vendredi 22 décembre 2023

Michelle GALLEN – Ce que Majella n'aimait pas – Editions Gallimard 2023

 

 

L'histoire

Irlande du Nord, de nos jours. Majella a 27 ans, vit avec sa mère alcoolique dans un petit bourg coupé en deux entre catholiques et protestants, malgré les accords de paix. Maj est un peu enrobée, elle travaille le soir dans un fast-food qui sert de la frite, du fish & chips, ou des saucisses panées. Elle connaît tous les clients, tant les rumeurs vont bon train dans la ville. Mais à part cela et faire des listes de ce qu'elle n'aime pas (comme se maquiller, se mettre du vernis à ongles etc). A part cela, et vaguement s'occuper d'une mère défaillante, elle passe son temps à regarder les épisodes du vieux feuilleton télé Dallas, à dormir. Maniaque, elle brique le restaurant, mais chez elle c'est la crasse totale, elle fait de temps en temps le minimum, se nourrit de tartines margarine/confiture bas prix, et fume alors qu'elle déteste cela. D'ailleurs on peut dire que Majella n'aime pas grand chose, surtout les autres.


Mon avis

Voila encore un ovni littéraire que nous offre l'irlandaise Michelle Gallen. Un roman où il ne se passe rien ou presque, la description minutieuse de cette héroïne pas banale. Pas séduisante Majella, qui aime bien le sexe mais pas l'amour et qui économise son argent pour rêver de s'acheter une petite maison dans la lande, loin du monde qui la bouscule. Pourtant le monde, enfin ce petit monde qui vient manger du gras infect, elle connaît leurs histoires par cœur, les derniers ragots, tout comme ceux concernant sa mère. Le père a mystérieusement disparu, en laissant son épouse totalement désœuvrée, et cette fille qui n'a pas pu faire d'études, et ne songe nullement à en faire. La vie de Majella est rythmée par un quotidien médiocre, où rien ne semble se passer.

Et pourtant il s'en passe des choses. Voilà 5 ans que la paix a été signée, mais les catholiques sont touchés par le chômage, les vielles rancœurs sont toujours là, tout comme les histoires un peu fantasques que l'on raconte. Le roman se passe sur une semaine, où l'on apprend à aimer Majella, bien plus attentionnée que ce qu'elle montre. Dévouée à sa mère, aimant se souvenirs des jolis moments passés avec son père, elle va quand même lutter contre un fermier malhonnête qui essaye de lui piquer un héritage qu'elle ne pensait même pas avoir.

A travers ce petit monde, vu du regard plutôt lucide de notre héroïne, c'est tout une mémoire collective qui s'exprime. Celle d'un peuple qui n'a jamais vraiment réussi à s'unir, qui se côtoie sans vraiment se détester, et une héroïne refermée sur son monde à elle, le monde des possibles. Quand sa grand-mère est assassinée et que la nouvelle fait le bonheur des commérages, elle réussit à passer sous les radars, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne cogite pas.

Un très beau style littéraire qui joue avec nous : plus l'autrice nous fait un portrait désobligeant de Magella et plus paradoxalement on l'aime et on comprend ses émotions cachées, sa rébellion intérieure et extérieure (elle sera jolie la miss avec une alimentation plus équilibrée, et des vêtements autres que des joggings informes qui sentent toujours le graillon. Mais ce plaisir là, Magella n'a aucune envie de le faire, comme pour assurer ce qu'elle est. Entre humour noir, envolées poétiques et paroles cash, dans un anglais populaire et pas so very british, on s'amuse et on s'émeut avec la plus chouette des héroïnes irlandaises. Entrez dans le jeu et vous ne le regretterez pas.

Extraits

  • Se lever tôt, ça signifiait que la journée serait d’autant plus longue. Des heures et des heures à s’emmerder, à traîner à la maison en écoutant sa mère se plaindre de sa gueule de bois.

  • Majella trouvait ça vraiment dommage que Peadar doive grandir. Dans quelques années, il serait comme les autres, assis au bar à glousser, arborant une bedaine engraissée à la bière, trop bourré pour bander correctement

  • C’était une ville où on ne pouvait se cacher nulle part, aussi les gens planquaient leurs secrets en pleine lumière.

  • Elle savait qu'elle se comportait comme une garce, mais bon, quel genre de connard était capable d'attendre qu'elle soit bourrée pour l'aborder, alors que sa grand-mère venait à peine d'être enterrée ?

  • Tu es une O'Neill. Tu fais partie d'un des clans les plus nobles d'Irlande. Dans l'temps, on était des rois et des reines d'Ulster. Et l'Ulster, c'était la meilleure province d'Irlande.

  • MA-JE-LLAH ? J'me suis blessée ! -Attends, faut qu'j'aille pisser.


Biographie

Michelle Gallen est une écrivaine nord-irlandaise, auteure de Big Girl, Small Town.
Elle réside à Dublin. Ce que Majella n'aimait pas est son premier roman traduit en français. Née dans le milieu des années 1970, lors des crises entre Irlande du Nord et l'Angleterre, elle a fait des études de littérature à Dublin. Titulaires de nombreux prix dans son pays, elle œuvre pour faire émerger la littérature féminine nord-irlandaise.

Voir ici : https://www.michellegallen.com/



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