mercredi 22 février 2023

COLSON WHITHEAD – Harlem Shuffle – Albin Michel - 2023

 

L'histoire

Ray Carney tient un magasin de meubles d'occasion à Harlem. Nous sommes en 1959 quand le roman commence. Fils d'un voyou célèbre, le jeune Ray a fait des études de commerce, a épousé une femme érudite et a deux beaux enfants. Mais sous sa jolie boutique, il fait de la revente illégale d'objets volés par le truand, il paye ses « cotisations » de protection à la police corrompue et à la pègre locale. Si il participe à un casse un peu foireux, il a une idée de vengeance suite à un affront, il arrive toujours à s'en sortir. Dans un Harlem qui change, gagné par la gentrification.


Mon avis

Le dernier roman de Colson Whitehead est surtout le portrait d'Harlem, dans les années 60, le quartier noir par excellence, avec ses zones bien limitées. Son héros Carney, spécialiste dans les meubles d'occasion et les beau meubles, semble mener une existence tranquille. Bon merci, bon papa, cela ne l'empêche pas de vriller un peu sur les marges de la légalité.

Le roman est divisé en 3 parties qui pourraient faire des romans autonomes. Dans la première partie, Carney, entraîné par son cousin, une petite fripouille qui vit de petits boulots pour la pègre locale participe à un casse foireux, mais qui lui permet d'obtenir un peu d'argent pour moderniser sa boutique. Dans la seconde partie, Carney met au point une vengeance bien préméditée contre un avocat noir de la « haute société de Harlem », celle qui vit en lisière de Manhattan et de Broadway, mais qui est un escroc prétentieux. Dans la dernière partie, il s'agit de sauver son infernal cousin Freddie, qui s'est encore retrouvé dans un mauvais coup.

Mais le héros du livre c'est Harlem. Ou plutôt les Harlem, car d'une rue à l'autre c'est très différent. Il y a le magnifique hôtel Thérésa qui accueille les plus grandes stars noires de la chanson ou du cinéma, et fréquenté par toute une caste qui a bien réussi dans les affaires, ou a fait des études. Et puis il y a le Harlem des autres, les commerçants, les petites gens qui vont travailler ailleurs, un lieu où sévit la petite pègre locale, plus tournée vers les casses et la revente de marijuana.

Avec les émeutes raciales qui commencent à New-york en 1964, Harlem tremble mais à part des dégâts matériels, la colère se déporte sur les autres quartiers. Harlem se modifie aussi. Les vieux immeubles poussiéreux sont délaissés par les HLM flambants neufs de Brooklyn, les noirs riches veulent vivre dans des jolies petites maisons. Ces émeutes raciales n'intéressent nullement Carney, obnubilé par son ascension sociale. Pourtant l'auteur nous en parle, en relatant les faits du du 16 au 22 juillet déclenchées par la mort d'un ado afro-américain, Teen James Powell, abattu par un lieutenant de police blanc, Thomas Gilligan.

Harlem change, se gentrifie, une part du quartier est démolie pour construire ce qui deviendra le Word Trade Center, l'autre devient « respectables » avec des brownstones, ces petites maisons individuelles construites en briques. Le vieux Harlem avec ses tripots, ses voyous, les flics ripoux et les figures emblématiques du quartier.

Le tout est écrit dans un style pétillant, plein d'humour et de vie, et fait de nous, le lecteur un habitant de ce quartier emblématique de New-York. Vous apprendrez aussi ce qu'est le « dorveille » et autres petites recettes du cru.


Extraits :

  • Malgré la compagnie de ses beaux-parents, Carney aimait venir dans leur maison de Strivers’ Row, « l'Allée des Travailleurs ». Enfant, il admirait ces demeures de brique jaune et de pierre blanche immaculée parachutées en plein Harlem. Vus depuis la 8e Avenue, les trottoirs étaient toujours balayés, les caniveaux débouchés, et les ruelles séparant les maisons lui apparaissaient comme des territoires intrigants. Un pâté de maison qui avait son propre nom, ce n'était pas courant. Comment pourrait s’appeler son vieux bloc d'immeubles de la 127e Rue ? Crooked Way, « la Voie des Escrocs ». Le travailleur d'un côté, le voyou de l'autre. Les travailleurs tendaient vers une vie plus belle - qui existait peut-être, ou peut-être pas - quand les escrocs magouillaient pour détourner le système en place. D’un côté le monde tel qu'il aurait pu être, de l'autre le monde tel qu'il était. Mais Carney se montrait peut-être un peu trop radical. Nombre d'escrocs étaient de grands travailleurs, et nombre de travailleurs trichaient avec la loi

  • Trois semaines plus tard, on l’a retrouvé échoué dans le New Jersey, la gorge tranchée, pratiquement décapité.on aurait dit un distributeur Pez.

  • Jamais plus il n’avait levé la main sur quiconque. À ses yeux, la vie nous enseigne qu’on n’est pas obligé de reproduire ce qu’on nous a appris. On vient tous de quelque part, mais ce qui compte c’est la destination qu’on se choisit.

  • Quand vous voulez savoir ce qui se passe, demandez aux ivrognes du quartier. Ils voient tout et l’alcool conserve les informations, qui pourront toujours servir plus tard.  

  • Gamin, quand Carney sautait dans l’Hudson, il lui arrivait de boire la tasse. Cette eau dégueulasse, le Big Apple Diner vous la servait sous le nom de café.  

  • Cinq cents dollars. Dans la pègre comme ailleurs, les règles étaient les mêmes, et tout le monde voulait palper son enveloppe.

  • Des Noirs fiers et consciencieux des enjeux raciaux jusqu’à un certain point, suffisamment clairs de peau pour passer pour des Blancs, et un peu trop pressés de vous le rappeler

  • Carney repensa à ces nuits d’été, il y avait si longtemps, où la chaleur était telle que Freddie et lui dépliaient une couverture et s’allongeaient sur le toit de la 129e Rue. Le bitume noir recrachait les degrés accumulés dans la journée, mais il faisait quand même plus frais qu’à l’intérieur. Au-dessus, le bouillonnement immense et éternel du ciel nocturne. Les yeux accommodent. Un soir, Freddie lui confia qu’il se sentait tout petit sous les étoiles. Leur connaissance des constellations se limitait aux deux Ourses et à la Ceinture d’Orion, mais il n’est pas nécessaire de connaître le nom d’une chose pour savoir l’effet qu’elle produit sur vous, et Carney ne se sentait ni minuscule ni insignifiant sous les étoiles, il se sentait accepté. Les étoiles avaient leur place et lui avait la sienne.

  • Il suffisait à Carney de marcher cinq minutes dans n’importe quelle direction, et les maisons de ville immaculées d’une génération donnée devenaient les maisons de shoot de la suivante, des taudis racontaient en chœur le même abandon, et des commerces ressortaient saccagés et détruits de quelques nuits d’émeutes. Qu’est-ce qui avait mis le feu aux poudres, cette semaine ? Un policier blanc avait abattu un jeune Noir de trois balles dans le corps. Le savoir-faire américain dans toute sa splendeur : on crée des merveilles, on crée de l’injustice, on n’arrête jamais.

  • On vient tous de quelque part, mais ce qui compte c’est la destination qu’on se choisit.

Biographie

Né en 1969 à New-york,Colson Whitehead, né Arch Colson Chipp Whitehead, est un romancier. Il fait ses études à la Trinity School de New York, puis obtient son diplôme au Harvard College en 1991.
Il devient alors chroniqueur au "The Village Voice", où il écrit sur la télévision et la musique. Journaliste, ses travaux paraissent dans de nombreuses publications, dont "The New York Times".
"L'Intuitionniste" ("The Intuitionist", 1999), son premier roman, est finaliste pour Hemingway Foundation/PEN Award. "Zone 1" ("Zone One", 2011) est sur la liste des best-sellers du New York Times.
Colson Whithehead a remporté le National Book Award 2016 et le prix Pulitzer 2017 avec son roman "Underground Railroad" ("The Underground Railroad", 2016), qui raconte l’odyssée d’une jeune esclave en fuite dans l’Amérique d’avant la guerre de Sécession. Les droits audiovisuels du roman ont été acquis par le réalisateur Barry Jenkins. Il est adapté en série télévisée diffusée sur Amazon Prime Video en 2021.
En 2020, Colson Whitehead remporte une nouvelle fois le prix Pulitzer de la fiction pour "Nickel Boys".
Auteur de nombreux ouvrages de non-fiction, il a enseigné dans plusieurs universités et a été écrivain en résidence au Vassar College. Il vit avec sa femme et ses enfants à Brooklyn.
En savoir plus :


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Sur le roman

Dans l'univers du roman

Sur Harlem


Sur Harlem- années 60


Sur la gentrification et les personnages célèbres

Sur le jazz à Harlem


Images

et pour suivre le roman : carte de Harlem : https://fr.dreamstime.com/photos-images/harlem.html. En play-list, vous trouverez votre bonheur si vous avez cliqué sur les liens ci-dessus !



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