vendredi 3 mai 2024

Claire FULLER – L'été des oranges amères – Livre de Poche - 2021


  

 

L'histoire

Frances Jellico vient de perdre sa mère ? Nous sommes à Londres, en 1979. Cette femme, un peu trop enrobée a vécu toute sa vie auprès de sa mère, et a soigné celle-ci durant de nombreuses années. Sorte de vieille fille, mal habillée, elle se voit proposé un travail par un américain qui vient d'acheter une propriété dans la campagne anglaise. Elle est chargée d'évaluer l'état des jardins et de donner un avis général sur la propriété, qui fut autrefois une belle demeure. Sur place, il y a déjà deux autres personnes, un couple Peter (chargé d'estimer les biens de valeurs) et son étrange jeune femme Cara. Très vite, une amitié se noue et Frances devient la confidente de Cara qui invente sa vie. Elle est aussi très attirée par Peter, elle qui n'a jamais connu de grand amour. Mais un trio n'est jamais bon et le drame arrive.


Mon avis

Voilà un polar psychologique qui mêle un peu de nature writing aux émotions des personnages atypiques.

Nous avons Frances qui raconte l'histoire. Elle est très malade et n'en a plus pour très longtemps à vivre, mais elle se souvient de la période où sa vie a basculé. Élevée strictement par une mère autoritaire, Frances s'est occupée d'elle jusqu'à son décès. Pas très riche, elle vend doit vendre la petite maison en banlieue proche à Londres. Ayant des notions d'architecture paysagère, elle trouve un travail. Expertiser pour le compte d'un promoteur américain une vieille demeure dans la campagne anglaise. Cette demeure, presque un personnage principal, est dans un état d'abandon, la végétation a poussé follement, les murs tombent en miettes, et l'espoir de trouver un pont palladien (pont en marbre richement décoré) s'amenuise. Solitaire, Frances s'installe dans les combles, dans une petite chambre, juste meublée d'un lit de camp et d'un meuble de rangement mais d'une jolie salle de bains. En faisant tomber une boucle d'oreille, elle décolle une latte et découvre un judas qui lui permet d'observer le couple qui vit en dessous.

Un couple étrange composé de Peter, chargé d'estimer la valeur du mobilier, et de sa jeune femme Cara. Le couple semble passer son temps à se disputer puis de réconcilier. Assez solitaire, petit à petit Frances, un peu réticente au départ et gênée par son physique ingrat, une amitié se noue. Peter, un homme de son âge semble pragmatique, rassurant tandis que sa femme Cara est franchement caractérielle. Mais elle voit en Frances l'amie idéale pour raconter sa vie. Une vie qu'elle s'invente et qui varie selon son humeur. Ainsi elle aurait eu un enfant sans avoir couché avec personne, enfin qui est décédé lors d'un naufrage dans une balade en bateau. Ce que dément Peter en rétablissant la vérité, même si Frances ne comprend pas bien que cette jolie femme est en fait totalement déséquilibrée psychiquement. Pourtant les soirées arrosées, les longues promenades dans cette propriété envahie par la végétation qui si elle est abondante n'est pas tendre pour les jambes. Orties, chardons, herbes folles et desséchées, fleurs pourrissantes, vase, il faut se frayer des chemins à l'aide du couteau de Frances ou de bâtons. La maison est aussi en piteux état, gravas, papiers peints arrachés, il faut dire qu'elle avait été réquisitionnée pendant la deuxième guerre mondiale par un régiment de soldats peu précautionneux.

Petit à petit, Peter semble se rapprocher de Frances, qui est convaincue qu'il est amoureux d'elle, femme moins séduisante que Cara, mais solide et fiable.

Les trios ne marchent jamais. Au bout d'un moment, cela devient invivable, c'est un ressort psychologique courant (je parle de trios qui cohabitent ne serait-ce que quelques mois).

Et c'est sur cette psychologie que le drame arrive. Avec deux très beaux portraits de femmes, qui semblent opposées mais qui finalement se ressemblent. Non pas physiquement mais mentalement. Cara s'enfonce dans des mensonges et hurle quand son mari tente de la recadrer, ou disparaît quelques heures, pour mieux se réconcilier. Frances se persuade que Peter est tombé amoureux d'elle, sans voir que le pasteur du village à 2 km de là est lui vraiment amoureux d'elle.

L'ambiance alterne entre les bons moments passés ensemble à boire pas mal de vins, aux promenades mais à contrario la tension monte, dans cet environnement totalement invivable, où Frances note des phénomènes curieux,, une souris morte retrouvée sur sa fenêtre, des bruits étranges et même comme une présence (on se doute bien que tout ceci n'est pas fortuit mais émane sûrement de Cara qui considère Frances comme une mère de substitution, mais inconsciemment la voit comme une rivale. Très page turner, une histoire pas banale qui a séduit la critique. Mais personnellement, j'ai trouvé un peu fastidieuse ces descriptions de plantes, et ce coté « nature writing » que j'adore pourtant est ici un peu redondant et n'apporte rien à l'intrigue.



Extraits

  • Au bout des champs, le chemin s’élargissait mais s’obscurcissait en même temps, sous une rangée d’ifs inclinés vers l’intérieur au point que leurs branches s’entrelaçaient au- dessus de ma tête telle une arche nuptiale sous laquelle j’avançais , fiancée sans promis .
    De part et d’autre de la route , les berges remontaient le long de la route ,la terre marquée, usée, dénudant les os bruns des racines des arbres. 

  • Jamais je n'avais songé à ce dont les gens pouvaient bien avoir l'air sous leurs habits ou la complexité de leurs vies qui paraissaient si simples et si parfaites de l'extérieur.

  • C’était nouveau et choquant, en 1969, cette manière de prendre les gens dans ses bras qu’avait Cara. Je sais qu’aujourd’hui les gens font ça tout le temps ; je les vois faire ici parfois, quand une fille vient prendre son service et que l’autre s’en va. Des femmes qui s’enlacent, des femmes qui enlacent des hommes, des hommes qui enlacent des femmes : je me demande comment ils arrivent à anticiper le geste. Quel mouvement imperceptible, quel élément de langage corporel que j’ai toujours manqué, le leur indique, les prévient qu’ils sont sur le point de se prendre dans les bras ? Est-ce que les hommes enlacent les hommes aussi ? Ici, je n’ai personne à enlacer, et personne ne vient m’enlacer. 

  • Son histoire n’aurait été que souvenir et imagination si je n’avais pas été là pour l’entendre ; inconnue et inédite, pareille à un livre dans lecteur.

  • Comment cet arbre a-t-il survécu sans personne pour en prendre soin ?..."Il s'est débrouillé, dit-elle. Tout ce qui vit trouve un moyen de survivre, tant qu'on ne l'en empêche pas.

  • Je n’ai jamais aimé le fracas, les insultes ; j’ai toujours préféré le calme des bibliothèques, à l’époque personne n’avait jamais élevé la voix sur moi, pas même Mère, c’était une chose inconnue, même si depuis, les choses ont bien changé.

  • Avant tout, j'étais son auditoire, son public. Et elle avait besoin d'un public, même si ce n'était que moi, assise sur les gradins, la bouche ouverte durant la majeure partie de son numéro. Son histoire n'aurait été que souvenir et imagination si je n'avais pas été là pour l'entendre ; inconnue et inédite, pareille à un livre sans lecteur. Mon second rôle s'opérait depuis les coulisses : souffleur.

  • Les images se mettent à affluer, se superposent les unes aux autres. J'abandonne alors toute idée de chronologie et me laisse aller au ressac de la mémoire, à ses vagues montantes et descendantes.

  • Les plus malchanceux d’entre nous atterrissent dans un livre d’histoire, mais même là ce n’est plus eux, c’est une version revisitée, l’interprétation de quelqu’un d’autre. Ce n’est jamais toute l’histoire. Ce que nous sommes ne demeure nulle part ailleurs que dans nos esprits et dans les mémoires de ceux qui nous ont aimés. 

  • Les pieds nus de Cara remuaient sur les cuisses de Cupidon, d’une main elle s’agrippait à la robe d’une femme en pierre comme si elle tentait de la lui arracher, et de l’autre elle tenait une paire de ballerines plates. Songeant aux dégâts supplémentaires qu’elle pourrait causer au marbre déjà blessé, écaillé, je grimaçai.

  • Les femmes ici évoluent dans un sens ou l’autre : fâchées et provocatrices, ou accommodantes et dociles. Étonnamment, vu la personne que j’ai été durant les trente-neuf premières années de ma vie, je refuse d’être docile. Une vieille chouette malcommode. Oui.

  • J’ai une fois entendu quelqu’un dire qu’avec l’âge on est censé se sentir plus à l’aise dans son corps, devenir plus indulgent vis-à-vis de ses plis et replis, c’est faux. Autrefois j’étais grosse, « voluptueuse », a dit Peter un jour. Désormais la chair a fondu mais la peau demeure et je gis dans une flaque de moi-même. Je ferme les yeux et tourne la tête vers la fenêtre ; sous mes paupières, du rose garance. J’y retourne.


Biographie

Née dans l' Oxfordshire en 1967, Claire Fuller a étudié la sculpture (Winchester School of Art) avant de commencer une carrière dans le marketing.
Son premier roman Les Jours infinis' (Our Endless Numbered Days) parait en 2015, suivi de Un Mariage Anglais (Swimming Lessons) en 2017. Claire Fuller vit à Winchester.

Son site : https://clairefuller.co.uk/




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