L'histoire
Un clan gitan emmené par Angeline, ses enfants et ses belles-sœurs est menacé d'expulsion. Malgré cela et la déscolarisation des enfants, Esther, une bibliothécaire, décide d'aller tous les mercredis dans le camps avec une pile de livres. Rejetée au début car c'est une « gadjé' » (une étrangère), elle finit par sa persévérance par se faire accepter des enfants auxquels elle lit des histoires qui finissent par fascinés les petits, puis les mères. Adoptée par la communauté, elle défie les lois implicites de ceux qui voient les gitans comme des voleurs, des flemmards et autres amabilité qui relève du racisme ordinaire.
Mon avis
23 ans après sa parution, ce livre d'Alice Ferney reste toujours d'actualité. Le sort des femmes gitans ne s'est guère amélioré (voir documentation), même si la prise de paroles et les témoignages peuvent faire évoluer les mentalité d'un monde que nous ne connaissons que par clichés.Bien sur il y a la situation de ce clan spécifique : peu d'éducation hormis les traditions, pauvreté, crasse, analphabétisme pour certaines. Certes Esther est accueillie avec un peu de réticence par Angeline mais les bienfaits et l'amour qu'elle prodigue à travers les lectures et sa bienveillance.
Dans le camps, les hommes ne font rien à part quelques vols et trafics, les femmes tentent de maintenir un semblant de vie normale. Mais quand on a ni eau ni électricité, que les hommes laissent traîner bouteilles cassées, morceaux de ferrailles mégots que peut-on faire ? Ceux qui sont scolarisés sont ostracisés parce qu’ils sont sales et mal habillés et surtout, personne dans le camps ne peut les aider. Comment faire ses devoirs quand on vit à 5 ou 6 dans une petite caravane en piteux état.Et surtout il y a ce monde gitan qui vit en autarcie, à coté du reste de la population dans un mépris réciproque. On les tolère mais on espère surtout qu'ils vont partir ailleurs.
Esther elle, sait s'y prendre, car elle ne juge pas, elle donne. Des lectures, de l'écoute, du réconfort. Finalement elle devient amie avec Angeline, cette femme forte mais désabusée par le comportement des hommes. Des très jolies pages, qui parfois vous font monter la larme à l’œil, dans une écriture simple, sans fioritures ou exercice de style, qui seraient tellement importuns dans cette histoire de vie. A lire.
Extraits :
Parce qu’on a beau vouloir croire le contraire, un homme, un mari, ça ne comprend pas tout. Ca ne comprend rien ! disait Angéline, qui pensait à ses nuits de désir muet que l’époux n’avait pas soupçonnées, lui qui avait pu dormir à côté d’elle sans la toucher. Oh mais oui ! Il avait refusé de voir cette nature flamboyante qui avait fait cinq fils sans se coucher. Elle le répétait : les hommes et les femmes, c’est rien de commun, et ça tient toujours à cause des femmes. Parce qu’elles en finissent assez vite de s’aveugler et de vouloir. Elles voient, après la chair, l’amour et les caresses, qu’ils s’arrêtent jamais de prendre, et qu’il y a rien d’autre à faire que donner.
Esther prenait son livre. Ils ne bougeaient plus et hormis quelques reniflements, le silence était total. Elle ignorait qui, de la chaleur ou de l'histoire, les apaisait d'un seul coup, sans qu'ils ne demandent rien. Ils ne sont pas difficiles, se disait-elle. Jamais ils ne réclamaient jamais ils n'avaient soif ou faim comme d'autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose. Elle lisait dans ce calme. On entendait juste le ronflement d'air chaud. Les enfants avaient posé les mains sur leurs cuisses.
C'étaient les livres qui faisaient rêver la vieille. elle n'en avait jamais eu. Mais elle savait, par intuition et par intelligence, que les livres étaient autre chose encore que du papier des mots et des histoires: une manière d'être. La vieille ne savait pas lire mais elle voulait ce signe dans sa caravane.
Rares sont les gitans qui acceptent d’être tenus pour pauvres, et nombreux pourtant ceux qui le sont. Ainsi en allait-il des fils de la vieille Angéline. Ils ne possédaient que leur caravane et leur sang. Mais c’était un sang jeune qui flambait sous la peau, un flux pourpre de vitalité qui avait séduit des femmes et engendré sans compter. Aussi, comme leur mère qui avait connu le temps des chevaux et des roulottes, ils auraient craché par terre à l’idée d’être plaints.
Ils étaient des gitans français qui n’avaient pas quitté le sol de ce pays depuis quatre cents ans. Mais ils ne possédaient pas les papiers qui d’ordinaire disent que l’on existe : un carnet de voyage signalait leur vie nomade. Elle n’était cependant qu’un souvenir de la vieille. Les lois et les règles modernes avaient compliqué le passage d’une ville à une autre et ils s’étaient sédentarisés, comme la plupart des Gitans.
Chaque mercredi (vers onze heures) Ester les installait l'un après l'autre dans la voiture. Elle laissait tourner le moteur et mettait le chauffage au plus fort. Tu vas bouziller ta batterie, disait Sandro. Tu crois ? s'inquiétait Esther. Il hochait la tête. Je coupe ? demandait-elle. Non ! hurlaient les enfants.Ils riaient. C'était toujours le même plaisir. La petite soufflerie ronflait. Esther prenait son livre. Ils ne bougeaient plus et hormis quelques reniflements, le silence était total. Elle ignorait qui, de la chaleur ou de l'histoire, les apaisait d'un seul coup, sans qu'ils ne demandent rien? Ils ne sont pas difficiles, se disait elle. Jamais ils ne réclamaient, jamais ils n'avaient soif ou faim comme d’autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose . Elle lisait dans le calme. On entendait juste le ronflement d'air chaud. Les enfants avaient posé leurs mains sur leurs cuisses.
Quand ils avaient les livres pour eux seuls, ils ne les lisaient pas. Ils s'asseyaient, les tenaient sur leurs genoux, regardaient les images en tournant les pages délicatement. Ils touchaient. Palper doit être le geste qu'on fait quand on possède, car c'était ce qu'ils faisaient, palper, soupeser, retourner l'objet dans tous les sens.
Le mariage tzigane c’est sur l’honneur, une femme tzigane elle supporte le mari comme il est, elle a de la chance quand il ne la bat pas et que sa belle-mère est gentille.
C'était la responsable d'une bibliothèque. Elle pensait que les livres sont nécessaires comme le gîte et le couvert.
La vie est pleine de nuages. Et nous sommes à l'intérieur des nuages. Et parfois c'est si noir que le noir vient en nous.
Quand t' abats un arbre, dit-elle, à la fin il est couché par terre et la sève coule comme un sang. Quand t' abats une femme, elle reste debout.
La vieille dit : L'amour, c'est le plus difficile. Ça vous prend, ça vous malmène, ça vous agite. Et puis quand on croit que c'est gagné, qu'on a dans sa vie celui qu'on voulait, ça se lasse, ça se fatigue, ça se remplit de doute.
C'est seulement de temps que sont faits les deuils, de sa trame impalpable dont on ne voit jamais que les effets. Le temps qui nous fait sortir de tout, qui a ce pouvoir de nous changer, de nous bonifier et de nous altérer, de nous tirer du plus grand malheur comme de l'émoi et des éblouissements, et de nous-mêmes à la fin, de notre corps charnu et lourd. Oui, le chagrin se casserait contre la vie, les autres enfants, les caresses de l'amour, les arbres qui reverdissent, et le soleil qui vient. Mais combien faudrait-il de jours et de nuits, de larmes et de baisers sur Misia, pour effacer et reprendre, on ne pouvait pas le savoir.
Ce qu'on garde pour soi meurt, ce qu'on donne prend racine et se développe.
Biographie
Née
en France en 1961, Alice Ferney née Cécile Brossollet est une
écrivaine française.
Elle a fait des études de commerce à
l'ESSEC et est titulaire d'un doctorat en sciences économiques. Elle
enseigne aujourd'hui à l'université d'Orléans.
Elle est mariée
et a trois enfants. Adepte du roman classique, dont elle exploite
avec brio la veine introspective. Ses thèmes de prédilection sont
la féminité, la différence des sexes, la maternité, le sentiment
amoureux.
"Grâce et Dénuement" lui a valu le prix
Culture et Bibliothèques pour tous en 1998. C'est un récit sur une
famille gitane installée de façon illégale sur un terrain privé
près d'une grande ville.
"L'élégance des veuves" a
été adapté au cinéma en 2016 par Tran Ahn Hung sous le titre
"Éternité", avec Audrey Tautou, Bérénice Béjo, Mélanie
Laurent.
En
savoir plus :
En savoir Plus :
Sur le roman
https://www.senscritique.com/livre/Grace_et_denuement/147448
https://www.atd-quartmonde.fr/bibliographie/grace-et-denuement/
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/alice-ferney-1213859
https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=u1PPNfMD-B8
Dans l'univers du roman
Sur les gitans
Sur la pauvreté des gitans
https://www.cairn.info/revue-etudes-tsiganes-2018-2-page-3.htm
https://www.capital.fr/economie-politique/de-quoi-vivent-les-roms-et-les-gens-du-voyage-543130
Sur les traditions gitanes
http://gitanseneglise.org/cultures-tsiganes.org/les_jeunes/gitans_p3vie.htm
https://fr.versiontravel.com/quelles-sont-les-principales-coutumes-des-gitans/
https://www.avignon-et-provence.com/traditions/pelerinage-gitan-saintes-maries-de-mer
https://issuu.com/seminairerlm/docs/meziane_magda_m_moire_final_corrig__pages_juin20
Sur la vie des femmes gitanes
https://zep.media/zones-dexpression/famille-gitane-hommes-tous-droits/
https://www.konbini.com/arts/quotidien-jeunes-gitanes-de-perpignan-documente-neus-sola/
Play-list
compilation : https://www.youtube.com/watch?v=n3SbNFRcAV0
musique tsigane : https://www.youtube.com/watch?v=LCUv9W0ViRc&list=RDQM5SaV54D_4GI&start_radio=1
musique tzigane : https://www.youtube.com/watch?v=D4HNjEw9_4c
Et ce magnifique titre de Groran Bregovic : https://www.youtube.com/watch?v=1ZFAC36h1Io
à voir le film « le temps de gitans : https://www.youtube.com/watch?v=avsxHLewRwE et https://www.youtube.com/watch?v=sIfTYCEicSU d'Emir Kusturica
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