mardi 19 avril 2022

ABBY GENI – Farallon Islands – Actes sud - 2017


 

Miranda, la trentaine est une photographe de l'extrême. Elle a parcours le globe, de l’Arctique glacial aux déserts du monde pour ramener des clichés insolites. Elle est tous le temps en voyage et elle décide de passer un an aux Îles Farallon, archipel inhospitalier où vivent des biologistes peu avenants à 50 kùm de San Franscico.

L’île principale est le repère des requins blancs, des baleines à bosse, des phoques macareux et goélands qui profitent de ce sanctuaire classé pour se reproduire. La vie est simple, frugale, entre les attaques d'oiseaux, les conditions rudimentaires, une maison peu entretenue. Chacun est à son poste, sans se soucier des autres sauf en cas de danger ou de blessures.

Fragilisée depuis la mort de sa mère quand elle avait 14 ans, Miranda lui écrit des longues lettres qu'elle ne postera jamais comme un journal intime.Mais tout ne se passe pas comme prévu dans cet univers où la nature règne et ou les humains n'ont pas d'empathie.

Ce qui est frappant dans ce premier roman d'Abby GENI c'est la faculté de l’auteure à analyser humains et animaux. Inimitiés ou amitiés, Miranda se sent parfois bien seule dans ce monde étrange et magnifique.

C'est un roman initiatique. L'évolution d'une femme sans attaches qui va finalement trouver sa voie. C'est aussi une réflexion sur l'art et notamment la photographie, ce qui plaira aux amateurs.

Ce roman aussi une réflexion sur la mort. Les biologistes ne sont pas là pour sauver un animal en danger, mais répertorier. Les morts humaines dues à des accidents sont chassées des esprits, le chagrin est intériorisé.

J'ai lu beaucoup de livres mais celui-ci détonne par son sujet, le choix de l'action sur une minuscule bout de terre qui semble loin de tout, La fascination de l'héroïne qui croit y trouver un refuge, encore une échappatoire pour fuir la mort tragique de sa mère, sa famille avec laquelle elle n'a pas beaucoup de liens, ses amours sans lendemain. Mais quelque chose va se fissurer et je vous laisse lire le livre pour comprendre.


Extraits :

- Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés.

  • A bord du ferry se trouvait une carte postale pour mon père. J‘étais sur les îles depuis presque deux mois et, durant ce temps, je n’avais que cela à envoyer sur le continent. Au dos, j’avais écrit, Preuve de vie.

  • Chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose, nous le transformons. Ainsi fonctionne notre cerveau. J’envisage mes souvenirs comme les pièces d’une maison. Je ne peux pas m’empêcher de les modifier quand j’entre à l’intérieur – je laisse des traces de boue par terre, je bouscule un peu les meubles, crée des tourbillons de poussière. Avec le temps, ces petites altérations s’additionnent.
    Les photos accélèrent ce délitement. Mon travail est l’ennemi de la mémoire. Les gens s’imaginent souvent que prendre des photos les aidera à se souvenir précisément de ce qui est arrivé. En fait, c’est le contraire. J’ai appris à laisser mon appareil au placard pour les événements importants parce que les images ont le don de remplacer mes souvenirs. Soit je garde mes impressions à l’esprit, soit j’en fait une photo – pas les deux.
    Se souvenir c’est réécrire. Photographier, c’est substituer. Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés. Ils sont les chambres noires de l’esprit. Fermées, intactes, non corrompues.

  • Plus que toute autre forme artistique, la photographie requiert d’être froid et dépassionné. (…)
    Ce travail exige un esprit qui sache se tenir à distance. (…)
    Le traumatisme et la souffrance sont les fondements de l’art. J’y crois. Mais confronté à la tragédie, un peintre spécialisé dans les fresques ou dans les aquarelles peut vivre ce moment en être humain et redevenir artiste après. Face à la mort d’un être cher, un sculpteur ou un portraitiste peut d’abord souffrir, faire son deuil, guérir – puis créer. La plupart des artistes traversent l’existence de cette manière. Ils peuvent avoir des réactions normales face aux vicissitudes de l’expérience humaine. Ils peuvent traverser le monde avec compassion et camaraderie.
    Ils peuvent créer plus tard. En dehors, ailleurs, au-delà.
    Mais la photo est immédiate. Elle n’offre pas le luxe du temps. Confronté au sang, à la mort ou au changement, un photographe n’a pas d’autre choix que de saisir son appareil. L’artiste vient en premier, l’être humain en second. La photo est la captation neutre des événements, la chronique du sublime comme de l’effroyable. La nécessité veut que ce travail soit effectué sans émotion, sans attache, sans amour.

Repères bibliographiques

Abby Geni est une jeune écrivaine américaine. Après des études littéraires, elle alterne atelier d'écritures et romans et nouvelles. Abby Geni est fascinée par le rapport que l’homme entretien avec son environnement, les liens que l’homme tisse avec la nature constitue ainsi le fil rouge de toute sa création littéraire.

Ses deux autres romans Zoomania et The last animals (ce dernier n'est pas encore traduit en français) sont publiés chez Actes Sud. Elle a aussi écrit des nouvelles qui ne sont pas traduites en français pour le moment.


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