vendredi 18 octobre 2024

Jim FERGUS – Chrysis – Éditions Le Cherche-midi - 2013

 

 

L'histoire

Qui se souvient aujourd'hui de la peintre française Gabrielle « Chrysis » Jungbluth qui fréquenta le Montparnasse d'entre-deux guerres et qui fut une des première femmes peintre a être totalement décomplexée, dans une société où la vie des femmes était encore réduite aux tâches ménagères ? Jim Fergus nous conte la vie de cette peintre exceptionnelle, inclassable et à la vie libre.


Mon avis

C'est en chinant chez un antiquaire niçois que Jim Fergus trouve un tableau signé Chrysis Jungbluth et peint en 1925. Il l’achètera un an plus tard, le fera restaurer et encadrer. Mais du coup, sa curiosité envers cette artiste est grande. Il lui faudrait faire des recherches et des voyages en France pour retracer la vie de cette femme au destin particulier.

Certes il y mèle une folle histoire d'amour avec un « cow-boy » nommé « Bogey », héros légendaire de la guerre 14/18, pour souligner le caractère passionné de cette artiste dont on sait peu de choses.

Gabrielle Jungbluth, née en 1907 à Boulogne-sur-mer, est une artiste peintre française. Son surnom de Chrysis vient du nom d'une héroïne de Pierre Louÿs, romancier alors très à la mode, roman érotique qu'elle n'aura jamais du lire. Elle choisira alors le prénom de Chrysis pour signer ses toiles.

En1925. Gabrielle Jungbluth, âgée de 18 ans, entre à L'Atelier de Peinture des Élèves Femmes de L'École des Beaux-Arts, pour travailler sous la direction de Jacques Humbert, qui fut le professeur de George Braque. Exigeant, colérique, cassant, Humbert, âgé de 83 ans, règne depuis un quart de siècle sur la seule école de peinture ouverte aux femmes. Il y enseigne la rigueur et la technique. A cette époque l'étude des nus masculins entièrement dévêtis est interdit aux femmes. Peut importe pour Gabrielle qui profitant de l'absence de ses parents, va aller dans un bordel fréquenté par tout le Montparnasse artistique de l'époque. Elle participera même à des orgies, et ne tardera pas à se perdre dans les plaisirs désinvoltes et à devenir l'une des grandes figures de la vie nocturne et émancipée du Montparnasse des années folles. De même elle va s'habiller de façon bohème, créant son style et sa mode. Ce n'est qu'à sa majorité qu'elle pourra s'affirmer devant ses parents. Elle présentera deux toiles au salon des indépendants de 1928. Bien qu'aucun biographe sérieux ne soit penché sur sa vie amoureuse, Fergus décides que son héroïne rencontrera Bogey Lambert, un cow-boy américain sorti de la légion étrangère, avec qui elle va vivre une folle histoire d'amour. Mais Bogey est né au Colorado et Chrysis sait que sa peinture, où elle n'hésite pas à présenter des toiles érotiques, ne peut se faire qu'à Paris. Bogey repartira dans son ranch où il épousera Lola, une prostituée qu'il avait connu à New-York, en attendant un bateau pour rejoindre la Légion Étrangère venue aider la France dans sa guerre contre l'Allemagne, et dont il sortira blessé mais aussi fortement marqué. Chrysis, elle, après son succès au Salon des Indépendants continuera de peindre avant d'épouser en 1938, un médecin martiniquais Roger Narfin qui soignera les blessés de la seconde guerre mondiale. Elle finira par vivre en Martinique jusqu'à sa mort en 1989 à l'âge de 82 ans. Elle continuera à peindre, des scènes de la vie quotidienne mais sans la fraîcheur des débuts. Elle doit aussi gérer la famille qu'elle a fondé avec Roger. Loin de Paris, où elle revint plusieurs fois, notamment pour le décès de ses parents, elle finit par être oubliée du milieu artistique.

Jim Fergus achètera toutes les toiles qu'il trouvera de cette artiste si libre, ayant eu l'érotisme comme thème de prédilection pour ses toiles, une pionnière qui ne s'est jamais revendiquée d'un courant artistique ou politique, préférant vivre avec frénésie sa jeunesse.

Écriture fluide et simple où alterne les récits de Bogey et ceux de Chrysis. Fergus n'avait pas sans doute assez d'éléments biographiques malgré ses recherches pour écrire sur une artiste oubliée de l'histoire.

Le peu de toiles de Miss Hungbluth est visible sur le web. Elles ne semblent pas si choquantes que cela, les nus sont discrets, mais nous les voyons avec nos yeux du 21ème siècle.


Extraits

  • Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu en étais ? demanda Bogey une fois qu'ils furent dehors.- Pourquoi l'aurais-je fait ? demanda Jerome. Quelle différence cela fait-il ? Est-ce que tu m'as parlé de tes préférences sexuelles ? Ne t'inquiète pas, je n'ai jamais été intéressé par toi de cette façon. Tu n'es pas mon genre. Je repère les hétérosexuels à des kilomètres.

  • Gabrielle se rendit compte alors qu'elle avait jusque- là vécu avec deux personnalités distinctes et qu'elle avait toujours eu la capacité de faire taire sa vraie nature, de contrôler ses élans secrets. Elle était, d'un côté, une jeune fille bien élevée, la fille docile d'une famille de militaires de haut rang, une élève assidue de l'atelier d'un peintre classique de renom. De l'autre, elle était une fille forte, décidée, qui savait ce qu'elle voulait, dotée d'un sens artistique, qui se rebellait contre son éducation et son milieu privilégié, les prétentions et conventions de sa classe sociale, et les normes d'une société dominée par les hommes où les femmes étaient maintenues dans un état de soumission. Même quand elle était petite fille, elle avait toujours nourri une vague envie d'explorer un aspect plus caché, plus mystérieux de la vie, dont jusqu'à ce soir- là, elle connaissait à peine l'existence, sauf dans les rêves nocturnes défendus produits par son imagination.

  • Vous savez ce que Picasso dit des règles , n’est- ce- pas ? - Il dit que, pour le véritable artiste, les règles sont faites pour être enfreintes.

  • Jules Pascin se pendit dans son atelier en juin 1930 et cet évènement violent marqua la fin des Années folles à Montparnasse un peu comme la mort de Modigliani avait ouvert la décennie en 1920. Chrysis se joignit aux milliers de personnes endeuillées qui suivirent en cortège le cercueil de Pascin lorsqu'on le porta de son atelier sur le boulevard Clichy au cimetière de Saint-Ouen.  

  • Si tu ne revois jamais cet homme, une partie de toi l'aimera jusqu'à la fin de tes jours. Tu garderas toujours le souvenir d'un sentiment pur. L'amour concrétisé est rarement aussi durable. Si tu le revois, cela se terminera tristement. C'est presque toujours le cas. Il te quittera, ou tu le quitteras, et vous aurez mal, le coeur brisé, soit l'un soit l'autre, soit tous les deux. Voilà ce qu'est l'amour.

  • Ses lèvres rouges et pleines, son sourire fugace et chaleureux séduisaient les gens par leur innocence instinctive et, lorsque Gabrielle se tournait vers quelqu'un, il avait l'impression d'être la personne la plus importante au monde.

  • Lorsqu'il marcha jusqu'au portemanteau installé à côté de la porte, il passa devant sa table sans lui accorder un regard et Chrysis dit : "Excusez-moi, monsieur, je viens de vous dessiner. Voudriez-vous voir le résultat ?"
    L'homme s'arrêta, se tourna et la regarda sans ciller, de ses yeux saisissants. On aurait dit qu'il la voyait pour la première fois, qu'il n'avait pas vraiment compris ce qu'elle venait de lui dire, ou qu'il était surpris que l'on s'adresse à lui de cette manière. Chrysis se sentit rougir.

  • Elle savait qu'elle ne serait pas une bonne artiste tant qu'elle n'aurait pas saisi toutes les contradictions complexes inhérentes aux exigences de la chair, les grâces comme les disgrâces.

  • Chrysis s'imprégnait de tout. Avec l'objectivité pure de l'artiste douée d'un grand sens de l'observation, elle embrassait cette expression humaine de la passion et de la liberté jusqu'à la folie, cette manière de repousser les limites des conventions, qui était tout autant le fait des femmes.

  • En son fort intérieur, elle se demandait ce que le succès de Foujita devait à son excentricité et à son exotisme: elle trouvait qu'il avait bien plus de talent pour se promouvoir que pour peindre.

  • Le monde lui paraissait encore merveilleux, riche d'aventures, de promesses et d'espoirs infinis, plein de couleurs, de sensualité, de lumière et de rires, et c'était cela qu'elle voulait saisir dans ses peintures.

  • Il y a des pulsions chez nous, les êtres humains, une face sombre qui ne peut être totalement comprise, ni résolue,…

  • De fait, ce ne fut qu’en 1896 que les femmes eurent l’autorisation de fréquenter la bibliothèque de l’école et d’assister à des cours dans les salles de conférences. Et il fallut attendre l’année suivante pour qu’elles soient acceptées comme étudiantes à part entière. En 1900, les femmes aspirants peintres eurent finalement droit à un atelier qui leur était réservé. Pourtant, un quart de siècle après, lorsque Gabrielle commença à étudier sous la houlette du professeur Humbert, les femmes n’avaient toujours pas le droit de participer aux nombreux ateliers ouverts aux hommes, pour des raisons d’ « inconvenance.


    Biographie

Né à Chicago, Illinois , le 23/03/1950, Jim Fergus est un écrivain américain.
Né d'une mère française et d'un père américain, il se passionne dès l'enfance pour la culture Cheyenne alors qu'il visite l'ouest du pays en voiture avec son père pendant l'été. Ses parents décèdent alors qu'il a 16 ans et il part vivre dans le Colorado où il poursuit ses études.

Il vit ensuite en Floride où il est professeur de tennis avant de revenir dans le Colorado en 1980. Il s'installe dans le bourg de Rand, qui compte treize habitants, pour se consacrer exclusivement à l'écriture. Il publie en tant que journaliste de nombreux articles, essais ou interviews dans la presse magazine et collabore à des journaux.

Son premier livre, "Espaces sauvages" ("A Hunter's Road"), mémoire de voyage et de sport, paraît en 1992. Son premier roman, "Mille femmes blanches" ("One Thousand White Women"), l'histoire de femmes blanches livrées aux Indiens par le gouvernement américain pour partager leur vie, est publié aux États-Unis en 1998 et rencontre le succès. Il a sillonné seul avec ses chiens le Middle West, pendant plusieurs mois, sur les pistes des Cheyennes, afin d'écrire ce livre.
En 1999, il publie "Mon Amérique" ("The Sporting Road"), où il raconte six années de "pérégrinations par monts et par vaux" à travers les États-Unis.
Son second roman "La fille sauvage" ("The Wild Girl", 2005) raconte cette fois l'histoire d'une Apache enlevée à sa tribu en 1932.

Avec son roman "Marie-Blanche" (2011), Jim Fergus dévoile l'histoire de sa propre famille à travers celles de sa mère et de sa grand-mère et son ascendance française par les femmes issues de la famille Trumet de Fontarce.
Il a ensuite publié "Chrysis" ("The Memory of love", 2013), l'histoire (authentique) d'une jeune peintre Gabrielle Jungbluth dans le Montparnasse des années vingt.
En 2016, il publie "La vengeance des mères" ("The Vengeance of Mothers"), qui fait suite au premier ouvrage de l'auteur, "Mille femmes blanches", paru dix-huit ans plus tôt. Avec "Les Amazones" (2019), Jim Fergus achève la trilogie.

Son site ici : https://jimfergus.com/?lang=fr


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