe à l'extérieur de ses babines et sa collerette vétérinaire trop grande lui donne de surcroît un air parfaitement stupide. L'illustration réussie de l'idée qu'on peut se faire de bête et méchant, pense Raphaël.

  • Le plus difficile à nier, c’est l’odeur insupportable. La décharge d’un côté, les habitations insalubres de l’autre, et le soleil qui tape fort au-dessus en prenant soin de développer les arômes.  

  • Le petit pouvoir pousse aux grandes phrases chez les petites personnes.

  • Les policiers sont comme les touristes ou les pigeons, personne n'aime ceux qui viennent de Paris.

  • Le téléphone de Lorraine vibre sur la table et son visage s'éclaire quand elle découvre le nom de "Cyril" qui s'affiche sur l'écran. Je me retiens de justesse de pousser un cri de surprise embarrassant. C'est la première fois que je vois un sourire qui a ce pouvoir, cette faculté de donner l'impression qu'il émet de la lumière à travers les pores de la peau. Comme si un excès de charme dégoulinait de la figure. Il a fallu que "Cyril" apparaisse sur son téléphone pour amorcer ce miracle. Je lui envie cette joie simple. Elle s'excuse, radieuse, s'éloigne, splendide, et répond, merveilleuse. Est-ce qu'il y a déjà eu quelqu'un quelque part qui me fasse rayonner le visage d'un coup de téléphone ?

  • La bille tente une arrivée en force, je la repousse en inondant mon esprit d'une lampée de bière à la limite de l'étoufement. Je veux transformer la bille en bout de puzzle, faire du concret avec de l'abstrait. Elle a repéré un nouvel élément dans le fouillis de mes pensées, elle va se perdre, elle se réveille trop souvent en ce moment. Je termine ma Snick et me tourne vers Lulu et le trimoin. - Vous avez des choses à me raconter?  

  • La plus grande décharge sauvage à ciel ouvert de France, les hectares de la honte comme on le murmure dans la région et jusque derrière la frontière belge qui la jouxte de trop près.

  • j'avale le dernier morceau de mon sandwich franco belge, preuve que lorsque des pays unissent leurs forces, ils peuvent faire de grandes choses


Biographie

Victor Guilbert est un auteur de théâtre, romancier et nouvelliste né en 1983. Il a fait des études au Cours Florent. Diplômé de lettres modernes à la Sorbonne, il a obtenu un Master 2 en linguistique.
C’est grâce au théâtre qu'il fait ses premiers pas dans le monde de l’écriture en proposant des pièces qui seront jouées entre Paris, la Normandie, jusqu’à Shanghai. Son spectacle, "Chroniques d'un débridé", a tourné en Chine et en France durant deux ans. Il se lance par la suite dans la rédaction de textes de chansons, sketchs, nouvelles, dont certaines primées, et rédige des articles pour divers blogs.

Après avoir vécu plusieurs années à Shanghai, où il a dirigé la Troupe de Théâtre Francophone de Shanghai, il habite désormais à Paris où il travaille comme rédacteur et blogueur en parallèle de ses activités littéraires. En 2017 sort son premier roman, "L’histoire fabuleuse du Français insouciant devenu Chinois insurgé", aux éditions Hikari. "Douve" (2021), son premier roman policier, a reçu le prix du meilleur polar 2022 au salon Saint-Maur en poche. Victor Guilbert remporte le Prix "Le Point" du Polar européen 2022 pour son roman "Terra Nullius" (2022, Hugo Thriller).

Son site : https://www.victorguilbert.com/


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