L'histoire
La vie de Manolita, jeune femme espagnole pendant la période trouble de 1936 à 1977, surtout les années 1936/39 (victoire du Front Populaire Espagnol, regroupant les divers partis de gauche, PSO, PC, syndicats) jusqu'à l'arrivée de Franco et de ces soutiens carlistes, catholiques, et phalangistes après une guerre civile de 3 ans (1933-1936) et la victoire d'un des pires dictateurs au monde. Franco mort en 1975, et la monarchie déclara alors la démocratie représentative sous Juan Carlos Ier.
Manolita 17 ans, raconte sa vie, avec son frère Antonio très engagé au PCF et sa bande de résistants anarchistes, communistes, socialistes. Un mariage forcé avec un détenu de Porlier, condamné à mort (puis condamnée à la prison à perpétuité) pour permettre de faire fonctionner des imprimantes venues des USA sans mode d'emploi.
Trahisons, sort des enfants « pour racheter la peine des parents », arrestations, l'autrice nous détaille cette période de l'histoire dont nous ne connaissons que les grandes lignes.
Mon avis
A 17 ans seulement, la jeune Manolita a une famille à charge : ses deux sœurs, et les jumeaux nés de la deuxième union de son père. Lequel est en prison pour un motif stupide, comme le sera la belle-mère Marie-Pilar qui pour faire vivre sa famille, fait dans la revente d'objets et de bijoux. Antonio son frère aîné est lui entré dans la résistance, avec un groupe d'amis fidèles. Mais Manolita, qui tente de survivre comme elle le peut, se voit obligée d'épouser un homme enfermé à la grande prison de Madrid, Porlier. Eugénio qui est condamné à mort puis voit sa peine commuée à la perpétuité est le seul qui puisse faire fonctionner les trois polycopieuses arrivées des USA, sans mode d'emploi. Ce faux mariage et tout ce qu'il implique (arriver à faire passer les plans de la machine sans éveiller les soupçons des gardes) déplaît fort à la jeune fille, d'autant que le dit fiancé n'est pas un homme qui lui plaît pas, même si il est très gentil avec elle, et ne demande aucune faveur intime.
L'autrice dont les sympathies de gauche sont très connues publie là (en réédition) nous livre ici le deuxième volet d'une saga de 6 livres sur cette période qu'elle ne cesse de sonder. Elle fait un véritable travail d’historienne, s'appuyant sur des récits des rescapés de la répression franquiste, sur des articles de journaux, notamment sur le personnage de Roberto Conesa, homosexuel et passé de communistes à partisan de Franco (il sera finalement exécuté).
Un roman de 700 pages qui mélangent les drames mais aussi la vie d'un quartier de Madrid, où l'entraide se fait, et où malgré tout, on s’amuse. Des tablao de flamenco au marché et petits échanges. Coté drame, on notera ce terrible pensionnant de Zabalbide, où les jeunes filles sont placées pour « racheter » les peines de prison de leurs mères. Y sont placées Isabel et Pilarin les deux sœurs de Manolita de 14 et 8 ans. Mais cette institution gérées par des sœurs cruelles n'est pas un lieu d'éducation comme promis, sauf pour les plus petites, endoctrinées dans la philosophie fascistes, les plus grandes ne recevant aucune instruction mais condamnées à laver et repasser des draps, les mains dans la soude, le savon étant trop cher soit-disant. Il s'agit plus d'humilier les filles et de faire aussi du profit que d'une mission chrétienne, le pensionnat étant géré par des sœurs perverses et cupides. Sans doute le chapitre le plus difficile du livre.
Malgré une abondance de personnages et des sauts dans le temps pas toujours évidents à appréhender, ce dernier roman est, comme de nombreux autres, un chant d'amour aux vaincus de la guerre civile et une plongée effarante dans l'Espagne de Franco, ce dictateur qui n'a eu de cesse de plier son peuple à sa volonté, aidé par le clergé, pendant que l'Europe regardait pudiquement ailleurs. Pourtant, ce roman touffu n'est pas un livre sombre, on y retrouve la force de l'espoir, l'obstination des rouges à croire encore et toujours à une société plus juste. Vaincus, humiliés, décimés, ils restent debout et gardent en eux l'orgueil de ceux qui savent être du bon côté. La solidarité féminine, les petites astuces de Manolita pour passer à travers les mailles du filet, son optimisme à tout rompre fait d'elle une héroïne du quotidien magnifique, et promise heureusement à une fin heureuse.
Le remarquable travail d'Almudena Grandes nous éclaire sur le quotidien dans une des pires dictatures d'Europe et est une véritable leçon d'histoire. En appendice, la liste des personnages assez nombreux, et un point sur les recherches effectuées par l'autrice. Vraiment Miss Almudena est une Grande autrice !
Extraits
Ils ne le tueront pas, pensais-je, ils ne le tueront pas, même si je ne voulais pas le penser, il est trop jeune, mais ils en avaient tué d'autres d'aussi jeunes, il est trop innocent, mais ils en avaient tué d'autres aussi innocents, il n'a assassiné personne, n'a volé personne, il a juste imprimé des tracts, c'est tout, de l'encre et du papier, mais ils en avaient tué d'autres, aussi, pour leurs mots.
La guerre avait fait surgir le meilleur, mais aussi le pire de nous tous, et nous avait transformés. Nous n'étions plus ceux que nous serions restés en temps de paix.
Toutes ces façons de survivre, plaisanteries, recettes, remèdes de grand-mère pour marcher sur un fil au-dessus du malheur sans jamais tomber dedans, allez vous faire foutre, des mots pour crier non !
Cependant, avec le temps, je compris que la joie était une arme supérieure à la haine, les sourires plus utiles, plus féroces que les gestes de rage et de découragement.
Biographie
Née Madrid , le
07/05/1960, et décédée Madrid , le 27/11/2021, Almudena Grandes
Hernández est une écrivaine et journaliste espagnole.
Depuis
toute petite, elle se sent attirée par la création littéraire.
Mariée au poète Luis García Montero, elle a étudié la
géographie et l'histoire à l'Université Complutense de Madrid.
Même si elle avoue qu'elle aurait préféré étudier le
latin.
Après ses études, elle commence à travailler en écrivant
des textes pour des encyclopédies. Elle a reçu, en 1989, le prix La
Sonrisa Vertical pour "Las edades de Lulú", un roman
érotique qui a été traduit en plusieurs langues et adapté au
cinéma par le réalisateur Bigas Luna sous le même titre. D'autres
réalisateurs ont également adapté ses livres au cinéma : Gerardo
Herrero, Malena es un nombre de tango et Juan Vicente Códoba, Aunque
tú no lo sepas (adapté du roman El lenguaje de los balcones).
Dans
ses œuvres qui s'inspirent de l'Espagne de la fin du XXe siècle et
du début du XXIe siècle, Almudena Grandes met en scène, avec
beaucoup de réalisme, des personnages très introspectifs. En 2002,
elle reçoit le Prix Julián Besteiro des Arts et des Lettres 2002
pour l'ensemble de son œuvre. En 2011, elle a reçu le prix Sor
Juana Inés de la Cruz qui récompense "le travail littéraire
dans le monde hispanophone", le Premio de la Critique de Madrid
et le Prix Latino-Américain du Roman Elena Poniatowska pour "Inés
y la alegría".
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Almudena_Grandes et son site : http://www.almudenagrandes.com/
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