L'histoire
Nous retrouvons ici le commissaire Qaanaaq Adriensen, mis à mal par sa hiérarchie, obligé de consulter la psychologue du service tous les jours, une vraie garce. Mais alors qu'il a l’ordre de faire la tournée des postes de police du Groenland, deux événements surviennent. D'abord le suicide d'une adolescente Maja qui se trouvait être enceinte, puis le meurtre d'une autre, et enfin le commissaire reçoit un colis dans lequel se trouve une main tranchée recouverte d'un tatouage cousu (une coutume chamanique). Puis un bras. Malgré son mariage imminent et sa quasi interdiction de mener une enquête, Qaanaaq n'est pas le genre à se défiler. Il peut compter sur les fidèles de sa brigade et dénouer une affaire complexe.
Mon avis
Retrouver l'univers groenlandais de Mo Malo est un vrai plaisir pour un polar aussi réjouissant par son intrigue, que pour les coutumes traditionnelles des inuits.
Ici il est question de « tatouages cousus », autrement dit, on passe un fil avec une aiguille à travers la peau, et dont la signification est rituelle. La pratique est de plus en plus rare au Groenland, d'une part parce que la législation interdit de se tatouer le visage, et parce que cette coutume est particulièrement douloureuse. Hors, la main tatouée comporte un tatouage dont il faut comprendre la signification, ce que l'équipe de la police centrale de Nuuk ne sait pas faire. De plus, la jeune adolescente qui s'est suicidée était enceinte mais pas de son petit ami, qui s'est donné la mort alors qu'il travaillait comme chalutier.
Une enquête complexe à souhait, dans ce vaste pays, le moins peuplé du monde, tant les conditions de vie y sont difficiles : entre froid polaire, vents violents et glacés, sans parler de l'épais brouillard qui empêche de voir à 2 m de distance à Nuuk, la capitale. Les avions ou hélicoptères, seuls moyens de liaisons avec les moto-neige pour de courtes distances permettent de relier les villes entre elles, doivent parfois rester immobilisés au sol en cas de fortes tempêtes neigeuses.
Mais il y a aussi la beauté de ces immensités de blanc, le charme infini des fjords, et une culture inuite chamanique, encore très présente dans les villages reculés.
Ainsi selon la légende, Siqiniq le soleil est est féminin est violée par son frère Taqiq la lune qui est masculin. Pour se venger, elle se coupe un sein et le donne à manger à son frère. Celui-ci toujours amoureux de sa sœur la poursuit, mais toujours elle lui échappe, dans la ronde des jours et des nuits. La légende précise que c'est lors d'un tivajuut que Siqiniq fut violée pour la première fois par son frère incestueux. Le tivajuut était une fête qui avait lieu lors du solstice d'hiver. Avec des festivités alimentaires, des chants et des danses, les jeunes femmes majeures et consentantes trouvaient un mari venu d'une autre tribu pour éviter la consanguinité. Cette pratique n’existe plus maintenant au Groenland. De même un chamane ne doit jamais donner l'ordre à une personne de se suicider, c'est même totalement interdit. Grâce à ces éléments précieux, Qaanaaq va pouvoir résoudre cette affaire mystérieuse.
Un autre point est aussi abordé dans le livre. Les foyers pour enfants orphelins ou abandonnés par leurs parents ou des mères qui veulent oublier un enfant non désiré. Si certains foyers sont chaleureux, d'autres sont des bâtisses sales et mal entretenues, avec un manque de personnel et d'activités pour des jeunes, qui souvent se mettent à boire ou consommer des drogues ou errer sans but précis, et sans avenirs certains.
L'univers que crée Mo Malo, à partir de recherches, de voyages au Groenland, et de contacts sur place est étonnant. A la fois cruel, dans une intrigue bien ficelée, mais aussi beau dans son immensité blanche.
Je dirais qu'il faut au moins lire un livre de Mo Malo pour un voyage déroutant, dans une écriture simple, avec des petits moments d’humour ou de poésie.
Extraits
Qui pouvait le surveiller d’assez près pour le traquer de la sorte ?
Le survol de l’île d’Uummannaq, balayée par les filaments vert absinthe d’une aurore boréale, était un enchantement. Dominé par ses deux pics de granit rose, le village du même nom se présentait comme un port de pêche au charme indéniable. À l’office de tourisme de Nuuk, Visit Greenland, on prétendait qu’Uummannaq était la destination la plus courue par les Groenlandais eux-mêmes, loin de cette autoroute à touristes étrangers qu’était devenue la baie de Diskø. Isolée. Sauvage. Authentique. Qaanaaq imaginait d’ici les arguments des dépliants.Une décharge le traversa. L’excitation. Il se sentait à nouveau si vivant. Être flic : cette névrose dont on ne se débarrassait jamais tout à fait. Ce poison si doux qu’on en oubliait les interdits comme les injonctions. Finalement, cette satanée tournée ne serait peut-être pas si inutile.
Mais sans doute était-ce aussi cela, grandir : accepter de n'être qu'un rouage dans un travail d'équipe. Ne plus prétendre être celui qui résoudra tout, tout seul. Reconnaître la primauté du groupe sur l'individu, gage de survie pour chacun, comme les Inuits d'antan l'avaient si bien compris.
Le lieu offrait une vue agréable sur le rivage et sur la mer, où un petit troupeau d'icebergs indolents broutait l'écume.
Dans la culture inuite, ne plus se sentir aimé revenait en quelque sorte à cesser d'être humain. A cesser d'exister.
La prochaine fois que tu vas te baigner avec des requins, tu penses à leur donner à manger avant de te jeter à l'eau. OK ?
Le chasseur inuit le sait bien : on ne traque pas sa proie en dépit des éléments imposés par la nature, encore moins contre eux. On doit en faire ses alliés.
La balance qui juge nos âmes prend-elle le poids de notre corps en compte ?
Le vide lui parle. Il se dit son ami. Si elle vient à lui, c'est promis, il abolira toute douleur. Dans ce Grand Nord hostile, il sera son ultime réconfort. Il l'enveloppera, comme les vêtements qu'elle porte, de trois épaisseurs. Mieux encore : une couche d'air, une couche de glace, une couche de pierre. Les seules matières que sont faites pour durer dans un tel univers.
Qaanaaq aborda cette ascension avec respect. Il n'était pas question de conquérir la montagne comme l'aurait fait un quelconque trekkeur du dimanche mais plutôt de solliciter d'elle un accueil bienveillant. Il tâchait ainsi de peser chacun de ses pas. De retenir tout geste brusque, de ne rien profaner du domaine dans lequel il pénétrait.
La glace, et elle seule, avait repris son empire et ses droits. L'homme chassait peut-être sur son royaume, mais à la fin elle parvenait toujours à l'en chasser.
Une culture vous possédait en premier lieu par sa langue ; les rudiments de kalaallisut assimilés au fil des mois avaient largement contribué à réveiller l’Inuit tapi en lui.
Depuis quelques heures déjà, la mer de Baffin menait la vie dure au Saviq. La zone de pêche habituelle rendue impraticable par la concentration d'icebergs descendus du nord, le bateau ne cherchait plus qu'à se maintenir à distance raisonnable des blocs les plus dangereux, là-bas, plus au large, là où leurs pics ne hérissaient pas les flots démontés.
A Noël, la plupart des responsables officiels recevaient des boites de chocolat ou des bouteilles d'alcool millésimées. Adriensen, lui, se voyait offrir un corps humain en kit. Où allait se placer la générosité, de nos jours !
Appu le corrigea aussi sec. – C’est pas des runes. Ce sont des lettres du syllabaire inuktitut. Nootaïkok hochait la tête. – Le quoi ? demanda Erik.
Les deux Inuits se désolèrent. Ils avaient beau savoir que l’éducation danoise occultait très largement leur île et leur culture, ce genre de rappel se révélait toujours une blessure. Une injure à leur peuple.Une seule est demeurée sans partenaire. Mais de ce répit elle ne semble tirer aucun soulagement. Elle sait que pire, bien pire, l’attend. Car, qu’elle le veuille ou non, elle sera sienne. Il anticipe déjà ses cris et ses griffures, ses « non » qu’il prendra pour des « oui », ce tabou qu’elle invoquera et qu’il lui sera si doux de briser. Elle se débattra, c’est certain. Et pourtant il l’aura, c’est tout aussi sûr. L’œil de la caméra, tapie dans un angle, pourra en témoigner. Rien, pas même la honte ou les plaintes, ne pourra empêcher hier de posséder aujourd’hui.
Biographie
Né à :Rueil-Malmaison ,
le 18/05/1968, Mo Malø est le pseudonyme de l'écrivain Frédéric
Mars, de son vrai nom Frédéric Ploton.
Diplômé du Celsa
(1988-1991), après plusieurs années passées dans la presse
magazine et diverses rédactions online, il a quitté le journalisme
et la photo pour ne se consacrer qu'à son travail d'auteur de
livres. Outre ses romans, il a publié plus d'une quarantaine
d'essais, documents et livres illustrés, sous diverses identités, y
compris en qualité de "nègre".
Il est connu
principalement pour ses ouvrages consacrés au couple, à la
sexualité et aux nouveaux modes de rencontre. De sa collaboration
avec l'illustratrice Pénélope Bagieu, sont également nés trois
ouvrages, dont le Chamasutra et le Cahier d'exercices pour les
adultes qui ont séché les cours d'éducation sexuelle. Il est le
traducteur français de la collection de comédies érotiques
Sex&Cie, d'Ania Oz.
Il a également publié plusieurs
livres sur l'art délicat de la sieste. Il a dirigé plusieurs
collections, en particulier pour le compte des éditions Tana et des
éditions de l'Hèbe (Suisse). Il a animé pendant deux ans
(2005-2006) une chronique dans l'émission "Lahaie, l'amour et
vous" sur RMC Info.
Sous le pseudonyme de Frédéric
Mars, il a publié des thrillers romantiques et des thrillers
historiques et contemporains. Il a également publié plusieurs
romans érotiques sous divers pseudonymes dont Emma Mars et est
auteur d'un essai humoristique, "Le cat code" (2017), écrit
sous le nom de plume de Chat Malo.
Sous le pseudonyme de Mo
Malø, il publie une série de polars se situant au Groenland :
"Qaanaaq" (2018), "Diskø" (2019), "Nuuk"
(2020), "Summit" (2022). Sa série des enquêtes de Qaanaaq
Adriensen a été traduite dans de nombreux pays et repérée par
plusieurs prix littéraires : finaliste des Prix du meilleur polar
des lecteurs de Points, du Prix Michel Lebrun et du grand prix de
l’Iris Noir, lauréat du Prix Découverte des Mines Noires et du
Coquelicot noir.
La série "La Breizh Brigade" (2023),
met en scéne une équipe d’enquêtrices hors du commun.
En savoir plus
tatouages inuits : https://tatouageinuit.wordpress.com/category/le-tatouage-traditionnel-inuit/
légendes inuites : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/mythes-et-legendes-des-inuits
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.